Silence.
Silence dans les plaines.
Silence dans les arbres.
Silence le monde.
Personne aux alentours. Sauf toi. Tu es là, seul, à la lueur du croissant de lune régnant sur les cieux obscurs et propageant sa lumière sur la petite Terre avec une force si grande que tu t'en sentais presque écrasé, presque happé par celle-ci. Mais tu restais là, continuant de viser dans le noir total les arbres. Cela faisait maintenant quatre jours précisément que tu avais retrouvé un semblant de ta vie habituelle. Le sport. Le sport avait fini par revenir. Tu avais du réconfort dans le sport, un moyen de décompresser, de délier cette boule qui te tordait constamment le ventre, de ne pas te sentir inutile, de continuer à avancer et de progresser, mais surtout de réfléchir posément, de transpirer et de laisser sortir toutes les idées mauvaises qui t'avaient si facilement attiré vers la chute lors de l'appel de ta mère. Cela te faisait du bien, et tu t'en sentais énormément soulagé. Toujours, de nouveau, un sourire satisfait se dessinait sur ton visage trempé par les gouttes de sueurs, comblé par les efforts accomplis. Mais ton plus grand bonheur restait de voir tes compagnons dans le même état, transpirant mais souriant. Sans doute le meilleur bonheur que tu puisses jamais avoir dans les mauvais moments où tu essayes de tourner tranquillement la page, de te remettre sur les bons rails et de continuer ta longue route vers ce sommet qui t'appelle chaque jour un peu plus. Toujours, tu le revoyais dans ton esprit ce sommet, scandant ton nom à tout va avec une joie si forte que c'en était presque jouissif. Tu étais continuellement attiré par ce sommet, cette destination dorée qui n'attendait que toi … C'était en tout cas ce que tu pensais jusqu'à ce que ton monde ne s'effondre avec la perte de ton père. Avec les jours, tu avais compris que le chemin n'était pas qu'une ligne droite, et qu'il fallait parfois en venir à prendre des dérivations. C'est ainsi que tu avais commencé un nouveau sport auquel tu avais pensé jeune mais que ton immaturité t'avait poussé à oublier petit à petit : le tir à l'arc. Quatre jours une nouvelle fois. Quatre jours que tu t'y étais mis. Avec un léger pincement au cœur, tu avais demandé à ta mère de récupérer la guitare que ton père t'avait offert pour lui envoyer à la place cet arc. Pas forcément très athlétique. Pas forcément très puissant. Mais un arc, simple mais parfait. Le lancement de la machine que tu étais. Tu avais trouvé une fille du nom d'Idalienor Edelwen, qui en pratiquait apparemment régulièrement, et avait commencé à apprendre à ses côtés, à découvrir les joies du tir à l'arc avec elle. Tu n'étais pas spécialement talentueux, pas spécialement fort, mais tu t'éclatais bien, et cela te permettait de te détacher de tout le reste, de profiter de l'instant présent. Et toujours ce sourire. Toujours.
Ce sourire.
Ce sourire infini.
Ce sourire comblé.
Celui qu'on espère tous avoir.
Il était là, tandis que tu t'en revenais de l'entraînement du jour, serviette sur la tête, les vêtements trempant dans ta propre sueur, ta peau dégoulinant comme s'il avait plu. Ton souffle, court, mais puissant, et surtout vivant et frais. Annonciateur d'une bonne journée. Si toute la journée avait pu durer ainsi, si ta vie pouvait devenir aussi bonne, tu serais déjà le plus heureux des hommes. Mais comme tu l'avais si bien compris dernièrement, le destin n'aime pas que tout se passe comme prévu. Il avait déjà commencé à agir, déjà commencé à resserrer son étreinte sur toi, sur les autres, à faire tout basculer d'un seul coup d'un seul. Là, devant toi, alors que la hutte paraissait dans l'approche de l'aurore, une ombre aux formes familières se détacha subitement de celle-ci pour s'engager en direction du désert. Mikato. Elle n'était pas seule, suivi très probablement par son starter. Le doute s'installa un court instant sur ton visage, les questions commencèrent à se poser. Puis tu chassas rapidement cela, te disant qu'elle ne devait que vouloir profiter du lever de soleil avec son plus proche compagnon. En une seconde, ton air souriant revint s'afficher magnifiquement sur tes lèvres, et tu rallias sans tarder la hutte, achevant de t'essuyer les cheveux pour ne pas salir l'intérieur. L'entrée, et même le reste des lieux étaient d'un calme plus assourdissant que jamais. C'en était lourd, contrairement à l'ambiance posé qui régnait dans la nuit. Un gloussement non voulu se fit durement entendre, et te poussa à avancer vers la cuisine. Tu avançais lentement mais tranquillement vers la pièce, et pourtant, tu ressentais un certain malaise. Tu avais l'impression que ce que tu faisais n'allait pas te plaire au bout du compte, mais tu continuais d'avancer, tiré par une curiosité insatiable. Bientôt, la cuisine parut devant toi, plongé à moitié dans l'obscurité, seulement éclairé par la lumière de la lune qui traversait par les fenêtres grandes ouvertes. Le petit vent frais nocturne qui soufflait, soulevant les choses les plus légères, les papiers. Ton regard n'attendit pas pour s'accommoder aux formes, et tes yeux repérèrent immédiatement le tas de lettres quelque peu éparpillé, mais heureusement encore sur la table, par ce petit souffle doux mais froid. Le facteur était passé tôt, en cette matinée. Tu fixas quelques minutes ces lettres. L'envie de les lire ne te venait pas même un instant, mais elles attiraient tout de même ton attention. Ils auraient dû se trouver dans la boîte aux lettres improvisé après tout.
▬ C'est sûrement Mikato. chuchotas-tu tout haut.
