“_ LE MORVEUX ! C’est toi qui a cassé ma vaisselle hein ? Et tu es parti te réfugier avec tes petits copains à la plonge ? Hop ! Tu montes en cuisine. Bartoloméa va s’occuper de toi.”
J’adresse un regard d’excuse à mes compères. Ils me font des signes d’encouragement mais n’osent pas ouvrir la bouche. Je suis docilement le Chef. Je crois qu’il n’a pas de nom à part “le Chef”. Je m’en fout en fait. J’ai réussi à reprendre à peu près confiance en moi grâce à mes nouvelles rencontres de cette après-midi. J’espère simplement que la cuisine n’est pas un nouveau plan du Chef pour m’humilier. Ne connaissant pourtant pas le personnage, j’ai bien peur que si. Nous montons à l’étage supérieur. Malgré son poids, il est drôlement agile. Il me présente à Bartoloméa qui a sa propre petite cuisine, c’est l’une des cuisinière qui fait la réputation de l’Argentios et … c’est la fille de la cousine du Chef. Pourtant, ils n’ont rien en commun, elle est beaucoup, beaucoup plus maigre, les cheveux rouge vif et de nombreux couteaux accrochés à sa ceinture. Le Chef s'éclipse, me laissant seul avec elle. Elle me présente vite fait sa cuisine.
“_ C’est là qu’les commandes arrivent. Alors tu vas retenir dans ta p’tite tête se qu’il faut préparer. Puis tu’t’diriges vers l’frigo, c’est là qu’sont tout les produits frais. Ensuite tu vas m’regarder faire, puis si j’sens qu’tu débrouilles pas trop mal, j’te laisserai cuisiner un plat ou deux. Capich ?”
Je fais oui de la tête et c’est à ce moment que la première commande arrive. Un fricassé d’Obalie accompagné de Crustabri fris. Je manque un hoquet. Ca me révulse de manger ces pauvres Pokémon. Mais Bartoloméa attend ses produits frais. Comme recommandé, j’ouvre le frigo. Toutes les étagères sont étiquetées. Je finis par mettre la main sur les différents ingrédients que je porte à la cuisinière. Pendant que j’effectuais ceci deux autres commandes sont arrivées. Des frites aux Marmochon et un Sorbebe et … une garniture de baies fraîches avec son lit de pommes de terre où trône une … une tête de Abra ? Mon coeur manque un battement. Instinctivement, je porte ma main à la Pokéball d’Invy. Elle est bien en sécurité, toujours dans ma poche. Je suis resté figé alors que Bartoloméa s’affaire à sa cuisine. Je ne peux pas … Tout ces Pokémon. Une nouvelle commande arrive. Un Colhomard entier, le plus prestigieux des plats. Le plus cher. Je me force à donner la viande à ma supérieure. Je suis prêt à vomir quand je transporte la tête du Abra. Il me rappel beaucoup, beaucoup trop mon starter.
“_ Oh, pour tout les crustacés faut aller voir dans la pièce d’à côté. Prend la brique pour les assommer.”
Je me dirige donc vers la pièce adjacente. Heureux de ne pas avoir à supporter le Abra décapité plus longtemps. Mais le spectacle qui m’attends dans ce nouvel endroit n’est guère plus glorieux. Il me retourne littéralement l’estomac. D’immenses bassins de poissons et de crustacés sont entreposés. Ils sont tellement nombreux qu’ils ont à peine de place pour se déplacer. Toutes les pinces sont solidement fixées, les Pokémon qui ont tendance à mordre ont été bâillonnés. Ils me font beaucoup de peine. Des carcasses non utilisables sont entassées dans un coin de la pièce. Je n’ose même pas imaginer ce que je pourrais y trouver. Le bac des Colhomard est mélangé avec les Carvanha et autres Barloche. Je met un moment à me décider à plonger ma main dedans. Il me faut tout mon courage pour me décider à attraper l’un des spécimens. Un Caranha manque de peu mon bras mais je suis assez vif pour l’éviter et attraper le Colhomard. Je retourne vers la cuisinière lui apportant fièrement ma prise.
“_ T’as été tellement lent qu’j’ai été obligée d’en prendre un congelé. Les clients n’attendent pas. Bon, on va quand mêm’ pas gaspiller celui-là.”
