Vendredi, la journée que j'avais attendue avec une malice certaine, un entrain impétueux et plein d'arrogance. Je me délectais à la simple idée de me poster fièrement devant le dortoir Pyroli, vulnérable face aux regards interrogatifs de toutes. La rumeur se répandrait comme une traînée de poudre, assurément, et une fois de plus mon nom serait sur toutes les lèvres. Mais encore, si c'était seulement ça. Il y avait autre chose, plus en profondeur, plus discret, comme une impression vague qui demeurait en fond. Serait-ce que l'on appelait le stress? Ce n'était pourtant pas le bon jour pour avoir les mains moites, mais c'était plus facile à dire qu'à faire. Il me fallait me changer les idées, tout simplement. Au petit matin, j'avais donc fait lever tout le dortoir avec huit minutes d'avance pour l'entraînement, n'en pouvant plus de tourner en rond dans ma chambre tel un loup en cage. Devant mon air plus engagé qu'à l'habitude et peut-être un peu plus tendu, tous avaient fait des pieds et des mains pour éviter quelconque retard, à mon grand damne. Sur place, au Stadium, j'avais laissé un trio de Noctaliens défier Vicious et Medea, cette dernière ayant d'ailleurs gagné une quatrième queue depuis le temps. Le combat avait été plus que serré, mais la victoire m'était revenue de peu, seulement grâce à mon énergie incandescente en cette journée particulière. Transformée en combativité, puis transmise à mes Pokémon, toute cette volonté avait fait la différence qu'il fallait. Après cela? J'avais bien sur pris une bonne douche et j'avais assisté à mes cours, comme lors de toute journée lambda. Sauf que je n'arrivais pas à me concentrer, mon regard d'or finissant toujours par se perdre en réflexions lointaines. J'étais un être d'action et d'immédiat, lorsqu'une idée avait le malheur de s'incruster, elle ne me quittait plus avant d'être réalisée. À l'heure du déjeuner, je m'éclipsai pour téléphoner et réserver notre table, pour la soirée. J'étais si satisfait de m'être fait promettre la meilleure table de l'établissement qu'un large sourire n'en démordit plus de mes traits et que l'on m'évita plus que d'accoutumé, dans les couloirs.
L'après-midi me fit le même effet que les heures qui avaient précédées. Un ennui mortel, intenable, alors que mon esprit était ailleurs. Lorsque la libération sonna finalement, c'est en pas décidés que je gagnai le dortoir, ne m'arrêtant que pour récupérer mon courrier avec une moue dégoûtée. Un message de ma génitrice, m'informant des progrès de notre bien aimé Illford. Il avait remporté un badge de plus et la nouvelle était si réjouissante qu'elle valait la peine de m'être remise sous le nez, comme un rappel destiné à me narguer. "Regarde comme ton frère aîné progresse alors que toi, tu fais des études pour devenir Coach, n'est-ce pas risible à côté de ton frère, futur maître de Ligue?" C'était donc la mâchoire crispée que j'avais pris le chemin de l'escalier menant aux étages supérieurs, mon profond regard caramel maintenant teinté d'une frustration sourde et vicieuse. Pas étonnant, donc, que ma patience soit à sa limite lorsque la voix de Creed m'interpella, me coupant du même coup dans mon élan.
- Jones, viens par là! À quoi ça sers tes conneries d'entraînements si t'es même pas fichu de surveiller ce qui se passe dans cette bâtisse?! Regarde moi ça, putain!
Sourcils froncés, je rejoins le référent devant la porte des archives du dortoir, là où étaient stockés de nombreux ouvrages de référence stratégique, des almanachs contenant les résultats des plus grands combats Pokémon des vingt dernières années ainsi que de nombreuses analyses de ces dit affrontements et, bien sûr, la collection complète des Ace's Magazine depuis les débuts de leur parution, en doubles exemplaires. Que pouvait-il y avoir, dans cette pièce, qui mérite que l'enseignant m'interpelle? Par défaut, je me dis que ça ne me concernait pas, pas plus que ça ne concernait les autres élèves. Jamais le professeur ne m'aurait demandé ainsi pour une raison qui ne serait pas entièrement égoïste. Et je ne me trompais pas.
