Logée sur mon lit avec Talia pour compagnie, je jetai un regard mélancolique vers la peluche de Sulfura que j’avais gardée sur une étagère, bien en évidence. J’avais arrêté de collectionner les poupées pokémon depuis l’été, ne sachant pas quoi en faire à cause de tous les souvenirs qu’elles réveillaient. Et justement, ces derniers ne tardèrent pas à remonter à la surface de ma conscience, me ramenant invariablement à Pumkin.
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Ce n’était pas que je ne compatissais pas à ce qu’il traversait. Ce n’était pas que je ne ressentais rien à le revoir là devant moi, après avoir rêvé de cet instant pendant aussi longtemps. Mon expression était fermée et dure, mais c’était surtout parce que je devais me faire violence pour ne pas céder à l’impulsion de le prendre dans mes bras. Je ne pouvais simplement pas céder aussi facilement, je ne pouvais pas me laisser aller à cette faiblesse qui non seulement me ferait souffrir, mais n’aiderait en rien cette situation déjà très compliquée. Se sentirait-il mieux si je lui disais qu’en dépit de l’attente mes sentiments n’avaient pas changé ? C’était le cas. Seulement à quoi bon remuer le couteau dans la plaie, alors que nous nous déchirions presque en ces retrouvailles ? Nous avions déjà assez de mal à nous faire comprendre l’un à l’autre sans que cela tourne au carnage, et honnêtement j’avais déjà atteint le point de rupture depuis un moment.
Je ne me sentais vraiment pas la force de lui expliquer quoi que ce soit, ni lui exposer les dégâts causés par son départ soudain. Ce serait inutile, et de toute façon cela ne me ressemblait pas. Je me contentai de l’écouter sans rien pouvoir faire, les poings serrés et les muscles tendus, lui répondant très brièvement entre les grandes tirades d’explications. Désappointée, je me mordis la langue pour tenir le plus longtemps possible. J’essayais de respecter le poids de ce qu’il me révélait, mais la vérité c’est que c’était trop lourd pour moi. Oui, j’étais sûrement plus frêle que je n’avais voulu le croire et tous ces événements m’écrasaient violemment... Ce qui au fond ne suffisait pas à faire taire la révolte brûlante qui m’animait. Je n’osais poser mon regard sur lui de peur de trop en révéler. Alors je m’obstinai à regarder le sol, où Robyn s’était assis aussi proche que je le lui permettais par ma posture. Je sursautai aux jurons et aux coups de poing, surprise par cette impulsivité que je connaissais bien, et qui ne me rassurait pas du tout.
Je ne voulais pas qu’il se fasse du mal, qu’il se blesse ou qu’il souffre, mais n’était-ce pas un peu tard pour les bons sentiments ? Je lui avais déjà fait du mal et bien que je le regrette je ne pouvais pas faire marche arrière. J’étais en pleine période de reconstruction moi aussi… Et bien que les événements qui m’avaient touchée ne soient pas aussi dramatiques, j’avais aussi connu mon lot d’épreuves. Je repensai au Tutafeh qui m’avait été arraché, ainsi qu’aux autres pokémons –dont un bébé Ramoloss shiny- que j’avais failli perdre aux mains de la team Rouage. Mon cœur se serra au souvenir et je plissai silencieusement les paupières. La vie à la PC n’avait pas été facile non plus. Enfin qu’importe, je n’étais pas restée là pour parler de ça. Néanmoins Yuki laissait parler sa fierté plutôt que son cerveau, et ça commençait à me gonfler. Agacée, je répliquai pour le corriger.
« Ça n’a absolument rien à voir avec le fait d’être anticonformiste ou excentrique ! Tu l’as dit toi-même : tu as honte, et là est tout le problème ! » J’inspirai en secouant tristement la tête.
« On n’a pas honte face à la personne qu’on aime, bon sang ! » Là était tout mon ‘reproche’, si tant est qu’on puisse l’appeler comme ça. Face à l’adversité Yuki s’était refermé comme un Crustrabri, il avait préféré rester seul et traverser toute cette histoire de son côté, plutôt que de faire appel à ses amis. Il n’avait même pas jugé utile de nous faire savoir qu’il était encore en vie après l’accident et ça, plus que tout, me blessait profondément. Il n’avait pas pensé à nous, il s’était centré sur son chagrin et son malheur, en ignorant tout ce qui se passait autour. Il avait fermé les yeux sur le monde qui avait continué de tourner, se moquant bien de savoir ce qui avait pu se passer sur la planète Terre. Et à ce niveau-là je me moquais bien de savoir pertinemment qu’il n’avait pas non plus pris de mes nouvelles. J’avais mis mes intérêts personnels -bien que légitimes- en sourdine pour me focaliser sur ce qui m’importait vraiment. Nous n’étions plus un binôme… non. Il s’en était parfaitement affranchi tout seul. C’est lui qui avait mis fin à notre relation, de par son silence et son entêtement.
J’hésitai longuement, et ma voix faiblit.
« Je ne te tournerai pas le dos si tu es dans le pétrin et si tu te servais de ta tête, tu le saurais. » Je me levai doucement, le pas chancelant, chassant la neige de mes protections de combat. Je le vis le dos tourné et souris faiblement. Je n’étais pas surprise pas son comportement, mais il serait faux de dire que je n’étais pas déçue. Il se comportait comme un enfant pris en faute… or malheureusement je ne me considérais plus comme telle depuis un moment.
« C’est toi qui as rompu le binôme, Yuki. C’est à toi de le réparer, si tant est que tu ne baisses pas les bras devant l’ampleur de la tâche. Ce n’est pas à moi de dire si en vaut la peine ou non, ni si tu en as les moyens. Tout ce que je sais c’est que nous avons tous les deux besoin de temps. Là… C’est trop à vif. » Il y avait du regret dans mes paroles, mais je ne lâchai rien. Au lieu de ça je me baissai pour murmurer quelque chose à Asobu, à qui je caressai la tête en passant. Je ne voulais pas que les autres entendent. « Prends soin de lui et s’il fait des conneries, n’hésite pas à venir me trouver. Veille sur lui, d’accord ? » Je lui souris pour l’encourager puis me relevai. Après pareil imprévu je n’avais plus la tête à m’entraîner de toute façon, alors autant accord un repos bien mérité à l’équipe. Ils le méritaient … et j’en avais bien besoin moi aussi.