Riven avait parfaitement conscience du fait qu’il agaçait son supérieur hiérarchique au plus haut point, mais s’en contre-fichait complètement. Deaglàn était d’ailleurs loin d’être un cas isolé ; avec ses traits fermés, sa nonchalance, et ses remarques sarcastiques, le blond ne faisait pas vraiment l’unanimité. Bizarrement, il était plutôt populaire auprès de la gente féminine. Probablement parce que son côté mystérieux, sérieux et désintéressé avait de quoi faire tourner quelques têtes. Le syndrome du mauvais garçon, à priori ; chose qu’il ne comprenait pas mais qui ne le dérangeait pas plus que de nécessité. Malheureusement, même si le directeur avait des airs de jouvencelle en pleine crise d’adolescence, il n’était –aux dernières nouvelles-, pas une fille. Ce qui signifiait que Riven ne pourrait pas se débarrasser de lui de la même façon qu’il le faisait avec ses quelques admiratrices. Il soupira un instant, se demandant bien ce qu’il avait pu faire de mal pour mériter un pareil châtiment. Tentant d’ignorer son collègue le plus longtemps possible, le blond ne put s’empêcher de lâcher une de ses habituelles remarques sarcastiques, qui eut pour effet immédiat de faire rougir Deaglàn. Ce dernier venait visiblement de se rendre compte de deux choses ; d’une part, il s’était fait surprendre en train de se rouler dans l’herbe comme un gamin –ce qui prouvait que sa virilité et sa maturité avaient de quoi être remises en question-, et d’autre part, cela signifiait que Riven l’avait vu mais n’était pas venu le saluer. Comme s’il allait s’embêter à déplacer sa carcasse pour ça. Franchement.
Alors que Riven demandait à ce qu’on lui rende sa secrétaire, Deaglàn chercha une raison pour ne pas s’exécuter. Visiblement, son cerveau aussi creux qu’une jarre n’était pas parvenu à trouver justification valable ; aussi sorti-t-il une réplique venue de nulle part, dans une exclamation presque théâtrale. Devant l’absence totale de réaction de Riven –hormis l’exaspération la plus sincère-, le directeur sembla se rendre compte que son argument dont il était si fier, ne tenait pas la route. Pour couronner le tout, Togepi trouva ce moment propice pour se libérer de l’étreinte de l’Empiflor, et revenir vers Riven dans un petit bond espiègle.
« Ouais, ouais, c’est ça, tu as raison. » railla le blond en levant les yeux au ciel, sans ajouter de commentaire supplémentaire. Il espérait que le ton sarcastique qu’il avait employé ne serait pas interprété comme tel par Deaglàn, et que ce dernier lui ficherait la paix. En général, cette petite méthode fonctionnait plutôt bien ; le directeur étant parfois trop crétin pour percevoir qu’on se fichait ouvertement de lui. Malgré tout, ce jour-ci, Riven aurait bien aimé qu’il tourne les talons et regagne son bureau en se vantant devant tous leurs autres collègues qu’il était parvenu à avoir le dernier mot face au vice-directeur. Il lui restait bien trop de paperasse à traiter, et de coups de fil à passer avant la pré-rentrée, pour qu’il ne s’encombre de ce compagnon un peu trop bruyant.
Deaglàn fut cependant tout aussi étonné que lui de trouver une montagne de trésors dans les fins fonds de la coquille de Togepi. Comment diantre avait-il réussi à caser toutes ces choses ? Une touillette à café passait encore. Mais l’agrafeuse ? Elle devait faire plus de la moitié de la taille du Pokémon œuf. A la rigueur, la culotte pouvait encore s’expliquer ; c’était du tissu : malléable, pliable, transportable. Encore que, Riven se demandait d’où pouvait provenir ce truc. De mémoire d’homme, il n’avait pas accueilli de femme chez lui depuis un bon bout de temps
ou alors, sa dernière soirée beuverie s’était passée de façon plus dramatique que prévue. Et puis, ce n’était clairement pas la sienne. Merci pour lui.
Tandis qu’il essayait de se creuser la tête pour déterminer la provenance de cette culotte dans la coquille de son Togepi, Belle avait repris ses esprits, et s’apprêtait à lancer une nouvelle attaque. De son côté, son Pokémon avait déclenché son attaque métronome sans qu’il ne le lui demande. Ce n’était pas vraiment un fait rare, dans les duels Riven-Deaglàn. Après tout, le second était trop soumis à son Empiflor pour lui donner des ordres, tandis que le premier se fichait royalement des combats, et laissait donc son Togepi s’amuser comme il le voulait. Ce ne fut que lorsque le petit Pokémon se mis à briller que Riven compris qu’il s’était engagé dans un combat au pire moment de la journée. Eh ! Il lui restait de la paperasse à faire, nom d’un lama asthmatique !
