Cette situation était pour le moins étrange. Voilà qu’elle se retrouvait collée à un illustre inconnu, dans un placard à balais poussiéreux et bordélique, que l’inconnu en question lui avait posé une main sur la poitrine, et qu’elle lui avait posé une main sur l’entrejambe. Situation étrange, certes, mais surtout fort gênante. La petite espionne aimait énormément les jeux taquins, en règle générale, mais là, ce n’était pas un jeu. Plutôt un concours de circonstances pour le moins fortuit. Alors… Pourquoi étaient-ils morts de rire ? Si elle avait réussi à faire taire le fou rire qui pointait le bout de son nez, elle sentait l’autre garçon qui tremblait à côté d’elle, et vu le rythme des battements de son cœur, et celui de sa respiration, ce n’était ni des pleurs, ni de la panique claustrophobe, mais bien un éclat de rire qu’il essayait de réprimer. Et elle, alors, avait-elle l’air plus fine, alors qu’elle riait aussi en silence ? Ils étaient beaux, tiens… Surtout que, non content de ne pas se vexer d’avoir été enfermé là avec une inconnue qui a involontairement posé sa main à un endroit des plus tabous, il se permettait d’entrer dans son jeu avec une classe insoupçonnée, se glissant habilement derrière son sarcasme pour danser avec elle. Elle imaginait bien son sourire amusé, son étincelle joueuse au fond du regard. Cap ou pas cap ?, semblait lui dire le silence entre eux. Aileen sourit à son tour. Un petit sourire de prédatrice, bien contente d’avoir trouvé une proie qui semblait être un minimum coopérative. Et s’il s’avérait que c’était bien lui qui s’était introduit dans le dortoir Pyroli, eh bien, elle serait bien contente de surveiller son heure de colle. Héhéhé. Mademoiselle préfère-t-elle le restaurant, ou le cinéma ? Cette perche était beaucoup trop belle pour ne pas être saisie en plein vol.
« Voyons. Les deux, quelle question ! Mais attention, trois étoiles minimum, le restaurant. Je suis une femme de valeur, on ne m’achète pas avec une table à l’Etoilé d’Illumis. Ou avec un placard à balais aussi miteux, jeune homme. »
Cependant… Oui, le placard à balais était miteux. Et elle avait de plus en plus de mal à respirer. Par contre, elle s’amusait vraiment bien ! Ca faisait longtemps qu’elle ne s’était pas autant amusée, en vérité. Depuis qu’elle avait commencé à sortir avec Loan, et qu’il s’était progressivement éloigné. Ou bien était-ce une simple impression ? Malheureusement, impression ou pas, cela lui laissait un goût amer, et un drôle de serrement désagréable au cœur. Et la sensation d’être délaissée, aussi. De ne plus compter comme avant. De passer au second plan. Sinon, pour quelle raison aurait-il disparu pendant deux mois sans prévenir personne ? Sans la prévenir, elle, alors qu’elle était sensé être sa petite amie ? Est-ce qu’elle comptait vraiment pour lui, ou en était-il venu à la compter comme acquise et lui appartenant ? Déprime. Passagère. Elle n’allait tout de même pas se pourrir le moral, alors qu’elle était encore enfermée dans un placard à balais avec un inconnu qui, justement, n’était pas Loan, et n’avait pas à subir sa mauvaise humeur à la place du principal intéressé. Surtout que son inconnu du moment avait l’air gentil, lui. Il ne s’était pas vexé de ses nombreuses bourdes, ni du fait qu’elle venait de le frapper par inadvertance en essayant d’atteindre la porte. Raté. Bon, elle allait gentiment garder ses mains loin de lui et lui demander d’ouvrir la porte. Docilement, il se tordit un peu pour tâtonner à la recherche de la poignée, et elle se retrouva encore plus coincée contre le mur. Voilà qui était fort douloureux. Mais elle survivrait. Encore quelques petites secondes et… Comment ça, c’est fermé de l’extérieur ?! Selon lui, enfoncer la porte dans un endroit aussi réduit était chose malaisée. En effet. Ils risquaient surtout de se faire bien mal. Des idées, très chères ? Une nouvelle fois, elle imagina son sourire, et l’attente d’une bonne réponse. Ce fut à son tour de sourire. Il n’allait pas être déçu.
