« Angeline Opale McNellis, voulez-vous prendre pour époux Jacob Narcisse Ludmore ? » « Oui, je le veux. » Apparemment satisfaite, l’adjointe du maire se tourna vers l’homme, ne tenant pas compte des mines renfrognées des parents qui se tenaient à côté, témoins forcés de ce mariage qu’ils ne souhaitaient pas. « Jacob Narcisse Ludmore, voulez-vous prendre pour épouse Angeline Opale McNellis ? » « Oui, je le veux. » Posant les mains sur la table, l’adjointe du maire sourit, contente de voir deux jeunes échapper aux ambitions familiales. « Je vous déclare donc mari et femme. Vous pouvez embrasser la mariée. »
Angeline McNellis n’aurait jamais pensé avoir d’enfants. Elle vivait une vie trop trépidante, trop mouvementée, trop dangereuse pour pouvoir s’occuper d’enfants. Puis les enfants, ça braille, ça piaille, ça pleure, ça crie, ça bouffe le temps à une vitesse folle. Alors son poste d’agent de la police internationale hautement qualifiée était une excellente excuse pour cette magnifique rousse, qui pouvait, sans provoquer d’esclandre ou d’affront, refuser les rendez-vous galants ou les propositions intéressées en mariage en prétextant qu’avec son dur travail, elle n’avait pas le temps. Sa mère s’en énervait beaucoup, considérant qu’à son âge, elle aurait du trouver parti convenable pour assurer une descendance. Elle se mit alors en tête de lui trouver un époux sans lui demander son avis au préalable.
Jacob Ludmore n’aurait également jamais pensé avoir d’enfants. Il n’avait pas le temps. Seul héritier de sa famille, il vivait une vie mouvementée, ponctuée de voyages à l’étranger pour représenter l’empreinte familiale dans le monde des fleurs. Car la famille Ludmore s’était considérablement enrichie grâce aux commerces de fleurs, faisant leur fortune en vendant des fleurs sur tous les continents, de même que les très précieuses Gracidées, fleurs du Pokémon Shaymin, recherchées et admirées par les collectionneurs – et coûtant assez cher. Malheureusement, il n’avait pas vraiment le sens des affaires, ce qui irritait sa famille, et les femmes qu’on lui présentait pour des mariages arrangés finissaient toujours par effrayer ce doux fleuriste. En désespoir de cause, ses parents se mirent alors en tête de lui trouver une épouse, sans chercher à le consulter auparavant.
Les deux adultes se rencontrèrent pour la première fois au grand manoir McNellis, au cours d’une réception un peu trop pompeuse donnée par Evene McNellis, chef de famille. En règle générale, jamais Evene McNellis n’aurait invité ces fleuristes arrivistes dans son beau château, mais les aléas de la Noblesse on fait que les Ludmore, comtes de leur état, ne pouvaient pas être ignorée de l’intransigeante vieille femme. Les deux jeunes héritiers se rencontrèrent alors, ce qui indifféra leurs familles. De toute manière, ils ne devaient jamais se revoir, alors s’ils avaient envie d’échanger deux ou trois banalités avant de rentrer, pourquoi pas. Ce qu’ils ne comprirent pas, c’est que les deux héritiers commencèrent un petit jeu dangereux, Angeline s’étant amusée de la douce timidité du jeune homme, Jacob ayant apprécié le côté rentre-dedans de la jeune femme. Ils tentèrent de se voir assez régulièrement, entretenant leur amitié taquine avec des mots et des cadeaux, et après trois ans de ce petit manège, Angeline faillit mourir au cours d’une mission. Quand elle sortit de l’hôpital, leur jeu était terminé. Ils en commençaient un autre, bien moins amusant que le précédent. Celui de s’aimer sans que leurs familles ne l’apprennent.
