Dans le petit port de Tempères, touristes et marins se côtoyaient en cette belle après-midi d’été. Assise sur un banc à l’ombre pour protéger sa peau pâle, une jeune femme observait leurs allers et venues derrière ses lunettes de soleil. Elle n’avait rien d’autre à faire que tuer le temps. Si elle n’avait pas avec elle une énorme valise et plusieurs sacs, peut être aurait-elle pu profiter de la plage et de la fraîcheur de la mer. Mais chargée comme elle l'était aujourd’hui, elle devrait se contenter des quelques embruns que la brise apportait jusqu’à son visage. Ainsi que d’un granita glacé rose bonbon qu’elle sirotait lentement par la paille.

Elle n’avait pas vraiment à se plaindre. Le temps était magnifique, elle était installée à une place où elle n’avait pas à craindre la chaleur et devant elle s'étendait la mer à perte de vue. Un endroit parfait pour profiter des vacances ! Mais la jeune fille n'était pas la pour se prélasser. Elle commençait à mastiquer sa paille d’agacement. Elle était assise ici depuis presque une heure maintenant et commençait à sérieusement s’impatienter.

La brune jeta un coup d’oeil à ses compagnons. La plupart d’entre eux dormaient à côté d’elle, profitant de ce rare et précieux moment de répit dans leur quotidien. Elle laissa échapper un soupir derrière son fin sourire et caressa la tête endormie de son petit coton posé comme à son habitude sur ses genoux. Elle devait bien avouer que depuis qu’ils étaient rentrés à La Frescale il y a presque deux ans maintenant, ils avaient eu la vie dure.

Tout s'était enchaîné très rapidement. Un simple coup de téléphone un matin lui annonçant que sa mère, à nouveau malade, avait besoin d’elle et elle quittait le soir même le lieu qui était devenu son chez elle. Dans l’urgence, elle n’avait guère eu le temps de prévenir grand monde. Elle ne laissa qu’un simple message à ses plus proches amis “Je dois rentrer chez moi en urgence. Bisou. Je reviens bientôt !”

Elle était alors loin de se douter que son “bientôt” signifierait plutôt “dans quelques années”...

Pendant deux ans, elle avait pris soin de sa mère, trop faible physiquement pour s’occuper de ses pokemons et d’elle même. Elle aida également Bastien à faire tourner la petite salle de performance que sa mère avait ouverte avec lui, lorsqu’elle était encore en première année à Lansat. La jeune fille avait déjà eu l’occasion de la visiter. La salle venait alors à peine d’être ouverte et le public se faisait timide. Mais à son retour il y a deux ans, elle avait pu constater avec joie que les spectacles de sa mère rencontraient un franc succès. Il s’agissait surtout de petites performances destinés aux enfants. Dans cette région complètement perdue dans la montagne, les activités pour les plus jeunes se limitaient à faire de la luge et des bonhommes de neige. L’ouverture de “La Foraine” avait changé leur quotidien. Désormais, ils pouvaient assister presque tous les après-midi à de petits spectacles et même y participer !

Et c’est ainsi que pendant deux ans, la jeune fille et ses pokémons se transformèrent en performer amateur pour enfants. Au début, ils se contentaient d’assister Bastien mais au fil des mois ils réussirent à se produire eux aussi sur scène et à écrire quelques petits spectacles.

Mais cette époque touchait à sa fin. Sa mère avait fini par se rétablir et la jeune fille pouvait enfin retourner à ses études, laissées en suspens pendant deux années.  

▬ Mademoiselle...

Obéline releva la tête, quittant ainsi ses rêveries. L’homme qui s’occupait du guichet de la gare maritime lui faisait signe de venir à l'intérieur. La jeune fille réveilla ses compagnons avant de se lever, laissant retomber derrière elle sa chevelure noire. Elle pénétra dans le bâtiment où l’homme venait de retourner.

▬ Mademoiselle, j’ai bien peur que vous ne puissiez aller sur Lansat actuellement…
▬ Pardon ?
▬ Humm, apparemment l'île est complètement bloquée et il est impossible de s’y rendre par bateau… On ne sait pas trop quand la situation va se régler…
▬ Mais il se passe quoi là-bas ?
▬ Je sais pas trop… Une sorte de marée noire, ça paralyse toute l’île apparemment, mais j’en sais pas plus...

Qu’est ce qu’il se passe encore pensa la jeune fille en se pinçant les lèvres. Son interlocuteur voyant son air perturbé et tous ses bagages se doutait bien qu’elle devait se rendre à l'académie. Il ajouta d’un ton sincère :

▬ Je suis désolé, mademoiselle mais si vous voulez vous rendre sur Lansat il vous faudra trouver un autre moyen… Aucun bateau ne pourra vous y emmener…

La jeune fille releva la tête et plaça son regard rubis dans les yeux du marin. Elle n'était plus la gamine qui venait d’entrer à Lansat. Du haut de ses 16 ans, elle était désormais bien plus mature et son visage bien plus adulte. Elle ne se comportait déjà pas vraiment comme une enfant à l’époque mais maintenant que son corps était enfin en accord avec son esprit, on ne pouvait plus la confondre avec une enfant. Elle n’avait pas besoin qu’on la materne, ni hier, ni aujourd’hui. Obéline avait toujours su se débrouiller. Elle lança alors son sourire trahissant sa confiance en elle.

▬ Ne vous en faites pas , je trouverais un moyen de rentrer. Merci beaucoup.

Elle tourna les talons, suivie par son équipe. À l'extérieur, elle sortit son nouveau téléphone de son sac. C'était son cadeau de départ de la part de sa mère et Bastien, pour la remercier mais également pour qu’elle leur donne des nouvelles, ce qu’elle avait promis de faire plus souvent. Elle tapa naturellement le numéro de la seule personne qui pourrait lui venir en aide dans cette situation…

▬ Allô Pavel ? C’est Obéline. Ouais ça va... Dis tu devais pas rentrer à Lansat toi aussi ? Tu peux m’emmener au passage ?


Elle raccrocha quelques minutes plus tard, lorsque tous les détails furent réglés. Elle lança alors un grand sourire à sa renarde qui venait frotter sa tête contre elle. Heureuse de pouvoir retourner là où elles avaient tant vécu.

Elle avait simplement hâte de pouvoir rentrer chez elle.