North, c’est l’adolescent banal. La peau caramel, les cheveux tirant sur le marron clair et des yeux océan qui rappellent ses origines côtières, toujours trop sévères, comme s'il était en colère contre le monde. Il passe inaperçu ; ni beau, ni laid, juste un peu plus grand que la moyenne, un sweat large sur les épaules, les genoux qui prennent l’air dans un jeans troué. Il n’a rien de bien notable, mais ne souhaite pas non plus être remarqué. North, c’est l’habitude de la solitude, la peur du regard des autres dissimulée derrière des mots durs et une nonchalance mal jouée. L’adolescent cliché qui pense qu’il peut tout faire tout seul et qui pourtant se retrouve paralysé quand il sent les regards insistants des adultes intransigeants. C’est l’impulsivité, des mots qui sortent trop vite et dépassent les pensées, des excuses qui restent bloquées dans la gorge, coincée par une fierté mal placée. Il n’aime pas qu’on lui réponde, il aime jouer les durs, celui que rien n’atteint, qui n’écoute jamais personne. Pour l’adolescent, ne pas céder, c’est avoir le dessus. North, c’est la dualité d’un week-end passé enfermé dans sa chambre à jouer aux jeux vidéo, mais des yeux qui brillent quand il se rappelle que dehors, la nature est belle et fantastique. Il n’est pas très curieux, mais ce qu’il le fait, il le fait avec toutes ses tripes, jusqu’à en oublier tout ce qui se passe autour de lui, en témoigne sa bibliothèque remplie de livres qu’il a tous lus de la première à la dernière page, sans oublier les remerciements et les préfaces que tout le monde passe.

North, c’est l’amour des Pokemon. Avant tout, avant les humains encore. Le volcan qu’il incarne s’endort lorsqu’il se retrouve face à un Pokemon, il devient plus patient, plus attentif. Il resterait toute une journée allongé dans un pré à regarder ces créatures évoluer. Cet amour, il le tient probablement de sa mère, bien qu’il considère que sa vision des choses est bien trop extrémiste. Contrairement à elle, il n’est pas tellement engagé dans une cause, il se contente de rester dans sa bulle et de découvrir de nouvelles choses sur les Pokemon. S’il fallait réagir face à quelqu’un qui les traite mal, il ferait sûrement parler ses poings, il n’est pas très éloquent et n’a jamais été habitué à communiquer avec des mots. Chez lui, on lui a appris que ses mots étaient entendus comme un silence : inutiles, une perte de temps.

Vesztenvelt, un nom qui fait trembler de par la complexité de son orthographe ; North n'eut jamais le loisir de rester dans l’ombre puisque chacune de ses rentrées se soldait par de longues minutes où ses professeurs tentaient de déchiffrer cet enchaînement de lettres sans queue ni tête. L’école n’avait jamais trouvée grâce aux yeux de North, ce qui n’avait probablement pas tant à voir avec ces jours de rentrée compliqués. Le garçon aux cheveux bruns avait été éduqué par un père militaire qui refusait les plis sur les vêtements, passait plus de temps à replacer chacun de ses cheveux — longs de deux centimètres — qu’à jouer avec son fils, et n’était jamais satisfait de rien. Charles Vesztenvelt, le coupable qui laissait à North le fardeau du nom de famille, avait toujours été un glaçon. Le garçon ne l’avait que rarement vu sourire ou s’amuser, il semblait avoir été totalement formaté à la vie du petit soldat parfait qui ne vit que pour ses missions. Son fils n’était qu’un pion qu’il souhaitait modeler conformément à sa volonté pour lui faire intégrer l’armée une fois qu’il en aurait l’âge. Aussi, habitué à l’excellence imposée par son métier, Charles ne voyait en North qu’un ramassis de défauts et de « peut mieux faire ». Le patriarche jamais satisfait, l’enfant abandonna rapidement l’idée d’en tirer un mot un tant soit peu positif.

Quiconque passait une journée chez les Vesztenvelt se demandait ce que Charles et Mandy faisaient ensemble. Mandy Vesztenvelt, Greene de son nom de jeune fille, était une femme bien plus expressive que Charles. Elle en était même le parfait opposé : chacune de ses réactions se lisait avec une facilité déconcertante sur son visage aux muscles faciaux agiles et réactifs. Bien plus laxiste que Charles, elle laissait passer à North tous ses caprices et ses volontés d’enfant. Si elle n’était elle-même pas très douée avec les mots, elle se contentait d’offrir à North la liberté et l’insouciance qu’un enfant devrait avoir à ses yeux. Du moins, jusqu’à ce qu’elle se retrouve devant Charles, qui avait semblé toujours l’effrayer un peu : Mandy n’étant pas capable de dire non à Charles, North se retrouvait seul face aux reproches d’un père intransigeant, et aux pardons muets d’une mère trop docile — trop amoureuse.

Dire que North avait eu une enfance malheureuse aurait été mentir, même s’il aurait bien échangé quelques défauts rédhibitoires chez ses parents. Né un 9 septembre 2004, North passa les treize premières années de sa vie entouré de ses deux parents, occupé à lire des livres puisque le patriarche refusait la télévision, habitué à un régime exclusivement végétarien poussé par sa mère. Il se contenta de bonnes notes à l’école, qui laissaient son père sur sa faim — peut mieux faire — et trouva une place confortable en tant que lanceur dans l’équipe de baseball de son collège. Le brun vécu une enfance normale, ponctuée de quelques bagarres et disputes avec ses camarades qu’on attribuait à son caractère explosif et qui lui avait valu plusieurs punitions par son père. Il passait ses étés à la plage Hano-Hano où il découvrit le garçon qu’il considéra pendant longtemps comme son meilleur ami : Nemo, rentrait de ses étés la peau noire, le sourire jusqu’aux lèvres, dans l’attente d’un prochain été.

C’est à la veille de ses quatorze ans que la vie familiale de North prit un nouveau tournant, il n’avait rien vu venir si ce n’est le visage fermé de sa mère depuis quelques mois. Charles avait décidé de quitter la maison familiale, un papier de divorce signé. Sans explications pour le jeune garçon, qui ne put que jouer le rôle d’un spectateur face à la mise en abyme de sa mère. Plus de sourire, un zèle excessif au travail — elle avait alors rejoint les rangs de l’A2P. Malgré son jeune âge, le garçon put facilement considérer qu’elle préférait se lancer dans la défense d’actes extrémistes et dangereux plutôt que de s’occuper de son propre fils, probablement pour oublier le départ du patriarche qui avait tenu les rênes de leur foyer jusque là avec une fermeté sans égal. Les dîners en solitaire devinrent monnaie courante pour North, qui n’oubliait pas ce fameux soir de réunion parents-élèves où il se retrouva seul face à son professeur. La rancœur participa à creuser un fossé entre North et Mandy, incapables de communiquer pour sauver les bases ébranlées de leur famille.

Le départ de North pour la Pokemon Community fut vu, autant par Mandy que par son fils, comme la porte de secours. Une trêve pour une mère plus capable d’être mère, et un fils trop plongé dans sa propre rancœur pour tenter de comprendre la complexité de l’esprit d’une femme au cœur brisé.