Mais cela n'arrangeait pas ton affaire ? Pourquoi avoir fait cela ? Les questions commencèrent à fuser dans ta tête, mais très vite, tu les chassèrent, te disant que tu étais un peu trop curieux pour le coup. Un peu fatigué aussi. Il n'y avait absolument pas de quoi s'inquiéter, ou simplement douter. Tu en avais la conviction. Ton esprit se mit donc à vagabonder un peu partout dans la pièce pour voir ce que tu pouvais faire, et l'envie de boire te vint subitement. Chopant dans le frigo commun une canette d'Ice Tea, tu commenças à la boire gorgé par gorgé tandis que tu te dirigeas dans ta chambre, légèrement en bazar. C'était bizarre de se rendre compte à quel point tu avais été bordélique depuis le début du mois, ne réfléchissant même pas à ce qui t'entourait sinon au ciel et ton père qui s'y trouvait peut-être. Un soupir, une nouvelle gorgé de fraîcheur, et toute ta masse vint s'effondrer sur ton lit, tandis que ton regard dériva parmi les étoiles qui décoraient encore le ciel noir. Ta respiration devint alors silencieuse, lente … Et tu te perdis parmi ces étoiles, parmi cette multitude de petites lumières, ce paysage clair-obscur aux sensations si froides, mais qui réchauffaient si bien ton cœur, ton esprit. Cela faisait bien longtemps que tu n'avais plus ressenti un tel sentiment d'apaisement, de plaisir. Ton sourire de satisfaction, qui ne t'avait pas quitté, avait laissé la place à un sourire de complaisance, d'appréciation de l'instant présent. Et soudain, le silence laissa place aux bruits. Le vent. La nature. Les Pokémon, les feuilles. Tout sembla prendre vie en même temps. Tout semblait s'être engagé dans une mélodie coordonnée, chacun y allant de sa note, de son ton. Un concert symphonique pour les oreilles. Ton cœur commença à battre de plus en plus fort, de plus en plus vite, poussé par l'émotion de ce moment. Bientôt, ce fut comme si tu n'entendais plus que ce dernier, prêt à exploser dans ta poitrine avec tant de violence que c'en devenait presque insupportable. Mais tu restais là, calme, quittant tout de même le toit céleste pour tourner le regard vers la cuisine accessible directement par ta chambre. Le tas de lettres était là, encore, attendant qu'on s'occupe de lui. Ton esprit était vide de réflexion, mais ton sourire avait finalement disparu pour laisser place à un air impassible, peut-être interrogé. Ton regard devint plus pensif, à nouveau curieux. Tu te rendais bien compte que cette pile n'était pas là pour rien. Mais tu n'arrivais pas à comprendre la raison de sa présence. Jusqu'alors.
▬ (Lucas.)
Le ton était condescendant, limite dur. Tu n'eus même pas besoin de le voir pour comprendre : Kitsu venait de se connecter à ton esprit, et parut progressivement à travers la porte, se dirigeant vers toi pas après pas, prenant le temps d'allumer la lumière au passage. Que faisait-il là ? Pourquoi venait-il te parler, lui qui semblait te vouer une haine immense à cause de l'autre jour ? Les questions se succédèrent les unes les autres, et ton visage devint inquiet. Tu n'arrivais pas à comprendre pourquoi il venait te parler.
▬ (Qu'y … Qu'y a-t-il ?) répondis-tu, toujours perplexe.
▬ (Lis cela.) dit-il simplement, te tendant un post-it.
Tu n'attendis pas pour attraper le petit papier vert fluo. Quelque y était écrit. Tu compris bien vite qu'il s'agissait d'un mot de Mikato. Pris d'un mouvement instinctif, tu approchas au plus près le message et en lut chaque partie avec une patience presque exemplaire. « Je pars me promener avec Tim, ne m'attendez pas pour le repas. Ah et Lucas je suis désolée de te demander ça mais est-ce que tu pourrais essayer de garder un œil sur les plus petits ? J'ai peur que Shira ne s'en sorte pas seule ... » disait-elle. Cette fois, ton visage laissa place à de l'angoisse. Quelque chose n'allait vraiment pas.
▬ (Que … Que dois-je en déduire ?) demandas-tu.
▬ (*soupire* … Je te pensais que tu serais plus intelligent que cela. Bon, écoute. Je ne t'aime pas, mais je sais qu'elle t'écoutera, au moins un peu. Elle …) il sembla retenir un gloussement. (Elle n'avait pas l'air bien, et je n'ai absolument rien pu faire … Je ...) il se retint de nouveau un instant. (Elle a reçu une lettre, ce matin. Je l'ai vu. Elle semble extrêmement importante pour elle, mais je n'en sais pas plus. Je sens … Qu'elle était angoissé. Qu'elle avait peur de quelque chose. Il lui faut un soutien, quelque chose, quelqu'un. Tim, son Evoli ne pourra pas l'aider tout seul, je le sens. Moi je ne peux rien faire, mais toi, peut-être …) continua, avec une espèce de rage incontrôlable dans sa voix.
▬ (Tu as raison. Il faut tenter.) dis-tu, répondant avec un ton déterminé.
▬ (Je ne continuerai pas à te faire confiance pour autant, ni même à te pardonner, mais je ne peux pas nier ton existence, ni ton lien avec Mikato. Alors maintenant, cours la rattraper, sinon je me chargerai de ton cas immédiatement.) dit-il, achevant la achevant la conversation.
Tu ne te fis pas prier pour sauter de ton lit, perdant de tout le reste pour ne laisser qu'une certaine angoisse sur ton visage, sur tes agissements. Attrapant les Pokéballs de Freed, Zéro et Piou, bien que ce dernier n'avait toujours pas pris le temps d'y retourner et se retrouvait donc actuellement à te suivre calmement, semblant dire quelque chose à Kitsu qui devait probablement être qu'il te surveillerait et agirait au moindre problème pour t'empêcher de faire une nouvelle connerie, et chopant au passage deux-trois affaires randoms piégés dans ton sac à dos, tu t'élanças au dehors, se dirigeant vers la première destination qui te venait en tête : le terrain de tir d'entraînement où se trouvait encore très certainement Idalienor. Car même si tu savais qu'il y avait une chose que tu puisses agir sur les événements, tu savais aussi très bien que seul, même aux côtés du starter de Mikato, tu ne pourrais très certainement pas changer grand-chose. Il te fallait donc quelqu'un pour te suivre et t'aider à réconforter la Mentali, ou la raisonner, au choix de la situation. Et tu n'avais trouvé que la Pyroli pour t'aider, sûrement la seule en dehors de toi et Mikato de réveillée à cette heure-ci. Tu courais donc à travers les arbres de la forêt tropicale, fouillant chaque arbre pour te souvenir du chemin. Bientôt, tu reconnus les lieux, mais n'y trouvas rien. Tristesse. Tu te sentais prêt à faire demi-tour, dépité, et se préparant à courir partout pour retrouver la trace de la Mentali. Lorsque qu'un mouvement dans l'air te fit rappeler une chose : Idalienor avait installé une illusion autour du « terrain de jeu » pour permettre une immersion complète dans l'entraînement. Son Zoroark, qui en était l'origine, devait t'avoir repéré et était en train de la défaire. Bonne réponse, puisque sa dresseuse finit par apparaître devant toi, arc toujours en main et une flèche prête à être décochée. C'était passé de peu que tu en prennes une entre les deux yeux.
