J'avais les bras croisés sous la poitrine dans une position qui reflétait mon attente. J'attendais toujours des explications, intriguée par les jeux de pistes que j'avais plus ou moins dû suivre pour arriver à comprendre ce qui se passait. Enfin, si on peut dire que je le comprenais. Gardant toujours un œil sur Talia qui regardait tout le monde d'un air curieux, je m'étais appuyée contre un des rochers. La discussion risquait de prendre plus de temps que prévu, alors autant s'y préparer. Retenant un soupir, je m'assis finalement sur la caillasse, me demandant où Djelly voulait en venir. Non, nous n'étions clairement pas encore des adultes, je n'avais pas l'arrogance de le prétendre... mais ça ne voulait pas dire pour autant que nous étions toujours des enfants. Il y a quelques mois j'aurais sans doute pensé comme elle, mais certains événements m'avaient beaucoup fait réfléchir, et aussi forcée à voir les choses avec plus de bon sens et de recul. Je ne pris donc pas la peine de lui répondre à ce sujet, jugeant que nous avions d'autres sujets plus importants à aborder.
D'une expression grave et légèrement soucieuse, je l'écoutai me raconter ce qu'elle avait sur le cœur, sans jamais l'interrompre. J'étais bien placée pour savoir que Yuki pouvait être très tranchant dans sa façon de parler, quitte à blesser les gens qui comptaient pour lui. Cela n'excusait en rien son comportement, mais je savais de quoi il était capable, pour avoir déjà essuyé le fruit de ses crises de colère, moi aussi. Je baissai les yeux vers le sable, prenant en considération ce que mon amie me racontait, le cœur lourd. J'avais du mal à réaliser comment ils avaient pu en venir à de tels extrêmes pour une histoire de langage. Bien sûr j'étais assez triste d'avoir été la pomme de la discorde sans même avoir été présente. J'étais sans doute naïve, mais je pensais que leur lien avec moi était censé les rapprocher, pas les amener à se détester. Je déglutis pour essayer de ne pas y penser, j'aurais tout le temps d'y réfléchir plus tard.
Je levai finalement les yeux vers Djelly, cherchant les bons mots. Je savais que quoi que je dise je ne pourrais changer le fait qu'elle ait été blessée et triste. Rien ne pourrait effacer ce qui s'était passé, bien que je sois en partie responsable de leur altercation. Et puis j'avais du mal à croire que Yuki ait vraiment dit toutes ces choses. C'était en totale contradiction avec la personne désintéressée et gentille que je connaissais... Et pourtant... Pourtant je ne doutais pas non plus de la sincérité de ma camarade. « Ce qui m'énerve le plus là dedans c'est ta bêtise, ta cruauté et ton égoïsme ! » Les mots amers de mon petit ami raisonnaient encore dans ma tête, me revenant sans cesse. Je savais qu'il pouvait être extrême, et le fait qu'il ne m'ait pas parlé de cette dispute voulait tout dire. Je pris une grande inspiration, me forçant à dire les choses bien que j'ai juste envie de faire demi tour et clore ce dossier à coups de baffes de certains Noctali.
« Je suis désolée, je n'étais pas au courant. Apparemment aucun des deux présents n'a jugé bon de me raconter ce qui s'est passé. Je sais que quoi que je dise n'y changera rien. Mes excuses non plus d'ailleurs mais je t'en dois quand même, c'est la moindre des choses. Quoi qu'il en soit je n'ai pas changé d'avis sur toi. Nous n'avons pas eu le moindre conflit, et ce n'est pas parce que nous nous sommes vues moins souvent que je t'ai oubliée. »
C'est vrai que j'avais vécu beaucoup de choses en peu de temps, surtout lors de la période autour de la première du cirque des boulons. Djelly aussi avait du avoir une grosse frayeur et j'étais consciente que ce n'était pas une excuse valable pour m'être fermée au monde. Seulement des explications, c'est tout ce que j'avais. Elle m'en voudrait peut-être quand même, mais je me devais de tout lui dire, afin de défaire le plus de malentendus possible.
