Cela faisait déjà quelques semaines que ça s'était passé, et l’événement ne m'avait pas quitté. Je suis toujours hanté par cette noirceur, je n'y arrive pas.. Je ne peux pas. Est-ce que j'ai toujours été comme ça ? Je ne m'en souviens même pas. Quand est-ce qu'elle est apparue ?
Mes mains.. mes mains sont rouges. Est-ce qu'il s'agit de.. mon propre sang ? Haha.. qu'est-ce que j'en sais.. Je n'ai jamais voulu être comme ça. Ses cris de douleur hantent encore mon esprit, malgré ces six années passées. Je n'arrive pas à les oublier, à faire abstraction de ce poids qui m'oppresse sans arrêt. On m'empêche d'oublier. Tout ce rouge, toute cette froideur, c'est toujours avec moi. J'imagine que c'est ma destinée, d'être un monstre.. Un monstre, dépourvu de sentiments et de compassion, qui n'a même plus peur de blesser les autres.
Oui, ça me va bien. Un monstre rouge, différent des autres, déjà couvert de sang, du sien comme de celui de quelqu'un d'autre. Après tout, aimer le goût du sang, ça n'a rien d'humain. Haha.. Est-ce que ma propre conscience a déjà sombré dans la folie ? Comment est-ce que je pourrais le savoir, de toute façon..
J'en ai peur. Cette sensation, elle me paralyse. Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à oublier ? Je ne sais pas si elle est réelle, ou si c'est juste le fruit de mon imagination corrompue. Même mon soleil saigne, je ne vois plus la lumière du jour. Ça me fait froid dans le dos, malgré cette brûlure constante. Il y a une flamme qui brûle en moi, mais je n'en vois pas la couleur. Je n'en comprends pas l'intensité, comme si j'étais devenu aveugle. Qu'est-ce qui m'arrive ?
J'ai mal. Est-ce une douleur physique ? Peut-être bien.. je ne la comprends pas vraiment. J'ai l'impression de sombrer au fond d'un puits qui n'a pas de fond. Elle me fait mal. Cette autre conscience.. elle est douloureuse. Tiens, pourquoi est-ce que je tremble ? Ce n'est pas dans mes habitudes. J'ai du mal à bouger..
Pourquoi est-ce que cet œil rouge me regarde ?
J'ai peur. J'ai peur de moi..
____________
Soupirant doucement, Raudhr calma sa respiration qui s'était d'un coup accélérée. Il observa le plafond de bois de sa chambre, dans le chalet où il était pour ses vacances. Noël approchait bientôt, et l'académie avait dégoté un lieu véritablement idéal pour passer des vacances d'hiver. Il y avait des activités en tout genre proposées, ainsi que des lieux où se relaxer, s'entraîner, ou se restaurer. Il avait d'ailleurs entendu parler de sources chaudes aux vertus réparatrices pour aider contre les douleurs psychiques ou physiques. Le Ranger avait doucement souri devant la rumeur, ne croyant en rien à ce genre de sottises imaginaires. Un bain qui guéri miraculeusement tous vos soucis ? Hah, on se croirait dans un RPG.
S'étirant légèrement, le Dresseur ouvrit son œil rouge pâle et jeta un œil à son ipok afin de voir l'heure : 18 heures 15. La plupart des activités étaient encore ouvertes, mais la nuit était déjà quasi complètement tombée, le Soleil n'était déjà plus visible et ses rayons quasi inexistants eux aussi. Le ciel avait prit une jolie teinte bleue marine, alors que des flocons tombaient encore inlassablement et lentement, tourbillonnant dans une danse légère entre les lumières des décorations de Noël, donnant une scène agréable à regarder. En temps normal, le jeune homme aussi, aurait apprécié ce genre de spectacles, s'abandonner à l'observation des événement naturels tels que la neige qui tombe, le soleil qui se couche doucement et laisse place à la lune dans le ciel, mais aujourd'hui, comme tous les jours depuis cet incident, il se sentait fade. Fade, vide, son cœur s'était rempli de ténèbres qu'il ne comprenait pas, plus fortes que lui. Il n'arrivait pas à vivre comme les autres, et gardait cette terreur, qu'il était incapable de contrôler et qui le hantait à chaque instant. Cette peur de lui-même, de son « autre lui ». Il faisait des cauchemars quasi chaque nuit, et il restait figé dans ses pensées encore plus souvent que d'habitude durant le reste de la journée. Il ne parlait à absolument personne, même pas le peu de connaissances qu'il avait, et restait encore plus à l'écart qu'il ne l'était à l'accoutumée. Il laissait également très peu ses Pokémon hors de leur Pokéball, et les gardait à l'intérieur de leur sphère de capture, de peur qu'il leur arrive à quelque chose.
