Le soleil du mois de Mai commençait progressivement à chasser la grisaille et le mauvais temps de l’île Lansat. Pour l’occasion, Cleve avait décidé de s’aérer les gambettes en revêtant une sorte de short-salopette en jean par-dessus un simple t-shirt coloré. Ses longs cheveux roux remontés en queue de cheval, et un gros casque autour des oreilles, elle faisait se retourner quelques paires d’yeux qui détournaient le regard lorsque Pep’ claquait des dents, défendant sa dresseuse comme s’il avait s’agit de son propre bébé Pokémon. Caisse de Pokémécanicienne à la main, un plan griffonné à la hâte dans l’autre, la jeune fille déambulait dans les rues de la Ville Portuaire, toujours accompagnée de son fidèle Pokémon Transport bleu. Elle n’avait pas encore eu vraiment l’occasion de s’aventurer dans ce coin-là de l’île, et était anxieuse quant à son sens de l’orientation plus que piteux. Il fallait dire qu’elle avait passé de longues journées à travailler sur son Casque Traducteur –en plus de devoir étaler la masse exubérante de contrôles à rendre que l’académie lui mettait sur le dos-, et était tellement prisée par son travail qu’elle en avait même manqué les trois dernières Sorties Captures. Par chance, elle avait déjà une équipe plutôt bien fournie, et il n’aurait pas vraiment été nécessaire d’accueillir un nouveau compagnon dans l’équipe. D’autant plus que pour le moment, elle rencontrait quelques difficultés avec son Casque et avait autre chose de plus important à faire que d’aller risquer sa vie sur une île lambda.
Jetant un nouveau coup d’œil à son papier, Cleve bifurqua à une intersection et tomba sur ce qu’elle cherchait ; une petite échoppe aux allures rustiques, avec pancarte de bois indiquant « Chez Al Magne ». Faisant tinter la petite clochette lorsqu’elle s’engouffra dans la boutique, Cleve intima à Pep’ de l’attendre devant la porte, histoire que ce bougre et sa maladresse ne renverse pas tous les étalages. Et étalages il y avait ! La jeune fille n’en cru pas ses yeux tant ce spectacle l’émerveillait. Des boulons, des vis, des tournevis et des perceuses partout ! Curieuse, elle inspecta avec un grand intérêt chaque présentoir, touchant parfois du bout de ses doigts pâles, les rouages métalliques qui n’attendaient que d’être montés. Elle avait de l’argent sur elle –et beaucoup, même, qu’elle avait réussi à glaner lors de missions et de petits boulots pour les profs de l’académie-, mais Gaston Fooly mettait déjà pas mal de matériel à sa disposition, et elle pouvait en trouver une bonne partie dans les souterrains de l’école. Il n’était peut-être pas nécessaire qu’elle fasse des folies, bien que la fièvre acheteuse commençait à lui monter progressivement à la tête.
Soupirant, elle laissa de côté son lèche-vitrine et se dirigea vers le vendeur de l’échoppe -le fameux Al Magne, si on en croyait le nom de la boutique-. Avec politesse, elle se présenta, montra rapidement son Casque Traducteur, expliqua son principe et déballa son problème. Elle, la petite mécanicienne en herbe, bloquait sur un aspect purement mécanique de son projet depuis voilà deux semaines. Elle avait tout tenté pour passer outre cet obstacle, mais elle s’était résignée ; il fallait qu’elle demande de l’aide si elle voulait être débloquée. Et qui de mieux qu’un pur mécanicien pour lui donner un coup de main ? Elle portait de grand espoir dans cette rencontre, mais rapidement, son sourire disparu de son petit minois d’adolescente. Le vendeur ne pouvait pas l’aider, puisqu’il n’avait jamais vu ce genre de mécanismes et n’avait pas les compétences nécessaires pour lui permettre de trouver une solution. Déçue, la rousse s’apprêta à partir lorsque l’homme bourru lui conseilla d'aller à la rencontre d'un Scientifique qui pourrait, selon lui, peut-être l’aider à trouver quelques pistes. Après lui en avoir peint une description plus ou moins fidèle, il lui indiqua où elle pourrait rencontrer le jeune homme à cette heure-là de l’après-midi, et la salua en lui souhaitant bonne chance.
