Ses grands yeux mordorés coururent le long du dortoir des Givralis et s’arrêtèrent sur la silhouette bleue roy de l’immense Pokémon allongé sur le tapis. Un programme était diffusé à la télévision, et une bonne demi-douzaine de filles étaient fascinées par les déboires amoureux entre les deux protagonistes, s’exclamant avec théâtralité lorsqu’ils s’embrassaient, essuyant une petite larme lorsqu’ils connaissaient des moments difficiles. Cleve leva les yeux au ciel, en se demandant ce qu’il pouvait bien y avoir d’intéressant là-dedans –le jeu d’acteurs était mielleux à souhait, et la qualité des répliques était d’un goût plus que discutable-, et décida de quitter la chaleur de son dortoir pour aller faire dérouiller son cerveau et éviter de perdre encore plus de neurones. Peppéroni semblait cependant hypnotisé par le feuilleton, et la mécanicienne en profita pour s’échapper discrètement de l’emprise maternelle du Pokémon transport. Pour une fois qu’il ne la collerait pas comme un emplâtre à une verrue, elle n’allait pas vraiment s’en plaindre ! Attrapant quelques outils de bricolages pour les fixer autour de sa ceinture, Cleve sortit à pas de loups en prenant bien soin de choisir la scène où les spectateurs étaient les plus captivés –et en se retenant de vomir par la même occasion-.
Elle n’avait pas vraiment de buts particuliers, mais passer voir le Concierge dans sa remise pour lui emprunter quelques boulons ne semblait pas être une si mauvaise option. Depuis qu’elle avait choisi le Parcours Mécaniciens, Cleve avait en effet eu un regain d’inspiration pour ses bricolages, et y passait le plus clair de son temps. Essayant de chasser de son esprit le visage des deux personnages principaux du feuilleton, la rouquine tourna à l’angle du couloir et une personne la percuta violemment. Tombant à la renverse, la mécanicienne mis quelques temps à reprendre ses esprits, avant de reconnaître Needle, l’infirmière, elle aussi complètement déboussolée. Le carton de médicaments qu’elle transportait gisait sur le sol, mais par chance, aucun des flacons ne s’était brisé –ce qui aurait révélé de catastrophe pure et simple. Dieu seul savait ce que Needle donnait à ses patients !-. Se penchant pour aider la femme à se relever, Cleve lui adressa un sourire d’excuse et s’inclina plusieurs fois pour se faire pardonner.
« Désolée, Infirmière Needle… » murmura-t-elle en multipliant les courbettes.
« Ah ça ne tombe vraiment pas bien, déjà que j’étais en retard ! Comment faire, comment faire ? Oh je sais, que dirais-tu de me rendre service ? Je t’offrirai une consultation gratuite si tu veux. »
« Heu… les consultations sont déjà gratuites. » ne put s’empêcher de faire remarquer Cleve, avant que l’infirmière ne dépose le carton qu’elle transportait dans les bras de la rousse.
« Ahaha c’était une blague. Enfin je dois partir en urgence. Peux-tu apporter ça à l’infirmerie ? Je sais que les visites sont interdites pour le moment, mais il suffit que tu ailles donner ça à Masamune. Tu sais, le petit Voltali avec des yeux de couleurs différentes. Il saura comment les prendre, tu n’as qu’à les poser sur sa table de chevet. »
Avant qu’elle n’ait pu émettre la moindre protestation, l’infirmière était déjà repartie en courant, la laissant seule dans le couloir. Cleve soupira, en regardant le gros carton de médicaments, dont la moitié avait des noms plus que douteux. Ce n’était pas vraiment qu’elle n’avait pas envie de voir et d’aider le Voltali. A dire vrai, elle avait déjà envisagé d’aller lui rendre visite au début de la semaine. Mais les regards haineux que lui avaient lancé ses camarades féminines l’en avait dissuadée. La rousse n’accordait pas grande importance à ce que les autres pensaient d’elle –même si elle pouvait en être blessée, comme toute jeune fille de son âge-. Cependant, elle n’avait pas envie que les gens se mettent des idées en tête et finissent par faire des suppositions stupides concernant Amaoka. Depuis leur discussion dans la forêt, elle savait combien le topdresseur faisait d’efforts pour être bien vu, pour ne montrer aucune de ses faiblesses et pour être adulé de tous. Si elle trainait avec lui plus que de nécessité, il en subirait forcément les conséquences. Elle avait pensé que lui parler de temps à autres dans les couloirs ne se verrait pas vraiment, mais vraisemblablement, les groupies du Roi avaient les yeux partout. Serait-ce de l’égoïste que de vouloir le croiser, sans se soucier des conséquences ? Cleve n’avait pas particulièrement une grande affection pour le jeune homme ; mais il attisait inévitablement sa curiosité. Finalement, elle était bien une Givrali ; vouloir tout savoir et tout découvrir… Elle ne savait toujours pas si elle le considérait comme un ami, mais peut-être vaudrait-il mieux qu’elle prenne un peu ses distances, histoire que les bruits de couleurs s’éteignent petit à petit ?
