« Engagez-vous qu’ils disaient… » marmonna Cleve en donnant un coup de pied dans un caillou, tandis que Pep’ trainait de la nageoire derrière elle. La rousse se tourna vers lui en fronçant les sourcils, mais au final, elle ne comprenait que trop bien son fidèle compagnon. Après tout, qui avait envie d’amorcer le pas qui allait les faire passer de « gentille forêt verdoyante et lumineuse » à « lugubre bois brumeux probablement hanté » ? La Givrali soupira. Elle avait accepté, plus tôt dans la journée, d’aller faire une petite excursion avec son amie Ikiala Rosenbach dans le Bois de Brume. Elle ne savait pas vraiment les détails de l’affaire, ni ce que sa nouvelle préfète de dortoir comptait chercher exactement dans ces lieux, mais elle était ravie de faire une promenade en sa compagnie. Enfin… si cette promenade s’était déroulée au bord de la plage ou dans le parc. Ce qui, malheureusement, était loin d’être le cas. Mais bon. Il fallait dire que la rouquine était à la fois curieuse de savoir ce que la Topdresseuse avait à faire, et à la fois extrêmement réticente à l’idée de la rejoindre. Ceci dit, cela faisait des mois qu’elle n’avait pas énormément parlé avec sa camarade, et la revoir après les vacances scolaires lui ferait du bien. Elle s’était exclue à Ecorcia pendant les deux longs mois qui avaient suivi la fin de l’année précédente, et n’avait même pas daigné faire un tour sur la fameuse île Cobaba, qui avait apparemment fait des heureux si on en croyait toutes les photos sur les Pokébook des élèves de l’académie. D’un côté, la coupure lui avait fait du bien ; pas de groupies d’Amaoka sur le dos –encore que les filles la laissaient un peu tranquille depuis que le Roi ne lui parlait plus-, pas de groupies d’Allen sur le dos –ça par contre, elle ne se l’expliquait pas. Elle avait fait une mission avec le Noctali, comment pouvait-elle être une menace ?-, et surtout, surtout, pas de cours. Elle avait pu passer tout son temps dans sa chambre à jouer aux jeux vidéo tandis que Peppéroni mâchonnait des chips d’un air absent. Toute son équipe s’était d’ailleurs très bien adaptée à Ecorcia ; Biske avait aidé sa mère à faire le ménage et la lessive –bien qu’il ait eu la fâcheuse tendance d’inonder la maison au passage-, Cherryl avait été pris d’assaut par les quelques gosses du village –pelucheux et rose, il fallait dire qu’il pouvait s’attirer pas mal de faveurs, même si son caractère était pour le moins… inhabituel-, Apple avait orchestré les tâches ménagères, Ritsu avait servi de bouillote à son père, et Curly… Curly était resté comme une Poképoupée sur le lit de Cleve en la regardant jouer à ses jeux sans jamais cligner des yeux. Les parents de Cleve avaient adoré les nouveaux amis Pokémon qu’elle s’était fait. Ils avaient été fiers de la voir revenir grandie et avec quelques projets d’avenir, plutôt que revêche et sans ambition réelle. Les choses se passaient mieux entre eux, à présent, et la Givrali en était satisfaite.
Mais d’un autre côté, elle était envieuse lorsqu’elle entendait toutes les histoires sur Cobaba en se baladant dans les couloirs. Certes, la mousson n’avait rien eu d’enviable ; ça avait même l’air d’avoir été une galère sans nom. Cependant, de nouvelles amitiés s’étaient tissées, ou d’autres s’étaient renforcées dans un fond de décor paradisiaque. Elle aussi aurait bien aimé y aller avec Chypre, Ikiala, Djecédjelly, Leonidas et Allen… Et peut-être aurait-elle eu l’occasion de tirer les choses au clair avec Amaoka ? Non. Ca, elle ne devait pas y penser. Ils n’étaient plus amis ; ne l’avaient probablement jamais été, d’ailleurs. Retenant un soupir, Cleve fit courir ses yeux mordorés le long des arbres. Ils étaient à la frontière entre la Forêt et le Bois de Brume, à présent. Mais la Pokémécanicienne avait donné sa promesse ; il fallait qu’elle honore ce qu’elle avait dit plus tôt dans la journée, et qu’elle rejoigne Ikiala.
