Le réveil sonna. 6H30.

- Grrmbllgrmn…

Traduction : Encore une minute p’pa.

Réalisation. Sursaut. Couette volante. Visage de déterrée.

- Omg, j’suis où ?

Mon regard fit le tour de la pièce.

- C’est trop bien rangé ici…

Quelque chose clochait.

- AAAAAH !

Coup de pied. Cri Wilhelm.

- ZIGZAAAAA-

Le cri s’arrêta aussitôt que la bestiole pénétra en vol plané mon armoire encore grande ouverte. M’armant du réveil, je m’apprêtais à le cueillir à la sortie de l’armoire.

- Montre-toi, je t’attends !

L’ombre obéit et se mouva vers l’extérieur. J’étais prête, mon bras n’attendait que le bon moment pour s’abattre sur lui. Dès qu’il pointa son visage, encore sonné par le précédent choc, je rabaissais mon arme avant de faire une immense connerie.

- Mistral ?

C’était le nom que j’avais donné à cette canaille de Zigzaton offert par le Collectionneur. Soudain, je remettais tout. Adala. L’académie. Mon Pokémon. Le dortoir Pyroli et maintenant ma chambre. Je jetais le réveil sur mon lit sans dessus-dessous et me passais une main dans les cheveux.

- Désolé gars, j’ai pas encore l’habitude d’avoir une boule de poils à mes pieds au matin.

Se remettant doucement de ce réveil brutal, Mistral avança d’un air pataud dans ma direction. C’était en vérité une diversion, car à la moindre occasion il se ressaisit et me sauta à la gorge.

- WOUAAAAH !

Je basculais à la renverse, agressé par la boule de poils revancharde. Je le chopais des deux mains et le soulevais au-dessus de moi, tandis qu’il se débattait encore. En le voyant faire sa tête de petit roquet, je ne pus m’empêcher de lâcher un rire franc. Ma réaction le surprit et il s’arrêta pour m’examiner. Je n’étais à l’académie que depuis la veille, alors nous ne nous connaissions pas encore très bien. Comprenant que je riais de la situation, il se mit à son tour à afficher une mine amusée et à ricaner. Je le libérais sur le côté et me relevais d’une traite.

- C’est pas tout, mais on a une sortie aujourd’hui. Faut se préparer le mollusque ou ils nous abandonneront ici.

Pour le coup, toute l’académie bougeait aujourd’hui et je n’avais pas l’intention de me retrouver seule pour mon premier jour. D’autant que les sorties scolaires, c’est pas donné, alors fallait en profiter. C’est fou quand j’y pensais, à peine arrivée on partait direct dans une région inconnue, alors qu’en treize ans, je n’ai jamais quitté Volucité. Nos seules sorties scolaires, c’était à l’usine de conserveries de Magicarpe, là où on était tous censés travailler plus tard. Bah les gars, je vais vous dire un truc, c’est pas demain la veille que je mettrais les pieds là-bas.

Rapidement, je me passais mon t-shirt « nasa », un jean un peu usé par le temps et mes shoes. Dehors, il ne faisait pas si froid, mais la région de Galar se trouvait dans le nord, donc je prenais aussi une veste et un bonnet dans le doute. Ah oui ! Et il ne fallait pas oublier les deux pokéballs données par le Collectionneur. « Fais-en bon usage et patati et patata » avait-il dit. Ok boomer, j’ferais attention.

Les autres élèves s’étaient déjà rassemblés au niveau des bus qui nous descendraient jusqu’à l’embarcadère. Certains étudiants en fin de diplôme passaient à côté de nous en flèche, usant de leur propre moyen de transport, à savoir l’un de leurs Pokémon. Quel style ! Je me postais à une dizaine de mètres des bus, contre l’un des poteaux du portail, pour attendre Magnolia. Mistral avait la bougeotte.

- Reste calme, elle ne va pas tarder.

Mais non, il ne m’écoutait pas et grimpait sur le poteau pour la chercher depuis cette nouvelle hauteur. Évidemment, elle n’était pas loin, alors il redescendit en trombe et me tourna autour pour me signaler qu’il l’avait vue.

- C’est bien, c’est bien.

Vite fait, je le caressais et me redressais pour accueillir ma pote.

- Yo Magnolia, ça va ?

J’anticipais sa réponse.