Avant qu’elle ne s’en rende compte, elle était déjà devant les portes de l’infirmerie avec le carton de médicaments. Elle hésitait encore à rentrer, mais à présent qu’elle y était, il aurait été stupide de rebrousser chemin, n’est-ce pas ? Ses longs doigts pâles coururent le long de la poignée, et la porte s’ouvrit à la volée. L’intérieur de la pièce semblait propre, calme et froid même si l’air était légèrement chauffé. Il n’y avait aucune trace d’Amaoka, mais Cleve se fit la réflexion que le jeune homme était sûrement en train de dormir dans un des lits dont les baldaquins étaient tirés. Avec curiosité, elle s’engouffra doucement dans l’infirmerie, avant de sentir une main se poser sur son épaule.
« Q-q-q-q-quoi ? » bredouilla-t-elle en se retournant dans un sursaut, surprise par cette soudaine apparition.
Un groupe de quatre jeunes filles qu’elle ne connaissait pas se tenait derrière elle, les bras croisés. Vue l’expression sur leurs visages courroucés, sa présence dans les alentours de l’infirmerie n’était pas vraiment la bienvenue. Enfin, pour ce qu’elle voyait de leurs visages, parce qu’elles portaient toutes un masque en papier. Probablement pour éviter de tomber malade comme Amaoka. Que faisaient-elles là cependant ? Les visites à l’infirmerie étaient interdites, d’après ce que Cleve avait entendu dans le milieu de la semaine. Avaient-elles profité de l’absence de l’infirmière pour venir ici discrètement et rendre visite au Roi ?
« Eh Carter, qu’est-ce que tu fiches ici ? » demanda celle qui semblait être la meneuse, en posant sa main contre l’encadrement de la porte, bloquant toute possibilité de retraite stratégique de la part de la rouquine. « Les visites sont interdites. Ton petit cerveau l’a pas assimilé, ça ? »
Les trois autres filles s’esclaffèrent, tandis que Cleve fixait la demoiselle sans trop comprendre.
* C’est Needle qui se fout de Joëlle ou quoi ? *
Mais ce n’était probablement pas la meilleure chose à répondre. Aussi se contenta-t-elle d’une réponse neutre.
« L’infirmière m’a chargée de déposer un carton de médicaments ici… » murmura-t-elle en baissant les yeux, comme elle avait l’habitude de le faire lorsqu’elle se sentait acculée.
Etait-elle si faiblarde que ça ? Incapable de se défendre d’elle-même ? Non. Elle préférait penser qu’elle était plus intelligente pour passer outre ce genre de choses. Mais n’était-ce pas parce qu’elle était lâche qu’elle raisonnait de cette façon ?
« Pfff, regardez-moi comment elle est sapée. Tu crois que Masamune accepterait de te voir comme ça ? Pauvre fille. »
Les rires redoublèrent, et Cleve serra son carton plus fort contre elle. Contrairement aux tenues de ses interlocutrices qui devaient probablement coûter un rein, elle était seulement vêtue d’une chemise blanche et d’une jupe plissée noire d’écolière. Mais au moins, elle ne portait pas ce petit masque ridicule. C’était stupide de rendre visite à quelqu’un, en lui démontrant qu’on ne voulait pas chopper ses microbes. Cela ne faisait-il pas que renforcer la frustration du malade ?
« Trouver des excuses pour voir Masamune en douce. Franchement Carter, tu me donne envie de vomir. »
Un talon aiguille s’abattit sur l’encadrement de la porte, juste à côté de la jambe de Cleve, et celle-ci sursauta. Ses joues devinrent de plus en plus rouges tandis que les filles riaient à gorge déployée. Elle n’avait pas envie de se laisser faire. Elle voulait leur envoyer les pires immondices à la figure –à commencer par ce flacon à l’odeur douteuse remis par l’infirmière-, mais se retint. Après tout, que pouvait-elle faire ? Elles étaient trois, et elle était toute seule. Et puis, elle avait toujours été une faible et une lâche. Ses mains se mirent à trembler et elle repoussa le bras qui l’empêchait de rebrousser chemin. Elle ne voulait pas s’enfuir, mais elle détestait cette impression d’être prisonnière comme un oisillon en cage.