Récupérant Peppéroni à la sortie, Cleve se dirigea donc vers l’Aquarium, qui, par chance, était tellement gros qu’elle aurait difficilement pu ne pas le trouver. Après avoir payé son billet d’entrée, la Scientifique déambula aléatoirement à travers les différentes pièces, zieutant de temps à autres les spécimens aquatiques qui évoluaient au ralenti derrière de grandes vitrines transparentes. Un banc de Lovdisc vint à sa rencontre en ondoyant leurs corps comme des sirènes, puis se dispersa dans un concert de bulles et d’écume lorsqu’elle approcha sa truffe de la barrière de verre. L’ambiance était reposante et calme, et rapidement, la Givrali eut envie de piquer un somme.
Ce fut à ce moment-là que ses yeux ambrés se posèrent sur un jeune homme endormi sur un banc. Son expression était brute, bien que paisible, et Cleve se demanda un instant s’il s’agissait du fameux Scientifique qui pouvait éventuellement l’aider. Al Magne lui avait dit qu’il avait « une chevelure grise, des yeux bizarroïdes et une sale gueule à faire peur à un Leviator », mais la jeune fille hésitait. Reposé, plongé dans un profond sommeil, l’homme n’avait pas vraiment l’air d’être un excité de service comme Deaglàn Cadigàn. Décidant tout de même de s’approcher pour essayer de trouver un indice sur lui qui pourrait lui confirmer qu’il s’agissait bien de Dan Mark –un nom brodé sur ses vêtements, ou autre-, Cleve se coula jusqu’à lui et…
Un sommeil de plomb accablait le jeune homme déjà assoupi depuis pas mal de temps. Au moins les bras de Morphée apportait un peu de détente à son visage d'ordinaire fermé, aigri et peu courtois. Certains pourraient même se risquer à avancer qu'il était angélique ainsi, la tête tombante, les bras croisés sur la poitrine. Mais qui le connait un minimum sait qu'il ne s'agit que d'une passe brève et que le réveil fera resurgir l'être parfaitement odieux qui se cache derrière ces paupières lourdement fermées.
Quelques tressauts venaient les agiter d'ailleurs. Leur propriétaire était plongé au plus profond de ses rêves lui remémorant les souvenirs d'antan de son voyage à travers le monde. Il se souvenait en cet endroit paisible de ses rencontres avec chaque membre de son équipe. Ils représentaient tous les seuls êtres qu'il semblait aimer. Sachant que celle qu'il aimait le plus était bien évidemment sa propre personne. Il n'y avait pas photo.
Mais encore une fois, cet être excentrique ne paraissait de rien assis là, se balançant légèrement sur son perchoir. Et la jeune fille qui s'approcha de lui ne semblait pas se douter à quel point cette torpeur pouvait être trompeuse. Sa quête la mènerait face au Dan Mark pur et dur qui vous fait vivre un véritable enfer. Surtout si vous le tirez de lui. Mais la pauvre enfant ne pouvait pas en avoir la moindre idée étant donné qu'elle ne le connaissait ni d'Eve ni d'Adam. C'était donc à sa propre perte que la jeune demoiselle se glissait. Et ce qui devait arriver arriva.***
- J'ai sorti mon poireau pour... !
Le réveil fut brutal et inattendu. Même moi je me serais pas douté que j'allais rejaillir aussi brusquement. Le cœur battant, je me réadossais contre le mur derrière moi alors qu'un employé de l'aquarium me fit signe de faire un peu de moins de bruit. Je lui jetai un simple regard qui en disait long sur ce que j'aurais aimé lui beugler.
Va savoir combien de temps j'étais rester ici à roupiller. Mes souvenirs m'avaient bercés vers un profond inconscient et mon réveil s'était fait au terme d'un cauchemar épouvantable se résumant à une vision d'un vieil oncle sénile me chantant une comptine des plus traumatisantes quand on a que six ans. Et croyez moi, il avait été assez timbré pour m'expliquer en détail où finissait ce fameux poireau que j'avais beuglé plus tôt.