- Je ne savais plus où j’étais ce matin, j’ai frappé Mistral par erreur. Ah ouais, je t’ai pas dit ? C’est comme ça que j’ai appelé le Zigzaton que m’a donné le Collectionneur.

Hier soir, nous avions dîner ensemble au réfectoire mais j’avais eu beau tourner ma cuillère dans ma soupe, aucune idée de nom ne m’était venu. C’est finalement de retour au dortoir Pyroli, en sentant la brise marine, que j’avais eu une révélation.

Nous montions ensuite à bord du bus, puis d’un navire qui nous fit traverser des mers encore inconnues. En deux jours, j’avais parcouru plus de kilomètre qu’au cours de toute ma vie, c’était incroyable. Je profitais pleinement de cette chance en pensant à mon père. Lui devait encore trimer là-bas. Encore plus que d’habitude s’il devait payer les factures de l’école… Je n’avais donc pas le droit de me laisser emporter par les émotions. D’un revers de la main, je séchais mon œil que je sentais s’humidifier et me mettait à sourire à pleine dent avant de crier par-dessus bord.

- ON VA TOUT DÉFONCER ! Je me retournais vers Magnolia, souriante. T’es pas d’accord ?

Heureusement que Magnolia était présente. C’était mon seul point d’ancrage au sein de cette aventure. Je n’arrêtais pas de répéter que j’avais parcouru un nombre de kilomètres faramineux, mais dans le fond, j’en avais aussi peur. Rien de tout ce que je voyais autour de moi ne me parlait. Rien ne ressemblait un tant soit peu à ce que je connaissais dans les buildings craquelés de Volucité. Alors l’avoir à mes côtés m’aidait à tenir le choc. Pour le futur et pour mon père.

Le bateau accosta sur une grande île longitudinale. Avec Magnolia, nous descendions en suivant les consignes des professeurs. Certains d’entre eux avaient l’air stricts, alors que d’autres semblaient tout aussi excités que nous à l’idée de s’élancer à la découverte de cet endroit. Du coup, des petits groupes se formèrent et commencèrent à se disperser. Les plus expérimentés partaient même seuls. En fait, personne ne nous interdisait de nous éloigner et après plusieurs minutes de marches. Je sentais déjà l’envie monter de parcourir ces terres en solo avec Magnolia. Aussi, dès que l’occasion se présenta, je lui tapotais l’épaule et lui faisais un signe de la main d’être discrète avant de m’enfoncer hors du chemin.

- Viens, y a l’air d’y avoir des Pokémon cools par-là. De toute façon, ils se montreront pas si on reste tous paquets.

Un vent frisquet arriva de l’ouest, je chopais mon bonnet dans ma poche et l’enfonçais sur ma tête. J’avais tout prévu, héhé. Magnolia aussi s’était équipée en conséquence, revêtant une grosse veste. Pourtant, je voyais bien que ce n’était pas suffisant et qu’elle glaglatait à l’intérieur de sa forteresse en duvet. Je m’approchais, la jugeais puis me mettais à rire. Mon bonnet quittait alors ma tête pour rejoindre la sienne.

- Pense à mieux te préparer la prochaine fois. Disais-je en souriant avant de lui tourner les talons et m’éloigner du sentier. Presse-toi, les autres vont prendre de l’avance et j’ai trooop envie de capturer mon premier Pokémon. Mistral me regarda chelou. Toi, tu comptes pas. … VIENS PAR LA !

D’un mouvement vif, je l’attrapais avant qu’il ne fuit. Après deux-trois caresses dans son cou, je le posais sur mes épaules et lui intimais de ne pas bouger.

- C’est toi ma chaufferette à partir de maintenant.

- Ziiig.

- Protester n’y changera rien, sac à puces.

Petit clin d’oeil, grattouilles sous le menton et le voilà qui était prêt à obéir au moindre de mes désirs. Franchement, les hommes sont trop simplistes. Un rien suffit à leur retourner le cerveau. A part mon père ! C’était le seul que je connaissais qui résistait au charme des femmes. J’ai toujours pensé que c’était à cause de ma mère. Il n’en parlait jamais, mais je savais que ce qu’elle lui avait fait l’avait brisé. Ça lui avait aussi permis d’ouvrir les yeux et de devenir quelqu’un de meilleur. En marchant, mains dans les poches, je me retournais vers Magnolia. Elle aussi, elle vivait avec son père avant qu’on ne débarque sur Adala. Sa mère était morte à sa naissance, ou quelque chose comme ça, de ce que j’avais entendu. Au final, on était un peu dans la même situation. Je posais mes prunelles dans les siennes, une légère pointe d’inquiétude dans la voix.

