Je m'ennuyais, fermement. Certes, j'aurais pu user de ce temps pour continuer à étudier, mais cela ne me faisait pas envie. J'avais envie d'une activité qui demanderait un peu plus de mouvement, qui me permettrais de sortir et de faire une petite apparition en publique. Mais que faire? Certes, je pourrais aller au réfectoire, mais tous y étaient captivés par des occupations de moindre importance et l'idée de devenir une pensée parmi tant d'autres aussi ordinaires ne me suffisait pas. La plage eut également été un choix à ne pas négliger, mais y aller seul serait probablement ennuyeux, d'autant plus qu'il y aurait, tout autour, des groupes déjà formés et possédant leur propre centre de gravité. Je devais me construire mon propre entourage, autrement je continuerais à m'ennuyer ainsi sans cesse, encore et encore. Brr, quelle horreur. Je devais remédier à cette situation, peu importe comment, mais ça n'allait certainement pas se faire en une journée. Je devais donc trouver autre chose, au moins pour l'instant.
L'option du centre commercial vint s'imposer d'elle-même, lorsque je réalisai que la nourriture d'Harley était presque épuisée. J'aurais simplement pu lui offrir la nourriture banale de la cantine et faire confiance à Madame Odie pour ma compagne comme pour moi, mais la demoiselle en question avait un fin palais. Elle ne mangeait que la nourriture de la plus haute des qualités, le nez bien haut. Enfin, je l'avais déjà surprise à manger de la nourriture lambda, lorsqu'elle croyait que je ne la regardais pas, et j'avais ainsi compris le véritable sens de son manège. Elle désirait avoir l'air précieuse, racée, digne, sophistiquée et rare, car elle estimait que c'est ainsi que je l'aimerais. Je la laissais donc faire, effectivement ravi d'avoir une starter aussi dévouée à mes côtés. Le minimum que je pouvais faire était donc bel et bien de prendre le transport en commun pour gagner le centre commercial et faire quelques achats pour ma très chère Harley. Après quelques préparations sommaires, j'étais partit.
Sur place, j'arpentai les lieux avec la tête haute, la noblesse dans l'âme et la confiance dans le regard. Je n'avais pas, ici, à me faire passer pour un vulgaire élève parmi tant d'autres. Je pouvais me contenter de mon port altier, de mon pas rapide et de mon sourire naturel, teinté d'une malice toute espiègle et malveillante à la fois. Comme il était bon, parfois, de se laisser aller au naturel. Attentif à ce qui m'entourait, j'étais curieux de découvrir les airs de l'endroit et, dans ma curiosité, je devenais toujours un peu plus jeune, un peu plus enthousiaste. Comme quoi il m'arrivait de me laisser emporter par les impulsions du moment. Porté par mon attitude à la fois curieusement décontractée et soignée, j'achetai la nourriture qu'il me fallait en plus de quelques petites babioles inutiles, simplement parce que je pouvais me le permettre et que j'étais curieux. Dans le pire des cas, je pourrais toujours les offrir à autrui lorsque j'en aurais marre, leur disant que j'avais trouvé et acheté cet item spécialement pour eux. Lorsque l'on connaissait un peu les goûts de chacun, ce devient un jeu d'enfant. Oh, le dernier album de Strikna, je l'avais à Volucité, mais pas ici. Autant en acheter un second.
Une fois mes mains chargées d'un paquet assez respectacle, j'estimai qu'il était temps de rentrer. Mais, avant d'aller m'enfermer dans un autobus pour la prochaine demi-heure, je comptais bien faire un tour par la salle de bain, espérant vainement que la propreté y serait irréprochable, mais en même temps il valait mieux ne pas me faire d'idées. Comme de juste, l'état des lieux semblait encore pire que je ne l'avais estimé, une fine vague d'eau s'échappant de sous la porte en pulsations régulières et de plus en plus grandes. Mais que se passait-il ici? Mes sourcils se froncèrent et mon regard aqua obliqua vers la porte de la salle de bain des filles, là où se produisait le même phénomène. C'était fâcheux et je n'appréciais pas d'être contrarié. Quelqu'un s'était amusé à faire une blague démesurée, sans se soucier de moi. Oui, juste moi. Qu'est-ce que j'en ai à faire des autres clients? Pour moi, par contre, il avait intérêt à avoir laissé au moins une toilette en état de marche. Non pas que mon envie fut si pressante, mais il m'était désagréable que l'on me refuse quelque chose et chaque embûche devenait une motivation supplémentaire. J'entrai donc dans les toilettes réservées aux hommes, vérifiant les cabines une à une, pour voir si au moins l'une de ces toilettes avait été épargnée, mes souliers pataugeant dans l'eau. Toutes? Non. Une porte me résistait encore et toujours, me poussant à lâcher un soupir énervé. Quelqu'un était là. Quelqu'un comme moi qui n'acceptait jamais un refus? Peu probable, j'étais une espèce rare. Il serait plus crédible d'estimer que l'individu qui était là était le coupable, pris sur le fait par mes bons soins. Sauf si la cabine était vide? Quelle importance alors, même si je parlais tout seul et que je m'accablais de honte, l'important c'était justement que j'étais seul et que personne ne le saurait.
- J'espère pour vous que cette dernière toilette n'est pas encore bouchée, sinon vous pourriez avoir à me dire si l'eau est fraîche, il en ira de même si vous me faites trop attendre. Cela me fera enfin une petite distraction. D'ailleurs, c'est très réussi jusqu'à maintenant, il est simplement dommage que vous soyez tombé sur moi. Bien que ce soit probablement relatif.
N'importe quoi, vraiment. Comme si j'allais risquer de me salir les mains avec l'eau de toilettes publiques. J'avais articulé le tout d'une voix presque amusée, un ton rythmé et aussi détaché que si je parlais à un ami. La seule chose qu'il y avait pour me trahir, c'était cette vague impression de froideur, de distance. Comme s'il y avait un mur entre cette voix sympathique et mon être, comme une voix artificielle qui aurait été pratiquée encore et encore. J'avais voulu qu'il le sente, par simple caprice du moment. Qu'il puisse palper mon énervement certain derrière ce masque de nonchalance. Je voulais qu'il sache que j'étais on ne peut plus sérieux. Qu'il fasse toutes les blagues qu'il voulait, ce serait probablement même très amusant, mais il y avait des limites à ne pas franchir et j'étais l'une d'entre elles.