Allez viens,
C’est bientôt la fin
Elle regarde le miroir avec insistance, reculée de quelques pas pour tenter de se voir en entier. Elle observe la façon dont le tissu satiné épouse son buste et sa taille, les mouvements gracieux du plissé de la jupe, la courbe de ses pieds chaussés d'escarpins, les reflets de la lumière sur les perles nacrées qu'elle porte au cou. Ses épaules et son dos nus dévoilent certaines de ses cicatrices et la font se sentir vulnérable — mais elles font partie d'elle. Elles sont comme des constellations sur sa peau, tente-t-elle de se convaincre en cherchant à se remémorer les mots qu'il avait employés, ce soir-là, et d'autres depuis. Ce soir, elle ne les cachera pas.
Ce soir, elle s'habille en guerrière.
Elle dessine un trait d'eye-liner délicat sur sa paupière, pour se donner un regard félin. Elle applique son mascara, quelques coups de rouge à lèvres, comme des peintures de guerre. Ses quelques taches de rousseur s'estompent sous le fond de teint, elle structure ses sourcils d'un trait de crayon. Elle attache le cache-oeil décoré d'une amaryllis rouge pour l'occasion, petite touche de raffinement pour parfaire sa tenue. D'autres fleurs viennent rejoindre son poignet, rassemblées en un corsage léger. Après avoir un peu hésité, elle finit par laisser ses cheveux lâchés, se contentant de les recoiffer rapidement et les fixer avec une petite dose de laque. Elle pose une petite étole noire semi-opaque sur ses épaules, attrape sa pochette, et se décide à partir.
Elle se crispe au bruit de ses talons sur le sol résonne dans le chalet. Elle se demande si elle en fait trop. Par le passé, elle serait sortie avec la tête haute, prête à revendiquer le monde. Mais ce soir, elle manque d'assurance. Cela fait longtemps qu'elle ne s'est pas apprêtée de la sorte, et sa tenue de soirée détonne avec l'atmosphère de la petite île tropicale. Mais ce soir, elle va au bal. Et l'été a peu à peu ranimé la fibre de la jeune femme qui s'était recroquevillée en elle : ce soir, elle sera la plus belle pour aller danser.
Elle se met en route pour le palace. L'invitation de Josh l'avait prise au dépourvu ; elle ne se serait pas attendu à participer à un tel évènement sur Cobaba. Mais l'idée l'avait rapidement séduite. Elle ne sait pas exactement ce qu'elle attend de cette soirée. Depuis le séjour de Josh à Alola, et ce fameux message, l'évolution de leur relation s'est un peu mise à stagner. Ils ont continué de se voir et de s'écrire régulièrement, et la rouquine se sent toujours extrêmement proche de lui. Mais c'est comme finir par ouvrir l'oeil, pour voir qu'une partie de la magie s'est envolée. Elle a repensé à Sirius, à la façon dont elle s'était tout d'abord rapprochée de lui, au jour où elle avait fini par comprendre son erreur, par le regarder pour de vrai tel qu'il était, pour qui il était vraiment, à la façon dont leur relation avait peu à peu grandi — sincère, tendre, complice, jusqu'à ce jour encore. Elle se demande si la même chose se passe avec Josh. Si elle est fautive de chercher la romance à chaque détour, hâtivement, encore et toujours, au risque de ne pas comprendre les autres formes d'amour qui l'entourent. Pourtant, certains détails, dans ses mots, son attitude, la font encore douter, parfois. Et chaque fois qu'elle pense avoir compris où ils en sont, accordé ses attentes avec celles du militaire, il s'empresse de la faire chavirer à nouveau. Les signes sont discrets, confus, d'un côté comme de l'autre. Et les deux jeunes gens ne savent sur quel pied danser.
Mais, peut-être que ce soir.Son coeur bat un peu trop vite tandis qu'elle approche du palace, et elle relève le menton sans même s'en rendre compte. Elle est prête à livrer bataille. Résolue.
Elle repère la haute stature de son ami. Il s'est mis sur son trente et un et a fière allure dans son costume. Elle le salue, accueille le compliment avec un sourire charmant.
« Et toi, tu es très élégant. »Il lui offre son bras, qu'elle saisit délicatement. Elle apprécie ce sens qu'il a pour l'art des situations sociales. L'idée de la soirée. L'attention aux détails, au protocole. Elle aime qu'il l'emmène danser, qu'il cherche à y mettre les formes. Mais elle ne lui tiendra pas rigueur de ses maladresses. C'est un univers auquel elle fait semblant d'appartenir, mais qu'elle ne connaît elle-même que par le biais des magazines et des récits de Sirius.
« Je sais aussi conduire, s'il le faut... » se contente-t-elle de le titiller, taquine. Elle l'imagine assez fier pour refuser de lui céder son devoir d'homme. Mais elle aime le défier sur ce terrain. Après tout, c'est une pirate.
Et, c'est ainsi que, bras dessus, bras dessous, au gré de plaisanteries, le couple rentre dans l'arène. Alex est prête à ouvrir l'oeil. À mener l'enquête, à provoquer, à jouer le jeu encore une fois, pour en avoir le coeur net.
Elle ne sait pas exactement quelle est sa question,
ni ce qu'elle en espère,
mais ce soir,
pour un dernier soir,
elle trouvera une réponse
quelle qu'elle soit.
Elle est fatiguée de cette ronde.