▬ Désolé de revenir te déranger, mais j'ai absolument besoin de toi. Déjà, je voudrais savoir : connais-tu une Mikato Suzoy ? demandas-tu sans laisser le temps à Idalienor de répondre.
▬ Tu ne me déranges pas, t'inquiètes. Oui je la connais c'est une amie pourquoi ? répondit-elle.
▬ Bien. Alors-suis-moi ! lanças-tu alors sans plus de précisions.
Tu ne savais rien précisément de la situation, et de ce que tu connaissais, le ton quelque peu apeuré s'était chargé de tout transmettre à la Pyroli … Tu l'espérais. En tout cas, elle semblait te suivre. Maintenant, le plus important était de retrouver Mikato. Mais où pouvait-elle être allé ? Le choix était malheureusement assez vaste, et le temps réduit. Il allait falloir courir. Tournant rapidement le regard vers Idalienor et surtout Piou, tu indiquas d'un mouvement de tête que tu allais accélérer et n'attendit pas de réponse pour t'élancer, espérant te faire suivre de près. Tu ne faisais pas vraiment attention si tu étais vraiment suivi, bien trop occupé par la raison de ta course, mais sans doute que le Brasegali avait fini par attraper Idalienor dans ses bras pour éviter qu'elle ne s'épuise, et effectuait de toute façon, maintenant, des sauts énormes comme il en avait la possibilité de le faire, te suivant de très près. Toi, tu courais, encore et encore, soufflant, soufflant encore, soufflant continuellement, sans t'arrêter. Tes yeux passaient de la droite à la gauche en une seconde, scrutant chaque détail, chaque forme étrange ou familière, mais rien. Rien ne semblait vouloir apparaître. Cela faisait déjà dix minutes que tu avais commencé à courir, et ta course folle commençait à faire son effet sur ton corps désormais engourdi par la douleur. Tu en faisais total abstraction, te contentant de serrer les dents pour supporter et continuer d'avancer. La forêt, il fallait faire une croix dessus. Bien trop vaste et sombre sur ce que tu n'avais pas exploré pour que Mikato s'y soit rendu. Restait le désert, la grotte luminescente et les cascades alentours. Tu éliminais déjà l'idée du désert, celui-ci étant bien trop à découvert et bien trop froid pour avoir attiré la Mentali. La grotte alors, sans doute. Vous n'étiez vraiment pas loin, ce qui était bon pour vous. Indiquant de te suivre de nouveau, tu repris ta course, te dirigeant vers l'entrée des galeries souterraines.
Mais il n'y avait rien.
Rien que le silence.
Rien que la mort.
Rien que l'obscurité.
Pas la moindre trace d'un éventuel passage, et ce n'était pourtant pas difficile de savoir si quelqu'un était passé par ici en raison du sol légèrement boueux provoqué par la cascade qui tombait non loin de là. Où pouvait-elle être allé ? Que pouvait-elle penser en cet instant ? Les questions revinrent en tête, un peu différentes mais toujours aussi interrogés, mêlés cette fois à de l'inquiétude. « On repart. » dis-tu alors, au moins à Piou, après deux minutes de pause pour vérifier si tu ne trouvais rien. Il ne restait que les cascades. Le meilleur trajet se situait en bordure de la forêt, qui passait à travers certains ruisseaux parfois assez larges. Tu t'empressas donc de trouver le chemin tracé par l'Homme et commença à le suivre sur tout son long, fixant ces cascades et ces étangs, ces lacs situés en contre-bas. Mais rien. Rien de rien. Petit à petit, tu commenças à désespérer, à perdre toute forme de calme, à vouloir crier. Mais tu te contins. Aucune raison de réagir ainsi. Mais tu ne la trouvais toujours pas, et ça t'agaçait passablement. Tu aurais dû prendre Aegis avec toi. Il t'aurait largement aidé. Tu te sentais si bête de l'avoir oublié. Tu en serrais même les poings, tandis que tu revenais sur tes pas pour poursuivre la recherche de l'autre côté du chemin praticable. Mais là encore, rien. Vraiment rien. C'était très étrange. Rien du tout. C'était comme si elle s'était volatilisé. Rah ! Finalement, tu finis par stopper ta course, complètement épuisé, enfin forcé de reprendre un semblant de souffle. Haletant à coups de grandes bouffées d'air, tu t'étais appuyé sur un arbre, regardant Piou et probablement Idalienor avec lui.
▬ Je ne la retrouve pas. Je sens que ça va mal finir ... dis-tu entre deux halètements.
▬ Cette lettre... lança subitement une voix dans la nuit.
Les mots étaient faibles, presque silencieux, seulement transmis par le vent, mais tu reconnus immédiatement son origine. Elle était là, non loin d'ici. Oui, elle était là, tu en faisais la certitude. Cherchant alors sa position dans tous les sens, tu t'aperçus d'un petit passage parmi les arbres que ces derniers cachaient d'une certaine façon ; bien que le passage était extrêmement facile à passer ; et qui donnait sur une nouvelle cascade. Elle … Elle était là, assis au sol, contemplant ce qui devait être une lettre aux côtés de son Evoli, même si la nuit, couplé aux gouttes de sueurs qui perlaient encore ton corps endolori t'empêchait de voir correctement. Mais c'était elle, tu en étais certaine. Tu aurais reconnu ses formes entre mille … Sûrement. En tout cas, elle était là, et semblait discuter avec son compagnon.
▬ l'écriture est de mon père mais la lettre vient de ma maison. Il ne serait pas revenu si il n'y avait pas été obligé... C'est sûrement par rapport à mon frère. reprit-elle.