« V…vous ne valez pas mieux. Venir le voir avec ce masque vissé sur vos ignobles faciès. N’est-ce pas une façon de lui dire que vous ne tenez pas assez à lui pour vous présenter de façon décente ? Tu es malade mais surtout ne me refile pas ce que t’as ? Franchement, qu’est-ce que vous essayez de- »
« Qui est là ? »
Cleve s’arrêta net, coupée dans son élan. Cette voix dure et sèche ne pouvait appartenir qu’à Amaoka –et à un Amaoka particulièrement énervé, d’ailleurs-. Oh mon dieu. Ne me dites pas qu’il avait tout entendu ? Les filles lancèrent un regard haineux à Cleve, et se tournèrent à l’unisson vers le Voltali. Sans doute lui adressèrent-elles un sourire, mais la rouquine ne put le discerner derrière les masques. Elle sentit que des griffes acérées se refermaient autour du carton qu’elle portait pour le lui arracher.
« Masamune ! » s’exclama une des filles en lui adressant un regard mielleux. « Je t’ai apporté des médicaments, tu ne devrais retourner te coucher… »
Le regard de Cleve croisa celui du garçon, mais elle le détourna bien rapidement. Elle n’avait plus rien à faire là, n’est-ce pas ?
La situation semblait plutôt critique pour Cleve, dont les opposantes masquéesBatman is that you ?paraissaient plus agressives encore qu’une horde de Mangriffs confrontés à des Sevipers. La jeune fille ne dut d’ailleurs son salut qu’à l’intervention d’Amaoka, qui attira l’attention des groupies sur lui et permis donc à la rouquine de se fondre dans la tapisserie. Le carton qu’elle portait avait cependant été subtilisé par les pestes, et la Givrali ne voyait là plus aucune raison de rester plus longtemps. Ses yeux ambrés fuyant le regard perçant du Roi, Cleve amorça un mouvement pour sortir de l’infirmerie et laisser le garçon en compagnie de sa cour, lorsqu’elle sentit un courant d’air tout près d’elle. Le Voltali venait de récupérer le carton des bras de l’horrible harpie n°1, ses yeux brûlant d’une étrange rage qui ne lui était pas habituelle ; malgré tout, la demoiselle sembla sur le point de défaillir tant son expression était distordue par une totale félicité. Cleve arrêta de contempler Amaoka, intimidée par son visage qui semblait à la fois faible mais contrarié. Elle ne l’avait jamais vu dans cet état-là. D’ordinaire, le jeune homme arborait toujours ce masque doux et séduisant qui faisait piailler les filles. Etait-il en colère à cause de ce qu’elle avait dit ? Elle avait tout de même insinué que ces gens ne tenaient pas à lui… il en avait certainement vu des tonnes venir lui rendre visite avec ce stupide masque sur leurs visages. Venait-elle de le blesser dans son égo ?
La voix qui résonna contre les parois de l’infirmerie la fit frissonner un instant. D’ordinaire caressante, elle était cette fois-ci froide et tranchante. Cleve arrêta de regarder ses pieds pour porter de nouveau ses yeux vers Amaoka. Venait-il de sauver son honneur, ou souhaitait-il simplement qu’elle reste pour lui reprocher ce qu’elle venait juste de dire ? Le groupe de filles paru plutôt vexé de la tournure des évènements, mais elles sortirent sans essayer de discuter plus longtemps, bras dessus bras dessous, murmurant à voix basses des choses que Cleve ne parvenait à saisir mais qui ne chantaient sûrement pas ses louanges. La porte se referma doucement à moitié, et Amaoka retourna à pas lents vers son lit, suivi par la petite rouquine dont la démarche était hésitante. Ses jambes tremblaient toujours à cause de l’altercation avec les groupies du Voltali, même si elle essayait de ne pas le montrer. Etait-ce de la rage ? Ou bien de la peur ? Cleve avait toujours eu du mal à faire la part des émotions qu’elle ressentait, mais tout ça se mélangeait comme un très mauvais cocktail de fin de soirée. Elle entraperçu les filles qui lui lancèrent un dernier regard acide, avant de disparaître avec des mines courroucées. Soupirant, la rousse se demanda si elle aurait droit à des représailles le soir même. Et dire que cela faisait un bon bout de temps qu’elle n’avait pas eu à vérifier si personne n’avait glissé de trucs immondes sous ses couvertures. Retour à zéro, hein ?
