J'avais réussi à l'envoyer à l'eau en lui jetant mon chandail? Non, bien sûr que non. Il avait fait exprès d'éviter le vêtement. Donc il était totalement incommodé, mais préférait encore le demeurer plutôt que d'accepter le chandail de quelqu'un d'autre. Oui bon, en même temps celui d'une adolescente... J'aurais peut-être du réfléchir un peu plus finalement, constat auquel je ne cessais de retourner de façon régulière, sans jamais réussir à améliorer les choses. Ne pas très bien comprendre les notions de pudeur et d'inconfort? C'était possible. J'avais toujours été très confiante en mon apparence et j'avais toujours aimé attirer l'attention, ce même orgueil de femmes qui poussaient les filles de mon dortoir à faire de leur mieux pour être jolies en tout temps. Par contre, ne pas aimer mon visage quand je riais? Voilà qui était... Particulier. Pourtant il m'avait bien fait un compliment dans le bus alors pourquoi est-ce que maintenant... Le bus. Au fond il avait sans doute raison, mes rires et sourires ne devaient plus être si agréables. Avec tout ce qui venait de se passer, j'étais rétrogradée au statut d'ombre effacée. Normal que la beauté m'ait déserté en même temps que le bonheur. Comment être authentique dans la joie alors que je nageais dans le malheur? Vu comme ça, impossible de lui en vouloir, je ne fis qu'acquiescer, toute envie de rire m'ayant déserté de toute façon.
De la canne à pêche, il me rendit mon vêtement et c'est sans discuter que je m'en vêtus de nouveau. En même temps vu la fraîcheur de la fin de soirée, combinée à la pluie, il faisait un peu trop froid autrement. Malheureusement, ma mine ternie n'avait pas fini de décliner que le roux reprenait la parole, sa voix portée par une simplicité criante de vérité. Ça ne fait que quelques heures, sans doute vont-ils encore bien. Et lorsqu'il le disait comme ça, comme un fait tout simple et tout évident, je me serais sentie bien bête de le contredire. Ne me restait plus qu'à opiner du bonnet, le coeur pincé, le visage dissimulant un éclat de tristesse. J'avais décidé de garder cela pour moi, de ne pas pleurer, de rester forte et d'exaucer ma promesse. Mais dans le regard océanique du jeune homme, il n'y avait ni place pour l'orgueil, ni place pour les serments de vengeance. Rien de plus que la vérité, à la fois douce et destructrice, comme les puissantes vagues de la mer.
Bien que toujours aussi peu vêtu, il s'était approché de moi et m'avait serré dans ses bras. Il ne l'avait pas fait avec affection, mais pas avec dégoût non plus. Il l'avait simplement fait, malgré sa gêne, parce qu'il avait naturellement choisi de faire passer cette jeune demoiselle au sourire désagréable avant lui, sans que je puisse seulement imaginer pourquoi. S'éleva alors sa voix, un peu plus haut, vu sa taille. Je relevai même la tête vers lui, réalisant seulement maintenant qu'il était en fait plutôt grand, me donnant l'impression de n'être plus qu'une petite chose fragile, mais qui n'avait pas besoin d'être seule, alors ça va. J'avais le droit d'être triste. J'avais le droit de pleurer. Même, j'étais sans doute plus belle lorsque je pleurais. J'étais plus belle lorsque, au lieu de retenir les aléas de mon coeur, je me laissais aller à la spontanéité de mon être. Cette même part brillante et vibrante de moi-même que j'avais cadenassé au fil des mois. Était-ce cela, l'importante chose que j'aurais oublié selon mon double rencontré sur Enigma? Peut-être que oui, peut-être que non.
