On l’assassine, on la tue, quelqu’un par pitié !
Adèle n’y croyait pas. Elle n’y croyait pas avant de la voir quand toute les Givrali ivres du sentiment de détenir l’Information avec un grand I s’étaient jetées sur elles avec des moues catastrophées. Elle n’y croyait pas en le lisant, songeant qu’il s’agissait d’un canular vengeur orchestré par la reine du réseau : Ezra. Elle n’y croyait pas après, alors qu’une demoiselle à la chevelure abondante et d’un rose très tendre et très claire toquait à la porte de son – très bientôt – prestigieux atelier.
Mama Odie était malade. Non, d’ailleurs c’était inexact. Mama Odie était cassée en deux dans l’un des petits lits étroits Miss Needle TOUT CA parce qu’elle avait glissé sur une malheureuse frite. Autant dire que c’était l’apocalypse, qu’on allait cesser de vivre et qu’il fallait un remplaçant dans les plus brefs délais. La cadette Faust n’était pas prête à expérimenter le moindre surgelé et encore moins à jeûner. Il était donc essentiel que la tyrannique et insondable direction de l’établissement se décarcasse pour que ses précieux élèves continuent de vivre avec un régime alimentaire confortable qui suffise à requinquer les convaincus de Jackie. Et non pas qu’elle envoi de terribles messages menaçants à certains d’entre eux pour les convaincre d’intégrer la restauration. Oui, il devait y avoir un déficit clair chez les apprentis marmitons mais de là à piocher parmi des coordinateurs spécialisés en stylisme, il y avait une marche que la bourgeoise avait eu le tort de croire infranchissable. Cette assurance allait lui coûter.
En fait, en voyant sa « partenaire » débarquer alors qu’elle était au beau milieu d’un dessin de patron étalait sur le dos et son crayon de papier dans la bouche, la brune n’avait pas compris. Elle s’était relevée mollement, entendant vaguement cette fille que rien ne désignait comme une cliente dire des mots assourdis par cette fichue courbe dont elle ne parvenait à définir la hauteur. Le mot « cuisine » comme à revenir dans la bouche de cette demoiselle, à tel point que l’héritière fronça les sourcils. Cuisine ? Ses neurones s’agitèrent pour lui rappeler un vieux souvenir. Enfin, vieux, hier quoi. Mission. Cuisine. Fat. Non, pas ce prénom, Faït peut-être ? Sa cervelle commençait à s’échauffer. Adèle quitta enfin son croquis pour observer la nouvelle venue. C’était une jolie jeune femme à la capillarité anormalement importante, une véritable crinière d’un rose pâlichon qui s’accordait à une tenue d’écolière revisitée. Son excentricité fit naître des interrogations dans le regard de la Givrali, elle l’a dévisagée de ses prunelles sarcelles. L’insipide perspective de la requête de ses supérieurs semblait s’atténuer en découvrant celle qui devait l’accompagner. Mais tous les fils n’étaient pas encore bien connectés, alors la Coordinatrice écoutait sagement son interlocutrice.
Quand cette dernière conclut que le territoire d’Odie lui était inconnu, Adèle lui attrapa sa paume droite à deux mains. Son visage rayonnait de la joie innocente de celle qui ne comprend pas où est le problème.
« Enchantée Faït, appelle-moi Ady, personne ne me donne de surnom à l’académie. Pourquoi tu veux visiter les cuisines d’Odie en fait ? Ça doit puer la cuisse de Galifeu aux frites là-bas. Je trouve les mauvaises odeurs immondes, pas toi ? »
Et puis, la matière grise de celle qui venait de parler arriva enfin au bout de son raisonnement. Ce fut une catastrophe. Le visage jusqu’alors avenant de la brune pris l’apparence de celui de Fooly face à son bosquet fétiche dévasté. La brune était si horrifiée quand elle en lâcha la main de Faït.