S’approchant du chevet d’Amaoka, elle ramassa l’ouvrage qui était tombé de la table et passa sa main dessus pour en chasser la poussière. Le jeune dresseur était retourné sous ses couvertures, son beau visage déformé par la douleur et la fièvre. Comme elle l’avait prévu, il lui fit un reproche sur sa faiblesse mais son ton semblait moins agressif que précédemment. Etait-il donc simplement énervé qu’elle se soit laissé marcher sur les pieds ainsi ? D’un côté, cela ne signifiait-il pas qu’il s’était inquiété pour elle ? Cleve chassa rapidement cette option de ses pensées. Amaoka était le Roi. Le petit Empereur de l’académie. Il n’y avait aucune raison pour qu’il lui accorde son attention ainsi.
« Ce genre de choses ne m’atteignent pas. » répondit-elle calmement en se forçant à sourire. « Si je ne réponds pas, elles finiront par se lasser… »
Elle passa une longue mèche de ses cheveux derrière son oreille, et se pencha vers la bassine dans laquelle trempait Jör pour le saluer. Le petit Pokémon trompeta joyeusement dans sa direction et se laissa docilement caresser le haut du crâne, tandis qu’Amaoka lui conseillait de mettre un masque. Sa respiration fut cependant saccadée par une nouvelle quinte de toux, et Cleve évita soigneusement de regarder le jeune homme, son attention de toute façon totalement captée par le petit Hypotrempe. Un masque. Ça aurait été stupide d’en porter un alors qu’elle venait juste de le reprocher aux groupies du Voltali. Têtue de nature, il était à prévoir que la mécanicienne resterait campée sur sa position. Ses joues se mirent cependant à rougir lorsqu’il reprit exactement ses termes. Tenir à lui ? Bizarrement, cette pensée la mettait assez mal à l’aise. Elle ne savait pas vraiment si elle tenait à lui. Evidemment, elle s’était inquiétée de ne pas l’avoir vu en cours, mais elle l’aurait fait pour n’importe laquelle de ses autres connaissances. Si un jour Chypre, Ikiala, ou Rick se mettaient à faire l’école buissonnière, elle aurait réagi de la même façon, non ?
« Ce n’est pas un problème. » préféra-t-elle donc répondre pour cacher sa gêne. « Je n’aime pas porter de masques, ça me donne l’impression de dresser un mur entre mon interlocuteur et moi. »
Eh oui, comment donc les gens faisaient-ils pour communiquer de cette façon ? C’était stupide. Des masques, Cleve n’en portait que lorsqu’elle était elle-même malade. Mais en général, elle se sentait tellement mal qu’elle ne souhaitait parler à personne. Etait-ce le cas d’Amaoka ? Avait-il demandé lui-même à l’infirmière d’interdire les visites pour le laisser respirer un peu ? Sa présence ici n’était-elle pas une nuisance, ainsi ? La phrase que prononça ensuite le Voltali balaya d’un geste négligeant de la main toutes ses interrogations. Il trouvait cela gentil ? Soudainement, la rousse se sentit quelque peu coupable de n’avoir pas voulu lui rendre visite de toute la semaine, juste parce qu’elle ne voulait pas ternir la réputation du Roi. Et puis actuellement, elle était dans l’infirmerie parce qu’on le lui avait demandé, et non pas parce qu’elle souhaitait ardemment le voir et lui parler. Elle se garda cependant bien de le lui faire remarquer ; après tout, ce n’étaient pas des choses qu’on disait à un malade.
Amaoka passa cependant à un autre sujet, lui permettant d’arrêter un instant de culpabiliser. Il en avait marre d’être coincé dans l’infirmerie, et Cleve ne le comprenait que trop bien. Bon certes, elle aurait sans doute trouvé le moyen de continuer ses bricolages même en étant ici, tout en profitant du fait de pouvoir manquer les cours sans en être inquiétée, mais tout de même. Il se passait toujours un tas d’évènements à l’académie, et il était en effet dommage de les rater. Manquer Ondine semblait d’ailleurs chagriner le Voltali, et la rousse se sentit légèrement mal à l’aise. Elle avait eu l’opportunité de l’affronter, elle, alors qu’au final, elle se fichait bien d’obtenir ce badge ou pas. Pour les élèves topdresseurs, ce n’était cependant pas le cas ; Amaoka devait se maudire pour être tombé malade pile au moment où il aurait eu l’occasion de briller encore plus. Cleve ne savait d’ailleurs pas quand est-ce que la championne d’Azuria reviendrait, et si l’académie prévoyait de faire venir un autre champion bientôt. Voilà qui rendait la discussion un peu plus délicate. Cette dernière devint d’ailleurs encore plus gênante lorsqu’Amaoka lui demanda si elle avait pu affronter Ondine.
