Le vent caressa son visage avec tendresse. Ses cheveux sombres voletèrent avec la brise, et revinrent se coller à sa nuque. Depuis combien de temps ne les avait-il pas coupés ? Il se passa la main gauche dans sa tignasse, et fixa une fois encore la surface calme et apaisante du lac. Rien ne s'y reflétait hormis le ciel et lui-même. Il y avait cet immense miroir immobile, qui le contemplait en lui renvoyant son image. Ses traits étaient légèrement déformés par l'inquiétude et la tristesse. Ses sourcils s'étaient redressés avec hésitation tandis qu'un voile éphémère s'abattait sur ses yeux si clairs. L'étudiant était assis au bord du lac, la main gauche dans le vide, son avant bras posé sur son genou, presque replié contre lui, tandis que sa main droite soutenait son poids sur la rive. Son autre jambe était en tailleur, et nul n'aurait su dire vers où son regard se tournait. Il restait quelques rares marques du bleu causé par Eric, mais ce n'était pas douloureux. Ça non. C'était son cœur qui souffrait, pris dans un étau terrible. Il était lourd, pesant, et le tiraillait toujours un peu plus. Une douleur à la fois agréable et horrible. Ça le brûlait, ça le broyait, ça le déchiquetait. Même s'il avait renvoyé Plush et Rin dans leurs pokéballs, Noctis ne voulait pas rester seul. Non. Il voulait qu'il y ait quelqu'un, n'importe qui à ses côtés.
Tout était très confus dans sa tête, les souvenirs revenant avec passion et violence. Il y avait eu ce trop plein d'émotions, trop de choses qui l'avait agité. La colère était remontée, forte et dévastatrice. Il ne regrettait pas vraiment de s'être battu avec Eric, après tout, il avait frappé le premier, lui n'avait fait que répliquer. Mais il les avait embrassés. Ambre et Adèle. Les deux jeunes femmes, mû par une impulsion soudaine et incompréhensible. Il ne se le pardonnait pas. Ça n'était qu'un baiser, bien sûr. Rien de plus. Il avait donné ses deux premiers baisers de manière si insouciante... Le plus étrange, c'est que ça lui avait paru très naturel, d'embrasser. Il avait laissé son instinct faire les choses, sans même savoir comment s'y prendre. C'était facile. C'était inscrit en lui. Avec violence, il saisit un caillou et le jeta dans le lac. Il le regarda ricocher. Une, deux, trois, quatre, cinq... Six fois. Il soupira, lassé et triste. A vrai dire, il ne savait même pas quelle était cette tristesse, cette nostalgie qui ravageait son cœur et son esprit. Il n'était pas lui-même ce jour là. Il le savait. Ce n'était pas vraiment sa faute. Il avait cependant noté deux réactions bien distinctes. Il évitait Adèle parce qu'il avait honte et s'en voulait. Il évitait Ambre parce qu'il avait peur de croiser son regard. Il ne regrettait pas le baiser, ni même...
Des rougeurs parurent sur ses joues, et il se gratta la tête, gêné. Ah... Est-ce qu'il l'aimait ? Est-ce que c'était ça, aimer quelqu'un d'amour ? Il ne connaissait pas Ambre depuis très longtemps.
Mais tu sais qu'il suffit de 20 minutes pour tomber amoureux de quelqu'un.
Elle ne pouvait pas avoir confiance en lui...
Elle t'a confié quelque chose qu'elle ne veut surtout pas que tu répètes.
Il n'avait jamais été amoureux ! La personne qu'il aimait le plus au monde, c'était sa sœur !
Et pourtant ton cœur bat si vite rien qu'en pensant à elle... Il cogne et cogne encore, si fort que tu le sens facilement. Tes pupilles sont encore dilatées.
Il balaya ces pensées de son esprit, désormais agacé. Non. Il ne pouvait pas... Il se laissa tomber en arrière, et roula sur le côté gauche. Il était là, allongé au milieu de nul part, perdu dans ses pensées, fixant un vide immobile et éternel. Son regard à lui, comment était-il en cet instant ? Il le sentait bien pourtant... Une simple coquille, sans âme ni esprit. Il tombait dans le gouffre du sommeil. Ses paupières tombèrent, l'emportant dans la douceur salvatrice du sommeil.
