L'ombre de l'après-midi tombe sur mon visage, découpant mes traits de façon arbitraire, sombre. Me voilà assise sur le bateau devant me ramener à Lansat, cet endroit qui avait changé tant de choses dans ma vie et où, plus que n'importe où ailleurs, je me sentais chez moi. Depuis combien de temps suis-je assise là? Oh, quelques heures, facilement. Presque tout le monde est retourné dans sa balle depuis longtemps, à l'exception de Chidori qui mange encore des biscuits avec des petits bruits de souris, et pour ma part je ne suis pas très loin du sommeil. Les yeux mi-clos, la tempe appuyée contre une vitre fraîche, ma respiration rendue plus forte par la fatigue y collant en buée blanche et éphémère. Dans la lumière de la fin d'après midi, le décor a prit une teinte à peine plus orangée dans ce paysage tout de gris vêtu. J'aurais aimé être en train de dormir, vraiment. J'étais tellement fatiguée, comme quoi Leo n'était pas totalement à côté de la plaque en faisant cette prévision, et bien que j'avais obtenu de nombreuses réponses, j'avais aussi de nouvelles questions sur lesquelles me faire les dents. Heureusement, ces interrogations ne portaient plus sur ma mère, le portrait de cette dernière reposant tranquillement dans mon médaillon, à mon cou. Non, je pensais surtout à cette conversation, avec ma grand-mère, et à ces messages échangés avec Aileen. L'une comme l'autre étaient d'accord pour dire que je devais arrêter d'attendre et, d'une façon ou d'une autre, un tout autre prénom avait lui aussi fait surface dans la conversation. Et le propriétaire de ce prénom serait justement sur le quai pour mon retour sur Lansat et, très probablement, pensait-il exactement la même chose que mes deux conseillères. Sans oublier que j'avais aussi Ruby et Kaeko qui m'attendaient sur Lansat. Autant d'amies inquiètes pour moi, qui voulaient que je sois heureuse et qui, très probablement, partageaient cette idée selon laquelle l'attitude d'Allen était vraiment déplorable. Après avoir compris que c'était un genre de consensus généralisé, j'avais cessé graduellement de chercher des excuses et, peu à peu, je m'avouais triste, peut-être un peu déçue, inquiète et surtout blessée. Mais malgré ça, tout le monde autour de moi semblait aussi s'être passé le mot pour veiller sur moi, pour faire les magasins avec moi ou simplement pour être mes amis et ça, c'était très réconfortant. Je pouvais leur faire confiance, je pouvais essayer de sourire pour eux et ne plus penser au reste. Mais ce n'était que consolation et, dans un cas particulier, culpabilité.
Cela me portait d'ailleurs à une autre réflexion. De son côté, au beau milieu de je ne sais quelle affaire de famille, Allen avait-il des gens pour faire pareil? Comment agissait sa famille à son égard? Est-ce qu'il avait des amis restés à Sinnoh? Cet ami, ce Yuki que j'avais rencontré, est-ce qu'ils s'étaient réconciliés? Y avait-il quelqu'un pour le regarder sourire, ou même aborder une expression un peu fermée et fuyante pour cacher quelque chose, ou ses airs timides où il devenait soudainement plus mignon qu'un bébé Pichu? Quelqu'un lui avait-il demandé ce qu'il avait fait de son ancienne veste? Avaient-ils remarqué que mon aimé avait grandit durant cette dernière année? Que ses traits s'étaient fait plus solides et sa mâchoire un peu plus carrée? Étaient-ils capables de lire ses émotions dans les nuances bleues de ses iris envoûtants? Est-ce que, de son côté, il se faisait la même réflexion à l'inverse, ou peut-être est-ce que cela ne lui avait même pas effleuré l'esprit? Est-ce que lui aussi s'asseyait dans l'ombre de l'après-midi en regardant par la fenêtre en pensant à moi? Peut-être que si, peut-être que non. Non, c'est trop déprimant, et puis pourquoi douter de ça hein? J'avais déjà lu l'amour dans ses yeux, tout comme j'avais senti sa passion contre mes lèvres, mais cela me semblait si lointain à présent. Enfin, lointain ou pas, je n'avais pas imaginé ces choses, c'était une certitude. Donc sans doute, très probablement, qu'il pensait à moi lui aussi, à sa façon.