« Oh non. Ne me dis pas que… C’est une blague j’espère ?! Faït regarde-moi ! Est-ce que je ressemble à une cuisinière de self ? Non ! Au mieux je suis l’auteur de délicieux et très croustillants biscuits ou de chocolats, mais la fille du bouiboui ja-mais ! »
Tout en disant cela, Adèle faisait de grands gestes qui devaient mettre en valeur ses propos. Mais c’était vain, c’était inutile de s’énerver si l’on n’avait pas de plan d’action. Il fallait agir et ceci de façon immédiate. Adèle battit le rappel en tapant du pied. Presque aussitôt Gollum arriva joyeusement en volant en zigzag et l’os de Causette siffla l’air, glaçant sa dresseuse. Bien, les autres ne devaient pas être disposés à obéir. C’était sans importance.
« Allons immédiatement nous plaindre en cuisine. Nous en profiterons pour piller les réserves de chocolats, nah. Tu me suis Faït ? »
Dans l’encadrement la porte, La Givrali se tourna vers la belle demoiselle avec un regard hésitant. La brunette n’était pas sûre d’avoir le courage d’y aller seule, ces derniers les gens aimables manquaient à son entourage même les gens peu aimables d’ailleurs. La petite n’avait pas envie que le rose ne la lâcha sous prétexte que c’était un caprice d’enfant.
Faït n’était pas très réactive. Pas franchement complice non plus, elle était même plutôt cruelle dans sa paisible indifférence. Un peu comme le frère aîné d’Adèle, la même énergie lasse et tranquille semblait les maintenir en vie, le mépris en moins en ce qui concernait la rose. La jeune Faust n’avait pas une minute à perdre là-dessus. Il lui fallait l’appui de cette fille pour donner de la valeur à ses arguments – même si la brune n’avait aucun doute sur les chances de réussite de son scandale. Il faudrait empoigner sauvagement le responsable de cette mascarade, se mettre à pleurer ou s’énerver et paf, le tour serait joué. On s’effondrerait mollement en « mademoiselle » ou on soupirerait avec résignation, dans les deux cas elle était gagnante. Il serait toujours temps d’inviter l’apathique miss à boire du thé et faire une partie de scrabble après. La grand-mère Faust avait toujours fait ainsi avec ses amies et sa petite fille songeait à mimer son comportement.
Les cuisines étaient spacieuses, propres et rangées. Adèle s’y sentit comme chez elle. Ce devait être le lieu de l’académie qui ressemblait le plus à son manoir. Odie était peut-être une vieille femme empâtée mais son goût en matière d’aménagement était excellent. Pendant que sa partenaire commençait à fouiller les casseroles. La petite brune avait déjà renoncé à son projet de révolte indignée contre la direction. Elle était grimpée sur les plans de travail. Prudente, la Styliste avait pris soin de se déchausser avant et c’est en chaussette qu’elle arpentait les fourneaux. Tout l’intriguait, l'enfant ouvrait en grand les placards pour découvrir casseroles et ustensiles dont elle se saisissait avec effronterie. Les entrechoquant dans une joyeuse mélodie qui ne plaisait qu’à elle seule. La Givrali cessa bientôt car les bruits rendaient Gollum fou, le malheureux volait en tous sens en grouinant de terreur. Ce spectacle aussi effrayant qu’affligeant convainquit sa maîtresse de ne pas prendre trop de libertés dans la salle déserte de la dame de cantine.
Du chocolat dans le frigo ? Odie était totalement sénile en fait. Faït devait vouloir parler de MOUSSE au chocolat, impossible autrement. Adèle enjambait les meubles de cuisines pour vérifier par elle-même son pied découvert se posa directement sur une plaque brûlante. Son cri déchira l’air et la gamine chuta. Causette qui veillait en silence la rattrapa tant bien que mal, s’attirant tout de même les foudres de sa maîtresse.