Son père ? Sa maison ? Obligation ? Frère ? Les informations s'enchaînèrent si vite que tu avais l'impression d'avoir entendu un TGV te passer dans les oreilles en quelques secondes. Ton cerveau mit du temps à engranger totalement tout ce qui venait d'être dit, le temps pour Mikato de déchirer dans le silence sa lettre pour en découvrir son contenu. Ton regard tourna vers Piou et sans doute Idalienor, puis de nouveau sur Mikato. Elle semble figé désormais, dans le silence et dans le vide nocturne, puis lentement, mais sûrement, des gémissements silencieux commencèrent à se faire entendre. Elle s'était mise à pleurer. Tu serras les dents. Tu voulais aller la voir maintenant, l'entourer de ton corps encore chaud de ta course folle, la réconforter comme elle l'avait fait pour toi, la sauver de ses tourments, mais tu te retins. Tu savais que cela se passerait mal, que tu ne ferais que la rendre encore plus triste. Il fallait attendre encore un peu. Juste un petit peu. Tu te tournas de nouveau vers Idalienor, et fit alors un signe comme si tu te cousais la bouche à l'intention de celle-ci. Puis tu t'affalas légèrement contre le tronc d'arbre derrière lequel tu te trouvais. Les gémissements seuls continuaient d'alimenter la vie de cet instant. Tu les ressentais, ces gémissements. Il n'y avait pas que de la tristesse, tu ne le savais que trop bien pour avoir eu les mêmes, mais aussi de la colère, presque de la haine envers quelque chose, quelqu'un. Était-ce ce fameux père ? A cause de ce fameux frère ? Aucun moyen de le savoir, mais elle continuait de pleurer, et toi aussi, tu avais commencé à pleurer, sûrement moins, mais cela restait des larmes. Des larmes sincères.
Tu te rendais compte de ta bêtise.
D'avoir pleuré et d'avoir cru être le seul à souffrir.
D'avoir manqué de la briser.
D'avoir oublié qu'elle était aussi humaine que toi.
Tu compris alors à quel point avoir été comme tu fus pendant ces deux dernières semaines n'avait été que mauvais pour les autres, pour elle ; quand bien même aucun de vous n'aurait pu s'en apercevoir. Maintenant tu comprenais ton erreur, l'erreur d'avoir été ainsi depuis la mort de ton père. S'il avait été là, il t'aurait mis un sacré pain au visage pour te corriger. Ce rêve que tu avais fait après avoir manqué de frapper Mikato, tu t'en souvenais maintenant. Tu t'en souvenais parfaitement. Maintenant tu savais pourquoi il était apparu, pourquoi il avait agi. Ce que tu avais déjà compris ce jour-là, tu le comprenais d'autant plus désormais. Aller de l'avant. C'était ce qu'il fallait faire désormais. Tu n'avais plus à te lamenter, plus à déprimer, plus à rester seul. Il fallait … Redevenir Lucas. Reprendre ta vie en main, continuer de marcher vers ce sommet tant recherché. Mais tu n'allais pas y aller seul, et aujourd'hui, il était temps pour toi de sauver quelqu'un de la tristesse qui t'avait toi-même consommé. Il était d'agir.
▬ Mikato. appelas-tu, sortant de ta cachette et marchant sur une brindille pour attirer l'attention.
Durant ta course, tu n'avais même pas écouté Idalienor. Et ça n'avait pas été faute de l'avoir entendu à chaque fois qu'elle avait parlé. Tu n'avais simplement même plus vraiment fait attention à elle, préoccupé par l'origine de ta course folle. Elle était là, mais c'était surtout parce qu'il fallait bien quelqu'un d'autre car tu avais peur que seul, tu ne puisses rien faire même avec tout le désir du monde. Tu savais Idalienor sympathique et gentille, peut-être avenante, mais tu ne l'avais pas encore vu à l'œuvre pour t'en faire une certitude. Elle était néanmoins très amicale avec toi, et elle pourrait t'être utile pour s'occuper de Mikato. Voilà pourquoi tu avais choisi de l'emmener dans ta petite course. Mais était-ce réellement une bonne idée ? N'était-ce pas exagéré de ramener avec toi d'autres de ses connaissances, de leur faire découvrir, sans doute, une part de Mikato qu'ils ou elles n'auraient jamais soupçonner ? N'était-ce pas … Égoïste ? Tu te posais sérieusement la question, mais il était malheureusement trop tard pour faire marche arrière, pour partir seul, pour aider la Mentali. Pour lui éviter ce que tu avais pu subir ces derniers temps, et ce, pour quelque circonstance qui l'avait poussé à partir se promener si tôt dans la matinée. Et cela te fit réaliser une nouvelle chose : avais-tu fait le bon choix d'obéir à Kitsu en allant retrouver Mikato ? N'était-ce pas là une nouvelle preuve d'un égoïsme profond, un besoin insatiable de découvrir la vérité à n'importe quel prix ? Ton esprit s'embrouillait progressivement dans ce genre de questions rhétoriques, et petit à petit, tu commençais à te prendre … Jusqu'à ce que la voix de la demoiselle Sozuy finisse par transcender dans le silence de la nuit tandis que tu arrivais près de l'arbre où tu t'étais posé en l'écoutant.
C'est là que tu comprends qu'il n'y a aucune question à se poser.
Il te faut simplement agir.
Il te faut simplement réagir.
Il te faut simplement aider.
