
| Tu me manques Alban Abernaty & Calliope Pryde
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Quelques fois, Alban se donnait l’impression d’être un peintre comme pouvait l’être Max. Face à la toile vierge qui reflétait ses pensées et ses émotions, il brandit un pinceau imaginaire et peignit délicatement un ciel d’un bleu éclatant. Ce ciel, c’était son humeur, ses doutes, ses espoirs ; le miroir de son âme représenté en un seul chef d’œuvre. Parfois changeant, parfois joyeux, parfois ombrageux… Il lui suffisait de recouvrir la peinture initiale d’une seconde couche de couleurs pour avoir un tableau totalement différent. Une semaine plus tôt, ce tableau avait eu des allures de représentation de scène funeste. Le ciel avait été d’un noir d’encre ; les couleurs d’une fadeur sans nom. Mais la chaleur du chalet, du feu de cheminée et de ses deux colocataires était parvenue à faire fondre son cœur pris en glace. L’encre avait progressivement laissé place à un nouveau calque ; teinté de couleurs plus vives, de couleurs plus chantantes. Alban contempla l’œuvre actuelle avec une moue sceptique. Il allait mieux, de ça, il en était sûr. Il avait réussi à faire le deuil du départ de Khal, et continuait de correspondre quand il le pouvait avec son tout premier ami au sein de l’académie. Pour autant, il restait un point qu’il fallait absolument qu’il éclaircisse. Cette petite ombre au tableau, camouflée derrière un nuage aux teintes vives. Le tout premier problème qu’il avait rencontré, et qui n’avait eu de cesse de le précipiter dans des abimes d’incertitudes. Il ouvrit doucement ses yeux et caressa d’un geste distrait la toile imaginaire ; il aurait tant aimé pouvoir gommer cette petite erreur. Essayer de la rendre de nouveau si lumineuse. Et pour autant, il savait qu’il ne pourrait pas réaliser cet exploit d’un coup de baguette magique. Il fallait plus que ça pour réparer les fautes. Ah… Calliope…
Il se jeta en arrière sur son lit, atterrissant sur son oreiller dans un bruit sourd. Le carillon qui était suspendu au-dessus de sa tête reflétait les lumières d’or de l’extérieur, bouts de miroirs arc en ciel chatoyants. Avec un soupir, Alban se redressa et se gratta l’arrière du crâne. Sur son bureau, le dernier paquet cadeau qu’il n’avait pas pris le temps de remettre occupait tout l’espace. Non. Ce n’était pas qu’il n’avait pas pris le temps de le faire. C’était plutôt qu’il n’avait pas osé. Pourtant, Noël s’était tenu la veille. Il aurait dû… comme pour la Thanksgiving. A cette pensée, son cœur se crispa. Ce cadeau, c’était celui de Calliope. Pour autant, elle n’était venue le voir ni à la Thanksgiving, ni à Noël. Une cruelle déception qui n’avait cessé de lui ronger les entrailles depuis. Il n’attendait pourtant rien en particulier de la belle rousse. Il n’offrait pas pour obtenir en retour. Il avait simplement voulu lui faire plaisir, que ce soit pour Noël ou bien pour le mois précédent. Pour autant, le fait de l’avoir surprise à donner un cadeau à Léonidas ce jour-là lui avait fichu un coup au moral. Il se savait jaloux. Il se savait injuste. Pour autant, il ne parvenait pas à réfléchir de façon rationnelle quand il s’agissait de Calliope. Ses sentiments étaient toujours un tourbillon indéchiffrable. Il se sentait pris entre deux vents contraires, complètement esclave des perturbations extérieures. Ne pouvait-il pas réfléchir de lui-même ? Trouver la pensée juste ? Les mots justes ? Au lieu de cela, voilà qu’il s’enfermait dans son confortable cocon. Il l’avait évitée, Calliope. Après Thanksgiving, il lui avait à peine parlé ; l’avait à peine regardée quand ils se croisaient dans un couloir. Et pourtant, dès qu’elle ne regardait pas, il la dévorait des yeux. C’était indéniable et il avait réalisé ce qu’il aurait voulu ne jamais comprendre. Il s’était attaché à la rousse bien plus qu’il ne l’aurait voulu. Point négatif ? Il savait qu’elle ne l’aimait pas. Et ne l’aimerait jamais de cette façon-là, d’ailleurs. Croiser son regard lui en disait beaucoup trop long. Il savait qu’il n’y avait pas d’histoire possible entre ces deux-là.