Malgré toutes les apparences, malgré toutes les idées préconçues que les gens avaient pu entretenir sur lui, l'Allen Wills que je connaissais était quelqu'un de très attentionné. Que ce soit lors de notre première mission, lorsqu'il s'était précipité à la course pour récupérer la trousse de premier soin et panser mon bras ou encore plus récemment à la Saint-Valentin, lorsqu'il m'avait portée sur les rochers en bord de mer, afin de m'éviter une mauvaise chute. Un individu comme lui ne pouvait donc pas juste disparaître et ne pas se soucier des répercussions pour les gens laissés derrière. Mais bon, ça c'était un peu comme un secret bien gardé derrière beaucoup, beaucoup de solitude. Enfin, je ne sais pas si c'est le meilleur mot, mais il était toujours si fort. Si hermétique et distant, si ferme et si indépendant probablement, j'imagine que c'est un bon mot pour le décrire. Il semblait prêt à toujours se débrouiller seul, à affronter toutes les situations possibles et imaginables, quitte à négliger sa propre sécurité. Quelqu'un comme ça, c'est impressionnant, mais aussi inquiétant. À bien y penser, en rétrospective, j'étais perplexe. Qu'avais-je vraiment réussi à lui apporter qu'il n'avait pas déjà? Une cavalière pour les bals, c'était au moins ça, mais ce n'était pas comme s'il avait eu du mal à en trouver une autrement. Elles auraient été prêtes à s'entre-tuer pour avoir ce privilège et, ma foi, je n'avais pas de mal à les comprendre, aussi fou que cela puisse paraître. Mis à part un peu d'innocence, de joie de vivre, de cookies infectes, trois tonnes de références douteuses et peut-être un ou deux cheveux roses perdus ici ou là, bizarrement je n'avais pas l'impression de lui avoir apporté tant que ça. Et puis c'était assez éloquent, avec Allen parti, on dirait que mon être en entier s'était terni, que mes cheveux ne tombaient plus de la même façon et que mes yeux brillaient de moins en moins. Mes notes avaient diminué, mes Pokémon semblaient passer plus de temps entre eux qu'avec moi et mes amis étaient tous devenus inquiets du jour au lendemain. Bordel, quelle belle réussite que voilà. Je me passai la main sur le visage, fermant hermétiquement mes yeux, frottant mes paupières closes comme si j'avais voulu en retirer une saleté, terminant mon parcours sur ma joue, dérangeant ma frange au passage. C'est une chance je n'ai pas porté de maquillage, ça aurait fait un beau gâchis.
La vérité, c'est que de mon côté j'avais beaucoup plus besoin de lui qu'à l'inverse. Je ne me sentais pas assez en confiance? Aller, prends exemple sur lui, petite Estelle. S'il peut faire des trucs pareils, pourquoi pas toi? J'avais la flemme de mettre mes rallonges une journée? Pense à Allen, si jamais tu le croises dans les couloirs, il faut que tu sois à ton meilleur, pour qu'il te trouve jolie. Du mal avec des révisions ou avec les travaux servant à monter en grade? N'importe qui le connaissant un peu sait qu'il n'y a pas plus studieux Noctali sur Lansat, et ça aussi c'était inspirant. Ouais, c'est ça le mot. Allen, mon aimé, était devenu mon inspiration, ma raison de faire les choses, comme une véritable partie de moi dont j'avais besoin pour fonctionner alors qu'à l'inverse, je ne pense pas qu'il eu jamais besoin de moi. Jamais vraiment. Et pourtant c'était devenu la normalité et, maintenant qu'il était partit, j'allais devoir me recentrer sur moi et moi seule. Mais, si je faisais ça, ce serait la fin, n'est-ce pas? Car soyons honnêtes, que restait-il de nous sinon mon regard amer et mon coeur serré?
Merde que c'est déprimant, me dis-je en quittant la banquette, sac jeté sur l'épaule, Chidori retourné dans sa balle sans négociations. J'avais besoin de bouger, d'aller sur le pont et de me dégourdir les jambes, mais elles étaient devenues bien lourdes tout à coup. L'air salé de la mer vint m'accueillir à l'extérieur, mais je l'ignorai, gagnant la rambarde sans trop y réfléchir, admirant les vagues qui défilaient sous nous, la silhouette de l'île Lansat qui se dessinait lentement à l'horizon. Seule, tache rose au sein d'un paysage grisonnant, faisant le bilan, sans réaliser ce que c'était. Parce que lorsqu'on fait un bilan, c'est que tout est terminé déjà. La tête enfoncée dans les épaules, frissonnant, me maudissant pour avoir cessé de porter la veste, mais c'était nécessaire, non? Probablement. Je sais pas. Je me disais que ce l'était, mais pourquoi, je l'avais pas encore compris. Il y a des choses que ma tête cachait à mon coeur. Appelons juste ça l'instinct de conservation, ça vous va? Après tout, tout le monde n'est pas aussi doué pour le mode single player, moi moins que les autres. Et puis pourquoi hein? Pourquoi il fallait que ce soit comme ça? Pourquoi j'étais en train de penser à cet amas de choses ridicules? Est-ce que c'était important tout ça, est-ce que ça avait jamais compté? Non, jamais.