« C'est vrai que les études m'ont pris pas mal de temps, même si tu sais aussi que j'ai toujours répondu à tes messages. Cela n'a pas changé depuis. Si tu veux me contacter pour passer un peu de temps ensemble, pour discuter de tout et de rien, te confier ou quoi que ce soit d'autre, tu es toujours libre de le faire. » Je soupirai en regardant au loin. « J'ai été blessée pendant l'incendie, j'ai eu droit à plusieurs points de suture et pas mal d'hématomes. Rien de sérieux heureusement... Enfin si on met de côté le fait que je suis prise d'une peur panique à chaque fois que je vois des flammes. Un peu bête pour quelqu'un qui sort avec un Spécialiste du type feu. » Je ris nerveusement, mal à l'aise mais surtout triste. Je lui montrai à nouveau ma cheville, qui montrait deux points blancs bien nets, une trace de crochets.
« Quoi qu'il en soit dans la sortie capture qui a suivi j'ai été blessée, cette fois gravement. J'ai été empoisonnée par le Abo chromatique que j'étais en train de capturer. Heureusement, Ivy a réussi à retarder la progression du venin et Robyn a couru appeler des secours pendant que j'étais inconsciente. Je leur dois la vie. » Je me tus un instant, perdue dans mes pensées, puis me repris finalement. « En bref, cette blessure m'a valu une hospitalisation pendant plusieurs semaines où je suis restée en observation, et surtout j'ai été dispensée -je devrais dire interdite- de toute activité physique pendant deux mois. C'est pour ça que je n'étais pas là à l'entraînement, et c'est aussi pour ça que Jackie m'a fait payer ma 'désertion des rangs' avec les intérêts. J'en bave encore aujourd'hui, même si je suis sûre qu'au fond elle sait que je ne suis pas le genre à ruser pour sauter l'exercice du matin. Enfin, tout ça pour dire que je n'essayais pas de te fuir, et si nous n'avons pas eu beaucoup d'occasions de discuter, ce n'est sûrement pas parce que tu n'es plus mon amie. S'il te plaît ne fais pas l'amalgame entre ce qu'il a dit et ce que je pense, moi. »
Pendant que nous discutions, je voyais bien la Cornèbre de Djelly voler à droite à gauche, sans saisir ce qu'elle faisait. Néanmoins ce fut le cri d'alerte de la brune qui me fit réagir à mon tour, réalisant qu'elle cherchait une victime. Talia ne savait pas du tout nager ! Si elle tombait dans le lac, qui sait ce qui pourrait lui arriver ? Sautant de mon perchoir, j'atterris sur le sable prête à courir dans sa direction. Heureusement, Ivy réagit avant moi et s'interposa pour protéger sa benjamine, accompagnée de Djelly qui se sacrifiait sur l'autel de la fourberie de son corbac. La voyant ligotée par la corde j'accourus en sa direction, passant les bras autour de sa taille pour essayer de retenir la force colossale de Banshee, qui sans effort particulier la fit basculer en l'air... et moi avec.
« Géronimoooooooooo ! »
Plouf. Sans aucune élégance, j'avais plongé dans l'eau froide, nageant maladroitement vers la berge, complètement trempée. Le bon côté c'est que je n'avais rien de fragile avec moi, mon Ipok se trouvant dans le sac que j'avais déposé en m'asseyant plus tôt. Merci Arceus, car je ne me sentais pas de devoir m'en passer. Enlevant mes chaussures pour en chasser l'eau, je trébuchai sur un pied et faillis bien me viander une deuxième fois. Dégoulinant de tous les côtés, j'agitai la tête pour chasser l'excès d'eau en m'ébrouant. Cependant je dardais Eris d'un regard noir, mourant d'envie de la déplumer.
« Bon bah je crois qu'au moins ça nous a rafraîchi les idées... »