« Bon, ben à plus, m’man »Il avait le regard fuyant à ce moment-là, la voix un peu rauque. Ses yeux noisette restaient plaqués au sol, sombres et un peu tristes. On pourrait presque dire qu’il allait se mettre à pleurer, soudainement comme ça. Que ses traits se détendraient d’un coup, comme un ressort. Qu’il arrêterait d’avoir ce regard hargneux et agressif. Et si on lui avait demandé :
« Tu pleures », il aurait répondu à n’importe qui qu’il était simplement tombé un peu malade, avec un air suffisant et imbu de lui-même, que ça arrivait tout le monde et puis que
merde, ça ne te regardait pas ! Gabriel était simplement un peu ému. Il avait passé des mois à supplier sa mère – ou la harceler, presque – pour partir. Il avait appelé à la rescousse ses grands-parents, appelé l’administration de l’école et s’était même procuré le dossier d’inscription à l’insu de Vanessa. Et maintenant, il se retrouvait avec son sac sur le dos, et une grosse valise à la main.
Et il partait.
Pourtant, il ne voulait pas que ses yeux rencontrent ceux de sa mère. Il n’aurait pas pu s’en détacher, se détacher d’Hoenn, de Vermilava, de tout ce qui le retenait ici.
Ha, s’il était resté avec son père, ça aurait été bien plus facile de partir. De
s’enfuir même. Gabriel mâchonnait ces mots dans sa tête pour mieux les réduire en miettes.
Il partirait et rien ne le retiendrait ici.
Il tournerait le dos, les talons, et il ne resterait pas là. Déjà, il se retournait pour monter dans le taxi qui l’emmènerait jusqu’au port.
« Et tu comptes partir comme ça, sans m’embrasser ? »Sa main attrapa son épaule, fermement. La deuxième, plus douce, se posa sur sa joue et lui fit relever la tête. Et Gabriel se noya dans les yeux bleus de sa mère, se perdit sur son visage taillé à la serpe, qui commençait à se rider au fil des années –
tiens, les pattes d’oies tout près des yeux- , fut englouti par tout ce qu’elle dégageait pour lui. La douceur, l’amour, le chez-soi. Et il avait surtout une grosse boule à la gorge, tandis qu’elle le dévisageait, avec un sourire doux, mais malgré tout anxieux – qui se voyait particulièrement à ses sourcils froncés. Le jeune homme ne lui fit pas la bise. Elle l’enlaça contre elle, comme pour le garder contre son cœur. Sa chaleur, sa voix, son sourire. Tout ça, il ne le verrait plus pendant longtemps. Il se dégagea doucement d’elle et reprit en s’éclaircissant la voix :
« Ouais, désolé. Ben, aux prochaines vacances alors. Fais la bise à papy et mamie pour moi » « Tu as bien pris ta brosse à dents et ton pyjama, Gabriel ? « Oui, tout est dans mon sac » « Tu te laves bien les dents trois fois par jour, tu ne te couches pas trop tard, et, oh, n’oublie pas de m’appeler une fois chaque week-end. Enfin, tu comprends, l’île de Lansat, c’est quand même un peu loin… TON BILLET. Tu as bien ton billet ? Et ton kaway ? LA CREME SOL- » « M’MAN »finit-il par éclater, mi-exaspéré, mi-attendri.
Vanessa était une tempête par moments. Pas une mère poule, mais une tempête. Elle gronde d’inquiétude, s’assombrit au loin et finit par se déchaîner en se perdant elle-même. Elle regarda son fils pendant plusieurs secondes, muette avant de reprendre avec un sourire désolé :
« Pardon. Bien sûr que tu y as pensé. Fais attention à toi aussi, mon grand »Elle caressa à nouveau sa joue, et Gabriel ferma les yeux pour profiter une dernière fois de cette tendresse, de sa chaleur, de ce contact si particulier entre une mère et son enfant. Il la contempla une dernière fois, se perdit un instant dans ses yeux bleus glaciers. La petite maison blanche en bois et aux tuiles rouges, avec le petit potager, à Vermilava, c’était fini. Gabriel prit ses bagages pour les mettre dans le coffre du taxi, hésita à se retourner une dernière fois, mais ne se retourna pas.
Il monta dans le taxi jaune.
Le cœur serré.
Les yeux humides.
Mais, rapidement, il se frotta les yeux, souffla un bon coup, et rattrapa au vol sa hargne, son sourire carnassier et moqueur, sa voix goguenarde.
« Vous attendez l’hiver pour démarrer, ou comment ça se passe ?C’est seulement sur le bateau, dans sa cabine, qu’il perdit la face, et qu’il pleura toutes les larmes de son corps. Et à ce moment-là, il ne pouvait pas se retourner.
~
Alola, drôle d’archipel, dont la chaleur tranchait largement avec Hoenn.