Elle me prend le Pokémon des mains et me tend un immense couteau. Je le prends, tremblant.
“_ On va profiter qu’il n’y est pas d’aut’ commandes pour t’ former un peu. Je vais t’expliquer comment r’tirer la chaire du Colhomard tout en utilisant son étoile et ses pinces en décorations. Vas-y, ‘proche toi.”
Je m'exécute. Le Pokémon me regarde avec des yeux qui ne comprennent pas ce qui va lui arriver. Elle me montre le geste à effectuer. C’est à contre coeur que je découpe sèchement la tête du homard. Elle tombe à mes pieds et j’en ai les larmes aux yeux. Je viens de briser l’étoile qu’il porte habituellement fièrement sur la tête. Bartoloméa sent mon malaise. Elle ramasse la tête et me donne une tape amicale sur l’épaule.
“_ T’as eu une longue journée. Prend l’escalier au bout du couloir à droite. Ta chambre se situe tout au fond à droite. R’pose toi et sois en forme pour demain.”
Je la remercie d’un signe de tête. Elle ne sait pas le cadeau qu’elle est en train de me faire. Je me débarrasse du tablier, j’ai l’impression d’avoir du sang sur les mains. Je trouve sans mal l’escalier. Ma chambre est au calme et donne sur l’arrière de la bâtisse. Les draps sont propres. Je passe mes mains sous l’eau, espérant faire partir l’odeur du meurtre. C’est peine perdue. Mes mains me brûlent à cause de la matinée de vaisselle. Cette soirée est à nouveau un fiasco. Je ne suis pas fait pour la restauration … A peine étendu sur mon lit, je m’endors tout habillé.
Je suis réveillé à grand coup de poings sur la porte.
“_ Debout le Morveux ! Les Pokémons n’attendent pas.”
Déjà habillé je saute du lit pour ouvrir la porte. Le Chef s’y tient.
“_ Bon, on va bien finir par te trouver une place, toi. Aujourd’hui tu vas avec Lucenzo t’occuper des Pokémons. Il part dans cinq minutes.”
Je ne perds pas une seconde et je dévale les escaliers. Le fameux Lucenzo a garé sa voiture devant le restaurant, il est en pleine conversation avec un autre homme qui semble lui donner quelques directives. J’attends que leur conversation se termine pour me présenter à lui. Il est très jeune, à peine quinze ans je dirais. Un brun aux cheveux courts et aux yeux verts. Il me fait tout de suite un certain effet. Je me présente en bégayant et il se fout gentiment de moi. Il m’invite dans sa camionnette et nous partons. Durant le trajet il m’explique qu’il est le fils des éleveurs qui s’occupent des Pokémon qui sont vendus au restaurant. Lui, n’approuve pas le fait que tout les Pokémons qu’il élève soient destinés à l'abattoir, pourtant, c’est ce qui rapporte le plus d’argent. La vie coûte chère à Argenta. Je m’imagine un instant à sa place, et si mes parents avaient dû faire la même chose, aurais-je une mentalité différente aujourd’hui ? Probablement… mine de rien, ça me fait du bien rien que de penser à une journée en plein air et avec de vrais Pokémon, bien vivants. Nous arrivons à leur ferme après une bonne demi-heure de route. Ils possèdent un immense terrain où tout les types de Pokémon se côtoient. Lucenzo m’explique que ses parents sont absents, ils sont partis acheter des oeufs pour renouveler leur élevage. Tant mieux, cela ne me déplaît pas outre mesure d’être seul avec lui aujourd’hui. Nous commençons par passer chez lui pour se faire un petit pique nique.
Je me retrouve à nouveau en pleine nature, au milieu de rien. Ca fait un bien fou. J’invoque Invy à mes côtés, ça ne lui ferra pas de mal de prendre un peu l’air. Je pose une main rassurante sur son épaule et il se calme. Je suis mon guide, il a décidé de commencer par aller remplir les mangeoires. Nous aurons probablement l’occasion d'apercevoir des types Herbe, ou Normal. Je m’en réjouit d’avance. Je garde néanmoins mes distances, je n’ai pas envie de faire fuir ces Pokémons semi-sauvages.