Hm. Que devait-elle répondre ? Cleve avait été une des rares personnes à avoir eu le badge, malgré la foule d’élèves qui avaient fait la queue pour affronter la Championne. Et pourtant, elle n’était qu’une Scientifique dont les combats Pokémon n’étaient clairement pas la priorité. Certes, elle avait eu de la chance, mais elle s’était toujours sentie coupable d’avoir vaincu Ondine alors que d’autres s’y étaient cassés les dents. Elle n’était pas meilleure qu’eux. Elle s’était juste trouvée au bon endroit au bon moment, et elle avait su tirer avantage du terrain qui était probablement un des meilleurs lieux possibles pour son Marill. Si elle s’était trouvée dans une arène normale ou dans un autre environnement, elle aurait perdu avec une probabilité de 100%.
Tirant un tabouret vers elle pour s’assoir au chevet d’Amaoka, elle continua de caresser distraitement Jör, qui s’amusait à faire la ventouse avec sa trompe.
« Oui, j’ai pu rencontrer Ondine. » répondit doucement Cleve, en évitant de regarder Amaoka.
Elle n’était pas vantarde au point de lui dire de but en blanc qu’elle avait gagné et remporté un badge, même si la véritable question du Voltali avait justement été posée pour obtenir cette réponse. Elle se contenta donc réajuster sa position sur le siège, mal à l’aise.
La main reposant sur le rebord de la bassine où baignait le petit Hypotrempe, Cleve souriait par intermittences lorsque Jör ventousait le dos de sa main et glissait volontairement sa tête sous sa paume pour recevoir une caresse. Amoka semblait cependant toujours aussi soucieux et malade, et son regard ne décolérait pas. Etait-il énervé qu’elle l’ait fait paraître sous un mauvais jour, finalement ? Malgré sa grippe, il parvint cependant à murmurer quelque chose et une fois de plus, Cleve s’aperçut que leurs avis étaient bien divergents. La rouquine se retint de hausser les épaules ; après tout, que pouvaient-ils y faire ? Elle n’allait pas se mettre brusquement à se rebeller parce que le Roi pensait que ce serait une meilleure idée. Ces filles ne continueront pas bien longtemps à la persécuter ; devant le clair manque de réaction de Cleve, les gens se lassaient en général. Ça avait toujours été ainsi, de toute façon. Une petite pensée se glissait cependant sournoisement le long de ses membres, et s’enroulait comme des lianes autour de ses poignets. Et si elle avait toujours été protégée ? Et si son frère avait remarqué qu’elle était en difficulté et venait dire de lui-même à ses bourreaux de la laisser tranquille ? La Givrali tenta de chasser cette hypothèse de son esprit. Elle était peut-être faible, mais pas au point de se laisser défendre par son frère et Amaoka. Ce n’était pas vraiment une question de fierté… Mais Cleve détestait impliquer les gens dans ses histoires, surtout si cela n’en valait pas la peine.
La réaction du Voltali suite à la confirmation de sa rencontre avec Ondine acheva de jeter un froid dans l’infirmerie. Si les choses étaient déjà plutôt tendues entre les deux étudiants, il y avait à présent clairement un malaise. Cleve voyait dans les yeux hétérochromatiques du jeune homme comme un air de reproche. Il avait sûrement deviné qu’elle avait eu le badge, alors que lui était coincé dans un lit à cracher ses poumons. Dans un sens, la rousse trouvait cela particulièrement cruel de sa part d’aborder le sujet avec Amaoka. Cependant, c’était le Roi qui avait amorcé cette discussion ; après tout, que pouvait-elle lui répondre d’autre ? Machinalement, elle toucha le badge Cascade qu’elle portait en pendentif et qui était camouflé sous son chemisier. C’était un peu son porte-bonheur ; celui qui lui rappelait qu’elle n’était pas que la frêle et faible Cleve. Malgré tout, ce dernier ne parvenait pas à lui donner le courage nécessaire pour dire quelques mots de réconforts à son ami. De toute façon, il aurait probablement pris cela pour de la pitié et lui en aurait voulu d’avantage. Le silence de la rousse se prolongea donc, tandis que la fièvre d’Amaoka ne s’en allait toujours pas.
