Chaque parcelle de son épiderme la picote. Elle tente de se concentrer, d’oublier cette douleur qu’elle connaît si bien, mais ses pensées se déforment, tout comme l’espace autour d’elle. Où se trouve-t-elle ? Et cette chose, qui tambourine dans son crâne, qui cherche probablement à fuir l’incendie que devenait son corps. À s’échapper. Fuir. Devait-elle fuir ? La partie tournait de toute évidence en sa défaveur. Le contrôle de son corps lui échappait peu à peu. Elle ne pouvait continuer de cette manière.
Mais ce n’est pas elle. Elle n’a pas été éduquée de la sorte. Elle ouvre les yeux, puise dans ses forces pour dompter cette vision trouble. Les taches tremblent, se séparent, se regroupent, se forment. Elle fixe son ennemi. Cette masse sombre qui d’une manière ou d’une autre avait réussi à perturber son équilibre intérieur. Saleté de spectre. Peut-être l’avait-elle sous-estimé depuis le début ? Où était-elle fatiguée des précédents matchs ? Fatiguée mentalement. Il était possible. Elle n’avait pas l’habitude d’enchaîner autant de combats en une journée. Dans d’autres conditions, elle n’aurait fait qu’une bouchée de ce tas de lambeaux. Deux, pour satisfaire ses deux gueules.
Le chaos. C’était le chaos autour d’elle. La chose est satisfaite. Ses griffes se courbent en un rictus. Voilà qui était mieux, les flux lumineux continuaient de filer, mais ils semblaient clairement moins convaincus par la direction qu’ils prenaient. Des particules se perdaient dans l’obscurité. Le rythme se désynchronisait. Voilà un spectacle bien plus satisfaisant.
Ses doigts tissent, tissent la discorde, l’imprégnant de cette chair rouge, coincée sous ses ongles que ses griffes ont récolté au fil du temps. Ses gestes sont lents, mais précis. La chose veut assurer sa réussite, elle se veut fatale. Car elles l’ont toujours été.
La voix résonne. Les mots volent, cherchent à atteindre leur cible. Mais ils se perdent, portées par le vent. Ils essaient de s’accrocher, de se sauver et de sauver les autres. Ils se savent plus forts ensemble. Mais l’espace se tord, un gouffre se crée. Certaines chutent. Les autres observent leurs semblables sombrer. Ils s’agrippent plus fort, cherchent à créer une percée. Et bientôt ils y arrivent, bravant l’espace, se faufilant dans leur destination.
Pour découvrir ce chaos intérieur, tout autant présent que l’apocalypse extérieur.
Mais ils ne se découragent pas, ces survivants se fraient un chemin parmi l’obscurité et le chaos. Ils ont une mission à accomplir.
Enfin, ils aperçoivent leurs alliés. Les bribes d’informations entre les pattes, ils les jettent à ces nouvelles cellules. Ils ont déjà perdu suffisamment de temps, il leur faut accélérer. Ces cellules attrapent les bribes d’informations. D’abord un peu sceptique, elles s’illuminent ensuite. Et s’envolent. Leur corps se teint de violet, un rictus narquois aux lèvres, elles foncent vers les montagnes pentues au loin. Elles rigolent. Elles vont pouvoir s’amuser.
La gueule s’anime. Visiblement peu affectée par l’état second de son corps principal. Elle s’agite, mastique, se prépare. Un filet de bave s’échappe d’entre ses crocs, s’écrase sur le sol. Au contact, le liquide s’évapore, ne laissant plus qu’une trace noirâtre. La gueule s’anime, visiblement satisfaite. Son corps l’est moins, mais puisant dans ses ressources, il parvint à rassembler suffisamment d’énergie parmi le chaos afin de se propulser vers l’ennemi.
Sa vision se floute, elle lutte pour la maintenir. Sa tête la pèse, son corps ne semble plus être sien, le bourdonnement ne provient plus des gradins, se répercutant sur chacune des parois de son crâne. Elle produit le bourdonnement. Elle s’enferme. Elle perd le fil. Chaque mouvement de sa seconde gueule la décroche un peu plus de la réalité. Elle sombre. Les filaments se rompent. Mais malgré tout, il s’agit d’un pacte. Elle doit faire confiance à cette seconde gueule. Alors une fois suffisamment proche de l’adversaire, elle projette une fois de plus cette entité qu’elle porte à l’arrière de sa tête sur celui-ci.
