« Tea time »Caroline lâche un court râle sous le poids du labeur. Elle laisse s’échapper une complainte, tandis que son dos se arque en un ultime effort. Une goutte de sueur perle sur son front, et à bout de souffle, elle cherche des yeux ceux de sa colocataire.
« -Hh… Tu vois… Hh… Princesse ?… Je… Hh… T’avais dit… Qu’on… Hh… »Son corps entier se relâche. Dans une longue expiration, la blonde s’affale contre un mur. Sa poitrine se lève et s’abaisse au rythme de son souffle rauque. Ses cheveux sont en bataille et ses vêtements en vrac. Lorsqu’elle lève ses mains à hauteur de son visage, c’est pour remarquer que de petites griffures et éraflures y figurent désormais.
« -… N’avait pas besoin… D’une remorque… Hh… »Le sapin qu’elles transportent tombe alors dans un coin de l’ascenseur en un
SBUNK retentissant. Un certain silence s’installe dans le hall de leur immeuble, où les deux comparses se toisent, haletantes.
Le temps pour elles de reprendre leur souffle, Caroline tente de relativiser cette galère innommable qu’a été le rapatriement de cet arbre de noël.
« -D’façon, on n’avait pas la thune pour en louer une. Ou alors, il aurait fallu prendre un sapin plus petit, mais… Hh… Eh, après avoir fait l’impasse l’an dernier, on peut bien se permettre de faire les choses en grand cette fois-ci… Non ? »Incertaine, elle guette la réaction d’Ilea. Sur le papier, le projet d’installer un sapin dans leur appartement pour les fêtes de fin d’année avait l’air fun. Là dans l’immédiat, Caroline n’a qu’une envie : foutre ce truc dans un coin, aller s’écraser contre son matelas, et ne plus bouger. Le pire étant que…
Les deux jeunes femmes ne sont pas au bout de leur peine. Elles doivent encore monter à leur étage, transporter ce truc jusqu’à leur porte, réussir par une prouesse obscure à le faire passer dans le fin couloir qui leur sert d’entrée, et enfin, le poser dans le salon. Et seulement après, elles pourront le décorer… Ou le brûler pour se venger. Au choix.
Caroline se redresse donc, et se tourne vers les boutons de l’ascenseur pour actionner le leur. Mais au moment où elle s’apprête à le faire, elle remarque l’arrivée d’une femme dans le hall, qui va vraisemblablement elle aussi vouloir emprunter la cage métallique. Heureusement que ces trucs ont été faits pour pouvoir accueillir de grands Pokémon… Elle ignore comment elles pourraient toutes rentrer, sinon.
Attendant donc qu’elle grimpe, la blonde avise l’inconnue s’avancer. Pourtant, cette dernière finit par s’arrêter juste devant les portes, et évalue plutôt le contenu de cet ascenseur. Face à son absence de réaction, Caro décide de l’interpeller.
« -Hey !… Vous voulez pas monter ? »Cette question semble la surprendre. Mais poliment, elle secoue la tête de gauche à droite.
« -Non merci, cela ira… J’attendrai le prochain. »Les deux colocataires s’échangent un regard perplexe, après quoi l’aînée Labelvi se permet d’insister.
« -Le temps qu’on sorte ce truc à notre étage, l’ascenseur ne pourra pas redescendre. Vous risquez de poireauter ici un moment. » elle se recule un peu pour signifier tout l’espace dont elle dispose
« Allez-y, venez ! On vous laissera sortir la première. »Bien qu’elle semble toujours réticente, la femme finit par se laisser convaincre et s’avance.
« -Quel étage ?-Le second.-Oh, comme nous ! ♪ »Caroline presse le bouton, et les portes se referment enfin. L’ascenseur s’ébroue, et entame son ascension. L’inconnue, bien que s’efforçant de rester droite, ne peut s’empêcher de jeter de petits regards en coin aux jeunes femmes et à leur étrange charge. Finalement, elle les questionne.
« -Seriez-vous des sortes de… Bûcheronnes ? »La blonde hausse les sourcils, et adresse un vif regard à Ilea. On sent à son sourire en coin qu’elle retient un rire, qui résonne néanmoins dans sa réponse amusée.
« -Pas… Pas vraiment, non. On prépare nos décorations de Noël !-Je vois. Mais... » elle se fait plus perplexe
« En l’absence de servants, ne devriez-vous pas laisser vos maris s’occuper d’un tel fardeau ? »Cette fois-ci, Caroline ne peut s’empêcher de souffler du nez.
« -Ahaha. Qui vous dit qu’on a des maris ? Et puis… Vous ne nous trouvez pas un peu trop jeunes, pour ça ? »Si elle semble pensive, l’inconnue ne renchérit pas, d’autant que l’ascenseur s’immobilise et que les portes s’ouvrent. Elle franchit d’un pas volontaire le seuil, et se retrouve dans le couloir de l’immeuble. Caroline s’attend alors à de simples salutations de sa part, mais étonnement, elle ne s’en va pas de suite.
« -Ma fille et moi honorons l’île de notre présence depuis peu. Nous serions ravies de faire connaissance avec les locaux… Accepteriez-vous une invitation à prendre le thé ? »… Comment ? Voilà qui est bien aimable de sa part. Pour être franche, l’espionne ne sait pas si elle a vraiment envie de rester enfermée dans une pièce avec cette femme, mais… Pour l’instant, leur seul échange s’est avéré plutôt drôle, et elle ne peut que penser à l’aspect comique d’une discussion ultérieure. Pour autant, elle laisse Ilea répondre à sa place : la pauvre vient d’essuyer un éreintant trajet avec un sapin (trajet qui n’est d’ailleurs pas fini), elle ne tient donc pas à lui imposer son choix. Peut-être préfère-t-elle se reposer…
Mais que ça soit par politesse ou réelle volonté de faire connaissance, Ilea accepte. Au moment de s’assurer que cela convient aussi à Caro, elle hausse les épaules.
« -Moi ça me va. Vous nous laissez le temps de poser ça, et… Let’s go. ~ »C’est donc acté. L’inconnue leur précise le numéro de leur porte, et s’en va sans plus de cérémonie. Les regards de Caroline et Ilea s’abaissent ensuite sur la masse entre elles deux, et…
« -… Bon. On y retourne ? »***
Il faudra seulement vingt minutes, quatre chutes d’objets et deux jurons pour finir le rapatriement. Après quoi, la blonde lâche un retentissant :
« -PFIOUH. Bordel. »Nonchalante, elle se détourne d’Ilea, et se dirige vers sa chambre.
« -On décorera ce truc plus tard, hein ? Moi, je vais me changer. »Aussitôt dit, aussitôt fait. Caroline aura tout de même besoin d’un rapide passage sous la douche pour se sentir au propre, et revêtir une tenue décontractée tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Un épais pull bleu aboutissant à un col roulé, en dessous duquel un simple haut rattaché à son cou laisserait entrevoir ses épaules. Après quelques hésitations, elle opte également pour un jean, et rajoute une écharpe noire juste pour le style.
En intérieur, elle n’en aura pas vraiment besoin.
Une fois prêtes, les deux comparses se rendent à l’adresse indiquée. Un coup de sonnette suffit pour que la porte s’ouvre, et laisse place à une adolescente toute sage. Rosalina Uana ? Quel drôle de patronyme ! En retour de son adorable minois, Caroline lui offre son plus rayonnant sourire.
« -L’as de trèfle qui pique ton cœur, poupée. » mais son rictus se décompose rapidement
« … Mais tu dois être trop jeune pour avoir la ref. Appelle-moi simplement Caroline ! »