Réaliser tout cela ne lui avait pas fait du bien, au contraire. Il s’était perdu dans les labyrinthes de son esprit encore maintes et maintes fois. Car même s’il était certain de vouloir être avec elle, il n’était pour autant pas certain de réellement l’aimer. L’amour était un sentiment qu’il n’avait jamais éprouvé, après tout ; comment être sûr que ce sentiment était bien celui qu’on décrivait dans les romans ? Avait-il des papillons dans l’estomac ? Un petit peu, oui, mais cette sensation survenait avec beaucoup plus de personnes que juste Calliope. Etait-il jaloux au point de vouloir la posséder comme un oiseau, la gardant égoïstement dans sa cage d’or ? Oui. S’en sentait-il coupable ? Absolument. Pour autant, il n’avait pas ce désir de chair envers elle. Et diantre que les romans en parlaient, de ce désir particulier. Il n’avait jamais songé à l’embrasser ; à lui prendre la main, ou la prendre dans ses bras. Peut-être une ou deux fois pour le dernier point, mais avec qui ne le ressentait-il pas ? Dès que son empathie se recevait de plein fouet la détresse des autres, il se sentait étrangement protecteur, comme il l’était avec sa petite sœur. N’avait-il pas déjà songé à prendre dans ses bras Max ou Marie de façon bien plus fréquente que pour la rousse ? Ah, que cela cesse. Il n’avait pas envie d’y penser. Il n’aimait pas y penser. Et pourtant, le portrait de la Givrali s’était imprimé dans son esprit. Que représentait-elle pour lui ? Il voulait être avec elle. Désespérément. Mais d’un autre côté, il savait que ce ne serait pas possible. Etait-ce cela qu’il appréciait ? Ce côté inaccessible ? Tout comme avec Alizée autrefois… Tout comme les courses aériennes à présent. Il était toujours le même que dans ses jeunes années ; à souhaiter l’impossible. A aimer ce qu’il ne pouvait avoir.
Il se crispa. Il n’aimait pas faire le point sur ses sentiments. Il les sentait affluer dans son esprit et lui tordre les méninges. De Thanksgiving au début des vacances, il s’était déjà bien trop torturé avec tout cela. Il était parvenu à sortir momentanément la tête hors de l’eau, mais il fallait se rendre à l’évidence ; dès qu’il sentait enfin qu’il pouvait respirer, une nouvelle vague le submergeait. Encore plus féroce et violente que la précédente. D’ailleurs, le destin semblait se jouer de lui. De façon fortuite, il s’était retrouvé à passer une après-midi entière avec le fameux « Leo » qu’elle affectionnait tant. Il avait donc essayé de se persuader ; de le détester. De le trouver infâme, hideux, grotesque. Mais malgré ses efforts, il n’y était pas parvenu. Leonidas était un garçon foncièrement gentil. Il respirait la confiance, la sympathie. Il avait fait du mal à Calliope, mais Alban n’était pas parvenu à le détester. Il en était jaloux, mais même sa prétendue conviction semblait fragile. Il ne détestait pas le Préfet Phyllali ; ne le pourrait plus jamais, d’ailleurs. Il y avait des limites à ce que son injustice pouvait lui faire penser. Et, à partir de là, Alban avait su qu’il avait perdu.
Qu’elle soit heureuse, après tout. Mais même ça, il n’arrivait pas à le penser véritablement. Il était comme ça, Alban ; jaloux, égoïste, injuste. Il était humain. Pas parfait. Pas aussi gentil qu’on le pensait. Loin d’être ce type toujours sympathique avec tout le monde. Et cette pensée l’avait déprimé encore plus que tout le reste. Prendre conscience de cette façon de ses défauts et ses imperfections… Une véritable torture qu’il aurait souhaité ne jamais avoir à subir, quitte à rester dans le déni toute sa vie.