Courageusement, il parvint à entamer une nouvelle conversation, et Cleve fut soulagée qu’il s’agisse de quelque chose qui ne les mettraient pas mal à l’aise. Doucement, elle sortit une Pokéball de sa poche et libéra le Psytigri qu’elle avait capturé, et à qui elle n’avait pas encore trouvé de nom. La créature gris foncé apparu dans un éclat de lumière, ses yeux inexpressifs dirigés dans le vide. Le Pokémon se tenait assis sur les jambes de sa dresseuse et semblait totalement détaché du monde extérieur. Au bout de quelques secondes cependant, son regard croisa celui d’Amaoka, et la créature se retourna pour aller se blottir auprès de Cleve. La rousse soupira et tapota doucement dans le dos de son nouveau compagnon qui semblait la prendre pour sa mère –contrairement à Pep’ qui lui, avait plutôt l’impression qu’elle était son bébé Pokémon-.
« Je n’en ai capturé qu’un seul. Et encore, il s’est plutôt accroché à ma jambe et ne voulait plus me lâcher. Il n’est pas très réactif ceci dit, je me demande bien ce que je vais pouvoir en faire. En tout cas, il n’y a rien de plus flippant que de se réveiller en pleine nuit et tomber face à ses grands yeux lumineux qui t’observent. »
Un sourire apparu sur les lèvres de la rouquine, et elle caressa doucement la tête de son Psytigri. Même s’il était effrayant, inexpressif et pas très bavard, ce petit avait quelque chose d’attendrissant qui vous forçait à vous occuper de lui. Même s’il fallait le reconnaître, elle n’était pas une grande admiratrice de ces nuits où elle se réveillait et frôlait la crise cardiaque en tombant nez à nez avec le Pokémon.
« Quel genre de Pokémon as-tu pu capturer ? » demanda Cleve, piquée par la curiosité.
Amaoka avait l’habitude de toujours avoir des Pokémon plus mignons, portatifs et disciplinés que les siens. Il n’y avait qu’à voir Jör, qui était juste adorable. En comparaison, Pep’ et Biske étaient deux gros bourrins sans la moindre once de délicatesse et de politesse. Ce fut donc avec une grande excitation que la rouquine attendit de découvrir ce qu’Amaoka avait à lui montrer.
Néanmoins, à sa grande surprise, le jeune garçon leva ses yeux vers les siens, comme s'il voulait lui dire un truc important. Il était étonnement sérieux. Pas qu’il ne l’était pas d’habitude, entendons-nous bien. Cependant, cette fois-ci, les choses étaient différentes. Cleve en oublia même de respirer tant elle était captivée par les reflets rouges et dorés caractéristiques d’Amaoka. La requête tomba finalement, et la rouquine fut un instant soulagée. Elle s'était attendue à plus farfelu qu'une promesse de s'entraîner au tir à l'arc ensemble ! Elle s'apprêta donc à lui répondre, lorsque le Roi poursuivit son dialogue.
Les mots du Voltali la frappèrent de plein fouet comme les vents violents d’hiver. Sous le choc, la jeune fille resta un moment sans bouger, incapable de réfléchir. Depuis quand Amaoka avait-il ce genre de raisonnements ? Toujours sur ses gardes, elle pensait cependant qu’il n’y avait plus grand-chose qui pouvait l’étonner de la part du dresseur ; et pourtant… Pensait-il à elle plus qu’elle ne l’avait espéré, ou disait-il simplement ça pour se débarrasser de la personne qui pouvait potentiellement ternir sa réputation ? Non. C’était ridicule. Si jamais il voulait vraiment couper les ponts avec elle, il ne l’aurait pas défendue, ne serait pas venu à sa rescousse et n’aurait pas envoyé balader ces filles en sachant très bien que des commérages allaient suivre. Que devait-elle répondre, donc ? Elle avait l’impression que quoi qu’elle fasse, ce serait à double tranchant. D’un côté, Amaoka lui fournissait une excuse toute faite pour qu’ils cessent de se voir, chose à laquelle elle avait pensé dans le but de préserver cette image de Roi qu’il s’était durement forgée depuis qu’il était entré à l’académie. De l’autre, elle n’avait pas vraiment envie que tout se termine de cette façon. Dans quel état serait Amaoka une fois qu’elle aurait piétiné sa fierté en lui disant qu’elle préférait éviter de se faire trucider tous les quatre matins par des groupies en furie ? N’avait-elle d’ailleurs pas déjà dit au Voltali qu’elle se fichait bien de ce qu’on pouvait lui faire subir ? Bon sang, disait-il cela pour la tester ? Qu’attendait-il exactement comme réponse ?
