« Bonjour ou bonsoir jeune et audacieux garçon,
J’ai été renversée par la pertinence de votre profil et l’étendue de vos compétences. Je suis comme un Tadmorv au milieu de sa déchetterie quand je lis ces quelques lignes efficaces et précises. Il était évident qu’un bel homme comme vous doit avoir une équipe talentueuse, une équipe triée sur le volet, une équipe de choc. C’est pour ça que vous avez besoin demoimon Pokémon. Je parle bien entendu de ce vigoureux, vif, valeureux, volontaire et vainqueur Kekleon que vous avez sans doute déjà vu à mon côté. Je ne vous en veux de ma l’avoir jalousé, c’est une créature si ingénieuse et bien charpentée… Aujourd’hui, en cette brillante et prédestinée journée, je suis prête à faire l’échange de Totem, mon Kekleon. Comme vous en doutez c’est un inestimable sacrifice dont vous exigez surement les raisons. Elles sont très simples. Vous êtes un archéologue promis à un avenir de renom est à une carrière internationale. Il est un être distingué, maîtrisant plusieurs accents de langues Pokémons, déclaré cette fois vainqueurs en sept ans du Concours Annuel du Meilleur Négociateur de son île, premier explorateur de la Grotte-qui-ronfle et tant d’exploits encore... Vous et lui, c’est l’Avenir.
Venez avec des gâteaux « Aux Ciseaux d’Argents », dans la Costumerie demain, cela devrait suffire à assouvir mon esprit primaire de femme inexpérimentée.
Ne pensez pas, Sir Blakhart, agissez.Totem, l’As de Trèfle
Adèle, la Drôle de Fille. »
Totem. Créature écailleuse à la dextérité reconnue, les pièces s’écoulaient dans sa sacoche comme les baies dans l’estomac de Goinfrex. Son sourire c’était le beurre dont il engraissait vos mains pour faire passer ses malfaçons. Totem venait d’appuyer sur « envoyer ». Mais ça personne ne le savait. Surtout pas Adèle qui, penchée sur son tissus, s’abîmait les yeux dans la nuit pour confectionner ce qu’elle appelait l’Art. Art et Adèle commençaient tous deux par un A. C’était une raison très objective de penser qu’elle avait bon goût comme elle le répétait souvent. Le travail finit pourtant par engloutir son corps de petite fille qui s’effondra sur son labeur, bercé par le doux vrombissement de sa propre poitrine. Causette éteignit les lumières et foudroya le caméléon amande d’un regard.
***
La brunette gémit. Sur son visage des petits coussinets collants palpaient, tapotaient, trituraient ses joues rosées. Elle grommela, paresseuse indignée, il lui semblait qu’on lui retirait un sommeil auquel elle n’avait même pas eu le temps de goûter. Un bref répit lui donna le faux espoir qu’elle avait triomphé du malotru qui troublait son songe de velours. Deux ondes électriques la parcoururent à intervalles réguliers la rendant raide et crispée. Aussitôt une colère noire vint gonflée sa poitrine et la Givrali se leva, tonitruante et effrayante. Ses cheveux noircis aux pointes étaient devenus plus courts à cause de tous les découpages qu’elle devait faire pour retirer les mèches mortes. Son minois d’ivoire était retroussé par le feu de rage répandu dans ses veines et ses yeux électriques fouillaient la pièce à la recherche du coupable. Un rongeur souriant à ses pieds, si rieur et moqueur que sa dresseuse n’hésita pas à envoyer un pied violent dans sa direction. Le coup retomba malheureusement sur Gollum qui arrivait portant sous son groin une paire de chaussons velus.
La dresseuse explosa de rire en caressant la chauve-souris qui pleurnichait son triste sort, sa mauvaise humeur s’était soudainement évaporée. La demoiselle avait encore la marque des plis du tissu sur le visage mais c’était sans importance. Une fois lavée et enveloppée d’une suave odeur de jasmin, elle se vêtit d’un vieux leggin et de son pull fétiche dont le nombre de trous n’avaient désormais d’égal que le nombre de raccommodages. Bah, ce n’était pas comme s’il y avait du beau monde aujourd’hui. La Givrali allait probablement continuer la robe de sorcière pour Pokémon Feu qui lui résistait depuis la veille ou bien s’attaquer à la confection du chapeau. La fillette songeait si bien qu’elle déversa les deux tiers des granules dans l’aquarium de Mobydick. Ses yeux s’écarquillèrent.
