Un regard de bête sauvage et l'esprit qui s'y accorde. Tu es cynique, Rubis, c'est sûrement la première chose que les gens parviennent à lire en toi. Tes yeux d'ambres sont semblables à ceux d'un Némélios ivre de liberté, prêt à tuer toute personne se dressant sur son chemin et l'empêchant d'accéder à ses buts. Quand tu fixes les gens, ils doivent voir percer des lueurs de rage mêlée de haine envers l'humanité dans ton regard qui exprime tout ce que la politesse et la noble éducation t'empêchent de faire jaillir d'entre tes lèvres. Tu n'aimes pas grand-monde, c'est un fait, et il faut avouer que grand-monde ne doit pas t'aimer en retour. Tu calcules tout, tu calcules trop. Tu cherches à capter toutes les mauvaises intentions du monde derrière chaque parole que les gens t'adressent et ce sentiment de te sentir constamment piégé t'enfonce encore plus dans la défensive. Qui pourrait avoir envie d'être volontairement sympathique avec toi, sans aucune arrière-pensée, Rubis ? Tu es stupide, insolent, insouciant, calculateur et méfiant, résultats des paroles ou des actions de ton Père. Incapable de supporter le monde dont tu as été écarté, tu préfères imaginer qu'il ne te supporte pas en retour plutôt que d'essayer de comprendre les autres et de faire un pas agréable dans leur direction. Et ton regard brûle de haine, de rage, d'envie parfois aussi. D'envie de ressembler aux autres, à ceux qui paraissent heureux, sans jamais y arriver. C'est plus facile de renoncer, n'est-ce pas, Rubis ? Changer impose des efforts, et des efforts, tu n'es pas prêt à en faire. Tu préfères t'enliser dans la rage, qui te compresse et te paralyse comme si elle prenait la forme de sables mouvants et que tu te sois laissé tomber à l'intérieur. Tu es très bien comme tu es, incapable de faire des efforts et incapable d'accepter l'idée que les gens méritent que tu en fasses. Insupportable, n'est-il pas ? Et la liste de tes défauts n'est pas finie. En plus d'être défensif et sauvage, tu es la plupart du temps incapable de t'exprimer autrement que par des phrases ironiques. Tu passes ta vie à lancer des phrases acerbes, amères aux autres dès qu'il s'agit de parler pour qu'ils te fichent la paix et que tu n'ai pas à te faire apprécier d'eux. Tu l'as déjà songé plus haute, qui pourrait bien t'apprécier, toi qui n'as selon ta famille presque aucune qualité ? Tu es borné, aussi, Rubis. Arceus en personne ne parviendrait pas à te faire rentrer dans le crâne une chose que tu aurais refusé de comprendre d'apprendre à maîtriser.
Et au milieu de ça, dans ton mètre soixante-quinze de nerfs électrisés par la rage, il y a peu de qualités. Tu peux malgré tout assure que lorsqu'une chose attise ton attention, tu y prêtes le plus grand respect, le plus grand intérêt. C'est sûrement cette capacité à parvenir à te concentrer uniquement sur les choses importantes à tes yeux qui te pousse vers la filière scientifique. Tu es capable, à question que ce soit intéressant, de te concentrer et même de faire preuve de passion envers les choses et les personnes qui ont déclenché cet intérêt. À ce fait s'ajoute ton attitude respectueuse en tout point envers élèves de tout âge comme adultes, que tu vouvoieras sans relâche en ajoutant constamment les suffixes -kun, -chan ou -sama à prénom ou nom de famille, quand bien même tu devrais leur adresser la parole pour les envoyer bouler. Il s'agit pourtant plus d'une habitude que d'une réelle motivation de leur vouer quelques bribes de respect au milieu du flot acide que sont tes paroles mais bah ! Tu n'as déjà que peu de qualités alors tu n'estimes pas nécessaire de te payer le luxe d'en supprimer une dans le tas. Il s'ajoutera à la liste que malgré ton acidité, tu n'hésiteras pas à venir en aide à une personne t'en faisant la demande ou étant en position de faiblesse, encore plus s'il s'agit de quelqu'un faisant partie de ton dortoir.
Un reste de bestialité, peut-être, qui te pousse à sauver les personnes les plus proches de toi en termes de scolarité comme un lion, un loup ou un tigre le ferait avec sa meute plutôt qu'avec des espèces étrangères.
« Tiens … Bonjour Rubis. Comment, c'est déjà la période des vacances scolaires ? »
« Non. »
Avançant mécaniquement, tu effrites du bout des doigts le papier de vélin d'une enveloppe. Tu t'arrêtes, à peut-être trente ou cinquante centimètres du bureau ou l'homme est resté assis et continue de travailler.
« Je dois vous donner quelque chose. Et j'ai également quelque chose à vous dire. »
« Est-ce que ça ne peut pas attendre ? Je suis occupé. »
« Je dois vous le dire à l'instant. » Puis, comme il continue d'écrire en écoutant. « J'ai été renvoyé, pour avoir volé trois broches en or à une jeune fille et fugué pour aller les vendre à la ville voisine de l'école. Tout est dans cette lettre. »
Tu étires le bras pour déposer l'enveloppe sur le bureau. L'homme assis oscille du regard vers un autre adulte à sa droite, debout et aussi droit que toi.
« Un instant, je vous prie. »
L'associé s'incline brièvement avant de se redresser et de faire la sourde oreille à la conversation qui a lieu, tandis que celui adossé à un siège de cuir ouvre méticuleusement l'enveloppe et parcourt le courrier des yeux après l'avoir déplié. Il tique légèrement d'un œil tandis que tu t'acharnes à fixer un point invisible sur le mur derrière lui, toujours dressé comme un arbre entouré d'un tuteur.