« Aïeuh ! Mais ! Mais j’ai maaaal ! Lâche-moi Causette ! »
La dinosaure, un poil orgueilleuse ne se le fit pas dire deux fois, la silhouette de la jouvencelle s’étala par terre bruyamment de moins haut quand même. La Coordinatrice passa le reste du temps à masser son pied gauche qui la faisait atrocement souffrir. Il allait y avoir une grosse là. L’académicienne sentit ses yeux s’embuer de larmes et c’est en reniflant qu’elle entreprit de trouver un bouquin pour cuistot. La Givrali avait décidé de ramper au sol pour éviter d’autres accidents et ne pas trop solliciter son arpion douloureux. La recherche fut… pour le moins enrichissante. Un magazine avec quelques hommes en caleçon que l’innocente Adèle délaissa, définitivement trop peu de rapport avec la cuisine pour que Faït apprécie. Deux manuels d’utilisation : l’un concernant le super-four-à-grille-pain-intégré et l’autre le frigo-freezer-avec-cache-bazooka, la gamine avait froncé les sourcils d’incompréhension. Jackie était donc de mèche avec la reine des fourneaux. Bah, tant pis, Faït leurs trouverait bien une utilité. Elle les rangea donc près des dangereuses plaques chauffantes près d'un grimoire en lambeaux qui portait l’inscription presque illisible de « Cui… Aphr…aque. ». On dut retourner dormir, ce que la cadette Faust fit s’en se faire prier. La demoiselle avait les paupières lourdes et son pied gauche n’était plus qu’un bout de jambe rougeâtre et boursouflé.***
A l’aube, autrement dit trop tôt, un SMS fut annoncé par la mélodieuse voix de Jackie « GARDE A VOUS ! ALLER AVORTON, ON CHERCHE A TE PARLER ! HOP HOP ! PLUS VITE QUE CA, REMUE-MOI CES PETITES FESSES PLATES ! ». Réveillée en sursaut et le cœur battant, la petite brune cru sa dernière heure arrivée. Dans la précipitation la jeune dresseuse manqua de se manger un mur, renversa une corbeille pleine de petits papiers arc-en-ciel et réveilla la voisine de la chambre d’à côté.
« Hein ? Que ? Quoi ?! Zola !? Zola si c’est toi, je … Je… Oh et puis zut ! »
Adèle venait de réaliser qu’il s’agissait en fait de son Ipok et bien que toute la troupe soit près de son lit, il n’y en avait pas un sur lequel elle puisse décharger son excès de panique. C’était son choix de sonnerie après tout. La petite attrapa l’appareil en grommelant, on n’avait pas idée de se lever aux aurores pour déranger ses camarades ! Ah, Faith… Faith ? Faït ! D’un coup tout ressurgi pêle-mêle, le message de la direction, le débarquement, les cuisines… NON, la catastrophe n’avait pas été arrêtée. La brune râla par principe mais elle eut tôt fait de revêtir un t-shirt blanc immense pour accueillir la sauce tomate et des chaussures antidérapantes – il ne s’agirait pas de rejoindre la dame de cantine chez Needle. La Styliste toussota et énuméra le nom des heureux élus qui l’accompagnerait dans sa périlleuse mission.
« Totem et Zola, on sait jamais des fois que vous puissiez être utile, hein ? Causette tu fais la nounou, je rentre ce soir ou avant si c’est ennuyeux. »
Et voilà la Faust qui courait dans les couloirs pour rejoindre les grandes cuisines. La même fille élancée et… à grande crinière rose l’y attendait. La Givrali avala de travers, c’était parti pour quoi ? Matin, c’était le petit déjeuner ça. Bon, il ne fallait pas trop chercher non plus… En gros se serait pains au chocolat et croissants, non ? Mais la gamine hésitait, c’était un peu inspire comme idée. Pour se donner une contenance, la Coordinatrice apporta à sa camarade les bouquins trouvés hier et ouvrit la relique dont elle n’avait réussi à déchiffrer le titre.
« Hum… Bon d’accord. Bah moi je vais prendre un chocolat avec des tartines et puis pour les autres…. Ah des langoustines au gingembre ? C’est pas pour le matin ça. Hum disons des muffins à l’anis, oh c’est joli comme nom ! »
L’académicienne tournait maintenant vivement les pages, intéressée. Totem était penché près d’elle, il apposait sa patte sur certaine recette comme s’il y connaissait quelque chose. Indifférent à la gastronomie Zola s’en était allé, attiré par l’alléchant parfum de noix dont il compter bien se faire exploser la panse.
« Tu vois Faït, le problème, c’est que je ne sais pas ce que veulent dire tous les mots. Je crois qu’on ferait mieux de faire des cookies et de rajouter des ingrédients qui sentent bons et qui portent des noms savants. »
Elle tourna un regard interrogateur en direction de son acolyte.
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