Leur amour secret dura deux ans, rythmé par les rendez-vous secrets, les baisers volés, les rares moments d’intimité, et leurs familles commençant à se douter de quelque chose, ils finirent par se déclarer. Ca ne marcha pas très bien. Evene déclara que ce parti fantasque n’était pas assez avantageux. Bref, qu’ils épouseraient quelqu’un d’autre. Mais quand ils disparurent du jour au lendemain, s’enfuyant ensemble d’une manière follement romantique pour les uns, incroyablement stupide pour les autres, il fallut bien les marier pour sauver l’honneur. Il était juste temps. Car six mois après ce mariage hâtif célébré à contrecœur, Eryn Isabella Evene McNellis vint au monde. McNellis. Car la grand-mère McNellis avait posé une condition catégorique, celle du changement de nom, et Jacob, qui tenait plus à sa femme qu'à son patronyme, avait obéi sans rechigner. Et il n'y eut personne pour le retenir, ses parents étant morts dans un accident d'avion un an et demi plus tôt.
____________________________« Mamaaaan ! » La fleuriste releva la tête, faisant voleter ses longs cheveux roux, et elle esquissa un sourire en voyant sa petite fille courir vers elle avec une feuille dans les mains. « Regarde maman, c’est pour toi ! » Tapant ses mains pour en enlever la terre, l’adulte prit le dessin. Là où on pouvait s’attendre à des bonhommes bâtons dessinés d’une main hésitante, il y avait plutôt une superbe fleur rose qui s’étirait sur toute la feuille, et qui tira un sourire joyeux à la grande rousse. « Oh, une Gracidée ? Elle est magnifique ma chérie, merci. »
S’il n’y avait pas eu Eryn, le jeune couple serait certainement resté au manoir Ludmore, à Féli-Cité. Mais avec la naissance imminente de la petite fille, ils décidèrent qu’il était hors de question qu’elle grandisse dans ce lieu froid et austère. Ayant toujours vécu chez leurs parents, soumis à la stricte dictature de la Noblesse, l’un comme l’autre savaient ce que cela faisait de grandir dans ce cadre. Pas bien loin, cependant. C’est en effet dans la ville suivante, Floraville, qu’ils s’installèrent. Assez proche de Féli-Cité pour que le manoir reste accessible en toutes circonstances si le besoin s'en faisait sentir. Angeline, qui détestait ce lieu froid et rigide, n'aurait de toute manière jamais accepté d'y vivre. Ils s’installèrent dans un grand cottage fleuri, qu’ils réaménagèrent à leur convenance avant la naissance de leur fille.
C’est dans ce cadre de vie campagnard et extrêmement floral que naquit Eryn, le 25 Février d’une année bissextile. Ses cheveux, d’un roux vif à la naissance, s’éclaircirent au fil des années, se stabilisant à un roux tellement clair qu’il en paraissait rose, somptueux mélange entre le roux maternel et le blond paternel. Ses yeux saphir de bébé changèrent aussi de couleur, devenant tout doucement noisette, puis marron, puis s’obscurcissant de plus en plus pour se stopper sur une teinte de rouge des plus surprenants, mais plus clairs que ceux de sa cousine Djelly. Sa mère, qui avait démissionné de la police internationale après son hospitalisation, reprit du service, mettant son redoutable intellect au service de l'entreprise toujours estampillée au nom des Ludmore, reprenant l’affaire familiale, au grand soulagement de son mari, plus calme et plus tranquille. L’entreprise fit un bond en avant. Car les entrepreneurs et autres personnalités, sous-estimant ce joli brin de rousse et son sourire chaleureux, se cassèrent les dents dessus. L’entreprise familiale avait trouvé son maître, et Jacob put enfin s’occuper tranquillement de ses fleurs et travailler pour le plaisir au magasin de Floraville, Un bouquet de couleurs.
Eryn grandit donc à Floraville, entre un père fleuriste et une mère fleuriste. Elle apprit à dessiner les fleurs avant de dessiner des bonhommes bâtons, utilisait son petit arrosoir pour arroser elle-même les fleurs de sa chambre, se promenait dans le grand jardin fleuri où elle jouait à cache-cache avec Chihuahua, l’Arcanin de sa mère. Elle apprit à faire des tisanes à base de fleurs et de plantes préférait l’aromathérapie aux médicaments en cas de maladie, bref, tout comme pour son père, les fleurs conditionnèrent son enfance, dans le bon sens du terme. Elle n’allait cependant pas à l’école à Floraville, ville où il y avait plus de personnes âgées et de hippies que d’enfants. Ses parents ne voulant pas lui imposer la solitude d’avoir un précepteur, solitude qu’ils avaient supporté toute leur jeunesse, ils la placèrent à l’école de Féli-Cité, espérant qu’elle s’y ferait quelques amis.