Ses yeux dorés se perdirent dans l'immensité du ciel, d'un gris presque blanc, ce jour-là. Tout était calme, mais pas un calme apaisant. Plutôt comme celui qui précédait la tempête, plein de tensions et empreint de peur. Pourtant, le garçon restait là, immobile et silencieux. Il attendait. Lui-même n'était pas certain de savoir ce qu'il attendait exactement. Que la tempête s'abatte ? Que son cœur s'arrête ? Qu'il s'endorme, que quelque chose l'appelle ?
Ou plus probablement, qu'on ait besoin de lui ? Son regard se baissa automatiquement à cette pensée, sa main se refermant douloureusement sur sa poitrine. Il pouvait sentir en permanence ce drôle d'étau, entendre les battements forts et irréguliers qui émanait de ce qui restait à l'intérieur de lui : un unique cœur, une unique conscience, une âme.
Alors, il ferma les yeux. Il laissa le souffle venteux parvenir à ses oreilles, au travers du fracas des vagues qui se brisaient contre les falaises. Son corps en frissonna, mais il fit tout de même deux pas en avant. A son troisième, son pied ne rencontra que du vide. Il rouvrit les yeux, et sans la moindre once de panique, il plongea vers la mer déchaînée. Elle l'accueillit avec ses vagues fortes et puissantes, et l'écume se forma à l'endroit où son corps avait traversé. L'eau s'engouffra jusque dans ses entrailles, alors que le courant le portait à l'endroit où il devait se rendre. Aussitôt, tout se déforma, et les ténébreuses abysses s'illuminèrent dans un éclat naturel, proche de la lumière du soleil. Lorsqu'il sortit de l'eau, il était sur une plage, la mer calme et cette fois-ci d'un bleu presque azur. Ses vêtements étaient lourds, collants, mais cela ne dura qu'une seconde. Après quoi, seules quelques rares mèches de cheveux pouvaient encore témoigner du petit tour qu'il venait de faire. Une goutte d'eau glissa lentement, agrippée à une mèche noire comme la nuit, avant de faire une brève chute dans le vide. Elle se rattrapa sur un cil, alors que dans un mouvement qui lui parut durer une éternité, la paupière se fermait. Après quoi, la goutte continua son tracé sur la joue, puis sur les lèvres. Joueur, le garçon passa sa langue dessus.
Salé. Comme les larmes, songea-t-il.
Il soupira, s'étira et se remit en route. Le monde était vaste, si vaste qu'il n'était pas près d'en voir le bout, ni même d'en comprendre la logique. Tout ici menait à quelque chose d'autre, d'une façon qu'il lui était impossible de comprendre. Comment ces endroits étaient reliés entre eux, ou même pourquoi ils existaient. Mais ils étaient là. Au fil du temps, il avait à peu près compris comment allait là où il voulait. Parfois encore, il se trompait, mais cela devenait de plus en plus rare. Toute chose avait un sens, qui lui échappait, mais qui pourtant, était bien présent. Ses traces de pas dans le sable s'effacèrent aussi rapidement qu'il avançait, rendant impossible toute marche arrière. Le ciel était beau ici, bleu, sans nuage, et illuminé par un grand soleil qui ne s'éteignait jamais. Il continua à avancer, jusqu'à trouver une jeune femme assise sur la plage, les yeux perdus vers l'horizon, là où ciel et mer s'unissaient dans le même bleu, avec tendresse. Il sourit.
« A quoi tu penses ? »
Elle ne répondit pas immédiatement. Il lui fallut un bon moment avant que ses yeux sombres se tournent vers lui. Ils le scrutèrent et le dévisagèrent, comme pour essayer d'imprimer une image dans la mémoire. En vain. Sa voix fut plus tremblante qu'elle ne l'aurait souhaité.
« A beaucoup de choses. A ce qui m'entoure. A l'avenir. Au passé.
-Mais jamais au présent ? »
Son regard parut vide, aussi, il comprit qu'elle réfléchissait. Ses longs cheveux bruns furent emportés un bref instant par le vent, alors qu'elle resserrait l'étreinte sur ses jambes.
« Parfois, admit-elle. Mais jamais vraiment en bien... En général, c'est pour éviter de penser. Ça marche, jusqu'à ce que...
-Les pensées te rattrapent. »
Elle hocha la tête. Il s'assit à côté d'elle, avant de lui prendre la main.
