Pour la première fois de toute ma vie, je déambulais dans le village portuaire avec mon masque, la gourde vide, ce qui indiquait mon état, et ce de plein jour. Les quelques personnes ne me connaissant pas pourraient croire que j'étais ivre, ayant consommé des litres d'alcool alors qu'il n'en était rien. Tout ce que je faisais, c'était copier mon père qui, lorsqu'il rendait en arborant son masque de festival, était complètement bourré. Dix verres de trop dans le tarin, quelques bières supplémentaires, et un final au saké le mettaient dans un état si pitoyable que ma mère tenait absolument à ce que j'oublie ces quelques passades, qui se répétaient finalement tous les jours.
J'avais trouvé un jeu, dans cet état d'ivresse falsifiée. Il se nommait "le jeu de la canette". Je descendais et remontais les rues sans cesse jusqu'à trouver une canette. À ce moment, la partie commençait. Je me devais de frapper cette dernière, sachant que chaque point était double si la canette n'était pas vide, d'un coup de pied suffisamment puissant pour le projeter sur un passant et m'enfuir en courant par la suite. Mon plus haut score était de près de cinquante points à canettes vides, et voir le visage des gens indignés de recevoir un bout de métal dans la tronche m'amusait au plus haut point. Sous le masque, et avec cette personnalité encore inconnue de la foule, je pouvais camoufler mon vrai comportement, qui se voulait beaucoup plus calme, réfléchi, et mature.
Une canette d'un soda de marque était posée sur le sol. Pliée en son centre, je me doutais qu'elle était vide, ce qui m'ennuyait car elle ne me rapporterait qu'un seul point. Je recherchais donc ma future cible, patiemment, longuement, avant de voir du coin de l'œil une fille de mon âge aux cheveux de feu. Elle était de dos, et sa chevelure était de la même couleur que sa robe, ce qui me fit exacerber mon sourire. Imaginer cette dernière tâchée de soda me faisait inconsciemment rire, mais je retombais vite sur terre en me rappelant qu'il n'y avait plus rien dans la canette.
Je pris un peu d'élan, et m'élançai en direction du bout de ferraille, frappant ce dernier d'un coup de pied droit puissant, et suffisamment précis pour percuter l'épaule gauche de la fille de plein fouet. Sans aucune raison, juste pour jouer. Je pointai mon doigt dans sa direction avant de m'exprimer.
"Hahaha, touchée ! Un point pour moi !"
Je pris la fuite d'un pas rapide en arrière, avant de me souvenir de ce qu'il arrivait à mon père lorsque, ivre, il se mettait à courir. Quitte à l'imiter, autant aller jusqu'au bout. Je déviai la trajectoire de mon pied gauche pour entraver mon pied droit, afin de chuter lamentablement en roulant-boulant dans la ruelle, comme un Écrémeuh utilisant l'attaque Roulade.