Qu'est-ce qui aurait pu se passer, ce jour-là, s'il avait été trop tard et qu'il n'avait pas eu le temps de les rappeler à l'intérieur avant de perdre le contrôle ?
Secouant la tête, le Phyllali tenta de calmer son rythme cardiaque, qui avait tendance à beaucoup augmenter ces derniers jours. Il lui arrivait de faire des petites crises de panique, souvent après ses cauchemars, lorsqu'il se réveillait en sueur, tout son corps tremblant.
Il avait commencé à paniquer lorsqu'il avait, pour la première fois, eut une pensée aussi noire que cette chose, se demandant s'il ne valait mieux pas qu'il mette un terme à ses jours, et à ceux de son autre lui par la même occasion. Cette pensée n'avait fait que lui traverser l'esprit l'espace d'une seconde, mais il s'en était alarmé et s'était ressaisi tant bien que mal.
« Ça suffit.. »
Attrapant sa veste en cuir et son sac, il sortit en rafale de sa chambre et du chalet, fermant la porte derrière lui. Le froid ne lui faisait pas grand chose, et de toute évidence, son cœur était déjà gelé.
Il marcha dans le village, sans vraiment savoir où il allait, son regard fixé sur la poudreuse blanche sur laquelle il marchait. Son expression était d'ailleurs aussi froide que cette dernière, et il avait une mine encore plus pâle que la normale. Ses pensées s'étaient encore perdues dans un océan de noirceur, alors qu'il déambulait lentement dans les rues, sous la neige. Certaines personnes avaient le courage de l'interpeller malgré sa mine sombre, afin de le saluer, mais il ne répondait pas. Lui qui était si poli d'habitude, continuait son chemin vers il ne savait où. Il s'en fichait, après tout. Il voulait juste oublier, se laisser porter, que tout s'arrête.
Ses pas le menèrent vers l'entrée de ce qui semblait être les Sources Chaudes du village, au bruit d'eau coulant constant qui pouvait être entendu. Relevant la tête lentement, le Ranger observa la façade du bâtiment aux couleurs chaleureuses, et eut un sourire sarcastique et amer.
« Alors toi aussi, tu penses que j'ai besoin de me faire soigner, haha. »Son sourire se fit légèrement plus grand alors qu'il entra dans le bâtiment. Grâce à son statut d'étudiant, ce genre d'activités était gratuit si il montrait sa carte étudiant lors de son séjour ici. C'est ce qu'il fit, après avoir salué par politesse le gérant, un homme un peu âgé d'une cinquantaine d'années. Il lui indiqua le vestiaire des bains pour hommes et lui donne une serviette, avant que le Phyllali ne le remercie puis s'excusa et fut laissé seul dans la pièce. De ce qu'il pouvait voir, il n'y avait actuellement personne à cette heure-ci, étant donné que le vestiaire était complètement vide, tous les casiers disponibles.
Il ne lui fallut que quelques secondes pour se déshabiller, avant qu'il n'en vienne aux bandages sur ses mains. Il les contempla un long moment, sans bouger. Finalement, dans un mouvement tremblant et hésitant, il enleva le tissu qui les enveloppait, révélant les nombreuses coupures sur sa peau, allant de la main à une partie de son poignet. Une serviette autour de la taille, il finit par entrer dans la salle des sources chaudes, vide elle aussi.
Lorsqu'il entra dans le bain, il ne put contrôler un léger frisson et plongea petit à petit son corps dans l'eau chaude. Lorsqu'il arriva au niveau du torse, il contempla ses mains, restées hors de l'eau jusque là. Ses coupures n'avaient pas encore bien cicatrisé ; même si elles n'étaient pas trop profondes, elle l'étaient assez pour prendre plusieurs semaines à complètement disparaître, voire mois.