- Au fait, ça se passe bien de ton côté l’intégration ? Ton père ne te manque pas trop ?

A l’expression de son regard, je devinais que j’avais mis les pieds sur un terrain qui n’était pas le mien.

- Oublie, c’était stupide. C’est sûr qu’il doit te manquer. Oh ! T’as vu, on dirait qu’une brume s’amène vers nous.

Autour de nous, l’air se mit à prendre une couleur blanchâtre et à devenir progressivement opaque. Bientôt, il devint impossible de voir à plus d’un mètre de distance. Je faisais halte et saisissais la main de Magnolia.

- Tiens-moi bien pour pas qu’on se perde. Ça va être coton d’avancer dans cette brume, donc soyons prudentes.

Avec un peu de chance, elle repartirait aussi vite qu’elle était venue. Cependant, à mesure que nous marchions, je commençais à avoir un doute sur ce point. Peut-être que c’était le bon moment pour faire demi-tour avant de nous perdre, mais je ne voulais pas repartir sans avoir pu croiser ne serait-ce qu’un seul Pokémon.

- Ça va ? Lançais-je en continuant de faire attention à la direction que nous prenions.

Magnolia n’était pas une fille très bavarde. Ce n’était pas évident de savoir ce qu’elle avait en tête. S’il n’y avait pas eu cette nuit à l’hôpital, nos chemins ne se seraient peut-être jamais croisés pour plus qu’un « salut » dans une cage d’escalier, et encore… Depuis, j’avais l’impression qu’elle n’était pas que timide. J’sais pas, c’était peut-être des problèmes psychologiques ? Genre, fallait avoir un sacré coup sur le caboche pour enfiler un costume et se battre avec des types la nuit. Mais je sentais qu’elle avait besoin d’aide, que c’était une forme de détresse, et pas juste de la folie. Ça ne serait jamais venu d’elle, alors c’est pour ça que je l’avais pris sous mon aile après les cours. Aujourd’hui, j’étais bien contente de la savoir à mes côtés dans cette nouvelle ville, au milieu d’un tas d’inconnus qui ne me comprenaient pas.

La brume se leva soudainement et révéla une zone herbeuse, comme un peu partout sur l’île, et un lac à une centaine de mètres. Je lâchais la main de Magnolia en m’écriant.

- DES POKEMON ! Il y en a plein !

Je ne savais plus où donner de la tête. Tout autour de nous des Pokémon gambadaient gaiement, nous fuyaient ou nous ignoraient. C’était fou, j’étais trop heureuse d’en voir autant. Cette brume avait rendu ce moment magique. Dans d’autres circonstances, je doutais que nous pûmes les approcher aussi facilement. Par contre, aucune fichtre idée d’où nous nous trouvions. N’était-ce pas le cadet de nos préoccupations ?

Tout à coup, je le vis. Il était gros, pas très beau, cheveux au vent, traçant au travers des collines et venant à vive allure sur nous. D’après son empreinte CO2, il était source de pollution, mais il était parfait. Parfait pour ce que j’allais en faire.

- Tu m’excuses deux minutes Magnolia, je reviens. Mistral, t’es ready ?

- Zigza ?

Je prenais mon Pokémon entre mes mains et au passage de la moto, le jetait dessus.

- ZIGZAAAAAAAAAA !

- Vas-y, attaque-le !

La moto dériva de son trajet lorsque Mistral lui tomba sur la figure et s’agrippa à son visage. Je me mis à les pourchasser en courant. Malgré tout, la moto continua sa course en alternant entre droite et gauche pour le faire tomber. J’étais bien trop lente pour les rattraper. Mon seul moyen de capturer ce Pokémon était de faire comme les autres dresseurs et vaincre cette moto avec mon Zigzaton.

- ALLEZ MISTRAL ! FAIS TES TRUCS DE POKEMON !