« Oh j’ai bien une idée, mais ça n’implique pas de sortir du placard… »
Elle avança prudemment sa main, et ses doigts effleurèrent son tee-shirt. Parfait. D’un geste souple et contrôlé, malgré de manque de luminosité du lieu, elle se retrouva collée contre lui, ses bras refermés dans son dos. Câlin. Avec un léger sourire content, elle sentit les mouvements du garçon inconnu, qui refermait à son tour ses bras autour de sa taille. La brune ne put s’en empêcher, et la suite de sa blague sortit de manière très naturelle. Pas de coming-out pour le jeune homme, alors. Parfait. Emportés par leur mouvement, ils se tournèrent un peu, et elle grimaça en sentant quelque chose s’enfoncer douloureusement dans son dos. Eh mais, une minute… C’est la poignée de la porte ! Avec un léger rire, bien contente qu’il ait bien voulu entrer dans son jeu, elle se dégagea en douceur, et il leva les bras pour lui permettre de se tourner. Gentil garçon. Assez joué. Elle allait crocheter cette porte. Elle n’avait malheureusement pas pensé à emporter avec elle son matériel de crochetage, c’est bien bête, mais… Ah. Un truc pointu. A première vue, une épingle à cheveux. Que faisait-elle avec une épingle à cheveux dans sa poche ? Certainement Ellie, sa petite Mysdibule, qui l’avait glissée là parce qu’elle ne savait pas où la mettre, pour qu’Aileen retrouve sa propriétaire plus tard. Eh bien, malheureusement, ladite propriétaire ne retrouverait jamais sa petite épingle, qui se retrouvait transformée en nécessaire à crochetage de porte de placard à balais.
« Bon, assez joué. Je vais crocheter la porte. Tu as ton iPok ? Tu peux me faire de la lumière ? De là où je suis, impossible d’atteindre la Poké Ball de mon Dedenne. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Une douce lumière éclaira la serrure, ne lui permettant pas, cependant, de connaître l’identité du jeune homme. « Et maintenant, prions pour ne pas tomber sur un préfet, ou on va se faire gronder. »
Dit la préfète en chef au préfet des Noctali. Mais soit ! Ils ne connaissaient pas encore l’identité de l’un et de l’autre, et Aileen ressentait encore le besoin de le taquiner sur sa petite expédition nocturne au sein de son dortoir. Très concentrée, elle oublia le garçon derrière elle, l’endroit exigu où elle se trouvait, le fait qu’elle n’arrivait plus à respirer correctement, et elle plongea dans son travail de crochetage. Elle l’avait déjà fait plusieurs fois, quand elle vivait avec sa mère, mais jamais dans le noir complet, dans un lieu aussi petit, et accompagnée, en plus de ça. Surtout qu’elle n’avait droit qu’à un seul essai, et devant un public, en plus de ça. Si elle échouait, ils étaient bons pour attendre que Fooly ressente la brutale envie de briquer le carrelage au clair de lune, comme l’avait dit son inconnu du moment. Heureusement, après quelques minutes de tâtonnements silencieux, elle finit par trouver la combine, et une minute plus tard, le verrou se décoinçait avec un petit cliquetis silencieux qui lui tira un sourire victorieux. Yes, l’honneur est sauf ! Prudemment, elle poussa la porte du placard à balais, pour s’assurer qu’il n’y avait personne, et en sortit la première, faisant quelques pas dans le couloir pour laisser sortir son camarade et s’étirer pour faire craquer son corps endolori. La liberté ! Si douce et si tendre ! Ok, la compagnie de l’inconnu n’avait pas été désagréable, mais… D’ailleurs, qui était-il ? Curieuse, elle se retourna, un millième de secondes avant lui. Cheveux blonds, regard clair… Il semblait aussi surpris qu’elle. Aileen resta silencieuse quelques secondes, avant d’esquisser un sourire amusé, et d’éclater de rire.