____________________________« Dix-huit heures. » La pendule de la maison sonna les dix-huit heures, et Eryn ferma les yeux. Elle avait compté chaque seconde sans s’en rendre compte. « C’est pas bien Eryn ! » « Non mais t’es marrante, comment tu veux qu’elle fasse ? » Djelly couina quand Loan la pinça, et elle lui envoya immédiatement un coup de poing. Eryn les ignora, touillant son thé verveine. Sortant la cuillère de la tasse, elle la fixa intensément, et pencha sa tête sur le côté. Elle glapit, et la cuillère tomba au sol. Tordue. « Comment t’as fait ça ?! » Eryn releva son regard angoissé vers son cousin. « C’est pas moi … »
A l’école, Eryn ne se fit pas que des amis. Trop douce, trop gentille, mais surtout trop différente, elle attira très vite l’attention à cause de ses cheveux roses et de ses yeux rouges. S’ils ne la frappaient pas, sans doute parce qu’on leur avait appris que frapper une fille c’est mal, ou qu’ils craignaient trop la menace que représentait son titre purement décoratif de jeune duchesse, ils ne se gênaient pas pour la mettre à l’écart. Les filles persiflaient, les garçons ricanaient, et chaque jour avait son lot de petites humiliations. Une bousculade à la cantine et elle finit mystérieusement par terre, des moqueries pendant le cours de sport parce qu’elle ne parvenait pas à rattraper les autres, des affaires qui disparaissaient … Des moqueries d’enfants, qui ne faisaient pas du tout rire leur victime, qui appelait son cousin ou sa cousine presque tous les soirs en pleurant, parce qu’elle ne se voyait pas dire à ses parents qu’elle ne voulait plus aller à l’école et que les autres étaient vilains. Plusieurs continents avaient beau séparer les cousins, ils continuaient à s’appeler régulièrement, ou dans le cas de Loan et Djelly, d’appeler Eryn régulièrement, vu qu’eux-mêmes ne se parlaient pas très souvent, brouillés par une querelle qu’elle ne comprenait pas.
Ses problèmes ne s’arrêtaient pas là. Bonne élève en classe, mais ayant de grosses difficultés à suivre les cours parce qu’elle finissait par décrocher pour focaliser son attention sur autre chose de plus futile sans pouvoir s’en empêcher – le tic-tac d’une horloge, le bourdonnement d’une mouche en plus vol – ses professeurs la pensaient dissipée, sans vraiment comprendre pour quelle raison elle avait des petites absences passagères, qui inquiétaient beaucoup ses parents. Le mystère finit par être résolu un jour de pluie. Alors qu’en général, elle se hâtait de prendre son casque pour se le coller sur les oreilles et lancer de la musique pour couvrir la pluie, faisant penser aux gens qu’elle avait la trouille des orages, elle ne le trouva pas ce jour-là. Quand la pluie commença à tomber, l’enfer tomba avec elle. Plic – une goutte. Plic – deux. Plic – quatorze. Il lui fallut moins d’une seconde pour arriver à mille, son cerveau fatigué comptant chaque goutte s’écrasant au sol près d’elle. Elle tint trente secondes, avant de tomber à genoux en hurlant et en se tenant la tête. Rapatriée d’urgence chez elle, elle vit un médecin moins de trente minutes plus tard, ce dernier lui diagnostiquant un déficit d’inhibition latente. Ce fut en pleurant qu’elle annonça ça à son cousin, persuadée que c’était un truc qui allait la tuer sur le coup. Il eut toutes les peines du monde à la rassurer, chipant un ordinateur pour lui expliquer en mots simples ce que le médecin avait expliqué à ses parents avec des mots d’adulte.
