Oh le doux rire cristallin de Salomé.
Les nouveaux arrivaient et avec eux, cette bonne blague portée par Ulrich, cette boutade qui n'en était pas une, ces quelques mots qui charriaient sourire et éclats de la part de la rousse.
— C'est ça que tu appelles la vengeance ? rétorqua-t-elle, une drôle de lueur dans les yeux tandis qu'elle pensait immanquablement à Logan, non, vraiment, ce serait ça, pour toi ? Moi qui te secoue un peu pour t'éviter de te tromper de voie... ?
Hilarant.
Vraiment.
Et elle qui se retenait de laisser aller sa joie trop bruyante, ce rire qu'elle comprimait et retenait pour mieux faire face à Ulrich et sa niaiserie, Ulrich et ses semblants de belles phrases qui déclinaient sitôt Salomé ouvrait-elle la bouche pour répliquer.
À mourir de rire, encore.
Elle se reprit, un sourire carnassier fendu telle une lame en travers du visage, ses prunelles de velours traversant celles de coton du jeune homme :
— Crois-moi, si je m'en étais prise à toi, pour de vrai je veux dire, tu le saurais. Tu serais déjà à terre, chassé d'ici, la ville à ton dos et tes Pokémons dispersés. Ce n'est pas ce qui est en train de se passer, n'est-ce pas ?
Elle aurait sûrement innové, frappé de manière à blesser Ulrich et seulement Ulrich, faisant preuve toujours plus d'imagination et, surtout, de cruauté.
Il n'en était pas question aujourd'hui.
Alors comment cette question avait-elle pu être abordée ? La vengeance, encore et toujours, ce même mot qui fit soupirer Salomé, ces mêmes syllabes qui n'en finissaient pas de la secouer, lui rappelant son entité profonde, elle la fille des camps qui n'avait fait qu'avancer pour mieux traquer son passé, elle qui n'avait cessé de manipuler tous ceux qui l'abordaient pour mieux parvenir, enfin, à la croisée des chemins.
Restait encore à en choisir un, de putain de chemin.
C'était sûrement cela le plus difficile.
Les nouveaux prenaient place sous le regard de braise de Salomé qui s'étirait encore tandis que Karma se coordonnait avec le Charmina pour mieux démontrer toute la palette de leurs capacités en matière de yoga. Salomé, elle, se contentait d'écouter en biais la prise de position d'Ulrich concernant le violon, son instrument de prédilection, se retenant toutefois d'intervenir en sa faveur pendant qu'elle époussetait du bout des orteils son tapis respectif.
— Tu devrais éviter d'employer des mots qui te dépassent, tu sais ?
Ne pouvait-elle pas simplement se taire et faire son travail ? Juste mener cette séance, comme la précédente, avec le violon en fond sonore à la place de la harpe ? C'était encore trop demandé à la rouquine qui prenait un grand plaisir à maltraiter ce gamin à peine plus âgé qu'elle.
Karma enchaînait les asanas tandis que Chayana, elle, restait au bout de la pièce, épiant tout ce beau monde en attendant la fin de l'heure, une fois encore, pendant qu'Algernon voletait de gauche à droite sans se soucier ni de sa dresseuse, ni de qui que ce soit, errant simplement.
La plénitude emplissait la pièce et avec elle, le venin de Salomé qui n'en finissait pas de bouillonner, n'attendant qu'une opportunité de plus pour fuser avec Ulrich en proie prédestinée. Elle se mordit la lèvre inférieure, se concentrant sur ses mouvements, son corps et, plus que tout, sur sa respiration.
Tout n'était qu'une question de souffle, elle le savait depuis si longtemps.
Plus que tout, elle craignait d'en manquer.
Chacune de ses inspirations se déployaient pour mieux se perdre dans son ventre et s'étouffer dans sa poitrine avant de s'enfuir finalement le long de son buste. Elle ouvrit des yeux hasardeux, épiant le monde qui s'offrait à elle, et surtout cette salle qui semblait en suspens, seulement troublée par les notes robustes d'Ulrich. Voilà l'hésitation qui s'était envolée et avec elle, les arpèges chevrotants de l'heure précédente.
Au moins se débrouillait-il un minimum dans un domaine, même si la rousse risquait d'avoir du mal à lui concéder, elle qui avait encore en travers de la gorge cette insulte répondant au nom de Mélie, cette même insulte qui ne cessait de la traquer depuis des années déjà, la poussant doucement dans les pas de la guitariste, à travers cette même destinée qu'elle se refusait tandis que le monde entier semblait rire de son sort.
Il n'y avait plus qu'à patienter désormais.
Sans jamais oublier de respirer.