Pep’ couina un moment, mais finit par la suivre à contre-coeur. Ce gros tas avait beau peser quelques tonnes, il n’en restait pas moins un sacré peureux. Même Curl’ était plus courageux, c’était dire ! Enfin… Disons que son Psystigri ne montrait jamais aucune émotion. Il aurait donc été difficile de savoir s’il avait peur ou pas. Prise d’une brusque idée, Cleve attrapa deux Pokéballs sous sa veste et les lança en l’air. L’habituelle lumière rouge qui accompagnait cette action eut un certain effet réconfortant sur la rousse, mais le halo s’atténua bien rapidement, laissant place aux silhouettes minuscules de Curly et Omuraisu -son Psystigri et son Goupix-.
« Curl’, Ritsu’, on va faire une petite promenade. Je compte sur vous pour ouvrir l’œil, d’accord ? » leur demanda-t-elle en gratouillant en même temps la tête du Psystigri et la base du cou du Goupix.
Les deux Pokémon acquiescèrent et Ritsu commença à fureter un peu partout en agitant ses multiples queues rousses, tandis que le chat psychique grimpait sur Cleve pour aller se blottir entre ses bras. Pep’, quelque peu jaloux de la place qu’occupait le Psystigri, agita sa queue comme un bébé Caninos. Levant les yeux au ciel, Cleve fit une moue blasée et le réprimanda. « Non Pep’, tu n’es pas un poids plume. Je ne vais pas te garder dans mes bras comme ça. ».
Déçu et dégouté, l’immense Pokémon Transport grimaça et lui tira la langue, avant de se remettre à se comporter comme un Lokhlass digne de ce nom lorsqu’ils aperçurent la silhouette d’Ikiala. Un sourire éclaira le visage pâle de la Pokémécanicienne, et elle se précipita vers son amie avec enthousiasme.
« Re-coucou ! Comment vas-tu ? » s’enquit-elle en se retenant pour la prendre dans ses bras et la secouer comme un prunier. « Ne t’en fais pas, on va dire que j’ai de plutôt bons souvenirs dans ce Bois… » ajouta-t-elle avec ironie, faisant référence au terrible Test de Courage par lequel ils étaient tous passés. Puis, remarquant Zelos –qui était devenu un beau Crocodil depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu-, Cleve se baissa pour lui gratouiller les écailles de la tête. « Bonjour ô grand Zelos, comment allez-vous aujourd’hui ? Je vois que vous avez bien grandi pendant les vacances. » le flatta-t-elle en prenant volontairement une voix légèrement pompeuse et impérieuse. Pep’ derrière elle souffla avec ses narines pour lui montrer son mécontentement, et la rouquine eut un nouveau sourire. Quelle fine équipe ils avaient là ! Quoi qu’ils fassent, les choses allaient sûrement être intéressantes et amusantes… Même si…
Redevenant légèrement anxieuse, Cleve regarda autour d’elle. Elle avait à peine fait quelques pas dans le Bois de Brume que le décor avait changé de façon drastique. Ici, c’était comme si on passait d’un extrême à l’autre ; même la limite entre le sable et l’eau sur les Plages de Lansat était moins marquée, c’était dire ! En y pensant mieux, elle avait déjà observé ce phénomène une fois aux alentours d’Ecorcia alors qu’elle se promenait avec son frère. A ce moment-là, elle s’était longtemps demandée comme celui-ci était possible. D’un côté, le ciel était bleu et sans nuages. Un pas juste devant, un rideau de pluie torrentielle obscurcissait le ciel et irriguait les champs. Elle s’était amusée à passer son doigt le long de la « paroi » qui séparait le beau temps et la pluie, ravie de constater que celui-ci restait sec du moment qu’elle ne la traversait pas, mais sans jamais avoir pu l’expliquer. Ici, à Lansat, c’était exactement pareil. La brume semblait s’arrêter brusquement, comme si un écran invisible et s’étirant jusqu’au ciel séparait la Forêt du Bois de Brume. C’était plutôt fascinant en soi, et Cleve en aurait été heureuse si justement, le Bois n’était pas aussi effrayant.
