Drôle d'idée pour une rentrée. Des petits chalets coquets, des loisirs exotiques, un cadre utopique... Dans ces quelques mètres carrés, il y avait de quoi boucher le trou de la sécurité sociale. Ce fut la première impression de la jeunette face à cette île, où les jeunes s'amusaient comme des petits fous. Salvia paraissait tout aussi médusée qu'elle, mais la demoiselle ne la connaissait pas encore assez pour savoir qu'elle avait toujours cet air ahuri. Elle l'aimait bien, cette petite bête. Une bouille adorable, des pouvoirs psychiques dignes de la sauge divinatoire, ce mélange était absolument séduisant. C'était d'ailleurs la seule chose qui la satisfaisait ici pour le moment, le décor de Cobaba était trop surréaliste à son goût. Cette île arborait une façade bien trop proprette, quelque chose de bon chic bon genre difficile à digérer. Comment tous ces élèves pouvaient-ils se trémousser comme des minettes en chaleur ? Pourquoi ne pensaient-ils pas comme elle, que quelque chose se tramait derrière leur dos ? Nami demeurait septique, regardant la fumée de sa cigarette s'évanouir dans l'air comme le cheminement de sa pensée.
Son cartable en cuir noir pendait mollement à son épaule, bizarrement, elle ne l'avait pas troqué pour un sac-à-main aux couleurs estivales. L'apparence était quelque chose d'assez important pour la demoiselle, souhaitant par dessus tout faire bonne impression. Des vêtements élégants cacheraient peut-être la misère sur son visage. En attirant l'attention autre part que sur sa tête blasée, le tapis noir sous la courbe de ses yeux, et sa crinière pas démêlée, peut-être qu'on la prendrait pour quelqu'un d'équilibré. Salvia semblait être la seule à ne pas être dérangée par sa tête de cadavre, la considérant comme une personne absolument normale. C'est sans doute ce que je dois être, une fille normale. Tous les gens normaux doivent se prendre pour des êtres différents. Question d'orgueil. C'est triste que le fait que je sois géniale soit carrément subjectif.
Son monstre de poche la fixa longuement avec ses grands yeux globuleux, comme si elle avait suivi avec beaucoup d'attention le fil de ses pensées. Au début, cette idée dérangea la jeunette, puis avec du recul, elle trouva cela normal de la part d'un pokémon de type psy. Au contraire, c'était presque jouissif : la demoiselle s'imaginait déjà des combats acharnés par télépathie, tandis qu'elle ne connaissait même pas les caractéristiques de sa compagne. C'était typiquement un truc de jeunot ça : admirer l'horizon sans connaître ce qui se passe au bout de son nez.
Certes Nami était une artiste, appréciant méditer longuement sur le monde qui l'entourait, mais il fallait qu'elle réagisse. Elle ne pouvait pas rester dans cet état passif plus longtemps ! Cet étrange chaton devait crever la dalle, et elle ne savait toujours pas comment le nourrir correctement.
Autant se débrouiller comme un escroc, conclu la jeunette. Des accords gentillets vinrent d'ailleurs confirmer son idée. Elle ondula longuement son menton pour localiser la provenance du bruit, avant de s'arrêter sur une falaise au dessus de sa tête. Un petit malin jouait donc de la musique là-bas, et en plus de la guitare. Sans la moindre hésitation Nami contourna la plage pour accéder à la falaise, son Psystigri la suivait d'une manière plutôt étrange. Au lieu d'être proche de son dresseur, elle gardait une distance raisonnable, l'observant d'une manière peu rassurante...
Un jour, ce pokémon me tuera, putain...
Elle arriva à la hauteur d'un jeune homme de son âge, qui paraissait élégant mais en rien sympatrique. Il lui fit néanmoins penser à Orphée, qui envoûtait même les animaux lorsqu'il jouait de la lyre. En effet, ses bestioles semblaient fascinées par leur dresseur. Nami fut un tantinet envieuse : un sentiment d'harmonie se dégageant de cette petite équipe. Elle balança un regard confus à son pokémon, dont les mimiques ne miroitaient aucune empathie. Celui-ci se contenta d'avancer lentement vers l'anonyme. La dresseuse ne put s'empêcher de sourire face à la démarche de pantin de son acolyte, aussi suspecte qu'adorable.
« - J'aime pas les types qui jouent de la guitare... Quelle banalité... »
Bravo Nami, parfaite manière d'accoster un garçon pour lui demander de partager son pique-nique avec toi. Le regard dur de la demoiselle, considérant ses propres paroles, partit en fumée. Elle parut d'autant plus confuse à la vue de l'équipe du jeune homme, beaucoup plus riche que la sienne. Téméraire, elle aurait pu l'affronter directement pour miser un sandwich, ou même demander à Salvia de griffer le dresseur pour faire diversion. La situation ne s'y prêtait absolument pas.
La jeune fille se contenta de s'asseoir à quelques mètres de lui, lançant sourire maladroit avant de s'allumer une cigarette. Elle lançait des regards timides à l'avorton à travers sa chevelure irisée. Lorsqu'elle chercha où se trouvait son monstre de poche, elle fut totalement hébétée en voyant celle-ci mordre un autre pokémon félin qui dormait paisiblement, avant de prendre la fuite avec une grande partie du pique-nique.
Nami resta de marbre quelques secondes, comprenant que Salvia avait lu une partie de ses pensées, prenant uniquement ce qui l'arrangeait dans son plan absurde. Elle ne put s'empêcher de faire un grand sourire satisfait, lâchant sa cigarette pour courir après sa compagne.
« - Désolée, tu es bien mignon avec ton animalerie, mais... Mais le vent me décoiffe ! »
Encore une phrase pleine de répartie, la jeunette ne savait vraiment pas comment se comporter en communauté. Elle détala de plus belle, cherchant son pokémon, qui avait apparemment disparu.