A dire vrai, Alban ne s’intéressait pas vraiment aux trois personnes qui étaient avec lui pour la visite. La rousse ne cessait de lui jeter des coups d’œil en battant des cils, ce qui le mettait passablement mal à l’aise même s’il n’en montrait rien. La brune essayait d’obtenir les faveurs de Zéphyr en s’approchant progressivement de lui, ce qui était le comble de l’impolitesse compte tenu du fait que son nez touchait presque la joue d’Alban. Quant à Basil, le garçon, il soupirait en levant les yeux au ciel comme s’il était atteint d’une vieille pneumonie. Pour parachever le tout ? La vieille guide ridée comme une pomme dégageait une forte odeur de naphtaline et elle s’était mise à trembler tellement fort que le Voltali eu peur qu’elle lui claque entre les doigts. Attendre. Il fallait qu’il attende encore quelques minutes que les derniers visiteurs les rejoignent, et il pourrait se concentrer sur la maison hantée qui, pour lui, présentait un bien plus grand intérêt. Impatient, il avait croisé les bras et tapotait de ses doigts fins comme pour battre la mesure. Chloé ne cessait de lui poser des questions un peu trop personnelles auxquelles il répondait par monosyllabes ou par un silence pesant. Alban ? Pas aimable ? Il n’avait jamais eu la prétention de l’être, et ces trois personnes ne l’intéressait pas des masses. Pire, il les trouvait même un brin ennuyant. Quoi qu’il en soit, Chloé cessa enfin de lui poser des questions lorsqu’une quatrième personne arriva.
Mignonne et blonde, elle avait de longs cheveux et était accompagnée d’un Pokémon vert qu’Alban ne connaissait pas. Sûrement un type Plante d’Unys ou de Kalos, qui étaient les régions qu’il connaissait le moins. Néanmoins, le garçon attendit qu’elle vienne lui dire bonjour. Ah ben, il n’allait pas se déplacer et aller se présenter spontanément auprès des gens, quand même. Sa timidité l’en empêchait. Son manque d’intérêt encore plus. Néanmoins, la nouvelle arrivante sembla déclencher les passions. Chloé se désintéressa aussitôt d’Alban - ô joie - et alla accueillir la blonde avec une petite pique bien senti. Cat fight ? Bah, c’était sûrement une histoire de filles, Alban ne voulait pas s’en mêler. En tout cas, Basil et Piper semblèrent plus enthousiastes quant à ces retrouvailles surprises, et le châtain détourna les yeux du groupe pour ne pas s’immiscer dans leurs démonstrations affectives. Ca ne le regardait pas, et il n’avait pas envie d’être intrusif en les observant de ses yeux de merlan frit.
Pendant ce temps, le Pokémon de la blonde avait lui aussi déserté la conversation qui se tenait à côté pour venir rendre visite à Alban. Le châtain et le Pokémon s’observèrent, chacun semblant se demander qui était l’autre. Curieuse créature que voilà. Un museau assez pointu qui faisait penser à une forme de feuille, des teintes jaunes et vertes, de grands yeux rouges et un corps qui se terminait par une queue pointue et feuillue. Un petit air arrogant également, et une sorte de col qui n’était pas sans rappeler celui des rois. Il ressemblait un peu à un lézard perché sur deux pattes. Même s’il était bien différent du Galvaran d’Opale. Qu’est-ce que ça pouvait bien être ? Il tournait autour de lui tandis que Zéphyr, paniqué par la présence de ce reptile, venait de sauter d’un petit bond au sol. Avisant la présence des trois autres du groupe devant lui, il se cacha la tête dans l’aile et resta figé sur place, tandis que la dénommée Wendy venait récupérer son propre Pokémon auprès d’Alban.
- Pas de soucis, lui répondit-il lorsqu’elle s’excusa de l’attitude de sa Vipélierre.