« Ils viennent jamais tailler les arbres, ici… » constata-t-elle en levant ses yeux orangés vers le couvert touffu de végétaux. Et c’était probablement là le cœur même du problème. Etouffant, le Bois ne laissait filtrer aucun rayon de soleil. Ils avaient beau être en plein milieu de la journée, on aurait dit que la nuit était subitement tombée. Un silence glacial s’insinuait entre les troncs, et il était impossible de voir à plus de trois mètres devant soi. Une joyeuse excursion en perspective !
« Et donc, qu’avais-tu à faire ici ? » demanda-t-elle finalement à Ikiala, tandis que Curl’ ronronnait puissamment entre ses bras et que Ritsu trébuchait sur une racine. Autant savoir ce qui les attendait !
Zélos sembla particulièrement heureux que Cleve fasse autant de manière avec lui, et la Scientifique eut un petit sourire. Entre le Crocodil, son Lokhlass, son Goupix et son Psystigri, il y avait de quoi bien s’amuser lors de cette petite excursion ! Mais une fois de plus, le Bois de Brume était loin d’être un endroit rassurant, et la rouquine jeta un coup d’œil apeuré aux lianes qui se balançaient d’arbres en arbres, doucement agitées comme si un vent mystérieux soufflait sur elles. Mais le problème était qu’il n’y avait pas de vent ce soir-là. Un frisson parcouru l’échine de Cleve. Est-ce que ce Bois était réellement hanté ? La dernière fois qu’elle y avait mis les pieds, Amaoka et elle s’étaient fait accourser par des zombies –avant de se rendre compte qu’il s’agissait de leurs camarades hypnotisés par Flappy, le Soporifik du Gérant de la Boutique de l’école-. Autant dire qu’elle n’y retournait pas vraiment de bon cœur, et que ses craintes étaient justifiées ! Un craquement derrière elle la fit sursauter, mais en se retournant, elle se rendit compte que c’était simplement Ritsu qui venait de trébucher de nouveau. Ah là là… Un soupir s’échappa de ses lèvres et elle se rapprocha plus de Peppéroni pour profiter de sa grande carrure rassurante. Mais malheureusement, le Lokhlass était encore plus peureux qu’elle, si ce n’était plus ! Désespérée par son équipe de bras cassés, elle se tourna vers Ikiala et l’écouta parler des ragots d’Ezra. « Ahaha, je ne lis plus trop ses ragots, pour ma part… » marmonna Cleve en référence aux nombreux articles que la journaliste avait écrit sur son compte. Elle n’y fourrait plus le nez depuis un bon moment de peur de tomber sur un portrait incendiaire, mais elle savait qu’Ikiala avait rédigé pas mal d’interview pour le compte de la « sexy I.A ». Aussi écouta-t-elle attentivement la suite de l’histoire, en frissonnant de plus belle. Une école abandonnée et désaffectée ? Ça sentait le plan foireux à plein nez, elle en était persuadée. Si personne n’avait jamais parlé de ce bâtiment à l’école, c’était sûrement qu’il ne valait mieux pas y mettre les pieds…
« Ahaha, ça a l’air sympathique… non je rigole jveux pas y aller. » couina Cleve. Mais déjà ses dernières paroles furent noyées sous les cris d’une nuée de Corboss qui s’envolèrent, répandant des plumes noires sur eux. La brume qui rendait l’endroit étouffait avait des airs mystiques, et la rousse se rapprocha discrètement de son amie, comme si celle-ci pourrait la protéger en cas d’attaque surprise de zombiedans le pire des cas, elle pourrait la pousser devant elle pour s’en servir comme appât et se carapater pendant qu’ils s’occuperaient d’elle. Elle fit cependant passer son geste pour un simple intérêt concernant l’article qu’Ikiala lui montrait sur son iPok, et elle y jeta un coup d’œil rapide sans prendre la peine de lire. « Hm hm. » répondit-elle avec un air faussement intéressé. Puis, estimant qu’elle n’allait pas fausser compagnie à la Topdresseuse alors qu’elles étaient déjà à la frontière entre la Forêt et le Bois de Brume, elle se décida à continuer l’expéditionenfin disons surtout qu’elle ne voulait pas être prise pour une trouillarde. « Pas