« Le directeur vous avait déjà envoyé une lettre il y a deux semaines de cela, sans aucun résultat. Il a pris la décision de me remercier. »
« Monsieur votre Père s'était absenté pour un concours de coordination. »
Tu tournes lentement et brièvement la tête en direction de l'associé venant de prendre la parole, un sourcil légèrement arqué et le visage fermé. Mépris, ou simple contrariété de voir un étranger prendre la parole dans une affaire de famille ? Toi seul le sait et tu t'empresses de cacher la réponse en reposant ton attention sur ton géniteur. Droit, toujours droit, encore droit, du haut de tes six ans.
« Vas dans ta chambre. Je suis occupé, nous en parlerons plus tard. »
Tu fermes une fois de plus ton visage aux quelques sentiments qui pourraient s'y glisser et te contentes d'observer l'homme assis, les sourcils froncés par un vague incompréhension.
« Tu m'as entendu ? »
Tes sourcils se froncent davantage, mais tu n'oses pas faire la moindre remarque et encore moins répliquer. C'est ton Père. Tu tournes lentement les talons en le fixant le plus longtemps possible puis tu reprends le même chemin que lorsque tu es venu au niveau du bureau, en sens inverse, les bras ballants le long de ton corps filiforme. Tu ne les décales que lorsque tu arrives au niveau de l'entrée de la pièce, pour saisir de chaque main les poignées des deux portes et les refermer derrière toi.
_________Saint Just fut la quatrième école de coordination à te fermer ses portes en sept mois et elle se révéla être la dernière puisque qu'après ce coup d'éclat, aucune académie ne voulut accepter ta présence. Voleur. Menteur. Fugueur. Bagarreur. Ces mots, martelés et gravés avec haine dans ton dossier scolaire, te faisaient presque sourire quand tu y repensais. Tu devins un enfant normal.
N'étant plus contraint d'aller en internat pour y subir les harassantes pressions imposées à tous les futurs coordinateurs, tu restes chez toi. Perdu entre les murs d'interminables corridors de la demeure familiale, proie de l'ennui qui guette sans cesse ta silhouette pour mieux bondir et t'attraper dans ses serres acérées, tu erres de long en large de la journée en te demandant pourquoi tu n'es pas comme eux et pourquoi l'école te semblait si ennuyeuse au temps où tu y allais alors que tu y étais occupé toute la journée. Ici, tu es seul tout au long de la sainte journée, mais tu n'es plus embêté malgré tout, même s'il n'y a rien de passionnant à faire. Tu discutes avec les domestiques, tu parcours les rares livres scientifiques pour les dépoussiérer de la bibliothèque dans laquelle ils traînent depuis bien trop longtemps. Tu pourrais souvent discuter avec Erika, mais Erika n'est pas là. Elle est bien souvent avec ton Père et ta Mère, elle qui est parfaite, elle qui est passionnée par la coordination. Tu l'envies, parfois. Tu aimerais être comme elle, être aimé, avoir une vie facile avec tes parents.
Tu aimerais oublier que lorsque ta Mère pose les yeux sur toi, il s'y trouve une brume soucieuse, presque douloureuse, qui te compresse le cœur. Tu aimerais oublier que tu sais, à chaque fois qu'elle t'observe, qu'elle se demande :
« Qu'allons-nous pouvoir faire de toi, Rubis ? » Tu aimerais oublier que tu n'es pas normal, que tu n'es pas comme eux. Oh, tu as déjà essayé de prier pour changer. Tu as imploré Arceus de modifier tes pensées, tu as souhaité auprès de Jirachi qu'il fasse naître la flamme de la coordination en toi, tu t'es adressé même à Yveltal pour qu'il reprenne ta vie s'il ne parvenait pas à en changer les ambitions et tu as supplié bien d'autres divinités, de Mew à Cresselia, pour les supplier parfois à genoux de faire en sorte que plus jamais tu ne déçoives ta famille, mais ça n'avait rien changé.
Quelque chose brûle en toi, qui t'envoies plus régulièrement au cœur des colonnes lances que dans les salles de spectacles. Tu bouillonnes d'envie de découvrir le monde de la science, de devenir un jour un archéologue ou un professeur reconnu et tu es loin, très loin, trop loin des ambitions de ta famille qui souhaitent pour toi le métier d'éleveur ou de star de la scène. Tu as finalement plus ou moins accepté cette différence au terme des longues nuits à prier et à pleurer sans que rien ne change. Tu n'es pas parvenu à t'adapter en école spécialisée, tu n'es pas parvenu à ressembler aux trois autres membres de ta famille. Tu acceptes punitions et remontrances, humiliations et isolement de la part de tes parents en te disant que si les Dieux eux-mêmes ont décidé que tu ne serais pas l'un des leurs au point de refuser de modifier ta condition d'exclu, tu ne peux rien y faire. Ton destin est écrit, quelque part dans la volonté d'Arceus, de Xerneas ou de Giratina et on ne peut pas défaire ce que les divinités ont fait, quelque soit la force qu'on y associe. Tu seras donc scientifique et non coordinateur, n'en déplaise à ta famille.