Alors tu t'es déterré de ta cachette, tu t'es avancé vers cet Mikato qui gémissait en boule, et tu as attiré sa concentration vers toi, te découvrant de tout ton long à son regard attristé et dépité. Malgré la semi obscurité, tu sais, tu sens, tu le ressens jusque dans ta peau : elle pleure. Elle pleure toutes les larmes de son corps, elle pleure ses problèmes, elle pleure sa vie. Elle déverse toute la tristesse qu'elle a su contenir jusqu'à cette fameuse lettre, jusqu'à cet instant où elle a lu les quelques mots qui y étaient inscrits. Elle a craqué. Elle a perdu contre elle-même, contre cette chose qu'elle a pu supporté toute seule. Une attente de réponse ? Une personne disparue ? Toutes les hypothèses étaient viables, et ramenaient toujours à la même conclusion : elle était devenue inconsolable. Tu l'avais parfaitement compris dès le moment où son regard avait croisé le tien. Elle était perdu, perdu au milieu de ce monde. Elle ne semblait même plus te regarder, comme si tu n'étais plus rien pour elle, sinon une forme étrangère, une voix dans la nuit qui a obstrué le silence assourdissant qui l'accablait, un bruit qui l'a coupé dans ce monde où elle s'est enfermé pour pleurer. Elle n'était plus ici, mais bien ailleurs, quelque part entre l'au-delà et la réalité, vagabondant sans but à la recherche de quelque chose pour s'accrocher … En vain. C'est ce que tu avais vécu en perdant ton père, et tu comprenais parfaitement ce qu'elle pouvait ressentir ou même penser actuellement. Rien. Rien de concret. Rien de vivant. Juste des concepts abstraits qui se dessinent dans son esprit pour l'empêcher de perdre la boule. C'était en tout cas ce que tu croyais, jusqu'à voir se former enfin ses traits faciaux si fins, si détruits par la tristesse. Mais elle n'était pas seule : la colère se lisait aussi dans ses yeux. Une colère incontrôlable, une colère contre le monde, le destin, la vie, tout le monde. Mais surtout contre le bonheur. Une rage indestructible pour tout ceux qui vivent sans problèmes, qui ne vivent pas sa tristesse, qui ne la connaissent même pas. Tu avais pensé la même chose il y a quelques temps, à te demander inlassablement pourquoi le destin était-il si injuste ?
Tu te rendais compte de la ressemblance que tu pouvais avoir avec Mikato.
Jamais encore tu n'avais été encore en accord avec quiconque.
Jamais encore tu ne t'étais senti si proche de quelqu'un comme ça.
Jamais encore tu n'avais ressenti un tel sentiment.
Et tu savais surtout qu'elle ne méritait une telle chose. Que personne n'avait à vivre ainsi un tel événement. Alors tu allais l'aider, quoiqu'il advienne, quoiqu'elle pense, quoiqu'elle fasse. Tu l'aiderais comme elle l'a fait pour toi, comme Ginji Labelvi l'a fait pour toi. Tu ne sais comment le faire, mais tu y parviendras. Tu t'en fais la promesse solennelle. En attendant, tu observes Idalienor qui t'est passé devant pour rejoindre Mikato en pleurs, lui prendre ses mains tremblotantes et tenter de comprendre ce qu'il se passe. Mais rien n'y fait. C'est en vain qu'elle s'essaye à l'aider. Elle semble avoir rejeter le monde qui l'entoure, à ne laisser que de rares privilégiés à subsister auprès d'elle, comme son Evoli. Alors la Mentali repousse légèrement sa camarade, puis recule, s'éloigne, s'extrait à sa chaleur amicale. Elle veut être seul, rester seul dans sa colère, dans cette rage qui la consume. Elle doit comprendre qu'elle pourrait mal réagir dans son état. Tu la perçois de plus en plus apeuré, comme cherchant à continuer à supporter seule le poids de sa tristesse. Tu ne lui permettras pas cette erreur fatale. Il faut agir, et le soleil qui pointe le bout de son nez à l'horizon, tranchant parmi les montagnes de sable au loin et les arbres fruitiers et déversant toute sa lumière rougeâtre sur l'oasis et les cascades qui vous entourent … Et sur Mikato, dévoilant un corps meurtri par tout les sentiments mauvais qui l'envahissait en cet instant. Tu la voyais alors comme une bête affaiblie et apeurée … Par elle-même.
▬ Je suis désolée... Je suis... bredouilla-t-elle.
Ses premiers mots. Un rien du tout. Finissant dans une explosion de sanglots, brisés par son état déplorable. Elle semble retenir ses paroles, retenir la vérité. Elle ne veut rien vous dire, rien vous révéler. Elle veut vous protéger, enfin c'est ce que tu penses alors. Vous protéger de ce qui l'a transformé. Aucune chance. Tu ne bouges pas, même d'un cil. Ton égoïsme, couplé à ce désir de la sauver de ce qui la dévore lentement mais sûrement, te pousse même à avancer d'un petit pas en avant en affichant un air intrigué, presque curieux, cachant derrière une mine tout aussi attristé qu'elle peut l'être. Tu veux savoir, pour l'aider, pour la protéger. Tu es trop détruit pour te briser un peu plus en découvrant de nouvelles choses. Tu le sais parfaitement. Alors tu cherches à savoir, pour empêcher les autres de te suivre dans ta chute, et Mikato la première. Ainsi, tu refais un nouveau pas. Tu veux savoir. Tu dois savoir. Et l'Evoli de la Mentali semble d'accord avec toi car il vint auprès de celle-ci pour l'encourager à continuer de parler.
▬ J'ai... enfin je... j'ai juste un peu craqué ce n'est rien... enfin, je veux dire... ce n'est vraiment rien... désolée de vous avoir inquiétés... reprend-t-elle.
Finalement elle n'a rien changé. Elle est seulement parvenu à placer correctement ses mots. Elle semble déterminée à ne rien dire, à ne pas vous faire souffrir avec elle. Sa voix grave et brisée en témoigne. Elle ne pense plus correctement, elle agit par instinct. Un instinct de conservation. Non, elle ne va pas bien, et tu ne te détacheras pas même un instant de cette idée tant que tu n'en auras pas la preuve concrète. Tu continues de rester stoïque, de la regarder sans vraiment la fixer avec ton air curieux, montrant tout de même de l'inquiétude désormais. Rien ne te fera bouger, sauf son propre mouvement. Et ce qu'elle se met soudainement à faire, se dirigeant subitement vers la forêt avec un « Je vais partir … Je vais à la hutte ... » qui donnait presque l'impression qu'elle allait disparaître à jamais. Tu veux faire un pas pour l'arrêter mais l'Evoli de Mikato s'interpose entre toi et elle, avec un air menaçant. Ton visage trahit alors face à son agissement une moue dépité, abandonnant presque la tâche que tu t'étais donné d'aider la demoiselle. Cela ne dure qu'un instant, avant de la voir s'affronter lamentablement au sol après moult tentatives pour se maintenir debout, allant alors se recroqueviller contre un arbre pour y pleurer de nouveau. Tu serres les dents. Pas le choix, tu sautes au-dessus de l'obstacle Pokémon et commence à te diriger vers Mikato quand le cri de son starter t'interpelle. Tu le pensais prêt à te sauter dessus crocs à découverts mais il semble plutôt calme quand il t'appelle, même si son ton trahit tout de même le désespoir qui l'anime. Ton regard bifurque instantanément dans sa direction. Il te veut te montrer quelque chose. Et tu sais exactement quoi.