Lucenzo est accompagné par un petit Riolu qui est tellement obnubilé par sa tâche qu’il ne se rend même pas compte de ma présence. Je crois que c’est mieux comme ça. Le temps passe vite en compagnie agréable. J’arrive enfin à me détendre. La journée d’hier a été éprouvante. Je lui raconte mes conneries et il rigole à la mention des verres cassés. Il ne connaît pas du tout le Chef mais a eu affaire plusieurs fois à sa larbine, il ne la supporte pas non plus. Nous rions, échangeons quelques blagues ou parlons de situations délicates. Je lui raconte mon aventure dans les ruines de l’ancienne citée d’Athénéfis puis de l’incroyable sauvetage dans la planque de la Team Rouage. Il m’envie un peu, il est bloqué ici par ses parents. Mais dans un sens, il aime cette vie. Cela me fait plaisir de parler de tout et de rien. Même de me confier à cet inconnu. Quelque chose m’attire en lui, je serais incapable de dire quoi mais je suis comme un aimant. Il n’a pas l’air de s’en rendre compte, c’est assez frustrant. Je me surprends à le détailler comme je n’ai jamais détaillé personne. Je le regarde d’une manière nouvelle, il parvient à me mettre dans un état différent. C’est très étrange.
Je ne vois pas la journée passer. Lucenzo me propose de rester dormir. Mais le Chef serait furieux de l’apprendre. Je préfère rentrer pour éviter les problèmes. Il hausse les épaules, l’air déçu. Je m’en veux aussitôt d’avoir refusé son invitation. J’ai raté ma chance. Il me raccompagne, en silence. Il me dépose devant l’entrée, nous échangeons des adieux cordiaux. Je ne le reverrai probablement plus jamais. Cela me rend triste. J’ai l’impression d’avoir tout fait foirer. J’en ai les larmes aux yeux. Je suis dépité quand je remonte les escaliers qui mènent à ma chambre. J’ai raté quelque chose… cet homme était… différent. Je m’allonge sur mon lit. Demain il sera déjà l’heure de rentrer. Je m’endors accompagné de ces pensées moroses.
Le réveil est à nouveau ponctué de grandes tapes à la porte.
“_ Debout le Morveux ! C’est ta dernière matinée, tu repars au service.”
Au service ? Il ose me remettre avec les clients après le massacre de verre que j’ai fait ? C’est très étrange. Je revêts alors les habits classes trouvés dans la remise deux jours plus tôt. Ils sont quelque peu froissés mais feront bien l’affaire. Je retrouve ensuite le rez-de-chaussée où règne un calme absolu. Je ne me rend pas compte qu’il est déjà dix heures et qu’il va falloir s’occuper de dresser les tables. Une jolie fille toute élégante s’approche de moi. Je ne l’avais jamais remarqué. Elle rougit en s’adressant à moi.
“_ Euh, Aaron c’est ça ?
_ Oui ! Enchanté ! Tu es bien la première à ne pas m’appeler “Le Morveux”.”
Je rigole doucement et elle se met à nouveau à rougir.
“_ Et toi ?
_ Lisbeth, je… je serais là pour t’épauler durant le service. Je vais te montrer et t’aider à dresser les tables. Ne fait pas attention à Altania, elle se prend pour la petite reine mais je suis sa supérieure hiérarchique. Je n’étais juste pas au courant de ton arrivée.
_ Mieux vaut tard que jamais !”
Je lui souris, elle devient pivoine. Je ne comprends pas l’effet que j’ai sur elle. Je suis juste cordial et tout à fait moi-même. Je reste sur place quelques minutes avant de la suivre. Elle me montre où sont les différents couverts en n’oubliant pas de me rappeler qu’il faut éviter de les casser. Dans le ton de sa voix je ne parvient pas à comprendre si elle se fout de moi ou si elle n’est simplement pas au courant de mon fiasco. Bref, nous passons une bonne heure à mettre les tables, arranger les chaises et déposer les fleurs fraîches. Nous parlons normalement mais elle paraît gênée à chaque fois qu’elle m’adresse la parole, je ne comprends toujours pas pourquoi.
Onze heures passés, les premiers clients arrivent. Lisbeth les accueille, je prends note de la façon dont elle procède. Elle les installe à une table lorsque de nouvelles personnes arrivent. Je m’approche d’eux, essayant d’avoir l’air sûr de moi.