Décider et accepter ce fait ne parvient pourtant pas à t'aider à aller mieux. Tu te sens toujours coupable du désespoir de ton Père – le pauvre homme qui n'a aucun eu autre fils pour le seconder dans ses concours – et des larmes silencieuses de ta Mère. Mais que pourrais-tu y faire, toi qui a prié et supplié pour changer sans aucun résultat ? Rien, si ce n'est errer à travers les couloirs de votre domaine familial en attendant le retour de ta famille, tantôt à Céladopole, tantôt à Illumis. Trois D'Eléos voyagent aux quatre coins du monde, le dernier végète à Unionpolis et profite du temps passé à l'étranger par ses parents et sa jumelle pour s'enfuir à l'aventure. Tes parents, en voulant te punir et t'exclure de leurs aventures, attisent bien à leur insu ta passion pour la science et les études de monuments historiques et divins. Au diable domestiques et gouvernante qui, en te voyant jouer la fille de l'air avec un appareil photo jeté au fond de ton sac à dos, te lancent à la volée que tes parents n'apprécieraient pas tes escapades et que tu ne devrais pas sortir seul parce que c'est imprudent.
Tu ne les écoutes jamais.
Peu importe en vérité à tes yeux quels os tu pourrais te casser, peu importe quelle partie du corps tu pourrais t'écorcher vif, tu es attiré par le Mont Couronné et plus que tout au monde par ses Colonnes Lances parce qu'il s'agit de l'endroit ou Giratina a été aperçu pour la dernière fois par la célèbre Cynthia, deux années auparavant. Espères-tu le rencontrer, ce Dieu aussi banni du monde humain que tu peux l'être de ta famille ? Peut-être, tu ne sais pas trop. Tu sais que ce serait presque impossible, mais l'espoir fait vivre.
Et tu as besoin, tu as envie de vivre.
C'est la raison pour laquelle tu es agenouillé aux Colonnes, ce jour de Décembre 2010 entre autres pour prier à la gloire de trois pokémons légendaires dans ce lieu ou deux d'entre eux se virent donner la vie par Arceus en personne et dans lequel le troisième était apparu deux ans plus tôt pour mettre fin aux ambitions d'un homme voulant détruire l'équilibre de l'univers qui ne lui plaisait plus. Depuis deux heures, tu honores la mémoire de Giratina, Palkia et Dialga par ton respect silencieux lorsqu'un hurlement rageur perce ta bulle religieuse. Tu te relèves précipitamment pour faire volte-face et te trouver face à l'enragé.
Si tu n'as pas l'honneur de t'accorder mentalement avec, tu ressembles énormément physiquement à ton Père qui vient de beugler tes deux prénoms et ton nom de famille avec toute la haine du monde. Vous avez les mêmes yeux dorés et êtes, tous les deux, dotés de cheveux bruns tirant parfois sur le bleu lorsque le soleil se reflète assez bien, de grande taille avec l'habitude de vous tenir constamment droit lorsque vous êtes debout. Tu fermes les yeux et baisses le regard devant sa fureur, en bafouillant une phrase qui ressemble à « Vous n'devez pas crier dans un lieu de culte » ou quelque chose de similaire. Ton géniteur s'avance, ramasse tes affaires qu'il te lance dans les bras avant d'empoigner une mèche de tes cheveux proche de ton oreille droite et la vrille brusquement. Tu esquisses un léger sifflement de souffrance en grimaçant et tu le suis, plus de force que de gré compte tenu de son emprise jusqu'à la sortie du temple. Ce n'est que là qu'il libère ta mèche de cheveux, mais c'est pour mieux t'empoigner d'un mouvement sec de la main au niveau des joues pour te forcer à le regarder dans les yeux.
« Ah, tu ne veux pas que je hurle. Très bien. Je n'y vois pas d'inconvénients, c'est donc toi qui hurleras à notre retour au manoir et ma ceinture t'y aidera. J'en ai assez de cette passion stupide pour la science. Tu es MON FILS et tu feras ce que je te dirais de faire, en l'occurrence des spectacles de coordinations. » Il te lâche et te pousse brusquement dans le dos pour te faire. Tu as presque envie de t'enfuir mais quelque chose, un reste de raisonnable, te retient de le faire. Il te rattraperait en moins de quelques secondes si tu tentais le moindre mouvement fugueur, parce qu'il est bien plus grand et rapide que toi.
« Est-ce que tu ne pourrais pas prendre exemple sur ta sœur ! Elle au moins, elle travaille ! Elle au moins, elle nous rend fiers ta Mère et moi ! Toi … Toi ! Tu es le dernier des imbéciles. Feignant. Insolent. Voleur. Menteur. Tu nous fais honte, tu ne peux pas savoir à quel point tu nous fais honte. » Ton cœur se tord d'une étrange sensation. Tu as l'impression d'avoir les jambes en coton et tu marches comme tu respires, avec difficulté pour le moment. Tu ne pleures pas, pour autant. Tu es un garçon et les garçons ne pleurent pas – la dernière fois que tu l'as fait remonte à l'époque ou tu t'entendais encore avec Erika et que d'autres gamins venaient te frapper pour te prendre ton goûter à la maternelle. Tu pleurais à trois ans, à six c'est différent. Tu te contentes d'encaisser les remarques comme si elles ne t'atteignaient pas. Et elles continuent, en te heurtant pourtant, sans que ton Père ne le remarque.
« Tu n'es qu'un sale gosse, égoïste, pourri-gâté. Attends un peu qu'on soit de retour à la maison et je te jure que je vais t'apprendre la vie. Petit c… » « Père, je… » « TAIS-TOI ! Tais-toi ou je te promets que je n'attendrais pas que l'on soit de retour au manoir pour te fouetter. » Tu te tais, en déglutissant malgré tout. Il te pousse à nouveau dans le dos et le trajet continue sur un mutisme total de ta part, largement compensé par les insultes et les reproches que ton géniteur t'adresse, créant la conversation à lui seul.