Vipélierre, hm. C’était certainement le nom de l’espèce de ce Pokémon, car juste après, Wendy la présenta à ses amis comme s’appelant Iris. Elle décida ensuite de venir avec eux, ce qui fit tousser discrètement la vieille guide. Alban quant à lui se contenta de hausser les épaules quand la blonde vint se présenter à lui, et tenta de ne pas répondre trop froidement.
- Alban Abernaty, enchanté de même, répondit-il sobrement.
La vieille se dirigea vers eux et tourna ses yeux vides vers Wendy.
- Pas de ticket, pas de visite, lui dit-elle de sa voix grinçante et désagréable.
Piper et Basil protestèrent en disant que ce n’était pas juste, mais la vieille ne voulut rien entendre. Par chance, la personne qui devait compléter le groupe s’était désistée, ce qui permis à Wendy de se joindre à eux. Dans un demi-tour dramatique et un brin offusqué, la guide leur demanda de les suivre. Alban se pencha pour récupérer Zéphyr et lui emboita le pas, suivi par les quatre autres qui faisaient un boucan d’enfer. Chose qui semblait d’ailleurs passablement agacer la guide. Quoi qu’il en soit, la vieille dame commença sa visite, et les fit entrer dans une première pièce. L’endroit était plutôt grand. Une cheminée éteinte et noire de charbon occupait une bonne partie du mur. Une peau de bête - était-ce du Tauros ? – était posée à même le sol, ternie par le temps, couverte de poussière et de vieilles toiles d’araignée. Un chandelier reposait sur l’âtre de la cheminée, tandis qu’un gigantesque portrait d’un homme vêtu richement toisait les nouveaux arrivants. La guide toussa pour s’éclaircir la voix et récita :
- Voici le grand salon de Von Krieg. Vous pouvez le voir représenté sur ce portrait. Il avait l’habitude de venir écrire ses lettres à l’ombre de cette chandelle que vous pouvez voir ici. Sa dernière lettre, adressée à Dame Mariella, n’a jamais pu être envoyée car Von Krieg fut assassiné le soir même d’un coup de poignard dans le dos. Des tâches de sang constellent encore son bureau. On dit que empreint de regret, Von Krieg continue d’essayer de rédiger sa lettre pour Dame Mariella, à l’ombre de sa chandelle…
Alban était captivé par le récit. Dit par la voix d’outre-tombe de la guide, on s’y croyait carrément. Le jeune garçon était curieux : où s’arrêtait la vérité ? Où commençait le mythe ? Il avait très peu de repère et autant dire qu’il appréciait ce genre de chose. Il était curieux de nature ; il avait envie d’en apprendre plus et de se laisser surprendre par tout ce que la vieille dame avait à leur apprendre.
Après s’être attardé dans le grand salon, ils passèrent dans un long couloir lugubre pour déboucher jusqu’à une chambre décorée chichement. Comme toutes les autres pièces, elle semblait être extrêmement sale et poussiéreuse. Entendant un léger bruit derrière lui, Alban se retourna et se retrouva nez à nez avec Wendy.
- Tout va bien ? lui demanda-t-il, en pensant que ces drôles de bruits de gorge qu’il entendait venaient d’elle.
Mais à mieux y penser, ça ne pouvait pas être la jeune fille. Il tendit l’oreille pour mieux écouter, et perçu un très subtil bruit de pas au-dessus de sa tête. Il se concentra un peu plus et entendit de nouveau cette espèce de bruit guttural et pas forcément très rassurant.
- Qu’est-ce qui se passe ? demanda Basil, soudainement inquiet.
Alban haussa les épaules. Puis, brusquement, les lumières s’éteignirent d’un coup.