Il était juste là et moi aussi. Enfin, avant. Nous étions juste amoureux et, même si ces fichues groupies avaient causé leur lot de complication, c'était bien. D'accord, on aurait pu être plus proches l'un de l'autre sans doute, mais si ça nous convenait comme ça? Et voilà que j'étais en train de m'inventer des raisons pour lesquelles il ne voudrait pas revenir. Tu racontes quoi Estelle? Souviens toi de cet air, quand il a entendu ces idiotes parler de l'autre côté de la porte. Bien sûr qu'il va revenir, bien sûr qu'il y pense chaque jour, bien sûr que c'était important pour lui aussi. Il était débrouillard, fort et d'acier. Si je ne pouvais pas l'aider je devais au moins lui faire confiance, avec ou sans le support de-- Hey, Listen!
Je me figeai sur place, mon regard chocolat dégringolant jusqu'à mon sac d'où avait monté cet appel toujours aussi casse-pied. Pourquoi est-ce que je ne l'avais jamais changé d'ailleurs? Ça faisait un moment que je me trimbalais la même sonnerie, il serait peut-être temps de... Non, impossible. Mon sac glissa lentement, tombant au sol alors que je sentis mes yeux piquer, vivement, une tension apparaitre sournoisement dans ma mâchoire. Il était là, Trybal. Une petite image de rien du tout, 100 pixel par 100 pixel, mais il n'y avait pas de doutes possibles. Je lui avais déjà dit qu'il devait peut-être penser à le changer, rigolant en disant que les gens le prendraient peut-être pour Ace à cause de ça, mais il n'avait pas mordu à l'hameçon, demeurant fidèle à son choix d'image de profil et à son starter. Mais pourquoi je pense à ça maintenant moi?! Texto! J'ai eu un texto d'Allen!! Merde mais pourquoi je pleure pour un satané texto, lis le avant au moins! Essuyant distraitement mes yeux, le visage soudainement illuminé d'un sourire encore faible, j'ouvris le message, impatiente de savoir quand il allait rentrer. Ouais, parce que nécessairement, s'il m'envoyait un message, c'est qu'il reviendrait bientôt. C'était comme une certitude inébranlable, une loi non-écrite, c'était juste obligé et bientôt j'allais savoir, j'allais le revoir et nous aurions traversé une épreuve de plus. Parce que ça ne pouvait être que ça. Il n'y avait aucune autre possibilité, aucune. Comme quoi il est facile d'être aveuglé par ses désirs, tellement facile.
Je n'ai pas compris. Je suis restée gelée devant les lettres, à les fixer comme si elles ne faisaient pas de sens, comme si les mots qui étaient écris là n'étaient pas unis pas quelconque logique, comme s'il avait juste écrit des touches au hasard. C'était peut-être même un "butt dial". D'accord, c'était élaboré, mais pourquoi m'aurait-il remercié pour tout sinon, hein? C'est pas le genre de truc qu'on dit quand on revient bientôt. Merci pour la patience, peut-être, mais pas ça. Pas ça du tout. Ma respiration commença à s'accélérer, mon pouls à résonner dans ma tête et dans mon cou, dans la racine de mes cheveux. Pense pas pouvoir revenir un jour? Il va revenir de nuit alors, c'est ça, ce n'est pas grave alors. Le port est éclairé de nuit aussi et j'ai des Pokémon pour me protéger des gens louches, je pourrai aller l'attendre de nuit aussi. Et des obligations tout le monde en a, ce n'est pas la fin de tout, ce n'est pas la fin de quoi que ce soit. Ça ne veut rien dire. C'est quoi cette histoire?! Désolé d'avoir disparu, il n'avait pas le choix, bla bla bla. Non c'est pas sérieux, quelqu'un lui a piqué son iPok pour m'écrire à sa place. Prends soin de toi? Prends soin de toi?! Comment tu peux m'écrire ça, arrête de raconter n'importe quoi!!