_________Ton regard s'endurcit. Tu n'as toujours aucun attrait pour la coordination, mais tu as cessé de t'occuper de la science. Les bras et le front appuyés contre la fenêtre de ta chambre, tu observes la ville qui s'active tandis que tu t'enfonces dans la passivité. Ta sœur et sa gouvernante viennent de sortir à l'extérieur, pour aller faire les boutiques à la demande de ta jumelle. Tu n'as pas tenu à les accompagner, toi qui n'a aucun attrait pour les robes, les peluches et les jouets – quelles peluches, quels jouets d'ailleurs ? Tu n'as droit à rien tant que tu ne feras pas les efforts suffisants pour entrer dans la famille.
Cela fait six mois, un an peut être que tu n'as plus franchi le passage du Mont Couronné se jetant sur les Colonnes lances. Tu ne saurais plus vraiment dire quel jour, quel mois se dessine à l'heure actuelle sur le calendrier. Sans passion, les jours se ressemblent tous et ne prends plus la peine de les différencier les uns des autres comme tu le faisait auparavant. Tu clignes douloureusement des yeux, ces yeux qui ont pris la teinte soucieuse de l'avenir auparavant adoptée exclusivement par ta génitrice, et c'est à toi désormais de t'interroger sur ton futur. L'inquiétude est passée de la Mère au fils, et un questionnement te hante désormais sans relâche, jour comme nuit.
Que vas-tu pouvoir faire de toi, Rubis ?
Tu ne saurais pas vraiment dire si la vie sans passion et sans attache vaut la peine d'être vécue. Oh ! Comme tu envies Erika et sa proximité avec tes parents, comme tu envies Erika et sa passion que tu serais très loin de songer qu'elle est feinte, comme tu envies Erika qui n'est jamais fessée à coup de ceinture ou de cravache selon les humeurs de ton géniteur. Pourquoi n'as-tu pas le droit de lui ressembler ? Pourquoi est-ce à toi de subir les caprices des Dieux et des Étoiles, de ne pas réussir quelque soit l'acharnement et la volonté que tu y mets à embrasser l'art de la coordination et le monde du spectacle ? Derrière toi, la porte de ta chambre s'ouvre dans un léger grincement du bois qui la forme sur le parquet de ta chambre mais tu es bien trop égaré dans tes pensées pour y faire attention.
« Rubis. »« Oui, Père ? »Tu te retournes lentement, en chassant le brouillard anxieux noyé dans ton regard. Tu sais fort bien que ton Père déteste cette expression qu'il juge de « Ponchien battu » et, si tu ne souris presque jamais en sa présence, tu t'appliques malgré tout à ne pas avoir les yeux inondés de tristesse et d'angoisse. Tu évites soigneusement de le regarder d'ailleurs et par la même occasion de tordre tes mains entre elles, signe d'un profond malaise chez toi, malgré toute l'envie que tu as de le faire.
« Fils, sais-tu pourquoi ta Mère et moi avons choisi de te prénommer Rubis ? »Tu relèves légèrement la tête pour l'incliner de gauche à droite. Tes lèvres tremblent, tu ne saurais dire si c'est de peur ou de froid mais tu n'oses en conséquence pas prendre la parole de peur de bafouiller ou de bégayer. Ton Père s'avance dans la pièce pour se camper face à toi et, pour la première fois depuis longtemps, s'agenouiller pour être à ta hauteur. Tu raidis ton corps déjà droit comme un arbre dans un mécanisme de self-défense et tu le fixes, guettant le moindre geste étrange ou inquiétant de sa part, mais rien. Il semble parfaitement calme, chacune de ses mains fixées sur tes épaules respectives et son regard rivé dans le tien. Oh, tu ne crains pas vraiment ses corrections – tu sais très bien que tu les mérites et qu'il ne te fouette que pour te rendre normal, pour te rendre comme lui, adepte des spectacles et des ovations – mais tu préfères les éviter, quand bien même ce serait pour ton bien et quand bien même ça lui ferait plus mal qu'à toi. Tu fronces le nez en l'entendant reprendre la parole, mais tu ne parviens pas à détourner le regard malgré tout.
« Parce que nous voulions que tu brilles, Fils. Nous voulions que tu sois éclatant mentalement comme physiquement, scintillant sur la scène comme dans la vie de tous les jours. Au lieu de ça, tu es sombre, taciturne, boudeur. Qu'avons-nous fait pour que tu traites ainsi ? Tu agis comme si nous étions des étrangers, comme si nous te dérangions constamment… Nous ! Tes parents ! En ce moment même, tu cherches à m'esquiver. Je le vois dans tes yeux et la seule chose qui t'empêche de détourner le regard, c'est la politesse, le respect que tu me dois. »« Mais j'ai essayé, Père ! J'ai essayé mais je n'aime pas ! »« Alors tu n'as pas tenté assez fort ! » Son emprise sur tes épaules se resserre comme un étau et tu ne peux retenir de faire une moue douloureuse.