Raudhr se contenta de les observer silencieusement. Des souvenirs de cet événement, de sa perdre de contrôle remontèrent, alors qu'il serrait les dents. Non sans douleur, il finit par plonger ses mains dans l'eau, et lâcha un grognement. L'eau chaude contre ses cicatrices était très douloureux, mais fort heureusement, aucune de ses plaies ne s'ouvrit à nouveau. Il plongea son corps entier dans le bain, l'eau l'aidant légèrement à détendre ses muscles alors qu'il ferma l’œil, toujours crispé. Son cœur battait toujours vite, et la douleur sur sa peau était toujours forte, la chaleur de l'H2o lui donnait une sensation de brûlure vive, comme il l'avait connu avec celle de son tatouage lors de sa perte de contrôle.
Alors il attendit. S'asseyant contre le rebord de la roche, il rouvrit légèrement son œil rouge pâle pour observer ses alentours, son expression encore crispée. Le bain n'était pas très grand en soi, mais assez large tout de même, du moins c'était l'impression renvoyée puisqu'il était seul. La décoration faisait assez typique, avec des plants de bambou ici et là, ainsi que des galets disposés dans quelques coins, pour donner une image de relaxation et de zen. Dans le coin, il y avait une petite cascade qui sortait d'un tuyau en bambou et remplissait constamment le bain. Il était assez difficile d'y voir clair avec toute la vapeur qu'émettait l'eau chaude, mais il pouvait distinguer ce qui ressemblait à des douches un peu plus loin, avec des blocs de savon mis à disposition.
Soupirant, le jeune homme finit par sortir sa main gauche de l'eau, celle contenant le plus de marques. L'eau ruissela un instant sur sa peau blanche, alors qu'il inclinait la tête, observant ces cicatrices. On aurait pu croire qu'il s'agissait de mutilation consciente, de souffrance qu'il s'était infligé à lui-même volontairement suite à des soucis, mais ces blessures n'étaient pas de lui. Alors, il se souvenait. Il se souvenait du goût de son propre sang sur sa langue, envahissant tout son palais, et de la délectation qui s'en était suivi. Tout comme elle, il avait aimé sa propre douleur, il en avait été satisfait, et il en avait voulu plus. Sa conscience s'était terrée au plus profond de lui le temps d'un moment, le laissant entièrement enveloppé des différentes sensations dont son autre lui contrôlait.
Et ces marques laissaient en lui un sentiment constant de peur. Raudhr n'avait aucune idée de quand est-ce que la créature pouvait à nouveau décider de sortir, de pousser ses barrières mentales et de prendre à nouveau le contrôle. Il ne le montrait pas, mais il était terrifié. La peur le paralysait chaque jour, chaque seconde, la peur de son propre corps, de son propre esprit.
Serrant sa main gauche, malgré une douleur évidente, il fit une grimace.
« Qu'est-ce que tu veux, à la fin ?! »Silence. Son autre conscience ne répondit pas, le forçant à presque croire qu'il était seul, et que tout ceci était le fruit de son imagination. Mais elle savait qu'elle ne pouvait pas entièrement le tromper, et ce n'était pas non plus son intention. Elle voulait montrer sa présence, son pouvoir et son contrôle sur lui, lui rappelant qu'elle était là, et qu'à tout instant, elle pouvait le dominer malgré toute la volonté qu'il avait. Et le Ranger le savait, il ne pouvait pas lutter contre elle. Il n'y arrivait pas, pas avec la terreur constante qu'elle laissait en lui. Il la savait ici, tapie au fond de son esprit, dans les profondeurs des ténèbres elles-mêmes, à attendre et surveiller. Peu à peu, il prenait conscience de son existence, cette chose qui le terrifiait.
Un autre sourire amer se forma sur ses lèvres, alors qu'il replongea sa main dans l'eau chaude, toujours accompagné par cette sensation de brûlure, comme si c'était son âme elle-même qui brûlait. Levant la tête, il lâcha un très long et silencieux soupir.