La lettre.
Il veut que tu vois la lettre.
Il veut que voyiez la lettre.
Il veut que vous compreniez.
Tu entends la petite voix presque morte de Mikato qui perce à travers ses sanglots, mais elle ne prête pas attention à ce qui l'entoure; Tu vois le type normal qui ramène à la force de sa bouche la petite lettre et les brochures découpés qui allaient avec. Tu es hésitant. Pourquoi fait-il cela ? Pourquoi te laisser lire ? C'est la vie de Mikato après tout. Retenant ce dernier détail, tu te prépares à repousser le Pokémon lorsque tu vois qu'il est insistant. Il est désemparé, il ne sait plus quoi faire. Son agissement, il l'a fait malgré son attachement pour sa maîtresse. Pour la première fois ; sans doute ; il a agi contre sa dresseuse. Ou en tout cas, il n'a pas agi comme elle l'aurait souhaité. Tu ne peux pas le laisser ainsi, ignorer ce qu'il tente de faire de son côté. Cette lettre, c'est peut-être le dernier espoir qui lui permet de garder l'esprit avant de fondre dans sa propre tristesse. Alors il n'y a plus d'hésitation. Il faut agir, agir encore et toujours. Tu attrapes à une main la lettre au sol et ramène Idalienor près de toi pour lire la lettre. Seuls quelques mots figurent : Bonjour Mikato. Le corps de ton frère a enfin été retrouvé. Ta mère est tombée malade. On a fait l'enterrement sans toi étant donné son état. Il faut que tu reviennes pour t'en occuper.. Tout s'éclaircit subitement. Tu comprends tout maintenant. Tu imagines en une seconde tout ce qui a pu venir à l'esprit de la Mentali en lisant ces mots, en découvrant une vérité qu'elle aurait sans douté préféré ne jamais apprendre. Son frère est mort. Un frère qu'elle devait aimer de tout son cœur, de toute son âme. Sa mère est tombée malade. Une nouvelle affligeante que tu ne penses qu'il aurait été bien mieux que jamais elle n'arrive. L'enterrement a été fait sans elle. Peut-être pas assez important pour toi mais qui représentait sans doute beaucoup trop pour elle. Et enfin … Revenir s'occuper de sa mère. La touche finale. Sûrement le coup de trop dans la plaie mentale qui s'est ouvert en elle. Tu comprends immédiatement ce que cela veut dire : elle doit partir. D'ici. De la Pokemon Community. De s'éloigner de tout ce qu'elle a vécu depuis son arrivée à l'académie. Tu ne connais rien de sa vie antérieure, mais tu sais une chose : elle ne voudra très certainement pas partir. Jamais. Elle n'aurait pas été dans cet état autrement, tu en avais la conviction.
▬ Je vois. Tout s'explique. dis-tu, pour interpeller Idalienor.
Oui, tout s'explique avec ces seuls mots. Pourquoi elle veut rester, pourquoi elle ne semble pas vouloir être aidé. Sa vie passée … Elle ne veut pas la revivre. Car si tu n'étais pas trop bête, tu te rappelais que la lettre était de son père. Et à la lire, tu pouvais ressentir tout la froideur et la fatigue, dû à l'ennui, qui étaient siennes. Il ne semblait pas vraiment préoccupé par les événement dont il faisait mention, et se contentait visiblement de les énumérer comme une simple liste de courses. Il n'avait aucune lien amical avec Mikato, tu en avais la certitude. Pire encore, ils devaient être en mauvais terme. Bien sûr, les détails n'étaient pas là, mais l'histoire se tissait doucement dans ton esprit, et tu pus sentir à quel point la situation était terriblement dure à supporter pour Mikato.
▬ Vous pensez ... lâcha-t-elle justement, te coupant dans tes pensées et tes réflexions qui s'enchaînaient.
Tes yeux se tournèrent immédiatement vers elle. Elle était revenu vers vous, et s'était posé près de l'eau, se contentant de la toucher des doigts comme pour essayer d'y trouver un autre monde.
▬ Je... Je n'ai pas envie de rentrer, ma mère est malade mais... c'est égoïste n'est-ce pas ? continua-t-elle. Je veux rester ici...
Sa voix tremblante traduit parfaitement sa détresse. Elle ne veut vraiment pas. Elle ne veut pas quitter ce cocon où elle est venu s'envelopper à vos côtés. Elle ne veut pas retrouver cet endroit où elle a vécu sa jeunesse, où elle a sûrement dû apprendre à supporter une vie miséreuse, sinon insupportable. Elle veut vivre. Il n'y arien d'égoïste dans cette envie. Elle est simplement humaine, voilà tout. Mais ces larmes qui continuent de couleur le long de son visage la rend hideuse, mauvaise, monstrueuse. Elle n'est plus Mikato, mais seulement un corps qui y ressemble, une chose l'enfermant au plus profond d'elle-même pour laisser s'y épanouir tout ce qu'elle a cherché à contenir jusqu'à aujourd'hui. Elle est devenu cette princesse qu'il faut sauver des griffes du méchant, ce soldat qu'il faut soutirer à l'ennemi, cet orque qu'il faut libérer de ses chaînes.
Tu seras ce plombier qui la sauvera de tous les périls.
Ces hommes qui se sacrifieraient pour elle.
Ce petit garçon qui lui ouvrira le chemin.
Et tu vas tout faire pour y parvenir.