« Penses à ta sœur ! Pourquoi n'essaies-tu jamais de l'imiter ? Elle se conduit de manière tout à fait convenable sur scène comme avec ta Mère ou moi. Tu n'as qu'à lui demander des conseils pour faire comme elle et Erika t'en offrira avec plaisir. Tu n'auras qu'à les suivre pour devenir un coordinateur de talent. »La pression de ses doigts se relâche vaguement et tu déglutis d'angoisse. Ne pas pleurer, ne jamais pleurer. Tu ne parviens pas à baisser les yeux ou à les changer de direction malgré tout. Oh, comme tu aimerais être partout ailleurs et avoir le pouvoir de te téléporter du haut de tes sept ans à cet instant précis.
« Je …. Je ne peux pas ! Je n'arrive pas ! »« Mais bien sûr que tu peux y arriver, Fils. Ta Mère, ta sœur et moi y parvenons bien. »« Non… Non… Je, je… »« Regardes moi, Rubis. »Tu as détourné le regard de quelques centimètres sans t'en rendre compte, mais tu es bien forcé de le dériver à nouveau droit devant toi en l'entendant te rappeler à l'ordre. Tu pleures maintenant, ça y est. En silence, plus désespéré que boudeur ou renfrogné, mais tu pleures. Ton Père passe sa main droite sur l'une de tes joues pour essuyer d'un mouvement bref de son pouce les larmes qui sont en train d'y rouler.
« Cesses de pleurer, Fils. Je ne suis pas en train de te fouetter mais de te parler. De plus tu es un garçon et non pas une fillette. »« Mais je… Non… Je… »« Écoutes-moi et arrêtes de geindre, nom d'Arceus ! À partir de maintenant, je t'interdit de lire, de regarder des reportages ou de t'instruire sur quoique ce soit d'autre que la coordination. Si je ne parviens à te faire rentrer cet art dans la tête de gré, je te le ferais rentrer de force et je te jure que je parviendrais à t'y plier quelle que soit l'énergie et peu importe le temps que je devrais y consacrer. Me suis-je bien fait comprendre, Fils ? »Il te libère brusquement, se redresse et tourne les talons pour quitter la pièce sans même que tu ai le temps de te reconnaître. Un bruit de déclic attire ton attention, te permettant de sortir de ta torpeur et tu te précipites vers la porte, le cœur battant de terreur. Il n'aurait pas osé faire ça… Tu tords la poignée dans tous les sens possibles, tu frappes plusieurs fois rageusement contre la porte, mais rien à faire.
Il t'a enfermé à clef de l'extérieur.
…
Il est tard ce soir-là, lorsque ton géniteur ouvre à nouveau la porte. Assis en tailleur sur ton lit, incapable de trouver le sommeil, tu le fixes douloureusement, avec cette expression lourde de tristesse que tu sais pourtant qu'il déteste observer.
« Il est tard, Fils. Tu devras déjà dormir. »« Je… » Mais tu ne prononces pas un mot de plus, ne sachant pas comment poursuivre ta phrase. Que pourrais-tu d'ailleurs bien répondre ?
« Je t'apporte des livres. »Il pose plusieurs bouquins sur ta table de chevet et tu les soulèves un par un, dans l'espoir que tu sais pourtant mince sinon inexistant d'en trouver qui par hasard…
« Il est inutile de chercher des œuvres scientifiques. Je les ai brûlées. »Ton cœur accuse le choc et un léger hoquet d'angoisse s'échappe de tes lèvres. Tu ne réagis même pas lorsque ton Père passe sa main gauche dans tes cheveux, geste d'affection ou d'appel à la docilité dont tu es pourtant loin d'avoir l'habitude.
« J'ai longtemps cru ainsi que ta Mère que posséder à ta disposition des ouvrages portant sur d'autres arts que la coordination te permettrait de t'aérer l'esprit lorsque tu reviendrais des spectacles, que ce serait plus un divertissement qu'une priorité pour toi et que tu te consacrerais en premier à nous rendre fiers… Nous avons fait une erreur et nous la payons aujourd'hui. Si nous n'avions pas jugé bon de t'instruire et de te distraire, nous n'en serions pas là et tu n'en serais pas là aujourd'hui. »« Père… » « Tu resteras dans cette chambre jusqu'à ce que tu ai retrouvé la raison que nous t'avons fait perdre, Fils. Quand je serais absents, les domestiques viendront t'apporter à manger à ma place mais ils auront l'interdiction formelle de te faire sortir de cette chambre jusqu'à ce que tu sois prêt à assurer un spectacle digne de ton nom sur scène. Je ferais verrouiller tes fenêtres et ta chambre sera constamment fermée à clef. »« Ce n'est pas juste ! Père ! »Il s'est levé d'un bond et a regagné la porte tandis que sur lit, tu t'es redressé brusquement. Il ne peux pas t'enfermer ainsi ! Et pourtant…
« Tâches de profiter de ton insomnie pour t'instruire, si tu n'arrives toujours pas à trouver le sommeil, Rubis, et tâches de bien t'instruire. Si tu ne mets pas assez de volonté à t'améliorer… Tu sais ce qui arrivera. »Tu grimaces en déglutissant. Tu ne le sais que trop bien et, comme tu sais que tu seras incapable de te passionner pour la coordination de gré comme de force, tu entends déjà le sifflement de la cravache paternelle fendre les airs pour venir cingler tes fesses dénudées. Trouillard d'avance, tu plaques une main protectrice sur tes reins qui te semblent déjà cuisants.
« C'est exact Fils, la fessée. » lance t-il, ton géniteur, en captant ton réflexe du regard. Ton Père justement, qui referme la porte derrière lui après une dernière phrase et s'apprête à sceller ton destin d'un simple coup de clef.