En bref, elle avait des difficultés à se concentrer sur les choses dites importantes. Alors que l’inhibition latente est sensée gommer les bruits pour les passer en fond sonores pas dérangeants pour permettre de se focaliser sur les paroles du professeur, par exemple, elle n’y arrivait pas, et les bruits pas importants finissaient par l’être autant que la voix du professeur, et elle se retrouvait obligée de choisir inconsciemment. Il fallut qu’elle trouve des parades. Le dessin, le thé, la lecture, tous ces trucs que lui avaient appris ces parents pour qu’elle ne soit pas humiliée les rares fois où elle rencontrerait ses grands-parents paternels ou maternels, elle utilisa tout ce qui pouvait l’aider à se concentrer. La musique, par exemple. Petit à petit, elle apprit à se focaliser sur l’essentiel aux prix de violents efforts de concentration, sans jamais réussir à effacer le décompte permanent des secondes dans sa tête. Et un jour, elle réussit à plier une cuillère, simplement en la regardant avec intensité. Pouvoirs psy, à toute petite échelle. Cependant, plier les cuillères lui permettait de gommer un peu son déficit d’inhibition latente, et elle prit l’habitude de choper les cuillères pour les tordre, sans jamais réussir à les remettre droites par la suite, et sa famille la surnomma très vite la petite voleuse de cuillères.
____________________________« Je suis désolée Loan … » La petite main d’Eryn se posa sur le poing serré de son cousin, qui regardait les cercueils vide en serrant les dents. « Loan … » Il desserra doucement son poing, permettant à sa cousine d’y glisser sa main. Quelques secondes plus tard, ses doigts se refermaient dessus avec douceur. « C’est pas ta faute. C’est la mienne. J’aurais du les empêcher de partir. Comme toi. » La culpabilité traversa le cœur de la petite fille, qui caressa le dos de la main de son cousin. « Dis pas n’importe quoi. On ne peut pas prévoir le futur. »
Eryn grandit, et ses pouvoirs grandirent avec elle. Elle n’avait plus besoin de se concentrer intensément pour plier les cuillères, à condition qu’elle les tienne dans la main. A distance, si. Mais ça lui faisait tellement mal à la tête par la suite qu’elle préférait éviter. Et puis, pourquoi faire de l’esbroufe, hm ? Cependant, son petit pouvoir secret lui donnait, en quelque sorte, confiance en elle, et elle était de moins en moins encline à se laisser intimider par les gros lards de sa classe. Elle se mit à leur répondre. De manière timide, tout d’abord. Elle s’arrangeait pour savoir qui piquait ses affaires, utilisant son air innocent, autrefois un défaut, en atout pour avoir des confessions des autres, et elle finissait par se venger. D’un ballon dans la tête pendant le cours de sport, d’un vol de stylo important quelques minutes avant un contrôle, ou d’un renversement « involontaire » de trousse durant ce même contrôle pour faire tomber les antisèches au moment où le professeur passe à côté. Petit à petit, les élèves commencèrent à comprendre ses petites techniques, surtout que même son apparence avait changé. Elle se tenait plus droite, parlait d’une voix plus assurée, et ne baissait plus les yeux quand on se moquait d’elle, les gardant au contraire rivés dans ceux de son bourreau, comme pour lui promettre une souffrance prochaine qu’il sentirait passer comme elle-même sentait passer son humiliation du moment.