- Explique-moi cette merde! Quelqu'un a arraché toutes les couvertures et a tout laissé en bordel! Bande de petits cons.
M'avançant dans la pièce, je constatai les dégâts à mon tour. Les bien-aimés magazines d'Ace étaient éparpillés dans la pièce, dans un fouilli impossible, dépossédés de leur page couverture où auraient du sourire mille et un visages de Creed. Après l'on dit que je suis narcissique, mais en comparaison je fais bien pâle figure, à n'en pas douter. Mais pourquoi avoir fait ça? Par simple animosité envers l'enseignant? Un élève à qui il ne revenait pas? Et si c'était l'inverse? Si Creed avait, au contraire, un admirateur? Cette fois, je n'en pouvais plus. Le mélange de stress, d'énervement, la frustration causée par mon frère et par mon complexe d'infériorité et maintenant ça. À un moment ou à un autre, ça devait sortir. Plaquant ma main à ma bouche, je tentai de réprimer un éclat de rire, tant bien que mal.
- Si ça se trouve ils ont décidé de tapisser les couloirs du dortoir avec, ce serait fameux. Des visages souriant à la longueur des murs, du plancher au plafond.
- Tu fais rire personne, Jones. Retrouve moi le coupable ou c'est toi qui y passe. Et enlève ce sourire de merde de ta tronche ou je te garde avec moi pour la soirée, fais pas le con. Je sais pas ce que t'as aujourd'hui, mais tout le monde a remarqué que tu préparais un truc, donc t'as intérêt à marcher droit. Et puis merde, pourquoi je perds mon temps avec ce gamin...
Voilà une menace qui avait eu tôt fait de me refroidir, mais heureusement le référent repartait déjà en maugréant. J'étais toujours libre comme l'air, à mon grand soulagement. Maintenant un peu moins tendu qu'auparavant à cause de cette hilarité incontrôlée, je regagnai finalement ma chambre, croyant pouvoir enfin me préparer pour la grande soirée. Je pense que vous avez déjà compris que ce ne serait pas si facile que cela. Eh oui, c'était ce genre de journée là. À peine avais-je refermé la porte que Medea était sur moi en petits bruits paniqués. Léviathan était en retrait, tapant le sol de ses nageoires mécontentes, aux côtés de Vicious dont le dangereux regard semblait déçu. Harley, pour sa part, me lança une plainte douce, mais visiblement heureuse, serrant contre elle l'oeuf qui avait commencé à craquer. Le Skarmory que j'avais récupéré sur Cobaba. Avec empressement, je m'approchai pour assister à l'éclosion, la troisième déjà. À croire que j'avais un don pour choisir tous mes compagnons spécifiquement, avant même leur naissance, comme s'ils m'étaient prédestinés. Allez savoir. L'important, dans tous les cas, c'est que quelques instants plus tard un jeune Airmure ouvrait les yeux pour la première fois, lançant un cri aigu d'oiseau de proie encore bébé. Il était tellement adorable, pour un Pokémon aux ailes faites de lames.
- Une surprise n'attend pas l'autre aujourd'hui. Bienvenu parmi nous, Garuda.
Un nouveau cri me répondit alors que l'oiseau de proie ouvrit ses ailes d'acier, les faisant quelque peu cliqueter au passage devant mon oeil fasciné. Même pas besoin de regarder pour savoir que, maintenant, Vicious était bien heureux de ne pas avoir tenté de manger cet oeuf là. Sans plus attendre, je donnai à manger au nouveau né et le confiai à la figure maternelle du groupe, ma starter. Ce n'était certes pas ce que j'avais espéré, mais l'idée d'un retard m'insupportait encore plus.