La tête comme une pastèque, je décidai que quelques taffes me ferait le plus grand bien. Ni une, ni deux, mon paquet finit dans ma main pour m'en griller une. Mais à peine le temps de l'allumer, la cigarette hein, que l'autre zozo de tout à l'heure revient à la charge en me faisant ses gros yeux, le doigt pointé sur un panneau représentant une clope barrée par un gros trait rouge. Un profond soupir d'exaspération. Voilà ce qu'il récolta. Et il eut de la chance que je ne me contente que de ça. Je rangeai tout mon attirail, dégoûté de ne pouvoir faire ce que je voulais.
Je me frottais donc les yeux, agressés par la luminosité des aquariums me faisant face. Et ce fut à ce moment-là, dans un mouvement de tête, que je remarquai que j'étais observé. Une gamine pas très haute, un casque sur les oreilles et un papier à la main me fixait sans bouger. Ce qui ne m'arracha pour seule réaction qu'un :
- Quoiiii ? Ta mère t'as pas appelé gamine ?!
Un pas puis un second vers l’homme qui était peut-être Dan Mark. La rousse était presque parvenue à trois pas de lui que le Scientifique se réveilla en sursaut, criant un « J’ai sorti mon poireau pour… ! » tonitruant, faisant sursauter toutes les personnes présentes aux alentours. Cleve manqua l’arrêt cardiaque, et, le cœur battant à tout rompre, elle continua d’observer cet étrange énergumène pétrifiée, incapable d’esquisser le moindre mouvement. Peppéroni observait la scène avec curiosité, un sourcil levé, se demandant comment tout ça allait se terminer. Un employé apposa son index sur ses lèvres et siffla à la Belle aux Bois Dormant de se la boucler un peu, mais cette dernière lui renvoya un regard tellement féroce que Cleve se mit à trembler des pieds à la tête. Ce type-là était dangereux. Bien loin de l’image qu’il renvoyait lorsqu’il était en train de dormir comme un bébé, Dan Mark était plutôt fidèle à la description que lui avait faite Al Magne. « une sale gueule à faire peur à un Léviator ». Ouais. Elle était limite en train de se faire pipi dessus, et le minimum de contenance qui lui restait était dû à la motivation qui l’avait poussée à venir ici. Elle avait besoin de lui. Absolument. Elle ne pouvait pas reculer parce qu’elle était morte de peur, et rebrousser chemin en laissant un problème non résolu. Elle était Scientifique, que diable ! Elle n’allait pas faire marche arrière à la moindre difficulté. Il lui fallait l’aide de cet homme-là. Réellement.
Cependant, elle préférait continuer de l’observer afin de voir quelle était la meilleure façon de l’aborder. Le premier contact était très important. Il fallait qu’elle parvienne à l’intéresser un minimum pour qu’il lui laisse le temps d’expliquer son projet et en quoi elle avait besoin de son aide. Et là, au réveil, ce n’était sans doute pas la meilleure des options qui s’offrait à elle. Dan venait d’ailleurs de se sortir une cigarette pour fumer, mais il fut repris par l’employé de l’Aquarium. Un soupir exaspéré s’échappa de ses lèvres, et il rangea son barda avec mauvaise foi. Cleve trouvait que son caractère risquait d’être difficile à apprivoiser, mais elle ne perdit pas courage et s’avança d’un pas vers lui. Ce fut à ce moment que l’homme la remarqua, en lui demandant si sa mère ne l’avait pas appelée. Il l’avait d’ailleurs traitée de « gamine », et Cleve fit une moue contrariée. Non mais. Pour qui il se prenait, celui-là ? Ce n’était pas parce qu’il avait hm… peut-être dix ans de plus qu’elle, qu’il pouvait se permettre d’être aussi supérieur. La rouquine posa les mains sur les hanches, et fronça les sourcils, immédiatement imitée par Peppéroni qui grogna en montrant les dents.