Mais finalement, ses petits dons psychiques finirent par être connus de toute l’école, pendant une bataille de nourriture au réfectoire. Les enfants avaient profité de l’absence temporaire des adultes pour se chamailler et utiliser leurs cuillères comme armes pour balancer la bouffe à l’autre bout de la pièce, sur les ennemis d’en face. Et son tyran habituel choisit de la viser, elle. Ce fut l’humiliation de trop. Alors que les gamins de sa table rigolaient de la voir rougir, ne comprenait pas que c’était le rouge d’une colère trop longtemps contenue, et pas le rouge de la honte, elle se leva pour ficher son regard rubis dans les yeux du garçon hilare, et elle tendit la main vers lui, concentrant toute son énergie sur la cuillère remplie qu’il armait vers elle. Le garçon lâcha un hurlement de peur quand la cuillère lui échappa brusquement des mains pour léviter juste devant ses yeux, se tournant et s’armant toute seule La purée contenue dans la petite arme improvisée s’écrasa sur le visage du garçon, et la cuillère tordue tomba sur la table avec un fracas que le silence inhabituel du réfectoire répercuta dans la pièce. L’instant d’après, ce fut la panique. Les élèves se levèrent en hurlant, se bousculant pour s’éloigner d’elle, faisant revenir les adultes en courant. Il n’y eut aucune preuve pour corroborer leur version des faits, car Eryn avait profité de la panique pour remettre la cuillère bien droite. Ce fut la seule fois qu’elle réussit à faire léviter un objet, le tordre et le remettre droit sans le toucher, mais cette unique démonstration de pouvoir l’éloignait encore plus des autres élèves, qui avaient maintenant peur d’elle.
A partir de ce moment, elle eut la paix à l’école, et elle connut la solitude, car ses rares amies, effrayées par ce pouvoir, s’éloignèrent pour ne pas en faire les frais. Eryn se sentait seule, et ses parents n’en savaient rien. Et un jour, elle manqua de les perdre pour de bon. Un voyage en bateau était prévu depuis plusieurs mois, devant réunir ses parents et ceux de Loan, vu qu’ils devaient aller au même endroit pour des affaires courantes. Angeline était très impatiente à l’idée de revoir son frère, même si laisser sa petite fille aux domestiques du manoir Ludmore ne l’amusait pas du tout. Mais le jour du départ, aucun des deux parents ne prit le bateau, vu qu’ils arrivèrent en retard sur les quais du port, retardés par Eryn qui s’était réveillée en retard, vaincue la veille par un mal de crâne puissant du au fait qu’elle avait essayé en vain de réitérer l’exploit de la cafétéria. Ses parents râlèrent beaucoup, surtout sa mère, qui n’avait pas vu son frère depuis plusieurs mois. Quelques jours plus tard, ils changeaient de ton. Le bateau avait eu un accident, et avait sombré dans les eaux froides, ne faisant que peu de survivants. Ce fut la première fois qu’Eryn vit pleurer sa mère, penchée au-dessus du cercueil vide de son frère, le corps n’ayant pas été retrouvé. Eryn n’osa pas s’en approcher, et passa le reste de la cérémonie à serrer son cousin dans ses bras, se sentant horriblement coupable de penser avec soulagement que ses cinq minutes de retard avaient sauvé la vie de ses parents, emportant à la place ceux de son cousin, faisant de lui un orphelin.
____________________________« Bah alors le monstre, pourquoi tu pleures ? » Les garçons éclatèrent d’un rire mauvais, et Eryn serra les dents avec force. Ne pas s’énerver. « Attends, laisse-moi deviner, tes parents ont eu peur de toi et t’ont abandonnée ? » Le rire moqueur du garçon se termina en couinement quand elle lui bondit dessus, le plaquant avec force contre un arbre, et un nouveau couinement lui échappa quand la main de la jeune fille se resserra avec force autour de ses parties sensibles. « Tu as la mémoire courte, on dirait. Aurais-tu déjà oublié que je sais tordre les cuillères ? »
Eryn n’arrivait pas encore à réaliser qu’elle ne reverrait jamais son oncle et sa tante, et les condoléances qu’elle entendait autour d’elle ne parvenaient pas à lui en faire prendre conscience. Et quand la question de savoir où vivrait dorénavant Loan se posa, le frère et la sœur se proposèrent tous les deux pour l’héberger. Ils avaient chacun la place, et de toute manière il avait déjà sa propre chambre, à Mauville et à Floraville. Mais aucun des deux n’obtint gain de cause. Joshua, renié par sa mère depuis son mariage, ne fut même pas écouté. Seule Angeline aurait pu remporter la partie, mais elle fut obligée de ployer devant son intraitable génitrice. Il fut décidé que le petit garçon irait vivre à Kalos, chez sa grand-mère et rien ne put faire changer Evene McNellis de sa décision. Avec beaucoup de tristesse, Eryn serra son cousin dans ses bras, ne se rendant même pas compte qu’elle pleurait. Elle aurait voulu l’avoir avec lui. Ses parents lui auraient donné tout l’amour du monde pour essayer de panser ses blessures et atténuer la douleur de sa perte. Mais au lieu de ça, il partait chez leur froide et autoritaire grand-mère, où il ne recevrait que froideur, dédain, hauteur, et mépris.