Elles se partagent les sensations. Les crocs qui se plantent dans cette chair meurtrie, dissimulées sous les plusieurs couches de lambeaux de pourriture. Et son liquide perfide se déverser dans ce corps déjà infesté.
Quelques secondes de plus, elle se réceptionne sur ses pattes, la voilà à nouveau face au spectre. Des morceaux de tissus gisaient au sol. Trop peu. Ce ne sera pas suffisant. Elle sent cette nouvelle source de chaleur s’approcher d’elle. Plus puissante. Malgré son corps fulminant, elle parvient à faire la distinction. Sa vision s’éclaircit, bien trop, elle n’est pas sûre de ce qu’il se passe, mais elle sent ce poing la percuter, la projeter en arrière. Mais elle ne doit pas prendre la distance, il lui faut finir au plus et pour cela elle a besoin de conserver cette proximité. Ses réflexes prennent le dessus. Elle balance sa tête, afin que sa seconde gueule puisse s’accrocher à l’adversaire. Les bribes de paroles de sa dresseuse lui parviennent. Elle n’est pas sûre de ce qu’elle doit faire, mais il fallait qu’elle riposte. Il n’y avait aucun autre choix possible. Toute son attention n’était plus que concentrée sur cette unique tâche. Attaquer.
Se servant du point d’accroche que sa seconde gueule était parvenue à lui offrir, elle se projette sur le spectre, tête baissée. Peut-être pourra-t-elle libérer cette chose qui occupe son crâne de cette manière.
Mais on la repousse.
Les voix s’emmêlent, elle s’écrase.
Bruit sourd.
Une pierre s’illumine. Les rayons se reflètent sur les mèches blondes, traversent le champ de bataille, s’extirpent de l’obscurité, s’exposent au soleil le temps de quelques secondes, avant de replonger dans l’action. Son homologue en fait de même. La lueur pourpre se fraie une voie parmi les lambeaux noirâtres. Un bref moment, juste avant que l’obscurité ne surgisse et n’étende ses racines entremêlées.
La chose s’agite, toujours plus. Elle tisse, elle tisse, mais bientôt elle n’en aura plus besoin. Bientôt ce corps ne sera plus. Les ressources autour d’elle s’épuisent, certaines dévorées, d’autres perdues dans les flammes. Ses doigts s’agitent, ses griffes frétillent d’impatience. C’était l’heure. Elles n’étaient plus seules ! Elle sent cette énergie, si familière, qui grandit, grandit, et qui cherche à se libérer de cette sphère bien trop petite pour elle. Cette boule où l’énergie s’étouffe dans les ombres, ces formes sombres qui s’agitent, se forment, les dévorent.
Et la sphère ne cesse se prendre du volume. Instable, elle absorbe les moindres recoins d’ombres qui, avec elles, entraînent le cours du temps, les souffles ralentissent, suivent le mouvement, le second monde prend le dessus. Point d'orgue.
Et soudain, elle les recrache. Toutes. Amplifiées.
Elle a absorbé ces ombres agitées, pour leur offrir une puissance nouvelle, originelle. Et maintenant, elle les délivre, les délivre de cette limite que leur impose le monde des ignares. Un voile gris s’abat sur le terrain. L'espace se fond. Puis mue. Des formes se ruent dans tous les sens, les ombres se détachent de l’obscurité, des amas noirâtres se forment, se cherchent, se déchaînent. Chaos. La sphère se fond parmi ses progénitures qui foncent vers la maudite, font de ce corps le leur. Un vent muet souffle sur le terrain.
Le silence.
Elles se sont libérées.
Elles se sont exposées.
Elles s’abattent sur la cible.
Elles rient,
elles s’esclaffent. Ce monde est à
elles, le temps de quelques secondes. Et bientôt
elle se replieront, ne laissant derrière
elles qu’un avertissement, une fois de plus.
Mais que faibles humains ignoreront, car c’est ce qu’ils font et savent si bien faire.
HRP
Merci pour la modératioooon