« Ne crois pas que tu as encore gagné la guerre. »Elle était un monstre. Il était un monstre. Ils n'étaient qu'un. Mais il se devait de se ressaisir.
L'image de Skölir et de Fyrn lui passa en tête, ainsi que de Kveykva et d'Esterni.
« J'ai.. des choses à protéger. »Après tout, il ne pouvait pas abandonner maintenant. Qu’adviendrait-il de ses Pokémon ? Bien entendu, il avait peur pour eux. Il avait un lien fort avec ses quatre compagnons, et il ne pouvait pas s'imaginer un instant leur faire du mal, ou les abandonner ne serait-ce qu'une fraction de seconde. Non, c'était au dessus de ses forces. Alors il comptait se battre.
Oui, se battre.
Se battre contre lui-même.
« Et puis, qu'est-ce qu'un Gardien qui ne peut pas se protéger de lui-même ? C'est pathétique. »Doucement, la brûlure sur ses mains s'estompa peu à peu, tout en douceur. Le constant bruit d'eau provenant du tuyau en bambou berça doucement le Phyllali qui ferma l'oeil, relaxant son esprit. Son expression se fit plus détendue, alors que sa conscience se fit de moins en moins agitée, la chaleur du bain ayant pour effet de le détendre et de chasser quelques idées noires restées en lui.
Si c'était possible, on aurait presque pu entendre la fissure légèrement déchirer la carapace de glace qui entourait son cœur.
Le temps passa, comme si le monde s'était arrêté. Il avait fini au bout de longues minutes par se lever et se diriger vers les douches, afin d'y faire couler l'eau chaude sur son corps tout entier. Il soupira à nouveau, cette fois-ci de satisfaction, alors qu'il passait sa main dans ses cheveux rouges, dégageant légèrement sa mèche qui couvrait son œil droit. L'eau glissa sur la peau scarifiée de sa main et tatouée de son dos, alors qu'il détendit une nouvelle fois ses muscles sous la chaleur environnante. Il devait l'avouer, le contact de l'eau chaude lui faisait un bien fou et eut un léger sourire. Remplissant sa main de savon, il frotta avec beaucoup de précaution son poignet, alors qu'une pensée lui traversa l'esprit, d'une manière ironique.
« Peut-être que les rumeurs étaient vraies, finalement. »Sa main passa ensuite sur son cou puis ses épaules, son torse et ses hanches, alors que l'eau s'était arrêtée de couler. La douleur sur ses mains n'avait pas totalement disparu, mais à présent, il s'y était accommodé, au point où il pouvait permettre au reste de son corps de se détendre.
Passant du savon sur tout le reste de sa peau, il finit par se rincer avant de s'éloigner des douches, ébouriffant ses cheveux avec sa serviette. Il se sécha grossièrement avant de sortir de la salle de la source chaude, et termina de sécher tranquillement dans les vestiaires. Pendant ce temps, il fouilla dans son sac et en sortit un bandage propre et blanc.
Soigneusement, il passa le tissu autour de sa main, non sans serrer les dents, avant de correctement faire un nœud.
« Heh. »
__________
Après être sorti des sources thermales, il remercia le gérant et observa le ciel de la nuit noire. Il s'était arrêté de neiger, mais tous les flocons tombés avaient quand même ajouté quelques centimètres de poudreuse blanche un peu partout.
Soupirant, Raudhr se tourna vers le bâtiment des sources chaudes, observant la façade. La différence de température était plus que remarquable et le Ranger la sentait clairement, regrettant déjà la chaleur du bain dans lequel il était il y a quelques minutes. Certes, il y avait toujours de la vapeur, mais un autre type de vapeur.
Détournant le regard, le Phyllali se mit doucement en route à nouveau vers son Chalet, afin de retrouver Skölir et le reste de son équipe. Il émit un petit rire au passage alors que son regard s'éleva une nouvelle fois vers les décorations de Noël.
« Finalement, oui, qui l'eut cru.. peut-être bien que cette source chaude a des vertus magiques. »Il secoua la tête, et avec un dernier, léger rire sincère, il continua son chemin vers sa chambre, avec la sensation que les cicatrices laissées par son autre lui s'étaient refermées.. mais pour combien de temps?