La rousse tenta de mettre de l’ordre dans ses idées. Au final, elle pensait juste avec égoïsme. Ce n’était pas parce qu’elle avait peur de heurter sa fierté qu’elle ne voulait pas mettre un terme à leur amitié… ou quel que soit le nom de leur relation. Elle souhaitait simplement pouvoir continuer de le voir, essayer de gratter pour découvrir un peu plus ce qui se cachait sous ce masque parfait, et pouvoir parler de tir à l’arc avec quelqu’un qui partageait sa passion. C’était tout. Cleve baissa la tête, et ses mains se dirigèrent machinalement vers Amaoka. Doucement, elle attrapa la manche du pyjama blanc du garçon et la serra très fort, comme si elle avait peur qu’il ne s’évapore si elle le laissait filer entre ses doigts.
« Quand tu seras sorti… allons faire du tir à l’arc. » murmura-t-elle, la voix tremblotante.
Elle ne savait pas ce qui lui prenait, ni pourquoi elle continuait de tenir le pan de tissu d’Amaoka. Elle aurait souhaité lui dire qu’elle ne se souciait pas du tout des représailles, mais les mots se coincèrent dans sa gorge. Au final, s’était-elle plus attachée au Voltali qu’elle ne le pensait ?
Au grand soulagement de Cleve, Amaoka s’était tourné vers un sujet un peu moins gênant que celui des bizutages intensifs ou des affrontements avec une certaine championne qu’il n’avait même pas été en mesure de rencontrer à cause de sa maladie. La rouquine était même parvenue à se servir de la question du Voltali comme d’une excuse pour ne plus être uniquement seule en sa compagnie. Il fallait dire que depuis qu’elle était arrivée à la Pokémon Community, elle avait toujours eu la présence de Peppéroni auprès d’elle. Tant et si bien d’ailleurs, qu’il lui parvenait parfois d’oublier ce que cela faisait de se retrouver entre humains. Dans tous les cas, Cleve n’avait jamais été très douée pour la communication, ce qui expliquait peut-être pourquoi elle se sentait aussi gênée dans cette infirmerie, au chevet d’un garçon duquel elle n’était pas si proche que ça au final. Car même si Amaoka était probablement la personne de sexe opposé avec qui elle avait le plus parlé –exception faite de Rick, avec qui elle travaillait sur un projet scientifique-, la Givrali n’était pas sûre de savoir mettre un nom sur la relation qu’ils entretenaient. La présence de son Psytigri était donc d’un immense soutien dans cette situation un peu étrange, et la demoiselle serra un peu plus ses mains frêles autour de la fourrure moelleuse de la créature. Le contact chaud et doux la rassura et elle sentit son compagnon ronronner de plaisir comme un chat, malgré son expression toujours aussi neutre.
Après avoir eu un aperçu du nouveau Pokémon de la rouquine, le Roi sorti également sa nouvelle acquisition, une espèce de reptile jaune aux grandes oreilles. Cleve cligna des yeux et admira le Galvaran en se demandant de quel type de Pokémon il s’agissait. Il ressemblait certes à un lézard, mais ses longues oreilles tombantes lui donnaient des airs de lapin. En tout cas, comme elle s’en était doutée, le nouveau Pokémon d’Amaoka était mignon et portatif. Et il avait un nom dont la grandeur était bien éloignée de la réalité. En se fiant uniquement à ses connaissances de mythologie nordique, Cleve pu déterminer que le Galvaran était de type plutôt électrique ; chose qui fut bien rapidement confirmée par le Voltali. La jeune fille eut un petit rire lorsqu’elle apprit que Jor était effrayé par cette espèce de peluche écailleuse aux grandes oreilles qui ne semblait avoir d’autres désirs que de lézarder au soleil.
« En tout cas tu as eu des Pokémon de plusieurs types différents, c’est chouette. Pour le moment je n’ai que des types eaux et un type psy, mais j’aurais bien aimé en avoir un qui puisse m’aider dans mes recherches. Pour l’instant ce n’est pas vraiment gagné. » commenta Cleve en se demandant si, un jour, les sorties captures lui seraient favorables. Enfin en même temps il fallait dire qu’elle ne se tuait pas à la tâche pour chercher, et qu’elle capturait plutôt ce qui lui tombait sous la main. Elle avait d’ailleurs remarqué que si le temps était clément, elle préférait se balader dans les forêts et près des flaques, lieux où les Pokémon eaux se prélassaient souvent. Elle devrait peut-être tenter de changer ses habitudes, qui sait. Parce qu’en se promenant uniquement dans les endroits où elle se sentait en sécurité, elle passait à côté de nombreuses autres niches écologiques.
