Le Prince des Mers. Deux semaines après son arrivée à Adala, Thésée avait été obligé de remballer ses affaires pour monter à son bord et partir avec l’académie Pokémon pour les cours d’été. Évidemment, cela ne venait pas de sa propre initiative, mais de celle d’Ilea qui l’avait inscrite dans cette école cotée de la région. Pour Thésée, cela n’augurait rien de bon, simplement que son séjour sur l’île risquait de s’attarder et il n’avait qu’une seule idée en tête : retourner à Alola voir sa mère.
Depuis son départ, le rouquin appelait chaque jour l’hôpital pour avoir de ses nouvelles. Des fois ils pouvaient la lui passer, d’autres fois non. C’était toujours assez délicat pour lui de lui parler. Il avait l’impression d’être un mauvais fils de ne pas être à ses côtés pour s’occuper d’elle. A la place, il devait se coltiner toute cette comédie avec Ilea, l’enfant de Satan. Ça avait beau être sa demi-sœur, elle n’était rien qu’une inconnue fraîchement débarquée dans sa vie et qui se croyait capable de le gérer. Le garçon n’avait de cesse de ruminer, attendant patiemment le moment où il pourrait rentrer chez lui. C’était d’ailleurs, ce qui l’amenait plutôt docilement à bord du Prince des Mers.
Le paquebot, employé par l’académie, allait effectuer un tour des océans et par conséquent, un tour des différentes régions du monde. Alola en faisait évidemment partie, après presque deux mois de voyage. Ce serait la cerise sur le gâteau, le moment qu’il attendait tant. De plus, pendant la traversée, il ne serait pas forcé de vivre avec Ilea comme c’était le cas ces derniers jours. La colocation frère-sœur ne s’était pas très bien passée et malgré les tentatives d’approche d’Ilea, Thésée était toujours resté assez fermé à elle. Ils partageaient le même père, un connard infini selon le garçon, et Thésée ne voyait en Ilea que la fille qui avait été élevée par ce monstre et qui ne pouvait donc n’être qu’un monstre aussi.
Après s’être installé dans sa cabine, Ilea était passée le voir pour l’informer qu’un certain « Collectionneur » voudrait le voir pour lui donner son premier Pokémon. C’était une sorte de formalité de l’académie : aucun Pokémon venant de l’extérieur n’était admis à l’inscription et seul le Collectionneur était en droit d’en donner un au nouvel élève. Thésée ne percevait pas le raisonnement derrière cette règle, il s’y pliait simplement parce qu’il n’avait pas le choix.
Il devait être dix-huit heure lorsqu’il se décida à bouger. Il enfila une veste de sport pour la soirée, sachant qu’il irait directement rejoindre Ilea après pour manger. Bien qu’il ne l’appréciait pas, il devait reconnaître que c’était bien la seule personne avec qui il pouvait manger, ne connaissant personne d’autre sur le navire. Du moins, le pensait-il. Il parcourut les différents couloirs d’un pas mollasson, peu représentatif du sportif qu’il était, et déboula sur une porte close où une grosse pancarte écrite à la main indiquait « Goélises en cavale. Merci de refermez la porte. ». Thésée regarda autour de lui, incertain d’être au bon endroit, puis haussa les épaules avant d’entrer.
L’odeur qui l’assaillit lui fit faire un pas de recul immédiat, tout comme les cris de piafs incessants. Il faillit ressortir, si un homme équipé d’un masque à oxygène ne s’était pas précipité pour fermer derrière lui.
- Roooh, mais tu ne sais pas lire ? Il faut fermer la porte après être entré !
- Liiiise.
- C’est quoi cette odeur ? Râla le rouquin en se couvrant la bouche et le nez avec ses mains.
- Goé goé.
- Oh, ça ? Trois fois rien. Ce ne sont que les excréments de ces petits Goélises d’amour. Maintenant qu’il le disait, c’était vrai que l’endroit était aussi exécrable que l’odeur était nauséabonde. Il est important de vérifier ce que mangent les Pokémon, même sauvage, afin de vérifier leur bonne constitution ! Et pour cela, il n’y a pas trente-six solutions, il faut chercher à la source.
- Goé ?
- Vous êtes cinglés. Moi je reste pas ici, au revoir.
- Attends, attends. Tu étais venu pour une raison que je sache, tu ne vas pas partir sans elle ?
- Goooélise.
- Je suis pas sûr d’avoir envie de toucher à quoi que ce soit qui ait traîné ici.
- Lise !
Le Collectionneur lui plaqua un masque sur le visage puis lui tendit une pochette plastique dans laquelle se trouvait diverses pokéballs à leur état miniaturisé.