« Plus tard tu comprendras que j'agis pour ton bien. Tu es un d'Eléos et tu dois nous faire honneur, Fils. »_________Trois ans plus tard, tu feuillettes distraitement et sans la moindre parcelle d'admiration les pages d'un artbook rempli de dessins et de photos de coordinateurs célèbres dont tu n'as même pas eu le cœur de retenir le nom lorsque ta gouvernante ouvre la porte de la chambre, accompagnée d'Erika. Tu es parvenu à l'âge de dix ans, tu ne sais pas comment ; ce n'est en tout cas pas l'envie qui t'en étouffait. Fatigué, lassé, le cœur et le corps brisé, tu lances quelques mots depuis ton lit aux deux intruses, sans leur accorder la moindre autre attention. Tu n'as pas le courage et encore moins l'envie de leur jeter un simple regard.
« Déjà l'heure de souper… Posez le repas sur le sol et cassez-vous. »Tu mâches tes mots, pour retenir au maximum l'amertume du timbre avec lequel tu les prononces, mais tu ne peux empêcher malgré tout Erika comme Élise d'entendre la dernière partie de la phrase. Est-ce qu'un Gentleman tel qu'un d'Éléos parlerait de la sorte, en ordonnant aussi impétueusement à sa sœur et sa nourrice de sortir de sa chambre ? Tu ne penses pas, ce qui est bien la preuve que tu n'as aucune envie de continuer à faire partie de cette famille et de cette lignée. Quoiqu'il en soit, elles n'ont l'air ni l'une ni l'autre d'avoir envie de bouger et tu soupires avec insolence, claquant brutalement ton livre pour le refermer avant de te redresser en tailleur sur ton lit pour les observer.
« Je crois que vous avez loupé un épisode en fait. Quand je dis cassez-vous, c'est genre cassez-vous maintenant. Tout de suite. Je veux pas attirer votre pitié hein mais je suis obligé de rester enfermé dans cette chambre à lire des bouquins pourris toute la journée, alors j'aimerais si possible le faire seul. »« Rubis, on s'en va. »« Wow, alors ça c'est formidable ! J'y crois pas ! Et excuses-moi de ne pas être plus enthousiasme mais comment dire, tu passes TA VIE à sortir alors ce n'est pas la peine de venir m'en informer à chaque fois sinon tu n'as pas fini de faire des aller-retour entre le hall d'entrée et ma chambre. Allez bonne sortie, ramènes-moi un pack de dix en revenant. »« Arrêtes un peu de faire le débile ! Quand je dis qu'on s'en va, c'est toi et moi. Papa et Maman sont partis pour trois jours à Alola pour un concours de coordination. On a le temps d'aller assez loin d'Unionpolis pendant ce temps. »« Attends, tu te fous de ma gueule ? Pour quelles raisons tu veux partir d'ici déjà, toi la jolie petite coordinatrice parfaite avec tes paillettes et ta vie remplie de rose bonbon ? Et pourquoi tu dis Papa et Maman alors que je suis obligé de les appeler Père et Mère ? Et… En fait, oublies la dernière question, c'est évidemment parce qu'ils te préfèrent. »Tout en parlant, tu as pourtant mécaniquement sauté de ton lit pour attraper un sac de sport et le remplir avec quelques affaires. Tu n'as pas vraiment grand-chose à emporter de toute façon – tu n'as ni jouets, ni jeux vidéos, ni peluches, ni souvenirs ici.
« Tu sais quoi, merci pour l'occasion, moi je profite de la porte ouverte pour me barrer mais sans toi. Continues bien tes spectacles pourris avec tes lumières, tes attaques de type fée et tes paillettes partout mais pour moi la coupe est pleine. J'en ai marre de cette maison, de cette famille, de cette chambre et surtout des raclées de Père parce que je n'arrive pas à m'améliorer suffisamment dans la coordination. »Tout en parlant, tu as fini de jeter chemises, vestons, shorts et pantalons dans ta valise de fortune. Tu bouscules Élise qui cherche à t'empêcher de partir pour te forcer à écouter ta sœur, mais trois ans de rage accumulés jour après jour te dissuadent de raisonner et de prêter attention à Erika. Tu jettes ton sac de sport sur ton épaule gauche et tu claques brusquement la porte derrière toi avant de dévaler les corridors puis les escaliers en courant. C'est lorsque tu es en bas de ceux-ci que ta sœur parvient à te rattraper en hurlant.
« Rubis ! Rubis… Je veux devenir topdresseuse. »« Comment ? »Tu t'es stoppé net, en même temps que l'horloge du temps. Tu te retournes lentement pour l'observer tandis qu'elle descend les marches à son tour pour arriver à ta hauteur. Elle, topdresseuse ? La petite chérie de tes parents, qui possède la panoplie parfaite de la gentille petite coordinatrice bien élevée et bien lignée, souhaiterait en vérité s'investir dans l'art du combat ?
« Wow, wow, wow… Attends, aies juste pitié cinq minutes de mon cerveau atrophié par trois ans de solitude et de lectures lamentables. Depuis quand est-ce que tu veux abandonner la coordination pour le topdressage, déjà ? »« Je t'expliquerais en route. »Tu remarques à cet instant précis qu'une valise est posée sur le sol du living-room dans lequel tu es parvenu. Elle a plus de chances que toi, qui dois te contenter d'un sac de sport – mais n'est-ce pas normal pour la favorite, la petite princesse de la famille ? Tu renifles avec dédain, mais tu es déjà décidé à partir. Pour une fois que la porte de la chambre est restée ouverte plus longtemps que le temps de déposer des livres ou le repas, tu comptes en profiter. Sans un regard pour ta sœur ou la nourrice – dont l'aide est pourtant précieuse – tu bondis en dehors de la luxueuse demeure pour te retrouver dans les rues d'Unionpolis.