Je voulais répondre quelque chose, n'importe quoi, mais je ne trouvais pas les mots et il était reparti aussi vite qu'il était venu. Comme ça, ne me laissant pas le temps de réagir, comme ne s'intéressant pas à ma réaction, bien que la gêne semblait y être aussi pour beaucoup. D'ailleurs, je n'étais même plus certaine de connaître son nom, bien que je n'eu pas l'impression que nous en avions besoin. Levant les yeux au ciel, je l'imitai pour remarquer que la pluie s'était bel et bien arrêtée. Ce progrès fait, le roux mentionna qu'il n'avait rien contre le fait de rester là, que nous aurions des souvenirs comme ça. Mais avions nous le droit de simplement créer des souvenirs sans même savoir ce qu'il était advenu de nos camarades? Que dis-je, de mes amis? Mais j'étais aussi si fatiguée, si épuisée, sans oublier qu'il lui suffit d'ouvrir la porte pour que la situation soit presque contrôlée de nouveau. Il suffisait simplement de réparer le toit maintenant.
- Tu n'as pas tort. Mais je ne sais pas trop comment faire ça, surtout avec mon bras...
Avais-je dis avant de retourner à ma valise, pour contempler l'ampleur des dégâts. Moi aussi j'allais devoir en faire sécher une partie, mais dans l'immédiat mon attention était requise autre part. Selon ses dires, et malgré la surprise générale, il était en fait un ranger. Oui, c'était surprenant, mais l'individu en lui-même ne l'était-il pas amplement? Enfin, il n'était certainement comme personne d'autre, pas dans les gens qu'il m'avait été donné de rencontrer en tout cas. Et il avait continué, me partageant son rêve de piraterie. Malheureusement, ça lui était impossible, parce qu'il avait le mal de mer, et cette petite aventure sur le rondin, c'était un peu comme effleurer son rêve du bout des doigts. Sauf que c'était triste. Et la conversation s'orienta vers moi, il voulait savoir ce que je faisais, m'apprenant ce que Ginji lui avait dit. Il savait que j'avais aimé, que j'aimais peut-être, et j'en fut gênée. Déjà je n'aimais pas l'idée que le Voltali ait raconté ces choses à quelqu'un, mais surtout cela me pincait le coeur de savoir que l'on ne me connaissait que comme ça, une fille qui aimait, alors que ce n'était pas si loin de la vérité. De façon surprenante, pourtant, ça ne l'intéressait pas et, toujours tourné vers autre chose, il me demandait ce que moi, je faisais dans la vie. Je sentis mes lèvres esquisser d'elle-même un sourire de soulagement, mais l'étouffai tout de suite, encore hantée par ce qu'il avait dit. Sans oublier que ce que j'avais à dire sur le sujet ne me donnait aucunement le coeur léger, presque au contraire.
- À dire vrai, moi aussi j'ai un rêve un peu impossible. Vu que je ne suis pas douée dans grand chose, je me suis dit que je pourrais me tourner vers l'élevage et la médecine. Je me disais qu'il me suffisait d'aider les autres et que si je pouvais changer une vie pour le meilleur, juste une seule, alors... Je ne sais pas. J'imagine que ça aurait justifié tout le reste, que ça aurait donné une raison à ma vie et à mes efforts. Je ne sais pas, je pensais que juste être là pour les gens et prendre soin d'eux, leur sourire... Mais finalement j'ai un sourire terrible à ce qu'il parait, et puis je n'ai pas réussi à aider qui que ce soit...
Sur la fin, ma voix s'était fait un peu plus tremblante, côtoyant les aigus et se brisant en un rythme irrégulier. Je pouvais sentir mes yeux qui piquaient, la tristesse et l'émotion qui voulaient se frayer un chemin jusqu'à mon visage. J'avais réussi à tout retenir jusque là, j'avais réussi à tenir bon depuis cet après-midi, mais le rouquin venait de me déséquilibrer, de foutre le feu à la grange.
- Je pensais réussir à les protéger et à les rendre heureux, mais au final ce n'était que des conneries. Au bout du compte, mon rêve est peut-être encore plus irréalisable que le tien. C'est un peu flou, dans ma tête... Désolé.
Je devais me calmer, je devais me reprendre et essuyer ces larmes qui coulaient toutes seules. J'avais le droit d'être triste, d'accord, mais ça ne voulait pas dire que ça l'intéressait pour autant et que je devais soudainement craquer. J'étais plus forte que ça, non? Oh, et puis qu'est-ce que j'en sais?