- Ne t’en fais pas, respire un bon coup, elles sont toutes protégées. Sauf celles-ci, dit-il en montrant un carton couvert de cochonneries, mais elles ne sont pas pour toi haha.
- Comment vous pourriez savoir ce qui est pour moi ?
- Goéééé. Goé goélise.
- C’est très-très-très simple. Elles ne vont pas avec ton teint de peau. Tu vois ? Il y a une explication logique pour tout ! Il suffit de la chercher et vois-tu, c’est mon domaine de chercher le Pokémon qui sera logique au dresseur.
- Goé…
Sous son masque, Thésée fit une petite grimace de désapprobation. A ses yeux, le Collectionneur ne savait pas ce qu’il racontait. Comment pourrait-on lorsqu’on a une telle hygiène de vie ?
- J’en ai assez entendu. Filez-moi mon Pokémon que je puisse m’en aller.
- Gogoéliiiiiiiiiiiiiise !!!
- Hep hep hep. Pas si vite Moustillon. J’ai encore une question à te poser.
- Lise ?
- Tu préfères : la crème à la vanille ou au chocolat ?
Thésée souffla un bon coup, qu’il ne chercha pas à cacher.
- Qu’est-ce que vous en avez à faire ? Vanille. Ça vous va ? Ou vous voulez peut-être me demander si je préfère les fraises ou les framboises ?
- Ah non, ça ira. Je sais déjà que tu es plutôt framboises.
- Goééé.
- Coup de chance.
- Goélise !
Faisant un tour sur lui-même, le Collectionneur sortit de sous son masque une pokéball, qu’il tendit à Thésée.
- Eeeeet voilà ! Ce Pokémon t’ira à merveilles, j’en suis sûr. Aaaah… Quel plaisir d’aider un étudiant à trouver sa voie.
- Merci.
Le garçon ne demanda pas son reste. Après s’être assuré que la pokéball n’était pas dégueulasse, il l’a prise et s’en alla, prenant soin de bien fermer la porte. Bizarrement, il avait eu beaucoup moins de mal à s’en aller qu’à entrer. Il retira le masque une fois à l’extérieur, ravi de respirer à nouveau l’air frais et propre, à l’odeur marine. La pokéball toujours en mains, il hésita un instant avant de la presser pour en faire sortir le Pokémon. Dans un éclair blanc jaillit devant lui un Nucléos.
- Une boule flottante ?
Les yeux du Pokémon ne fixèrent pas directement le rouquin, comme s’il évaluait l’endroit où il se trouvait. Ne voyant personne d’autre que Thésée dans les cinq mètres alentours, il décida de s’approcher de lui pour le saluer… A sa manière. Il fonça sur le garçon, qui au lieu d’être projeté au sol, se retrouva à faire un câlin la tête dans une espèce de gelée sèche et gluante à la fois, extrêmement étrange.
- Sbllblblbllllbll… Il repoussa finalement le Pokémon et reprit sa respiration. Heeey, ne refais plus jamais ça ! C’était… beurk.
Malgré les commentaires désobligeant de son dresseur, Nucléos tournait joyeusement autour de lui. Il finit par s’arrêter dans l’attente de quelque chose. Soudain, Thésée entendit une petite voix dans sa tête. Elle semblait toute faible et fragile, mais parlait avec entrain.
- Dis, dis, dis… Je m’appelle comment ?
- Tu veux savoir comment tu t’appelles ?
- Oui, oui, oui…
- Je sais pas. Mark ?
- Mark, Mark, Mark… Ouiii, ça me plaît !!! Je suis Mark !
- Tant mieux. Ça va être l’heure de manger, je suis attendu. Tu m’accompagnes ?
- Ouiii… J’aime manger.
Ils commencèrent à marcher en direction du réfectoire, où Ilea devait attendre Thésée.
- Parce que tu manges ?
- Non, non, non… Mais j’aime faire semblant.
Thésée laissa couler la discussion, alors qu’il arrivait au milieu d’autres étudiants et d’adultes affamés. La salle était immense, en adéquation avec le nombre imposant de passagers. Ilea avait donné à son petit frère un numéro de table où la rejoindre, ce qui évita au garçon de se perdre trop longtemps dans la foule. Il arriva près d’elle et sans un mot ni un regard, il s’assit à sa place. Mark vint se glisser de l’autre côté de la table, là où il ne dérangerait personne.
- Qu’est-ce qu’on mange ?
A aucun moment Thésée n’avait regardé Ilea, il était devenu assez fort dans ce jeu pour l’esquiver.