« TAXI ! »Il y en a partout à cette heure dans la ville et l'un d'eux s'arrête à ta hauteur. Tu lances ton sac de sport dans le coffre en même temps qu'Erika qui t'a suivi in extremis y case sa valise et, peut importe le prix que ça coûtera ou le temps que ça prendra, tu mets les voiles avec elle hors de la ville. Élise s'approche de ta sœur et lui glisse de l'argent pour payer le conducteur ainsi que la nourriture.
« Êtes vous sûrs de vouloir prendre le taxi ? C'est horriblement ch... »Un regard glacé de ta part et elle se coupe. Elle a dû comprendre que la bête autrefois zoologique, désormais ivre de liberté et gonflée d'excitation à l'idée de retourner à l'état sauvage, que tu es devenue n'est pas évidente à approcher et encore moins à contrarier. Ton regard doré vire émotionnellement et une tension électrique s'y installe. Tu es tour à tour Grahyèna retournant au cœur des bois, Némélios succombant à l'appel de la savane, Persian dominant de nouveau la nuit au cœur des villes. Il ne serait pas bon, à ce moment-là, d'exécuter un geste, d'émettre une parole, qui couperait trop brutalement à ton goût la saveur de liberté qui flotte dans les airs et Élise l'a compris lorsque tu l'as fixée sans détour. Elle se détourne de ton regard, devenu trop féroce pour qu'elle en supporte la pression, et se contente d'adresser quelques mots au conducteur pour leur demander de prendre soin de vous et de vous amener chez votre grand-mère à Célestia. Tu fronces le nez – tu ignorais qu'elle était encore en vie – mais devant l'air qui n'a pas l'air surpris d'Erika, tu t'abstiens de faire la moindre remarque et tu montes, sans une parole supplémentaire, dans la voiture aux sièges de cuir. Tu n'aimes pas vraiment parler quand ce n'est pas nécessaire et le temps actuel te presse suffisamment pour que ce ne soit pas nécessaire de s'étendre sur les adieux.
_________Seize mois passèrent encore. Approchant désormais de l'âge de douze ans, tu étais devenu un garçon de grande taille, chose héritée de ton géniteur entre autres traits de ton physique.
Tu te trouves parfois trop grand, d'ailleurs. La plupart des autres gosses de ton âge tournent autour du mètre soixante et tu les surpasses chacun d'une quinzaine de centimètres – mais qui oserait malgré tout se moquer en toi en présence d'Erika ? D'ailleurs, leurs idioties ne t'effleurent même pas. Elles glissent sur toi comme l'eau sur les plumes d'un Canarticho et tu passes de toute façon plus de temps à traîner seul dans la grotte au cœur du village à étudier les peintures murales qu'en compagnie des autres enfants. Ta jumelle, de son côté, s'occupe à partir sur les routes à la recherche de pokémons sauvages pour s'entraîner à combattre avec ceux de votre aïeule, en attendant l'heure de posséder le sien.
« Rubis ? »« Que puis-je faire pour vous, grand-mère ? »« Je suppose qu'il est inutile de te demander de cesser de me vouvoyer, comme tu le fais depuis ton arrivée. Enfin. Rubis, j'ai à te parler. »Tu ramasses ton appareil photo traînant sur le sol de la grotte, le rangeant soigneusement dans son étui avant de le mettre ainsi que tes crayons et un carnet de notes dans ton sac à dos avant de prendre le chemin de la sortie.
« C'pas un lieu pour parler, c'est un lieu pour étudier ou prier mais en silence. On r'tourne à la maison. »Célestia est un village ridicule, à mille lieux mentalement d'Unionpolis et de son animation diurne comme nocturne, mais tu parviens à t'y plaire malgré tout. En faisant un assez long détour à pied, tu parviens même à retrouver le Mont Couronné qui a bercé ton enfance et ou ni ton Père ni les domestiques ne viennent plus te retrouver. Ton cœur manque un battement à cette idée tandis que tu pousses la porte de la petite demeure de la Mère de ta Mère. Que font-ils, tes parents, à l'heure actuelle ? Sont-ils toujours coordinateurs ? Sont-ils en manque d'Erika, à défaut de l'être de toi qui n'était qu'un raté à leurs yeux ?
Seize mois sans nouvelles. Ils te manqueraient presque.
« Erika n'est pas là ? »« Je lui ai demandé de monter dans sa chambre. Je lui ai déjà parlé de mon projet et elle a accepté. »« Ah ouais, d'accord. Je vois le traquenard. Elle a accepté, elle s'est barrée et maintenant vous comptez sur le fait qu'elle soit d'accord pour m'avoir aussi parce que famille, fierté, honneur, rassemblement, rester unis, tout ça, tout ça. »« Mais je n'essaie pas de t'avoir, Rubis ! Personne n'essaie de t'avoir ! Pourquoi faut-il toujours que tu sois constamment sur la défensive et que tu te sentes piégé, agressé même, à chaque fois que quelqu'un tente de t'adresser la parole ? »Tes yeux scintillent d'un éclat violent, mais tu ne fais aucun geste brusque, n'émet aucune parole. Tu te contentes de soupirer et de lever les yeux au ciel en tapant nerveusement les droites de ta main droite contre la cuisse associée pour calmer tes ardeurs. Ta grand-mère t'invite à t'asseoir tout en reprenant la parole, mais tu déclines l'idée d'un geste désintéressé de la main gauche.