Quand elle retourna à Floraville et qu’elle dut retourner à l’école, les élèves captèrent très vite qu’il s’était passé quelque chose de grave et que ses yeux rouges étaient presque toujours humides de larmes. Pensant avoir une ouverture, un des élèves de sa classe, celui qu’elle appelait son tyran, recommença à la chahuter pour se venger du réfectoire. Eryn, abattue, le laissa faire. Pas longtemps. Il franchit le palier critique, parlant de sa famille, lui rappelant immédiatement que son cousin Loan n’en avait plus, lui, de famille. Ce jour-là, elle devint agressive, et le menaça ouvertement devant ses amis, le faisant couiner de peur, ce qui fit le tour de l’école, et il s’attira les quolibets des autres élèves. Eryn devant froide, cassante, et de nouveau, les élèves lui fichèrent la paix, préférant se tenir sagement loin d’elle pour qu’elle ne lâche pas la bride à ses pouvoirs qu’ils pensaient incommensurables en les prenant pour cible. Elle ne s’en rendait par compte, mais la peur qu’ils ressentaient pour elle grandissait de jour en jour, et le moindre dérapage pourrait transformer ces élèves apeurés en bêtes furieuses, luttant pour ce qu’ils pensaient être leur survie.
Et ce jour finit par arriver. Pendant un chahut en classe généré pendant l’absence du professeur, son bourreau, qui voulait se venger à nouveau de ce qu’il s’était passé, lui planta son compas dans le dos. Eryn hurla de douleur. Et ce fut le chaos. Brusquement, les tables et les chaises s’étaient envolées dans la pièce, heurtant les murs, brisant les vitres, terrifiant complètement les élèves. Et quand le professeur, attiré par les hurlements de peur, ouvrit la porte, tout retomba avec fracas au sol. Eryn fut la seule à voir le Psystigri du directeur, fraîchement éclot de l’œuf qu’il avait ramené de leur voyage scolaire à Kalos (où elle en avait profité pour s’esquiver et passer la semaine entière avec son cousin) s’enfuir de la salle par la porte ouverte. Leur vengeance fut terrible. Coincée dans un coin tranquille de l’école, elle fut rouée de coups, frappée, insultée, humiliée, et ne put pas se défendre vu qu’elle avait, pour la première fois de sa vie, l’entièreté des élèves contre elle. Tous les élèves. Pas juste l’embryon fort de sa classe et les moutons dociles derrière. Vraiment tout le monde. Humiliée au possible, Eryn fugua de l’école pour rentrer chez elle, s’enfermant sans sa chambre en pleurant, et refusant d’en sortir malgré les insistances pressantes et angoissées de ses parents qui l’entendaient pleurer derrière la porte.
____________________________« Eryn ? Il faut qu’on parle de l’année prochaine. » Eryn leva les yeux vers sa mère, en tenue de jardinage débraillée, qui avait encore une fleur dans les cheveux. « Ton père et moi pensons qu’il n’est pas sain de continuer comme ça, alors … » L’adulte se tut quand la jeune fille tendit la main pour lui tendre un prospectus. « Je veux aller à l’école de Djelly et Loan. »
Eryn refusa catégoriquement de retourner à l’école le lendemain matin, s’enfermant dans sa chambre pour rater les cours. Rien que l’idée d’y retourner la faisait entrer dans de violentes crises de panique qui inquiétaient énormément ses parents, et finalement, elle fut bien obligée de leur raconter ce qu’il s’était passé en pleurant tout le long de son récit. Ils la serrèrent dans leur bras avec force, lui promettant qu’elle n’y retournerait pas, qu’ils allaient engager un précepteur pour la fin de l’année scolaire, et régler le problème. La semaine suivante, une femme souriante tapait à la porte de la maison, jeune professeure fraîchement diplômée sortant des plus grandes écoles et cherchant du travail, choisie sur mesure par Evene McNellis mise au courant du fait que sa petite-fille arrêtait l’école mais ne voulant pas que l’une de ses héritières bénéficie d’un enseignement au rabais à cause de cela. La jeune professeure, prise à part par Angeline, fut mise dans le secret, et on lui expliqua qu’Eryn avait des pouvoirs psychiques de faible envergure, mais qu’il ne fallait pas en avoir peur. La jeune professeure sourit. Il en fallait visiblement plus pour la déstabiliser. Tant mieux.