Pendant ce temps, le bateau autour de moi avait gagné le port, le quai. Ok, super pour lui, moi je m'en fiche. Il faut que je descende, là maintenant? Oh c'est ça il va m'attendre là et me dire que c'était une mauvaise blague et qu'il est désolé c'est ça? Elle est drôle, putain qu'elle est drôle, surtout que je sais que c'est Leo qui a dit qu'il viendrait m'attendre. C'est pas le même blond, c'est pas des saphirs qu'il a dans ses yeux, ce n'est pas de l'acier dans son coeur, ce n'est pas Allen. Qu'on y regarde comme on veut, qu'on dise tout ce qu'on voudra, ça ne changerait rien. Ça ne m'avait pas empêché de lui faire un massage, pas empêchée de me réfugier dans ses bras en plein orage et je n'avais pas non plus été capable de le rejeter, mais eh, voyons, de quoi je me mêle. Et on me chassait du bateau et j'avançais sans plus rien voir, l'iPok encore serré dans ma main comme dans des serres alors que, pourtant, toute force m'avait quittée. C'était pas possible ça. C'était pas possible que j'aie l'impression de tomber de si haut alors que, quelques heures plus tôt, je réfléchissais sérieusement à cette option, celle de quitter l'attente. Mais maintenant que l'on m'y obligeait, maintenant que c'était vrai et qu'il n'y aurait plus de retour en arrière. Maintenant que ça me frappait comme un tauros lancé à pleine vitesse, j'en avais le souffle coupé. Je franchis l'endroit sans le remarquer, trop hantée par une pensée toute simple. C'est ici que tu l'as vu la dernière fois avant qu'il ne parte en mission et n'en revienne pas, c'est normal que tu comprennes ici que c'était vraiment la toute dernière fois. Dans un port, juste ça. La vie est une roue qui tourne, elle retourne toujours au même endroit. Sur Cobaba aussi, il y avait eu un port. Là aussi, je l'avais attendu au bord de l'océan. Comme si c'était devenu quelque chose de normal entre nous deux, la proximité de la mer. Ou peut-être était-ce parce que nous vivions une vie d'insulaires. Ce jour là Ancy s'était laissé planer jusqu'à moi, à la grande surprise d'Allen, parce qu'il ne pensait pas que je viendrais le chercher. Sans doute parce que personne ne l'avait jamais fait de façon aussi sincère, aussi désintéressée peut-être. Pourtant ça ne m'avait pas empêcher de traverser l'île à la course, le soleil réchauffant ma peau et ma tête pleine d'idées pour le bal à venir. Je venais de terminer ma robe, bleue, assortie à ses yeux, juste au cas où. Parce que déjà, je savais que je voudrais y aller avec lui. Et il avait été vraiment surpris de me voir. Il ne pensait pas... Mais il avait été heureux. Vraiment. Tout comme je l'avais été, un matin où je ne dormais plus vraiment, mais où il s'était silencieusement glissé dans ma chambre, jusqu'à moi, pour replacer la couverture. Je n'avais pas osé bouger, mais après son départ, mes joues avaient viré au cramoisi et j'avais serré Ancy contre moi en riant joyeusement pour ensuite me rendormir, doucement, bercée par ce geste de douceur innocente.
Je sentis les premières larmes brûler sur mes joues, mes lèvres s'entrouvrir pour chercher l'air alors que j'avais l'impression d'être en train de boire du goudron. Lentement, lourde, tremblante, automatique, ma main gagna ma chevelure, chercha la barrette flashy. Oh, mais as-tu déjà oublié que tu ne la porte plus, Estelle chérie? As-tu oublié ça en même temps que tu as oublié que c'était ça qui te rattachait le plus à lui et que ça ne t'as pas empêché de la ranger? En même temps que tu as commencé à regarder Leo autrement, parce que tu savais que la rose venait de lui? Tu savais toutes ces choses, mais ça ne t'as pas empêché de partir avec Leo en mission. Et ça avait blessé Allen, tout cela. Comme j'avais été peinée de voir la tristesse dans ses yeux, quand il aperçut la rose. Comme j'eu l'impression de l'avoir pincé, lorsque j'avais glissé quelque part le mot massage. J'étais coupable, c'est certain. Si je ne l'avais pas physiquement trompé à proprement parler, mon coeur, lui, avait bien un écart de conduite à se faire pardonner. Pourtant je ne voulais pas, ce n'était pas ce que j'avais imaginé, ce n'était pas possible. Non. Juste non. Je refuse. Ça se peut pas. Ça se peut pas!