« Je ne suis pas une gamine. » répondit-elle en insistant sur le dernier mot. « Et je ne suis pas venue avec ma mère. Je suis en pensionnat à l’académie Pokémon. » ajouta-t-elle en pointant le doigt vers la direction où se trouvait –elle pensait- la Pokémon Community.
De toute façon, c’était le seul endroit où les jeunes pouvaient étudier en pensionnat, au sein de l’île. Si ce Dan Mark était un minimum cultivé, ses neurones feraient rapidement le rapprochement.
« Enfin, je ne suis pas venue ici pour parler de ça. Êtes-vous Monsieur Mark ? Monsieur Magne de l’échoppe des Mécaniciens m’a dit de venir vous retrouver. Selon lui, vous seriez apte à répondre à quelques une de mes questions… » ajouta-t-elle, son ton s’adoucissant un peu, sans pour autant redevenir celui de la Cleve qu’on connaissait.
Ce type, c’était sûrement un rival intellectuel. Du moment que Cleve ne se sentait pas en compétition, elle pouvait rester douce et timide, comme la petite souris d’ordinaire. Cependant, dès qu’on commençait à jouer sur les mêmes catégories qu’elle, la rousse se montrait un peu plus incisive. Comme avec le vieux Fargas d’Ecorcia, d’ailleurs. Le bougre n’avait pas beaucoup pu profiter de la gentille gosse qui trébuchait sur ses pieds et mangeait des Baba au Rhum. Cette fois, l’objectif était de montrer qui avait le plus de tripes. Et à ce jeu-là, Cleve n’était pas si mauvaise.
Elle en avait dans le froc la gamine ! Ça me ferait presque rire si elle m'avait pas réveillé aussi brutalement. Parce que oui je la tiens pour responsable de ça aussi. C'était la première là donc c'est sa faute en toute logique. Une logique bien à moi certes mais comme j'ai toujours raison voilà quoi !
Elle a du répondant la gamine puisqu'elle démarre au quart de tour suite à mes mots. Elle me réplique qu'elle n'est pas venu avec sa mère et que c'est pas une gamine. Je veux bien croire une information sur les deux qu'elle avance ! Puis semble-t-il qu'elle est à la fameuse académie Pokémon qui fait la principale réputation de cette île. A tel point que le port paraît mort à côté. C'est pas un pôle important du truc faut croire.
Puis elle finit par calmer ses ragnagnas pour adopter un ton moins agressif. Elle fait bien parce que bon c'est pas la politesse qui l'étouffe la gamine ! Elle se permet de me réveiller et après elle vient me crier dans les oreilles. Le comble de l'ironie vous l'admettrez.
Son ton plus doux cache une fameuse demande qui me laisse perplexe. D'expérience, quand quelqu'un ne me connaissant pas demande à me voir, je préfère adopter l'approche la plus intelligente qui soit. A sa question pour savoir si je suis M.Mark, parce que oui attention on m'appelle Monsieur maintenant, je lui réponds donc simplement :
- Ça se peut que je le connaisse ouais. Mais il s'est absenté pour le moment. En fait je travaille avec lui. Mais qui le demande ?
Mon regard bicolore scrute intensément la jeune fille afin de voir où elle veut en venir. Qu'est-ce que ce mini truc me veut ?! J'ai jamais fait de connerie avec des enfants hein ! Je ne suis ni roi de la pop et j'ai pas fait ma communion donc je ne bois pas de ce pain là ! Mais ça semble pas être ça non plus. Surtout pour qu'elle soit allé chercher des infos auprès de Magne. Je le retiens celui-là à m'envoyer des pimbêches un peu chieuses. S'il me fait perdre mon temps avec elle, il va m'entendre.
Sans attendre que la mini crotte me réponde, je finis par me lever de mon siège pour m'étirer un coup. Je m'étends de toute ma hauteur avant de relâcher toute la tension d'un coup, épaules tombantes. Je fixe après ça l'aquarium face à moi, une oreille à moitié attentive à ce que la mioche va me dire.
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