Il entendit un cri derrière lui. Sûrement une des filles, même s’il n’aurait su dire précisément laquelle. Ses sens en alerte, il sentit les poils de ses avants bras se dresser. Zéphyr, sur son épaule, roucoula piteusement, un brin inquiet par cette soudaine obscurité. Alban n’avait que lui comme Pokémon, mais il n’était pas capable de faire de la lumière. Il essaya de tendre la main devant lui pour tapoter sur l’épaule de la guide et demander pourquoi les lumières venaient de s’éteindre d’un seul coup. Pourtant, ses doigts ne se refermèrent que sur du vide. Il entendit un rire guttural et spectral autour de lui. Alban entendit Piper se coller contre Basil et commencer à parler avec un débit mitraillette. Elle ne pouvait pas se taire, celle-là ? Le châtain n’entendait plus rien. Il se retourna pour leur dire de se la fermer un peu, mais un hoquet de Zéphyr le fit réagir. Il sentit un souffle de vent dans sa direction et se baissa instinctivement ; tout juste assez vite pour éviter le projectile qui filait vers lui.
Une lumière de lampe torche s’alluma. Dans la totale obscurité, cette maigre source de lumière était plus effrayante qu’elle n’était réconfortante. Alban tomba sur le visage terrorisé de Basil, et il se retourna pour voir ce qui avait failli l’assommer. Un chandelier. Le chandelier de Von Krieg ? Les filles continuèrent de hurler. Alban, lui, s’approcha de Basil et essaya de lui dire d’éclairer plus loin, mais un autre rire se fit entendre, bien plus fort que les autres. Puis, d’un seul coup, Wendy disparut.
Alban sursauta tellement ce phénomène fut soudain. Il entendit Basil l’appeler, complètement paniqué, et mû par un instinct de survie primaire, le groupe commença à s’enfuir dans la plus totale désorganisation.
- Att… commença Alban, autant parce qu’il trouvait ça stupide de courir que parce qu’il ne pouvait pas vraiment le faire.
Soudain, il flaira la présence d’une ombre spectrale derrière lui et se retourna. Il sentit qu’un petit bras griffu se poser sur son genou, et il écarquilla les yeux, incapable de distinguer plus de choses. Sa dernière vision fut l’obscurité du manoir de Von Krieg qui disparaissait dans un tourbillon de couleur. Il fut pris de nausée et réapparut brusquement dans une petite pièce de ce qu’il reconnut comme l’Office du Tourisme. Après tout, quelle autre bâtisse pouvait être aussi couverte de prospectus et de brochures touristiques ? A part sa propre chambre, bien évidemment. Béat, Alban tomba sur Wendy et sur une employée de l’Office du Tourisme, toute souriante.
- Bonjour ! Alors, la visite du manoir de Von Krieg vous a plu ?
Il la regarda sans trop comprendre, faisant aller et venir ses yeux colorés de Wendy à elle.
- Oh allons, c’était ça, la grande animation. Il n’y a rien à voir dans le manoir à part le grand salon, alors il y a une animation à chaque visite. On éteint les lumières, on vous fait croire que la maison est hantée, et on fait disparaître les visiteurs uns à uns grâce à Phylus, notre Abra. Manque de chance, vous avez été les deux premiers choisis par Phylus, donc vous ne pourrez pas profiter de beaucoup de temps d’animation, les autres pourront avoir jusqu’à 15 minutes de frissons supplémentaires ! Les chanceux !
- Ah…
Alban haussa les épaules, un peu déçu. Finalement, l’attraction était plutôt amusante et bien pensée, mais il aurait voulu en voir plus de ce fameux manoir qui l’avait tant intrigué.
- Enfin bon, tu peux t’assoir là en attendant tes amis. Tu veux un chocolat chaud ?
- Non merci, je vais y aller tout de suite. Bonne journée.
Sans laisser le temps à la dame de dire un mot de plus, il salua brièvement Wendy puis sortit de la petite salle. Zéphyr, sur son épaule, n’avait même pas été plus effrayé que de nécessité. Bah, c’était comme ça. Après tout, cette histoire de Von Krieg ne pouvait pas être réelle… Haussant les épaules, il se dirigea doucement vers la sortie, afin de profiter encore d’un peu de soleil et de visites avant de partir vers d’autres aventures.