Ouais, et maintenant ?Les yeux bleus de la jeune fille se baladaient sur le jardin qui l'entourait, hagards. Un petit buisson de lavande, à quelques pas d'elle, lui rappelèrent Lavanville. Le souvenir d'une petite rouquine de sept ans cueillant des brins de lavande aux abords du village lui revint en mémoire, et un sourire nostalgique se fraya un chemin jusqu'à ses lèvres, avant d'être sèchement réprimé. Elle ne voulait pas avouer que tout cela lui manquait.
Et pourtant, c'était clair. Elle se sentait étrangement seule, et même perdue, si loin de chez elle. Il faut dire que, jusqu'à présent, elle ne s'en était jamais véritablement éloignée. Elle n'avait jamais perdu de vue les petites maisons au toit mauve, même par les grands jours de brouillard. Et aujourd'hui, dans ce jardin verdoyant et sous un magnifique ciel bleu, elle se sentait soudainement plus vulnérable que jamais.
Elle eut une pensée pour ses parents qui, l'ayant accompagnée pour le voyage, s'en étaient bien vite retournés après de joyeux adieux. Alors que leur fille était mortifiée par l'avenir qui s'ouvrait à elle, ils étaient très probablement en train de s'en réjouir comme deux gamins, se remémorant leur propre jeunesse et leurs rêves oubliés.
Elle était seule, désormais, livrée à elle-même. Et même si elle en mourait d'envie, faire demi-tour et rentrer chez elle n'était malheureusement pas une option. Rester plantée-là jusqu'à ce qu'on vienne la chercher non plus. Elle savait ce qu'elle ne devait pas faire, ok. Et maintenant, qu'est-ce qu'elle devait faire ?
La rouquine ramena une nouvelle fois son regard vers ce qui constituait désormais son quotidien. Le jardin, par un après-midi calme. Derrière la fontaine et les par-terres fleuris, les bâtiments de l'académie, qui la surplombaient et semblaient l'accabler d'attentes auxquelles elle ne pourrait jamais répondre. Puis, au-delà du campus encore, l'île, et l'océan qui s'étendait à perte de vue entre elle et tout ce qui lui avait jamais été familier. Elle se sentait comme dans une espèce de vivarium.
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Elle inspira une grande bouffée d'air et essaya de rassembler ses pensées. Avoir le mal du pays ne l'y ramènerait pas. Et il était hors de question d'inquiéter ses parents. Alors il ne lui restait plus qu'une chose à faire : relever la tête, serrer les fesses, et aller jusqu'au bout de ce maudit cursus qu'elle venait d'entamer. Après tout, elle n'était pas bien différente des autres étudiants. Tous, ici, semblaient avoir un objectif en tête. Le sien se trouvait juste être différent, et bien moins ambitieux que les leurs. Ça ne le rendait pas moins légitime pour autant.
L'adolescente réajusta l'anse de son sac sur son épaule et entreprit de se mettre en route vers son dortoir. C'est alors qu'une douche froide, au sens propre, la stoppa net dans son élan. Estomaquée de surprise, la rouquine mit quelques instants à saisir la situation. Trop pour voir le plaisantin prendre la poudre d'escampette en jetant le seau avec lequel il venait de l'arroser, mais bien assez pour voir arriver un pauvre garçon, qui se trouvait cependant coupable de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Un coup d'oeil au seau encore mouillé, abandonné à quelques pas seulement du nouveau venu, suffit à convaincre la pauvre détrempée de sa culpabilité, et c'est une véritable tempête qui s'abattit soudain sur lui sans prévenir.
« HEY, TOI ! »
Elle fit quelques pas furibonds dans la direction du garçon et vint se coller juste devant lui, en le fusillant du regard. Elle prit une brève inspiration avant le déluge.
« Non mais t'es pas bien, on peut savoir ce qui te prend ? T'as vu c'que t'as fait ? Ça va pas de jeter des seaux d'eau sur les gens comme ça ! Qu'est-ce que j't'ai fait, je te connais même pas ! T'as vu mon sac, il est trempé. Mon agenda, fichu ! Et puis il fait pas quarante degrés tu sais, je pourrais choper la crève. Je te préviens si jamais je tombe malade c'est toi qui te chargera d'aller expliquer la situation aux profs. Tais-toi, je parle ! Parce que tu te crois malin, peut-être ? Me regarde pas avec cet air décontenancé, ça m'horripiiiiile. De toute façon c'est une journée pourrie, cette académie est pourrie, tout est pourri, maintenant les derniers biscuits de ma maman sont trempés et j'ai pas demandé à venir ici ! »
Ça gesticulait, ça criait, ça s'était même mis à pleurer. Et parce que ça pourrait toujours être pire, dans toute cette agitation, Alex donna un coup dans la petite pokéball rouge fixée à sa ceinture aimantée et vit avec horreur la sphère se détacher, tomber au sol et rouler à quelques pas de là en vacillant. Elle se tut soudainement et retint son souffle quelques instants, les yeux fixés sur l'objet de ses cauchemars, priant intérieurement pour que ça en reste à là. Mais il y eut une petite détonation, suivie d'un flash de lumière rose, et un fantominus s'extirpa joyeusement de la pokéball.
Alex s'accrocha au cou du malheureux sur qui elle venait de se passer les nerfs comme une furie, et hurla de plus belle, paniquée.