Ce qu’Eryn n’avait pas compris, c’est que « régler le problème », chez les McNellis, ça ne veut pas dire appeler grand-mère pour avoir un précepteur pas trop dégueulasse. Régler le problème, ça veut dire régler le problème. Evene McNellis ne fut pas juste mise au courant que sa petite-fille avait besoin d’un précepteur, en fait, vu que sa fille lui raconta tout ce qu’Eryn lui avait avoué. Les deux parents, fous de colère, s’étaient rendus à l’école de leur fille pour obtenir des explications sur le pourquoi du comment, n’hésitant pas à rappeler au directeur que si l’envie leur en prenait, ils pouvaient faire fermer cette école pour négligence professionnelle. Une élève tabassée dans la cour de l’école, et qui fugue juste après, ça commence à peser gros. Le directeur évalua mal la menace qu’ils représentaient, ayant oublié qu’ils étaient de la Noblesse. Ce qu’Angeline McNellis n’oubliait jamais quand cela servait ses intérêts personnels. Quatre jours après, Evene McNellis débarquait au manoir Ludmore à Féli-Cité, et ce fut à son tour de rendre une petite visite au directeur, qui la prit étrangement bien plus au sérieux que pour les parents, sans doute à cause de son ton glacial et du majordome qui ne cessait de répéter que « vous parlez à une duchesse, vous êtes prié de respecter un minimum votre vocabulaire, jeune homme ». N’appréciant que très peu l’humiliation faite à un membre de sa famille, Evene McNellis convainquit sa fille de porter plainte contre l’école et les élèves, leur apprenant au passage que jouer avec la Noblesse peut s’avérer très dangereux. Problème réglé.
Eryn retrouva un minimum de stabilité en cessant d’aller à l’école, travaillant avec la préceptrice qui ne s’émouvait pas de la voir jouer avec des cuillères entre deux leçons. Ses parents, cependant, s’inquiétaient beaucoup de la voir si seule. Evene McNellis semblait approuver ce choix de vie, considérant qu’un noble n’a pas à frayer avec la populace et doit recevoir un enseignement de qualité. Malheureusement pour elle, elle n’avait pas voix au chapitre, et alors que la fin des vacances approchait à grands pas, ce fut sa mère qui aborda calmement le sujet avec elle, lui faisant comprendre que cela ne pouvait plus durer. Il fallait qu’elle retourne à l’école. Pas à celle de Féli-Cité, qui avait perdu énormément de cachet depuis la visite en grande pompe de la duchesse lui tenant lieu de grand-mère maternelle, mais à une autre. Ce fut Eryn qui apporta la solution, en tendant à sa mère un prospectus sur l’académie Pokémon ramenée quelques jours plus tôt par la préceptrice qui l’avait oublié là. C’était l’école où étaient Djelly et Loan, ses deux cousins, ce qui rassurait ses parents, qui étaient au moins sûrs qu’elle connaîtrait des gens et qu’elle serait protégée un minimum. Le dossier fut rapidement envoyée, et la réponse toute aussi rapidement reçue. Acceptée. C’est ainsi que, le premier septembre, la petite Eryn McNellis grimpait à bord du bateau qui l’emmènerait vers l’île Lansat. En espérant que cette fois-ci, sa scolarité se passe bien …