« J'ai parlé à Erika d'une académie qui a ouvert en 2013 sur l'île Lansat. Elle souhaite y entrer pour se perfectionner dans le topdressage et tu peux également y aller pour suivre un apprentissage scientifique. Si tu le souhaite. »« Bah, j'le souhaite pas. »Tu fais un mouvement en direction de l'entrée pour prendre la fuite. Retourner en internat, comme lorsque tu étais enfant et que tu faisais tout ton possible pour t'en faire renvoyer ? Jamais.
« Restes-ici Rubis s'il te plaît, je n'ai pas fini. Cette académie propose des formations scientifiques dans le domaine de la recherche, de l'archéologie et de la mécanique. À terme tu pourrais même… »« Vous savez, si vous voulez vous débarrasser de moi, vous n'avez pas besoin d'employer autant de mots ni même de taper dans le domaine de la science. Vous n'avez qu'à dire un truc du genre Casses-toi Rubis ou même Je ne veux plus de toi ici, et je partirais. »Ta grand-mère pousse un profond soupir et enfouit son visage entre ses mains. À travers le voile de ses doigts, tu l'entends murmurer une phrase du style « Ce n'est pas vrai, je ne vais jamais y arriver avec ce gamin… » où quelque chose de ressemblant. Tu te mordilles les lèvres, une pression de culpabilité s'exerçant sur ton cœur. Tu soupires et, les mains dans les poches, tu t'approches de l'adulte assise.
« Vous savez, vous avez le droit de renoncer hein. Même mes parents en ont eu marre de moi, alors ça m'est égal si vous demandez de partir. »« Mais je ne te demande pas de partir, je t'offres une opportunité de réussir ta vie. Tu as tout à fait le droit de la refuser sans quitter Célestia pour autant. »Une lueur scintille dans ton regard cuivré. Ton visage s'éclaircit étrangement et tu étires tes lèvres pour sourire pour la première fois devant témoin. Elle vient sans le savoir de dire exactement ce que tu as attend d'entendre depuis douze ans.
Pour la première fois de ta vie, ta présence ne dérange pas la personne qui la supporte.
« Très bien, j'irais. »« … Comment ? Je viens te dire que tu pouvais rester et tu souhaites y aller maintenant ? Je ne compr… »« Comment, vous cherchez encore à me comprendre après tout ce temps ? Quelle perte de temps. »Tu tournes les talons pour retourner dans la caverne au centre du village. Dire que tu devras bientôt cesser d'y aller sans être parvenu à en percer les secrets…
_________« À ton avis, qui de Mew ou d'Arceus est apparu le premier ? »« Arceus évidemment. Ce n'est pas un pokémon mais un Dieu, Mew n'est donc pas son ancêtre mais sa création. » Tu fronces le nez pour réfléchir avant de taper quelques mots supplémentaires sur le clavier.
« À part si vous parlez du sens d'apparition dans la question, c'est évidemment Mew mais là c'est un peu tordu comme explication. »Pour une fois, tu es premier avant ta sœur. Tu es venu au monde en second. Tu as eu l'amour de tes parents en second. Tu as eu l'idée de t'enfuir en second. Mais tu auras ton pokémon en premier, pour une raison que tu ignores puisque même ton prénom est second dans l'ordre alphabétique. Tu effleures du regard chaque nouvelle question qui apparaît sur l'écran de l'ordinateur à chaque fois que tu as envoyé la réponse à la précédente d'un simple clic sur la touchée entrée. Tu es plutôt satisfait d'avoir affaire à un test de personnalité virtuel plutôt qu'en face-à-face avec cet étrange homme. Tu n'es pas du genre loquace ; autant dire qu'avec des gens qui ne facilitent pas la conversation, c'est peine perdue.
« Tu préférerais mourir électrocuté, gelé, empoisonné ou brûlé ? »C'est quoi, ces questions ? Tu retiens de justesse un soupir, parce que tu es en présence d'un inconnu et que tu lui dois le respect et le silence et tu frappes une réponse aussi nulle que la question qui l'a engendrée.
« De sommeil. C'est cool le sommeil comme altération de statut. Et on ne doit pas dire ni écrire Tu préférerais mais Préférerais-tu. »C'est la dernière interrogation du questionnaire. Tu cliques à nouveau pour valider ta pensée et tandis que l'image d'un Farfuret se dessine sur l'écran, tu fais pivoter la chaise sur laquelle tu as rempli le test d'un quart de tour pour observer le Collectionneur, un sourcil arqué.
« Avez-vous encore besoin de moi ou vais-je pouvoir obtenir mon pokémon ? »Tu ne saurais pas dire si vos regards se croisent – qui pourrait en être certain étant donné les lunettes opaques que porte l'adulte et la pénombre qui couvre la majeure partie de pièce, uniquement éclaircir par les lueurs de l'ordinateur – mais il se lève sans un mot et part dans une pièce juxtaposée à celle où tu restes pendant une petite minute avant de revenir avec une pokéball. Tu parcours d'un bond la distance te séparant du bureau et tu attrapes avec délicatesse l'offrande contenant ton starter. Tu exécutes une révérence pour le remercier et, après l'avoir entendu te demander d'en prendre soin, tu mets les voiles sans plus tarder vers l'extérieur. Le suivant doit attendre son tour et tu as suffisamment hâte de ton côté de découvrir ton nouveau compagnon pour éviter de traîner davantage.