Voyant que l’attaque de son compagnon n’allait pas tarder à se lancer, tandis que Belle préparait déjà la riposte en sortant ses lianes des tréfonds de son gosier
yeurk, Riven fut frappé par un éclair de génie. Il n’était, certes, pas un topdresseur ; les combats et les trucs du genre l’ennuyaient comme pas permis. Cependant, il avait un cerveau. Et un cerveau brillant, qu’il utilisait à outrance ; et en particulier dans ce genre de situations grotesques.
D’un œil vif, il étudia rapidement le terrain. Ils étaient dans le parc, mais pas très loin des abris qui parsemaient la cour extérieure. En connaissant la puissance du Lance-Soleil –attaque que son Togepi allait probablement lancer dans moins de cinq secondes-, et compte tenu de son poids et de celui de son Pokémon, il estima que s’il ne le lâchait pas immédiatement, il se retrouverait propulsé plusieurs mètres vers l’arrière. Par chance, le rayon sortirait de la bouche minuscule du Togepi, ce qui signifiait qu’il ne se brûlerait pas les mains, et qu’il ne subirait pas de gros dégâts, à condition qu’il exécute un petit mouvement parfaitement pensé. Profitant du moment d’inattention de Deaglàn, trop occupé à critiquer le personnel de son académie –le bougre d’idiot, c’était lui qui avait sélectionné les trois quarts de ses professeurs !-, Riven se pencha vers son Togepi.
« Lance un clonage, on se carapate. » chuchota-t-il de façon à ce que son supérieur hiérarchique ne puisse l’entendre –de toute façon, il était en plein dans son monologue, il n’y avait pas de risque pour ça-.
Dès qu’il eut fini sa phrase, Togepi déclencha le Lance-Soleil. Le rayon parti droit vers l’Empliflor, qui le dévia d’un coup de Méga-fouet bien placé ; cependant, ce n’était pas un problème pour Riven. Profitant de l’effet de surprise, et surtout, du brusque éclat de lumière qui venait d’illuminer le terrain, éblouissant Deaglàn et le forçant à fermer les yeux, Riven décida qu’il était temps de disparaître. Il fut violemment propulsé vers l’arrière tandis qu’il tenait toujours Togepi à bout de bras, mais ses jambes tinrent le coup. Il sentit grâce à une légère perturbation de la température de la coquille de son compagnon, que l’attaque Clonage s’était déclenchée, et que la réplique s’était immiscée dans l’affrontement improvisé. Il compta deux secondes supplémentaires, et relâcha doucement le corps du Togepi, pour cesser de profiter de l’effet de propulsion. Sa vitesse décrue progressivement, et ses jambes qui n’avaient pas décollé du sol, mais avaient rasé le gazon verdoyant du parc, s’arrêtèrent avec un contrecoup. Il se trouvait à plusieurs mètres de là, sous un abri en pierre qui abritait quelques casiers, et des tables pour permettre aux élèves de s’y réfugier les jours de pluie. Au loin, il voyait que Belle avait envoyé une Bomb-beurk sur le clone, qui se réduisait maintenant à une forme grotesque de Togepi, baignant dans une hideuse substance violette. Cependant, le clone conservait toujours une apparence qui permettait de faire illusion ; au moins assez longtemps pour que Riven puisse se faire la malle en toute discrétion.
Esquissant un léger sourire en voyant Deaglàn, Riven se demanda si son collègue penserait qu’il avait voltigé vers l’infini et au-delà. En tout cas, il serait certainement loin de se douter qu’il s’était discrètement caché ici, et qu’il s’engouffrait à présent par la porte de secours qui permettait de retourner dans les bâtiments administratifs. Togepi, exténué d’avoir lancé un Lance-Soleil, se laissa volontiers porter sous le bras de Riven. Le blond lui donna un chocolat qui trainait dans sa poche comme récompense, et gravit les escaliers qui menaient à son bureau.
« Heureusement qu’on ne s’est pas attardé là-bas. Tu as déjà posé tes RTT y’a deux semaines. Pas de congé jusqu’aux prochaines vacances, mon vieux. » lui dit-il en poussant la porte de la pièce qu’on lui avait assigné, et qui portait une plaquette à son nom. Il s’installa ensuite sur sa chaise, ramena une pile de dossiers vers lui, et reprit son travail, comme si de rien n’était. Un léger contretemps avait perturbé ses plans, mais il ne s’en faisait pas ; il bouclerait ce qu’il avait à faire, avant même que le directeur en personne ne se rende compte qu’il s’était fait rouler dans la farine, et que son adversaire de toujours s’était une fois de plus carapaté en plein combat.
[ Terminé pour Riven ]