Aim, pull the trigger.
C'était la Saint Valentin, enfin.
Tu avais navigué au-travers de ta matinée en te gardant concentré sur votre petite intervention à venir. Tu avais rejoint l'association des Love Boats à sa création, une semaine plus tôt, en voyant quelques Givralis tenter de recruter des membres. On t'avait vendu que tu pourrais aider les gens, et t'avais signé. T'étais pas compliqué, Nathanaël. Tu t'étais immédiatement engagé, impliqué, tu t'étais volontiers porté volontaire pour le poste de vice-président. Cette chère Liz tenait l'affaire, mais dans les faits, tu étais celui vers lequel tout le monde se tournait, celui qui faisait le lien entre la tête pensante et les autres. Encore une fois.
Faut croire que ce rôle t'allait bien.T'avais redouté cette journée. Pas qu'elle ait jamais eu tant d'importance pour toi — mais avec les visions de lui qui revenaient te hanter ces temps-ci, tu ne savais comment affronter cette journée où tout te ramènerait à lui. Alors t'avais trouvé de quoi te tenir bien occupé. Enfin, aujourd'hui, vous alliez afficher les lettres que vous aviez passé une petite semaine à récolter. T'en avais pas écrit — t'aurais pas su quoi écrire. Tu avais pensé déclarer ton amour pour les doggos, une fois de plus, mais à chaque fois c'étaient d'autres mots qui te venaient à l'esprit. Alors tu avais préféré lire les lettres des autres, te tourner vers leurs coeurs mis à nus, pour mieux te cacher du tien.
Dix-neuf heures trente, et la journée touchait à sa fin. Tout ne s'était pas passé sans heurts — quelques lettres pour le moins alarmantes avaient attiré l'attention de l'administration. Mais dans l'ensemble, votre petite opération avait été un succès. Content de toi, dans ta chambre, tu contemplais les commentaires enthousiastes sur le site de l'association, ton starter confortablement installé sur tes genoux.
Et puis c'était là que ton iPok avait vibré.
Tu l'avais machinalement tiré de ta poche, faisant descendre Best Boi au passage, t'attendant à une nouvelle notification — un énième like sur la photo craquante que tu avais postée de tes trois partenaires, la truffe humide et le poil brillant, ce matin-même. Au lieu de ça, c'était un numéro inconnu qui s'affichait sur ton écran.
Un message, de quelques mots à peine.
I'm back.Et, en lieu de signature, les quatre plus belles lettres du monde.
Caim.Tu ne saurais pas te souvenir de ta réaction. Peut-être avais-tu rougi. Peut-être étais-tu devenu livide. Tu sais juste qu'il ne fallait pas plus que quatre lettres pour chambouler ton monde. Venir le retourner, le faire tomber en miettes, et ton coeur avec. Tu crois te souvenir d'un jappement inquiet, mais t'avais trop le tournis pour t'en préoccuper.
T'avais même pas réfléchi, Nate.
T'avais tout planté là, et tu t'étais fait la malle.
Oublié, ton petit event insignifiant. Oubliées, ta petite Saint Valentin, ta satisfaction surfaite. Oubliés, le contrôle du lendemain, les bonnes résolutions, la petite vie tranquille.
(Oubliés, les trois pokémon incrédules que tu laissais derrière toi.)T'avais pris tes jambes à ton cou, et tu t'étais rué dans le parc de l'académie. Tu ne réfléchissais pas, Nate, t'agissait comme par réflexe, t'avais comme cette addiction qui bouillait dans ton sang et contrôlait tes mouvements. Il était sorti, tu le savais. T'avais tout fait pour ne pas trop y penser, mais dans le fond, tu savais que tu n'avais que ça l'esprit depuis trois jours et trois nuits. Tu pensais pas le trouver. Tu l'imaginais juste sortir de taule, sans nouvelles depuis un an, et ne trouver que ton absence. Tu l'imaginais furieux, tu l'imaginais déçu — tu l'imaginais hausser les épaules, peut-être. Tu ne savais pas lequel te faisait le plus mal.
Tu ne savais pas ce que tu voulais, Nate.
Ce que tu espérais.
Tu ne savais pas où t'en étais.
T'avais pris peur, t'avais détalé. Pour ton frangin. Pour ton père. Pour ton futur. Tu savais pas si c'était contre lui — ou si tu l'avais juste pas calculé dans l'équation, le jour où t'avais pris ta décision.
Tu savais pas si t'espérais le voir revenir, ou si ça te terrifiait.Et puis alors que tu arrivais au niveau des grilles, essoufflé, sans trop savoir ce que tu venais y chercher
— dissipées
les pensées qui tourbillonnaient
— vidée
ta petite tête blonde
— affolé
ton petit coeur docile
face à la silhouette trop familière, les épaules anguleuses, les longues mèches rebelles, le teint hâlé et le regard d'or qui te clouait sur place et te faisait fondre de désir.
Un bouquet de roses à la main, plus beau et plus dangereux que jamais, il t'attendait avec le même sourire satisfait que lors de votre première rencontre. Ce sourire dont tu étais tombé amoureux.
Et cette fois, il ne semblait pas vouloir s'esquiver. Cette fois, ce n'était pas un mirage. Il se tenait simplement à deux pas de toi, et il n'y avait plus que cette satanée grille pour te séparer de lui.