Tu te mets en marche, te dirigeant sans attendre vers Mikato. Piou est toujours là depuis tout à l'heure, prêt à agir à tout instant. Mais il sait que tu ne feras rien, pas maintenant en tout cas. Il se contente de prier pour ta réussite. Il croise ses griffes, sans s'en apercevoir. Il croit en toi. Il t'observe retirer ton T-shirt, ne laissant que ton jean duquel tu as retiré ta ceinture à Pokéballs, et les quelques papiers qui se cachaient dans tes poches, et t'approcher de la Mentali en silence. Il te voit lui prendre la main et l'attirer dans l'eau avec toi. Il te regarde en train de nager vers le centre de l'eau en fixant Mikato, qui, elle, ne pensait peut-être même pas à ce qui venait de lui arriver, et découvre alors que ton visage curieux à laisser place à un certain calme, un certain apaisement. Il sait où tu veux en venir, et ne bouge plus. Il n'a rien à craindre et il le sait. Il se contente d'écouter calmement, laissant l'aurore colorer ses plumes et apporter sa lumière chaleureuse à la scène qui prenait place. Toi tu avais atteint le centre de l'étang où une cascade se déversait non loin dans un fracas violent mais étrangement tranquille, laissant ta voix se porter sans avoir à forcer. Tu sais qu'elle t'entendra, qu'elle réagit. Tout du moins, tu l'espères. Ainsi tu t'installes sur un rocher plus ou moins stable, après t'être aperçu de la faible profondeur du point d'eau et prend la parole.
▬ Ma chère Mikato ... commenças-tu. Les mots venaient sans vraiment y penser. Tu n'as pas à penser à cela. Pas maintenant. Tu n'en as pas le droit. Pas encore. continua-t-elle, de plus en plus détendu, souriant petit à petit. Reste dans l'eau, apaises-toi. Ne réfléchis plus, ne pense plus. Vis. Vis cet instant de calme et apaises cet esprit torturé qui est le tien. Tu ne dois pas souffrir du destin. Plus personne ne devrait en souffrir, mais toi plus encore. dis-tu. Tu te rends compte que tu commences à partir un peu loin, mais tu n'arrives même pas à retenir les mots. Ce que je veux te dire, c'est que … Tu m'as sauvé de ma propre mort, tu m'as aidé à ne pas sombrer dans vide qui s'ouvrait sous mes pieds quand j'ai perdu mon père. Tu m'as permis de tenir le coup, d'avancer, de me remettre, et de continuer la vie comme je l'ai toujours vécu. Alors tu n'as pas le droit de vivre la même chose. Tu es quelqu'un de magnifique, de très gentil. Tu es ce genre de personnes qui ne mérite pas de souffrir, même un instant. Je ne veux pas que cela t'arrive encore. Le genre de décisions comme celle que cette lettre te demande de prendre, n'aies pas à y penser. Pas quand tu es ainsi. Apaises-toi. Laisses-toi aller à moi. Tu y penseras plus tard, le temps ne presse pas. enchaînas-tu, te rendant compte que tu te perdais légèrement dans tes pensées. Mais les mots continuaient d'affluer sans laisser le temps de souffler, sans même te laisser réfléchir à quoique ce soit. Imagines-toi seule, seule avec moi dans cette eau, à nager, comme si rien d'autre n'existait autour de toi. Laisses-toi aller à cet instant de bonheur, à ce long moment où rien d'autre n'importe plus que nager, que ce bruit sourd mais reposant des cascades qui nous entourent. Imagines-nous ensemble ... lui conseillas-tu, avant de te couvrir la bouche subitement pour arrêter de parler.
Trop tard. Ton regard croisa celui de Piou qui te fixait avec un demi-sourire, et celui d'Idalienor. Oups ...
▬ Je, je ...
Les mots ne parvenaient plus à sortir. Tu t'étais toi-même pris au piège, et maintenant tu faisais face à la culpabilité d'avoir laissé agir ta conscience. Tu avais envie de te recroqueviller, t'enterrer six pieds sous terre, simplement pour ne pas avoir à faire subir ta présence dérangeante à Mikato. Tu ne te sentais clairement plus à l'aise, et tout ce que tu voulais à l'instant, c'était fuir pour ne plus avoir à lui faire subir ta personne. Mais voilà, tu étais simplement bloqué, lui tenant la main pour ne pas la faire tomber, la tenant bien trop près de toi pour pouvoir la laisser. Et tu étais désormais tétanisé, ne sachant plus quoi faire ou quoi dire. Tu aurais voulu qu'elle n'ait pas compris pourquoi tu t'étais subitement arrêté de parler, qu'elle ne soit contenté de rester de silencieuse. Mais non. Tu la vois bien, enfouissant profondément son visage empli de gêne, rougissant peut-être. Tu serrais légèrement les dents en la voyant ainsi : quel odieux salopard étais-tu pour lui infliger une telle peine ? Tu ne méritais même plus son amitié. Tu détournais le regard car tu n'avais même plus l'envie de la voir tellement tu avais honte de toi-même. Il te fallait même fermer les yeux pour arriver à te supporter, contenant cette envie irrépressible de te frapper pour te faire comprendre à quel point tu étais qu'un imbécile de première.
Et ce silence.
Ce fichu silence.
Ce silence lourd et étouffant.
Il ne voulait pas s'arrêter, s'échapper, laisser place au seul vide. Il était là, te donnant cette impression étrange de suffoquer à chaque respiration, d'avoir le cou serré au point d'en étouffer, de se sentir oppressé jusqu'à en écraser ton corps de tous les côtés. Ils te donnèrent la sensation de vivre durant ces quelques secondes une éternité. Des éternités même. Comme si en un instant, tu n'étais devenu que poussière, une poussière consciente qui ne peut plus que subir le temps. Mais tu n'avais pas bougé d'un pouce, et tu étais toujours le même, seulement planté dans cet eau à détourner le regard de la réalité des choses. Ton esprit avait choisi de fuir la situation, de te soustraire de nouveau à cette destruction intérieure qui se développait au fond de ton âme. Et en t'en rendant compte inconsciemment, tu serras les dents plus forts encore. Tu étais égoïste de ne pas faire face à tes agissements, à ton destin. D'une certaine façon, tu étais vraiment le pire des enfoirés à avoir agi ainsi. Tu te dégoûtais de plus en plus. Tu commençais même de nouveau à être navré d'être encore en vie, d'être encore quelqu'un, quelque chose, une personne, un simple prénom. Tu ne culpabilisais plus seulement pour ce que tu avais fait, mais désormais pour ce que tu n'avais pas fait. Comment pouvait-on apprécier une personne comme toi ? Qui ne pense qu'à lui et qui vient se réfugier chez les autres dès qu'un problème survient ? Toi qui t'en était sorti de justesse, voilà que tu replongeais tête la première dans une dépression. Mais on ne te laissa cette fois pas le temps de sauter.