Pour la seconde fois de la journée, j'étais donc passé à la douche afin de m'assurer d'être irréprochable. À la sortie, j'avais déjà préparé un jean foncé, une chemise blanche taillée sur-mesure aux manches roulées au trois quart, pour laisser apparaître une partie de mes faux tatouages sur le bras gauche, et aux deux boutons du haut laissés ouverts, pour ne pas me sentir étouffer, d'autant plus que l'on pouvait accessoirement aussi apercevoir le début de mes parures colorées, sur le côté de la nuque. Par dessus cela, je rajoutai un gilet que je boutonnai cette fois, complétant le tout d'une main passée dans ma chevelure, sans plus d'artifice. Plus qu'à rajouter des souliers converse noirs et j'avais l'impression de n'avoir jamais quitté Volucité. Ne restait plus qu'un tout petit détail qui me fut vite rappelé, lorsque je me préparai à quitter ma chambre.
Ils étaient tous là, côte à côte, à me fixer. Harley avec son regard plein d'espoir et son sourire doux, comme m'implorant dignement de la laisser m'accompagner. Leviathan, le torse bombé et son visage toujours aussi niais, mais empreint de fierté. Vicious, aiguisant ses lames, qui était simplement convaincu qu'il m'accompagnerait par simple logique, sans avoir besoin de se faire sa place. Medea qui pavanait sur place, faisant les jolis yeux et agitant ses queues propres et duveteuses. Garuda au regard perçant et curieux, agitant parfois les ailes, trop jeune pour être laissé à lui-même. Bon, je n'y échapperais pas, me dis-je en allant récupérer une ceinture. Ce soir, tout le monde venait avec moi. Néanmoins, la renarde chromatique serait la seule à ne pas devoir intégrer sa balle tout de suite. Enfin, n'y voyez pas là de favoritisme, mais Lapras et Otaria niveau mobilité hors mer, ce n'était pas tout à fait ça. Vicious traiterait la soirée comme une opération sérieuse et serait soit trop sérieux, soit trop vicieux justement. Quant à Garuda, je ne le connaissais pas encore assez pour le laisser sortir. Au final, la Pokémon feu était la seule que je pouvais laisser m'accompagner sans objections d'aucune sorte. Ces détails réglés, je me dirigeai enfin vers la sortie du dortoir, sous les regards curieux des autres élèves que je croisai sur mon chemin, une veste à la main, juste au cas.
La traversée du campus se fit sans encombres, menée par Medea qui ouvrait la marche avec le nez bien haut, ses queues se balançant et l'air d'annoncer à tous "regardez mon dresseur et moi comme on est les plus beaux", de quoi me faire esquisser un sourire franc. Je m'amusai même à saluer des gens sur mon chemin, m'attirant leurs regards interloqués et alimentant très probablement les discussions. Qu'ils se posent la question tiens, ça ne me donnait qu'envie de ricaner d'avantage. Fébrile, j'haussai même le pas sans trop le remarquer. Peut-être au fond la masse avait-elle eu raison de m'éviter depuis ce matin, qui sait. Dans tous les cas, je me postai à l'entrée du dortoir Pyroli avec quatre minutes d'avance, porteur d'un sourire toujours aussi satisfait et laissant, bien sûr, les passantes me reconnaître et se demander ce que le "Noctabruti" en chef pouvait bien faire ici. Charmant, ce surnom. Oh certes, j'aurais pu m'en vexer, mais pour le coup la blague était à leurs frais, si elles savaient. Lorsqu'apparut finalement la demoiselle, mes iris de miel se posèrent doucement sur elle, mon sourire se faisant un peu plus attendrit, mais ô combien malicieux.
- Tel que promis, la soirée restaurant et cinéma en compagnie du bel inconnu de mademoiselle est avancée. Pas trop de regrets, j'espère?
HRP - Éclosion de l'oeuf de Skarmory non-shiney