Je me sentis tituber, sentis mes jambes se faire molles et mes épaules comme se désarticuler alors que mes bras n'étaient plus que chair inutile. Qu'est-ce que le corps, de toute façon, lorsque l'on vous arrache le coeur? Lorsque l'on vous arrache les ailes? Vinrent les points noirs, le regard voilé, mais j'étais tellement loin de là que je ne m'en étais pas rendue compte. Je sentis, toutefois, mes genoux toucher le sol, lourdement, sourdement. Comme quand on laisse tomber un sac de farine ou un autre truc lourd, une grosse poupée désarticulée aux imposants cheveux roses qui a oublié comment on parle et comment on marche, tout ce qu'elle sait faire, c'est hoqueter et pleurer. Les épaules tressaillantes, les cheveux secoués nerveusement, les yeux clos et la tête penchée vers l'avant. Les cheveux collant sur les joues et le monde tellement grand autour, si grand que l'on se sent avalé alors qu'on entend les voix, mais qu'on ne les comprends pas, qu'on arriverait pas à y répondre, même avec toute la volonté du monde. Qu'est-ce que j'en aurais à faire, de toute façon, des gens autour? Ils ne comprennent pas. Ils ne sont pas celui que je voudrais voir, là maintenant. Pour eux, un texto c'est un truc joyeux, un truc inoffensif. S'ils savaient que ça pouvait les tuer, je suis certaine qu'ils feraient plus attention.
Et puis là quoi, j'étais supposée me relever, accepter ça, ravaler mes larmes et continuer ma vie comme si de rien n'était? Non, certainement pas. Pleurer, ça c'était important, pleurer pour de vrai. La tête prise entre les mains, les ongles plantés dans les cheveux, les avant-bras sur chacune des tempes qui pulsent de plus en plus fort, comme si quelque chose dans ma tête voulait sortir. Le coeur, pour sa part, était en miettes, saignant, se déversant au rythme des larmes et des sanglots étouffés, des petites plaintes qu'aurait poussé un animal blessé, la patte coincée dans un piège. L'air venait à manquer et j'oubliais de le chercher, parce que soudainement ce n'était peut-être plus ça, le plus important pour vivre. Par Arceus, comment était il possible d'avoir physiquement aussi mal alors que pourtant personne ne m'avait touché? Comment était il possible que ça me fasse aussi mal? Ça avait été comme une pique d'acier en plein abdomen, grinçant contre mes côtes et s'enlisant dans un poumon. Pourtant je le savais, quelque part au fond de moi. Même s'il était revenu, je savais que nous ne reviendrait peut-être jamais. Mais il y avait des choses que ma tête cachait à mon coeur et en cet instant, je ne savais que trop bien pourquoi il le faisait.
Mon être tressaillit en frissons violents, accompagné de nouveaux sanglots alors que je redressais lentement la tête, que mes mains glissaient dans ma chevelure pour gagner lentement mon visage déformé par le chagrin. Une mentali est belle en toute occasion que je disais tout le temps. Qu'est ce que j'en avais à faire maintenant? C'était de la merde, ça ne changeait rien. Ça ne voulait rien dire. On regardera comme on voudra, il n'y avait plus de beauté sur mes traits, rien de plus que la douleur dans mes yeux, vrillante, lancinante. C'est à peine si je remarquai la silhouette, rendue floue par les larmes, qui me rejoignais presque à la course. Durant un instant, j'avais complètement oublié que Leo allait être là et, même quand j'apercu ses lunettes, je ne m'en rappelai pas tout de suite. Il était juste apparu comme un petit miracle blond aux lunettes de super espion, car c'est ce qu'il faisait toujours. Il me protégeait, me rassurait, veillait sur moi et si j'étais en peine quelque part, Leo ne tardait jamais à arriver.
Mon ipok tomba au sol et je le laissai là, je ne le remarquai même pas, je ne m'en souciais pas. Tout ce qui compta, là maintenant, ce fut de m'enfouir dans les bras de Leo pour le serrer contre moi, laisser mes larmes tremper ses vêtements et retrouver, lentement, mais sûrement, un peu d'air que je pourrais respirer sans me noyer dans le métal en fusion qui portait mon abdomen à la combustion. Nouvel orage, même refuge. Nouvelle peine, même salut. Car au fond, mon coeur aussi avait des choses à cacher à ma tête et Leo était bien sûr l'une d'entre elles.