Il se retourna sur le côté, et ses yeux rencontrèrent une nouvelle fois le cadeau de Calliope. Il fallait au moins qu’il fasse quelque chose pour ça. Et la grande question était là ; qu’allait-il faire, à présent ? Qu’est-ce qu’il devait faire ? La solution la plus simple aurait été d’aller voir sa Doc, de lui souhaiter un Joyeux Noël, et de discuter. Comme avant. Mais pouvait-il revenir à une situation « comme avant » ? Il avait l’impression d’avoir brisé trop de choses. De ne pas avoir été l’ami qu’il aurait dû être. Et pour autant, il ne s’en sentait qu’à demi coupable. Il avait le droit de ressentir ce qu’il éprouvait, n’est-ce pas ? Il ne pouvait après tout pas être ce super bon copain qui vous soutient en toutes circonstances, même s’il devait en souffrir par derrière. Après tout, il n’était pas comme ça. Il n’était pas parfait. Mais il allait devoir vivre avec. Se relevant doucement, il se dirigea vers la porte de sa chambre. Il savait que Max et Nolan n’étaient pas là ; l’occasion de se préparer un petit chocolat chaud et de se remettre d’aplomb sans aide extérieure, avant d’affronter le grand froid et de tenter une approche.
Il avait pris sa décision ; il irait voir Calliope aujourd’hui. Il irait s’expliquer ; s’excuser aussi, certainement. Lui demander des explications également. Il était temps de jouer la carte de la franchise, après tout, que ce soit de son côté ou du sien. Même si ça faisait mal. Même si ça allait faire mal. Il ne pouvait plus fuir plus longtemps, après tout. Et, quoi qu’il arrive ensuite. Quoi qu’il se passe... Qu’elle le déteste, qu’elle l’engueule, qu’elle décide de ne plus jamais le revoir… il se sentirait au moins plus léger. Plus franc. Il sentirait qu’il était un véritable ami pour elle. Il ne se cacherait plus.
Sortant de sa chambre, Alban se dirigea machinalement vers la cuisine où il sortit casserole, mug et autres douceurs. Ses Pokémon faisaient une petite sieste bien méritée après l’entraînement du matin. L’occasion de se retrouver face à lui-même, sans aide extérieure. Bien. Il sortit le lait du frigo, et se figea quand il entendit quelques coups à la porte. Il redressa instinctivement la tête. Qui pouvait bien venir leur rendre visite ? Max et Nolan étaient sortis… Bah. Si c’était pour l’un d’entre eux, il irait faire le messager et ça s’arrêterait là. Il doutait fort que quelqu’un vienne le voir après tout. Traversant donc la pièce en évitant les canapés et autres meubles, Alban tendit la main vers la poignée, l’abaissa et… tomba nez à nez avec Calliope.
Une foule de questions se coinça dans sa gorge. Il resta figé quelques instants, le visage blanc comme un linge. Ce n’était pas ce qu’il avait prévu. Il n’était pas encore assez prêt. Il lui fallait encore un peu de temps et… merde. Ce n’était pas comme si on lui donnait le choix après tout. Alors, prenant son courage à deux mains, il se força à lui offrir au moins un sourire. Timide et discret, certes, mais un sourire tout de même.
- Bonjour Calliope. Joyeux Noël… lui dit-il, avant de s’écarter de quelques pas.
Tu es venue voir Max ? Elle est sortie, mais tu peux l’attendre à l’intérieur. J’allais justement préparer du chocolat chaud, tu en veux ?Son manque de franchise lui fit grincer des dents. Voir Max ? Il n’y croyait pas une seconde. Il savait que les deux jeunes filles étaient amies mais… non. Décidemment, avec l’air déterminé qu’il entrapercevait dans son regard, ça ne pouvait être que pour lui. Et autant dire qu’il n’allait sûrement pas passer un très bon quart d’heure.