Heureusement qu’il avait pris de la crème solaire, hein. Le blondin, lunettes de soleil sur le nez, patientait –
mais pas vraiment patiemment- que tout le monde débarque, soit recensé, avant de recevoir enfin un Pokémon par le collectionneur, spécialement venu pour s’occuper des élèves comme lui, se permettant d’arriver aux vacances. Mais Gabriel ne se gênait pas pour en mener large, comme à son habitude : il observait les autres élèves avec des yeux froids, suffisants, et un sourire dédaigneux sur le bout des lèvres. Il ne roulait pas des épaules, mais presque.
Bien sûr qu’il avait de l’assurance. Bien sûr qu’il avait totalement confiance en lui-même. BIEN SÛR qu’il était et serait meilleur que les autres. Tiens, il avait déjà bousculé quelqu’un et lui avait déjà mis une tape derrière la nuque pour faire attention où il allait. Et il était en faute, pourtant. Voilà qu’il commençait son manège, lui et son estime de soi peu élevée, lui et sa légère jalousie des autres.
Pourquoi seraient-ils mieux que lui, de toute manière ?Il lui suffisait de tomber sur un bon Pokémon, pour leur prouver qu’il était bien meilleur. C’était
obligé~
Pensait-il.
« Bordel, mais qu’est-ce que c’est que ce TRUC ! »Le visage tendu, sombre et
légèrement agressif, Gabriel contemplait avec un air hautain – mais surtout pas mal de désarroi intérieur – le Pokémon que lui avait attribué le collectionneur.
UNE SOURIS ELECTRIQUE. Non, mais attendez, ç’aurait été un Pikachu, il n’aurait pas dit grand-chose. Mais une toute petite souris orangée, toute mignonne et adorable, dont la seule envie semblait être de lui monter de l’
affection et à couiner niaisement, c’était vraiment le comble.
Le pire dans tout ça, c’est que le jeune homme avait eu la fausse-bonne idée de trouver le nom de son futur compagnon, histoire de se donner de la crédibilité.
FéroxGabriel se maudissait intérieurement, et pestait à haute voix, sur les quais désormais vides du petit port où il avait débarqué avec tous les autres élèves. Ce n’est pas le sable, le soleil, les cocotiers et tout le paysage luxuriant et idyllique qui lui redonnerait le sourire. Il était censé être dans le dortoir Noctali, il n’avait aucune idée de ce qui l’attendait, mais il espérait tomber sur les bras cassés de l’école, ce qui arrangerait bien son attitude désinvolte et arrogante. Et pourquoi était-il encore sur le quai ?
PARCE QUE CELUI CENSE LE PRENDRE EN CHARGE ETAIT EN RETARD.
VOILA, POURQUOI !
Il fallait voir sa tête, avec Férox perché sur sa tête, qui s’amusait à faire de sa queue en forme de câble une moustache au jeune homme. Les poings et la mâchoire serrés, Gabriel allait très certainement faire de la bouillie de celui qui devait l’accueillir. Oh, pas avec les bras, il est encore un peu trop gringalet pour ça. Mais avec les mots et le dédain, oh que oui.
« Il doit être lent comme un Tritosor, pour avoir autant de retard. Et si ça se trouve, il doit baver autant que lui, avec des lunettes de binoclard » pesta-t-il d’une voix sifflante, le visage renfrogné et les yeux orageux d’agacement, tandis qu’il contemplait la mer d’où il était venu, se nappant de doux reflets orangés avec le soleil couchant.
Et pour la première fois depuis son voyage, il se retourna, histoire de choper la carte de l’île d’Akala dans son sac. Si son guide ne venait pas, tant pis pour lui, il se débrouillerait bien seul pour trouver son chemin jusque chez sa famille d’accueil. Ça lui évitera aussi tout le blabla ennuyant des discours d’arrivée.
Ce à quoi le blondinet ne s’attendait pas, c’est de trouver quelqu’un derrière lui. Il réprima son léger sursaut de surprise, et essaya de récupérer sa contenance et sa prestance. Regard sombre et peu aimable sur le jeune homme en face de lui. Belle gueule, bien bâti. Il le regardait, et Gabriel le dévisageait tout autant. Sur le quai, il n'y avait qu'eux deux. L'un arrivant, l'autre, forcément accueillant.
Eh ben, c'était pas trop tôt, nom d'un Tarinorme enrhumé. Le jeune Hoennien finit par quitter son silence et siffler sur un ton sec et un peu railleur, comme à chaque bonne rencontre :
« T’étais coincé aux chiottes ou quoi ? »Le regard vif, orageux, et surtout carnassier. Il avait presque quelque chose de provocateur à cet instant-là, mais tout aussi magnétique et inquiétant. Il le regardait de haut, alors qu'il n'était pourtant rien. Mais face à ce rien, Gabriel cherchait à se croire et faisait croire aux autres qu'il était tout.
Et bien, voilà, il était
tout ce qui pouvait péter à la gueule de n'importe qui.