▬ Je suis désolée on dirait que je n'arrive qu'à te donner du soucis.
D'un seul coup, tu avais ouvert les yeux comme jamais auparavant. D'où provenaient ces quelques mots ? Il te semblait avoir déjà entendu cette voix ? Bizarre. Tu avais l'impression d'avoir tout oublié après ces éternités à déprimer sur ta condition. Mais cette voix, ton corps l'avait imprégné dans ton esprit. Tu ne pouvais pas l'oublier, jamais. Mais à qui appartenait-elle ? Tout était flou dans ta tête, et tu te décidas à tourner le regard vers son origine. C'est à cet instant qu'une étrange chaleur te traversa le cou à t'en faire frissonner. Puis tu sentis ton épaule s'adoucir, comme touchant quelque chose de si pur qu'elle en changeait cette dernière. Tu te sentais revenir subitement à tes esprits, à ressentir de nouveau la vie à travers ton corps, à revivre de nouveau. Et là, tu la vis, les bras entourant sobrement ton cou, nichant son visage envahi par la tristesse, tentant de contenir ses larmes. Et là, tu compris, comme si un éclair de lucidité venait de te frapper. Mais qu'est-ce qui te prenait ? Pourquoi avais-tu commencé à penser ici ? Tu n'étais pas le seul à te détruire dans cette histoire. Tu la détruisais, elle aussi. Et tu ne t'en rendais pas compte. Qu'est-ce qui t'avait pris de penser ainsi ? C'était elle qui souffrait, pas toi. Tu n'avais nul raison de te recroqueviller sur toi-même. Elle était seul à devoir se sentir mal.
Une larme coula.
Une larme coula le long de ton visage.
Une autre suivit.
Puis une autre encore.
Tu ne les sentais même pas. Elles sortaient sans discontinuité, silencieuses, discrètes, invisibles, coulant comme si une fontaine venait de s'allumer. Tu laisses toute ta tristesse sortir pour la première fois par les larmes. Tu avais déjà pleuré plusieurs fois, mais c'était là l'unique instant où tu sentais qu'une partie de toi-même s'échappait de toi à travers tes larmes. Tu te sentais de plus en plus léger à mesure qu'elles se déversaient, à mesure qu'elles se mêlaient à l'eau pur du petit lac. Ces mots avaient suffi à régler la situation, à apporter une nouvelle lumière à suivre. Mais ils n'étaient pas les derniers, et très vite, la voix reprit la parole.
▬ Merci Lucas, vraiment merci beaucoup mais ... elle se braqua un instant, hésitante, puis continua. Tu crois que je pourrais encore te demander quelque chose … ?
Tu ne réagis pas. Tu n'assimilais pas vraiment ces quelques mots. Ils étaient là, comme une sorte de puzzle, attendant ta réaction pour te pénétrer de part en part et se faire accepter de ton esprit, pour se rassembler et devenir logique pour toi. Mais tu ne fais rien, et tu te contentes de laisser la chaleur de cette voix quitter ton corps et s'éloigner progressivement. Et puis tu le vois, ce regard planté sur toi, attendant ta réponse avec une certaine impatience. Que pourrais-tu lui répondre en cet instant ? Tu n'arrivais même pas à comprendre ce qu'elle souhaitait de ta part. Et ce ne fut que par instinct que ton corps hocha positivement de la tête, te laissant enfin comprendre ce qu'il en était. Petit à petit, tu retrouvais de plus en plus les sensations de la réalité, et tu commenças à te détendre légèrement. Finalement, tu te retrouvas de nouveau maître de ton corps, et ton regard, enfin revenu à la normale, se tourna vers cette fille qui te faisait face.
▬ ... Est-ce que tu pourrais m'attendre ?
Il y a les mots, puis le temps de réaction. Ton calme se change en surprise, et tu ne réagis plus à nouveau. Tu la voix simplement quitter l'eau, se diriger vers Idalienor Edelwen que tu n'entends pas, puis tu les vois attirées par l'Evoli de Mikato, avant de partir sans demander leur reste, légèrement paniqués. Et tu restes planté en silence, au milieu de l'étendue d'eau, sous le regard calme et avisé d'un Piou en position et prêt à te sermonner. Tu ne fais même pas attention à lui, en vérité, et tu te contentes de regarder l'eau plate, ne le voyant même pas partir à l'appel subite des filles. Bientôt, le silence survient, et tu es seul, à réfléchir sur cette question. Que peux-tu répondre à cela ? Tu n'en as sur l'instant aucune idée. Qu'importe la réponse, tu as la sensation de ne pas en avoir le mérite. Même si elle la seule qui souffrait vraiment de la situation, tu ne te pensais pas disposé à agir de quelque façon qu'il soit. Alors que pouvais-tu répondre ? Il fallait bien une réponse. Car si tu n'avais pas le mérite de répondre, tu étais plus égoïste encore à tes yeux de ne pas le faire. Tu faisais face à un dilemme cornélien qui te tiraillait de façon insupportable.
Si tout avait pu s'arrêter.
Si seulement tu n'avais pas agi ainsi.
Mais tu pouvais encore changer la donne.
Instinctivement, ton corps se mit en mouvement et t'infligea deux violentes claques aux joues qui te sortirent en un instant de ta semi-torpeur. Tu appréhendas la chose, et tu te sentis soudain plus léger. Pourquoi te mets-tu à penser ainsi à chaque fois ? Tu ne fais que te détruire plus encore. Ces deux gifles te permirent de comprendre à quel point il y avait quelque chose qui ne tournait pas rond chez toi. Mais plus encore, ils te firent comprendre que cela pouvait encore changer. Qu'il y avait de l'espoir dans ton malheur, que tout n'était pas encore perdu. Et alors, tu pris une longue inspiration, et leva la tête vers le ciel encore obscur, yeux fermés, soufflant tout cet air et laissant sortir cette fois toute la déprime qui était tienne. La réponse, tu l'avais en vérité, et tu le savais parfaitement. Fût-ce un an, dix ans, une éternité, à jamais. Qu'il pleuve, qu'il vente, que les pays se fassent la guerre ou que le monde soit proche de l'extinction, tu en avais la conviction.« J'attendrais. »