Sauf que je n’avais encore jamais réalisé de combat Pokémon, ni eu de cours théorique dessus…

Comme d’habitude, j’avais foncé tête baissé dans un sujet qui ne me regardait pas. Magnolia n’était pas le genre de fille à beaucoup bavarder et raconter sa vie. Et là, elle est forcée de se confronter à des personnes qu’elle ne connaît pas, qui n’ont absolument pas le même train de vie que nous. Elle avait beau me dire que ça se passe bien avec les Mentali et qu’elle avait juste du mal avec l’idée d’avoir une colocataire, je sentais bien qu’elle me cachait autre chose. Mais comme dit, ça n’était pas mes affaires, alors j’abandonnais la conversation et me contentais de lui répondre avec franchise.

- Ouais, j’ai une espèce de pimbêche dans ma chambre, mais les autres ont l’air sympa. Ahlala… Moi aussi, j’aimerais récupérer ma chambre. C’est marrant d’une certaine manière. Ici, on a le droit à tout ce qu’on a jamais eu, sauf à la seule chose qu’on avait.

Soudain, une brume nous enveloppa. Je prenais le lead en lui tenant la main, histoire d’éviter de nous retrouver séparées. Quand Magnolia me répondit, je ne pus réprimer un petit rire. Ce n’était pas vraiment ce à quoi je m’attendais, mais c’est vrai que cet endroit n’avait rien à voir avec Volucité. Les deux étaient diamétralement opposés sur tout. A la rigueur, la seule similitude pouvait être le brouillard noir des usines remplacé par ce brouillard blanc.

- Tu sais quoi ? Volucité me manquerait presque.

Cette ville, c’était l’enfer sur Terre. Mais cette ville, c’était aussi chez nous. On y avait notre vie, alors même si je la détestais plus que tout, elle était ancrée en moi et il était difficile de m’y soustraire.

La brume finit par se dissiper, nous redonnant la vue sur un paysage spectaculaire, empli de Pokémon en tout genre. J’étais rapidement interloquée par une sorte de véhicule qui nous fonçait dessus. Je faisais un clin d’œil à Magnolia pour la remercier de ses encouragements et m’engageait dans la poursuite du Pokémon pollueur. Comme quoi, j’étais vraiment attirée par tout ce qui respirait Volucité.

- ALLEZ MISTRAL ! FAIS DES TRUCS DE POKEMON !

Peut-être que j’étais débutante. Peut-être que je n’étais pas douée non plus. Mon Zigzaton tenait déjà dans un équilibre précaire sur l’avant de la moto. Il n’avait aucune possibilité d’utiliser ses pattes pour attaquer, à moins de briser son équilibre et tomber dans le même temps. L’autre possibilité était d’utiliser une technique qui ne demandait aucun de ses membres pour l’activer, donc quelque chose avec ses crocs ou ses yeux, comme Morsure ?

- FAIS MORSURE ! Lui écriais-je en me disant que cette précision l’aiderait à faire son job.

En lieu et place, il me regarda par-dessus la moto avec incompréhension, jusqu’à ce qu’un éclair de lumière lui illumine le regard et qu’il se mette bien en face du visage de la moto. Yes ! Il avait finalement compris mon premier vrai ordre ! Mais je fus vite désillusionnée lorsque je le vis faire une grosse léchouille sur le visage de la moto, ce qui était pour lui l’attaque la plus proche d’une Morsure apparemment. J’aurais pu me frapper le visage et m’interroger sur mes compétences de dresseur, ainsi que les siennes de Pokémon, si le véhicule cyclope ne s’était pas retrouvé plein de bave, incapable de se diriger correctement et avait donc dérapé sur le sol. Parfait ! Juste ce qu’il me fallait pour les rejoindre.

- Mistral, on va devoir revoir ensemble tes capacités.

Les deux Pokémon étaient étalés sur le sol et la moto éprouvait des difficultés à se redresser toute seule. Je me penchais vers elle et tentais de la soulever. La première fois, j’étais surprise de son poids pour sa taille et la lâchais précipitamment. La seconde fois, je m’y prenais en connaissance de cause et la remettais droite comme il faut sans trop de mal.

- Salut toi. Je vais avoir besoin d’un Pokémon comme toi pour mes études, mon avenir et un tas d’autres trucs chiants comme ça. Mais tu verras, ça va être sympa. On s’amusera bien, on voyagera, on défoncera des records de vitesse… Que des trucs cools en somme. T’as rien à signer, il suffit juste que t’acceptes d’entrer dans cette pokéball. Alors ? T’en dis quoi ?