« Nan ! Roh, Momo ! Arrête de manger ! Tu vas devenir obèse ! T'es pas très belle mais c'est pas une raison pour jouer la fille qui s'en fout de tout, hein ! MOMO ! Causette, ma Zette, aide moiiiii ! »
La dinosaure dont le corps était replié au fond de la pièce comme une armure au repos se déplia lentement pour approcher sa maîtresse. L’adolescente en panique avait lâché la nourriture du poisson à ses pieds et c’est Zola qui s’en bâfrer maintenant avec gourmandise. Le malin, Adèle tenta bien de l’écraser de son pied nu, mais l’écureuil était trop vif pour ça. L’Osselait assomma d’un revers d’os le goinfre ainsi que la Barpau qui n’en finissait plus d’avaler, action qui perturba encore une fois la Coordinatrice. Le corps immonde de l'animal était effectivement entrain de s'enfoncer dans les abîmes de son habitacle.
« Mais elle va se noyer ! Mobydick réveille-toi vite ! T’inquiètes pas, je vais te faire sortir de là ! »
Ni une, ni deux, la bourgeoise renversa l’aquarium qui forma un petit raz-de-marée dans l’atelier, imbibant les malheureuses planches que le désordre avait égaré au sol. Insensible à ce chaos, la responsable du désastre avait attrapé le poisson améthyste à deux mains et tentait de calmer ses battements frénétiques qui menaçaient de le faire glisser entre ses doigts.
« C’est bien Momo respire ! Je vais aller te chercher d’autre eau ! Caus… Non, pas toi. Hum… Totem ! Surveille Mobydick et n’essaie pas de la vendre ! »
Le caméléon qui juste là était resté les doigts de pieds en éventail coulant un regard blasé sur la catastrophe qu’était sa dresseuse actuelle. Actuelle, tout tenait dans ce mot, à sa simple évocation, il lorgnait la porte. Que faisait donc le garçon ?! Il ne pouvait pas s’être défilé après la réception du merveilleux message dont il était l’auteur. Cela aurait été de la science-fiction. La Faust s’apprêtait à enfoncer la porte de la petite salle de bain avec le bocal vide quand deux coups furent tapés. Son cœur tempétueux de jeune femme fit un bond. Client. Son tout premier client. Elle grogna devant son bagage qui l’empêchait d’aller ouvrir la porte avant de fusillé sa troupe du regard.
« Que quelqu’un ouvre cette porte, vite. »
Gollum ouvrit la porte de la salle de bain provoquant un vif désespoir chez sa dresseuse. Pendant que l’Emolga et le Kekleon s’entretuait pour tirer la porte d’entrée.
Dans un chuintement délicieux, la porte s’ouvrit et dans son encadrement, un homme debout. Un adolescent comme elle, surement un plus vieux et mature. Ça se voyait dans la raideur de sa tenue et la neutralité qu’affichait ses traits. Ce charme typé de garçon à la crinière or indiscipliné et aux traits doux rappela à Adèle son fraternel. La demoiselle n’apercevait pas grand-chose de l’autre côté de l’atelier pourtant cette similitude la frappa au cœur. Ce trouble aurait pu être fatal au bac de Mobydick si la petite Faust ne s’était pas ressaisi attend. Le potentiel client semblait outragé. Son minois étiré par la surprise en disait long sur ce qu’il devait penser, plus encore que les mots qui se sauvèrent de ses lèvres restaient entrouvertes d’ébahissement. La brunette grimaça depuis le passage vers la « salle de bain » où elle se tenait planquée. Ce n’était pas bon quand le client s’exclamait avec frayeur. Totem l’aurait approuvée sans hésitation. Elle voulut lâcher l’aquarium pour l’asseoir, tenter une manœuvre pour le retenir dans son temple du chiffon mais elle fut devancée.
Une diva. La créature était recouverte par un pelage fourni d'un sarcelle très clair qui faisait penser aux longs manteaux de fourrures que portaient ses tantes. C’était un quadrupède peu ordinaire, une bête de concours que sa grand-mère aurait volontiers acquis pour quelques milliers de pièces. Mais il n’y avait pas que cela, chez cette louve domestiquée, le charisme si particulier des personnages de scène. Un déhanché de précieuse calculée, une odeur piquante qui embrumait les esprits, même sa façon de toiser était impérieuse. Il semblait à la Coordinatrice, qu’une de ses éloignées cousines en marche pour la gloire sur scène venait de prendre vie sous les formes de cette… cette… cette star à fourrure. C’était comme une histoire loufoque pour la riche héritière qui avait toujours considéré les Pokémons comme dénués de valeurs et surtout du moindre charme. La contradiction troublante que lui imposait cette étrange chienne brouilla ses idées. Il fallut réfléchir mettre de l’ordre dans les questions que l'existence de cette créature. Momo qui s’agitait malheureusement par terre contribua à éclaircir son cerveau barbouillé. Elle brailla à l’attention d’un peu tout le monde.