« Tu es si têtue. Tu sais pourtant qu'il ne suffirait pas de grand chose pour effacer tout ça, pas vrai ?
-Je ne suis pas certaine d'avoir envie de l'effacer, répondit-elle en grimaçant. Je ne sais pas si tu te souviens, mais je n'aime pas avoir des souvenirs incomplets ou effrités. Je préfère quand ils sont intacts, exacts et précis.
-Tu ne revis jamais un souvenir avec la même intensité que le présent, souligna-t-il. »
Elle ouvrit la bouche pour répondre quelque chose, mais se ravisa. Il se contenta de serrer sa main plus fort, tout en fermant les yeux, la tête tournée vers le ciel, un sourire compréhensif peint sur ses lèvres.
Il tourna la tête vers elle, yeux ouverts. Durant une seconde, son œil droit n'était pas de l'habituelle teinte noisette claire proche du soleil, mais plutôt d'un gris pur et cristallin, d'où ce dégageait presque des écailles bleus clairs. Son sourire se fit triste et elle posa la tête sur son épaule.
Il la serra un peu plus contre lui.
Il ne dit rien. Il savait à quel point l'autre pouvait se montrer dur. Il savait qu'il n'aurait ni paroles réconfortantes, ni compréhension. Ce ne serait que des affirmations et des conseils. Rien de plus. Après tout, c'est comme ça qu'il avait toujours été.
« Je ne veux pas partir. Non, je veux rester là où j'étais. Je ne veux pas y retourner. Je ne veux pas revivre ça ! »
Il se redressa vaguement, pour se mettre en face d'elle, et poser son front contre le sien.
« Chut... On va laisser ça de côté pour l'instant. Tu vas laisser cette question en suspens, et tu vas avancer, un petit moment. Après quoi, tu verras si tu peux y répondre quand tu en auras les moyens. Mais pour l'instant, on va repousser la fin à plus tard, d'accord ? »
Il sourit. La plage s'effaça, le ciel s'assombrit et les étoiles se mirent à luire. Il sembla flotter dans l'immensité spatiale, tout comme elle.
« Crois moi... Il ne peut rien t'arriver... Sur ce... A bientôt, Princesse ? »
La jeune femme lui sourit. Le surnom la faisait toujours sourire, parce qu'il était toujours empreint de tendresse, de sa part. Chacun des surnoms qu'elle possédait, d'ailleurs. Elle les aimait tous, et trouvait qu'on ne les utilisait pas assez. Sœurette. Ma chérie. Princesse.
Empreint de beaucoup d'affection et d'amour. Une preuve irréfutable de l'attention qu'on lui portait.
Un simple mot pour la rassurer et la faire sourire.
Le garçon eut un sourire résigné à cette pensée. Personne ne semblait s'en douter. Lui ne pouvait qu'observer et soutenir. Son médaillon voleta quelque peu, avant de s'illuminer et de prendre une forme physique. L'apparition blanche lui pointa du doigt une direction, et il s'y rendit sans broncher. Comme s'il s'agissait de quelque chose d'ordinaire, il se mit à chantonner, dans le silence le plus absolu et dans le noir le plus complet.
S'éveiller fut douloureux. Il se redressa avec difficulté, constatant qu'il avait pleuré dans son sommeil. Il effaça le sillon des larmes d'une main, avant de fixer celle-ci. C'était bizarre, de pleurer dans son sommeil... De quoi avait-il rêvé, déjà ? Tout cela semblait lui échapper... Quelque chose, avec une fille... Étrange. Comme un lien lointain, un souvenir qui s'efface. Un peu perturbé par les vagues souvenirs de son rêve, il ne remarqua pas tout de suite qu'il n'était pas seul. Il posa son regard sur l'autre personne. Son cœur rata un battement. Sa Miss. Penaud, il se passa sa main gauche dans les cheveux, les ébouriffants. Puis, cherchant un maximum à éviter son regard, le brun lui demanda :
« … Tu es là depuis longtemps...? »
Il était un peu nerveux à l'idée qu'elle ait pu le voir pleurer dans son sommeil, d'autant qu'il ne savait même pas pourquoi ! Alors, tentant de calmer le rythme effréné de son cœur, il la regarda. Et c'était comme s'il n'avait eu besoin de rien d'autre qu'elle.
Dernière édition par Noctis Flavelle le Lun 10 Mar - 12:25, édité 1 fois