Ses pensées furent rapidement chassées par les sombres suppositions d’Amaoka. Décidément, elle trouvait que le garçon était toujours aussi difficile à cerner. Et quand elle avait l’impression que plus rien ne pourrait l’étonner, voilà qu’il ajoutait une nouvelle barrière entre elle et lui. Plutôt compliqué. Dire qu’elle n’avait aucun mal à parler avec Rick ! Pourquoi est-ce que les choses devaient-elles être aussi difficiles avec le Voltali aux yeux hétérochromatiques ? Ses mains s’étaient dirigées machinalement vers la manche du dresseur, et elle s’était surprise à agir d’une façon insoupçonnée. Amaoka devait d’ailleurs être aussi choqué qu’elle, car il mit un long moment avant de dire autre chose. Sa main se serra cependant autour de celle de Cleve, et la Givrali n’osa pas regarder une nouvelle fois son ami dans les yeux. A son grand soulagement, il ne la repoussa pas, et ne se fâcha pas contre elle. Elle ne savait pas s’il disait uniquement ça pour la rassurer et pour l’enjôler, comme il le faisait avec toutes ces autres filles, mais pour une raison étrange, elle avait envie de croire en ses mots. Croire qu’elle était peut-être « différente » aux yeux d’Amaoka Masamune. Pas une de ces personnes banales qui tournaient autour du Roi pour un sourire ou un mot gentil, se contentant de ce qu’elles voyaient et de ce qu’il voulait bien montrer. Non. Elle avait envie de plus que ça ; savoir réellement qui se cachait derrière ces traits parfaits, et pourtant si vulnérables par moments. Savoir si elle n’était qu’une pièce de plus à sa collection, ou si elle pouvait prétendre à un statut supérieur. Toutes ces pensées n’auraient jamais dû germer dans l’esprit de Cleve. Elle n’était pas et n’avait jamais été comme ça. Alors pourquoi ? Son cœur tambourina dans sa poitrine comme s’il voulait lui souffler la réponse, mais elle était incapable de l’entendre. Ou peut-être qu’elle ne le souhaitait simplement pas...
« D’accord... » finit-elle par répondre dans un souffle, comme si elle craignait de se liquéfier si elle disait autre chose.
Elle ne se posa même pas la question de savoir de quelle façon il était au courant pour son traducteur Pokémon. Elle n’avait d’ailleurs pas envie d’aborder ce sujet, de crainte de devoir parler de Rick Larson à un moment ou à un autre. Une discussion gênante. Voilà ce qu’il en ressortirait, si jamais elle mentionnait le châtain. Curieusement, elle avait déjà établi une liste des choses dont elle pouvait parler et ne pas parler avec Amaoka. Comme si son cerveau s’était mis sur pilote automatique et écrivait lui-même les dangers potentiels qu’il fallait à tout prix éviter. Dans tous les cas, Cleve n’avait pas vraiment envie de remettre la tête sous l’eau, et ne souhaitait pas risquer d’énerver son camarade. Surtout pas maintenant, alors qu’il était si faible et irritable.
Un long silence s’installa, durant lequel on n’entendait plus que le bruit de l’Hypotrempe barbotant dans sa bassine d’eau. Doucement, les mains de Cleve relâchèrent leurs pressions, et elle libéra ses doigts de l’emprise de ceux d’Amaoka. Avec un sourire gêné, elle osa enfin le regarder dans les yeux, et fut surprise de voir à quel point il semblait toujours plus fatigué. Peut-être était-il temps de prendre congé ? D’autant plus qu’elle ne savait pas vraiment quoi dire de plus pour relancer une éventuelle conversation.
« Hm, je vais te laisser te reposer maintenant, d’accord ? J’espère que les médicaments feront bientôt effet et que tu sortiras vite de là. En attendant, je te souhaite un bon rétablissement. » murmura-t-elle. Puis, esquissant un sourire, Cleve se releva et donna une dernière caresse à Jor. Elle sortit ensuite de l’infirmerie en refermant la porte derrière elle, sans oser croiser une nouvelle fois le regard hétérochromatique du Voltali. Car s’il avait été en mesure de lire dans ses yeux, il aurait peut-être été capable de comprendre tout ce à quoi elle pensait. Et ça, elle ne le voulait pas.
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