« Heath Jones, mais c’est une blague ?! »
Là, pour le coup, la brune était soufflée. Elle qui avait une si mauvaise opinion du préfet des Noctali ! D’un côté, il succédait à (ce gros connard d’) Allen Wills, qui n’avait jamais été un modèle de modestie, tellement qu’elle en était venue à le mépriser ouvertement, et n’avait pas été mécontente qu’il s’en aille, même s’il avait brisé le cœur d’Estelle. Et Heath, avec son assurance et ses manières ouvertement fourbes, n’avait pas été long à s’attirer sa méfiance et ses foudres, même s’il avait pas fait grand-chose pour cela, mis à part le fait d’être le nouveau préfet des Noctali, rôle sur lequel l’ombre d’Allen planait encore. La brune avait tellement eu l’impression qu’il essayait désespérément de taillader l’ombre d’Allen pour s’imposer, qu’elle avait eu du mal à retenir son mépris affiché pour les Noctali. Il faut dire que le peu de Noctali qu’elle connaissait n’étaient pas des modèles de sympathie. Allen s’était comporté comme un gros lâche (en plus d’être un bon gros connard), Yuki comme un enfoiré, Lucas… Ginji ne l’aimait pas, et ça lui suffisait. Les autres Noctali, elle n’avait pas envie de les connaître, le petit panel qu’elle avait rencontré lui avait suffi. Mais lui, il était différent. Il jouait. Personne n’avait joué comme ça avec elle depuis bien longtemps. Personne n’était entré dans son jeu de cette manière depuis… Depuis Loan, en fait. En règle générale, les garçons rougissaient, bafouillaient, perdaient leurs mots, et finissaient par sombrer dans un mutisme désespéré, la suppliant en silence d’arrêter ça. Comme avait fait Ginji, ou Orren, ou Cael… Mais lui, il l’avait suivie, et avait même apporté sa petite touche personnelle. C’était rafraichissant.
« Hmmm. Me voilà donc obligée de reconsidérer tout ce que je pensais savoir sur toi. Apparemment, tu as encore bien des facettes qui me sont inconnues… Mais qui m’intéressent beaucoup. » Le grand méchant loup, l’appelait-on. Pas de chance pour lui, il y avait un deuxième loup chasseur dans l’académie. Ou plutôt, une deuxième louve chasseresse. Au sourire doux de prédatrice. « Et je vois que je ne suis pas la seule personne qui parvient à cette conclusion. Me trompé-je ? »
Non, elle ne se trompait pas. Intéressant. Vraiment intéressant ! Cependant, dans un éclat rouge, Sphax ressortait de sa Poké Ball, mécontent d’y être resté aussi longtemps, et jappait d’un ton pour le moins impérieux pour la rappeler à l’ordre. Comment ? Tu pactises avec un Noctali ? Dois-je te rappeler, très chère, qu’on lui a couru après pendant cinq minutes parce qu’il s’est introduit dans notre dortoir ? Aileen résista à l’envie de lever un doigt vers son starter. Pour commencer, elle pactise avec qui elle veut, et non, nul besoin de le lui rappeler. Très cher. Sphax, royal, s’assit sur son séant, pour considérer de son regard saphir le Noctali en face de lui, le jaugeant sans s’en cacher. Que valait-il, celui-là ? Allait-il essayer de faire du mal à sa dresseuse ? Aileen esquissa un sourire amusé, mais le laissa faire. Après tout, il faisait ça avec tous les gens qui l’approchaient, et comme elle, il n’aimait pas beaucoup les Noctali, qu’il jugeait frustres et brutaux, à l’inverse de la finesse et de la discrétion qu’il incarnait, en tant que Pokémon espion. Oui, elle allait lui demander. Mais… Ils étaient allés trop loin pour qu’elle ne continue pas à tâter le terrain. Se comporterait-il toujours ainsi, en voyant à qui il avait affaire ? En voyant qu’il jouait, depuis plusieurs minutes, avec la préfète en chef de l’académie, et que l’un et l’autre n’avaient jamais vraiment caché le dédain glacial qu’ils se portaient ?
« Avant le restaurant et le cinéma, permets-moi une simple question. » Elle esquissa un léger sourire taquin, dans lequel brillait cependant une once de son sérieux de préfète en chef. « Qu’est-ce que tu faisais, au beau milieu de la nuit, dans le dortoir des Pyroli ? Et pourquoi t’es-tu enfui ? » Court silence, avant qu’elle n’esquisse un nouveau sourire. « Et ça fait deux questions, pas une. Mais j’attends tout de même mes réponses… Petit louveteau. »
Dernière édition par Aileen Sôma le Mar 29 Sep - 23:43, édité 3 fois