« Oui… Euh… Bonjour, Bienvenue, fais comme chez toi ! Enfin, ça dépend comme c’est chez toi bien sûr. Mais… TOTEM ! Mets-le à l’aise, essaye de voir si on n’a pas un coussin sec pour qu’il pose son fessier. Je suis désolée, mais Momo a failli se noyer, il faut que je remplisse son aquarium parce maintenant elle s’asphyxie ! Lui marche pas dessus s’il te plaît, elle est très laide mais on ne choisit pas la tête qu’on a pas vrai ? »
Nouveau déménagement. Adèle passa la porte de la salle de bain en manquant d’emboutir Gollum qui n’avait pas compris le danger de rester dans le passage. Elle déversa des litres d’eau dans l’aquarium avant de revenir en titubant sous le poids de son chargement. De l’autre côté, le Kekleon ne s’était pas fait prier pour « mettre à l’aise » le blondinet. Il faut dire qu’il avait plutôt intérêt s’il voulait réussir à se vendre. La première des choses fut de saluer d’une courbette élégante la majestueuse Couafarel contre laquelle on devait l’échanger, puis de serrer la patte du petit renard sombre. Il s’inclina aussi devant l’archéologue, bah il lui manquait un peu d’expérience et de sang-froid mais son visage d’ange en ferait un marchand côté chez les dames… Il extirpa un coussin de velours pourpre d’une étagère et après l'avoir un peu tapoté pour le rendre plus moelleux, le posa sur l’un des tabourets que le tsunami miniature n’avait pas renversé. Zola s’était perché sur une poutre et observait avec méfiance le nouveau venu. Le temps l’avait assagi et il préférait mesurer ses adversaires avant de leur jouer des farces.
Adèle était rouge de honte. Il lui semblait qu’elle avait manqué à son devoir et c’était un sentiment bien mystérieux et inconnu pour elle qui n’avait jamais eu d’autre objectif que de contenter des envies courtes et violentes. La Styliste déposa avec fracas la maison de son Barpau sur un rebord de fenêtre et se dépêcha d’y remettre le poisson qui agonisait malheureusement. Ses yeux électriques se tournèrent ensuite sur le client, elle tripota les manches de son vêtement avec nervosité et toussota. Le paquet de gâteaux tomba alors dans son champ de vision. Un sourire de petite fille heureuse engloutit son visage, elle se laissa tomber en tailleur sur la moquette humide.
« Tu as pris des gâteaux ? Comme c’est gentil ! Ça sucre un peu l’air, ça me rappel la confiserie qu’il y a en ville. Tu y es allé ? Il y a une vieille bique dedans c’est… Oups ! Je suis Adèle, enchantée ! »
La cadette se leva. Elle rayonnait de nouveau et attrapa de ses deux mains d’enfant la dextre droite de son interlocuteur sous le regard éberlué de Totem qui craignait le pire venant de cette maîtresse hyperactive et malpolie. La Faust se sentait bien au-dessus de son jugement, ce paquet de biscuits était le signe du ciel qu’elle attendait. La Coordinatrice croyait candidement que les garçons qui venait avec un présent étaient de bons gentlemans - voir des princes charmants - et il aurait cruel de chercher à la détromper. La Givrali voyait bien que l’atelier n’était pas forcément présenté sous son meilleur jour mais puisqu’il ne s’était pas encore enfuit en courant… La brune loucha sur le compagnon du garçon. C’était une bête noiraude partiellement taché de rouge dont les crocs firent parcourir des frissons le long de son échine. Son cerveau fit d’étranges connexions et comme frappée par la foudre, la bourgeoise se redressa les yeux écarquillés.
« Mais ! Mais tu ne serais pas un éleveur de Pokémons canins ? Mon frère a toujours préféré les chats, ils trouvent que les canidés puent… ne le prend pas de travers hein. Moi, je n’aime pas les Pokémons d’une façon générale. Trop de boulot. »
La petite roula des yeux avec une grimace explicite en direction du reste de sa troupe. Mobydick reprenait péniblement vie au fond de son contenaire, Causette était allée bouder sur un tas de chapeau, îlot de fortune au milieu de la mare, Gollum était subitement devenu craintif et avait trouvé refuge dans une boîte à chaussure, Totem était parti fouillé un coffre dans un but obscur et Zola reniflait les fesses de la lady canine du blond… Quoi ?!