de soucis ! Autant commencer rapidement ! Tant qu’il fait encore jour. » répondit-elle donc en scrutant le ciel d’un air inquiet. Avec cette brume épaisse, impossible de distinguer un carré de ciel bleu. Il aurait très bien faire nuit noire que ça n’aurait rien changé ! Enfin bon, Cleve espérait quand même qu’elles ne seraient pas coincées là jusqu’à la tombée de la nuit –« Mais non Ikiala tu vois, c’est juste pour une histoire de couvre-feu, c’est interdit » aurait-elle dit pour ne pas avoir à avouer que « Mais t’es malade ! Se balader dans un Bois hanté en pleine nuit ! Autant directement se jeter du haut d’une falaise, eho ! »-
Les deux jeunes filles commencèrent donc leur expédition, un Pichu sur la tête d'Ikiala comme guide. La lumière jaune qu’émettait malgré lui le Pokémon électrique permis à Cleve d’avoir un fil conducteur, et de ne pas flipper plus que de nécessité. La chaleur agréable que lui procurait Curl, son Psystigri, l’aidait également à calmer ses angoisses. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher d’entendre des bruits ou de voir les lianes bouger. Etaient-elles seules ici ? Elle secoua la tête pour chasser ces pensées de son esprit. Ce n’était pas le moment de se faire peur elle-même ! Brusquement, Cleve se rendit compte que ce chemin lui disait quelque chose. Elle reconnaissait même l’arbre calciné que la Ponyta d’Amaoka avait brûlé dans sa course folle pour échapper aux zombies ! « Tu nous amènes à l’autel du Test de Courage ? » demanda-t-elle à sa camarade, qui lui confirma presque aussitôt ses dires en se remémorant ces maaaagnifiques souvenirs de l’an passé. Elle en profita d’ailleurs pour glisser subtilement le sujet du Voltali dans la conversation, et de celui du succès de Cleve auprès de la gent masculine.
Les joues de Cleve s’empourprèrent. Si le but de la Topdresseuse était de lui faire oublier sa peur en lui faisant penser à des choses embarrassantes, elle avait plutôt bien réussi son coup ! Gênée jusqu’au bout de ses racines rousses, la Givrali fixa ses chaussures, honteuse. « Oui je l’avais fait avec Amaoka, mais heu… non… j’ai pas vraiment de succès avec les garçons enfin… qu’est-ce que tu veux dire par là… je ne… je n’ai jamais… oh zut. »
Elle préféra se taire plutôt que de s’enfoncer dans sa bêtise. Elle laissa un moment un silence s’installer, avant de demander. « Et toi, tu l’avais fait avec qui déjà ? Tony, non ? »
Tony Sweet. Un garçon qu’elle avait rencontré sur la Montagne Willia. Elle avait fait tomber son déjeuner, et s’était retrouvée à devoir l’inviter pour que son Farfaduvet ne la réduise pas en pièces. Elle se demandait ce que le Topdresseur aux cheveux roses était devenu, mais le ronronnement de Curl la fit redescendre sur terre. Leurs pas les avaient portées au cours de la conversation vers le fameux autel auprès duquel ils avaient dû déposer leurs bougies l’an dernier. Les cierges étaient encore là, bien qu’évidemment, les flammes se soient éteintes depuis le temps. Cleve reconnu celle qu’elle avait partagé à Amaoka, et qui était gravé de leurs noms de famille –une façon pour les professeurs de bien s’assurer qu’ils avaient mené leur mission à bout-. « Waaah, que de souvenirs ! » s’exclama-t-elle en se dirigeant vers son cierge, oubliant un instant où ils étaient et pourquoi ils se trouvaient là. « Vous aviez réussi à arriver jusqu’ici, vous ? » demanda-t-elle à Ikiala, en cherchant des yeux le cierge de son amie. Cette petite séquence souvenirs n’était pas désagréable, et Cleve se rappela dans un flash furtif l’étreinte d’Amaoka et son propre baiser sur sa joue au moment de le quitter. S’il y avait eu plus de lumière dans ce Bois, on aurait certainement pu voir à quel point elle était écarlate…
« Heuu enfin bon… reprenons la recherche… » marmonna-t-elle en se relevant doucement, Ritsu dans ses pattes.
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