“_ Bonjour, bienvenue à l’Argentios, je vous installe ?”
C’est à peine si le couple me regarde. Ils s’installent à une table et s’emparent des menus. Après quelques secondes de réflexion le vieux bonhomme me dit.
“_ Où est notre serveuse ?
_ Je suis là, à votre service, Monsieur.
_ Nous voulons notre serveuse habituelle !
_ Je crains qu’elle ne soit absente aujourd’hui, Monsieur, puis-je prendre votre commande à sa place ?”
Il se renfrogne et replonge le nez dans sa carte. Alors que je me retourne pour les laisser choisir la femme me siffle.
“_ Et moi, on ne prend pas ma commande jeune homme ?
_ Pardonnez-moi, Madame, que désirez vous commander ?
_ Je vais prendre le plat du jour.
_ Pareillement.
_ Très bien, je vous les apporte, merci.”
Je quitte la table, les mains moites. Forcément, il fallait que je tombe sur les clients habitués qui veulent Altania comme serveuse. Bon, je pense avoir bien fait mon travail. Je n’ai pas le temps d’y réfléchir que de nouveaux clients arrivent. Ils sont plus respectueux et me demandent poliment s’ils peuvent s’installer en terrasse. Je leur propose alors un table à l’écart et à l’ombre puis je prends leur commande. La matinée file comme le vent. Je prends du plaisir à installer, prendre les commandes puis servir les gens. Je retrouve la même envie que lorsque je m’occupe des Pokémon sauf que là, les clients ne me fuient pas. Je pense que finalement, serveur, est un métier qui me correspond bien mieux que cuisinier. Je suis content de passer ma dernière journée à ce poste. Et puis … Lisbeth est adorable. Elle m’aide dès que je ne sais pas comment m’y prendre, me donne des astuces, d'innombrables conseils, c’est un délice de travailler avec elle.
Le service prend fin vers quinze heures. Je n’ai pas vu le temps passer mais j’ai drôlement mal aux pieds. Je m’assois alors en terrasse, Lisbeth prend place à côté de moi.
“_ Tu vas partir, c’est ça ?
_ Oui. Il est temps de retourner à la Pokémon Community, je dois rédiger un devoir sur ces quelques jours à l’Argentios.
_ Si tu as besoin d’informations … ou d’autres choses, n’hésite pas à me contacter. Tiens, voilà mon numéro d’IPok.
_ Merci beaucoup Lisbeth, pour tout. Tu as été formidable et c’est grâce à toi que j’ai tout appris aujourd’hui.” J’hésite “Si tu le croises, remercie Lucenzo de ma part aussi.”
Mes yeux sont dans le vague, je repense à la frimousse du beau brun. Elle parait percevoir ma divagation et y met fin.
“_ Je n’y manquerai pas. Je vais descendre ta valise, profite en pour dire au revoir au personnel.”
Elle se lève, me laissant seul sur la terrasse. Dire au revoir au personnel … le Chef et Altania sont absents aujourd’hui. Il ne me reste à faire mes adieux qu’aux meilleurs. Je monte au premier pour retrouver la cuisine de Bartoloméa. Je frappe timidement.
“_ ‘trez !
_ Bonjour Bartoloméa.
_ Oh ! B’jour Aaron, je peux t’aider ?
_ Tu l’as déjà fait, ne t’en fais pas, je viens juste te dire au revoir, mon stage ici touche à sa fin et… tu m’as beaucoup appris en peu de temps.”
Elle se lève et vient vers moi, un couteau à la main.
“_ Ce fût un plaisir ! Passes quand tu veux. Par contre, je ne te veux plus en cuisine si c’est pour t’mettre dans un état pareil. J’t’ai vu au service t’à l’heure, t’es fais pour avoir l’contact ‘vec le client, pas pour être dans l’arrière boutique.
_ Merci Bartoloméa, je le saurais pour la prochaine fois.”
Elle m’ébouriffe les cheveux avec un grand sourire. Je quitte la pièce, le coeur lourd. Mais il me reste à aller voir mes trois compères. J’entre dans l’arrière salle au bout du couloir. Steph est occupé à finir la vaisselle pendant que Zack et Tof … sont en train de s’embrasser. Je fais un pas en arrière par peur de les déranger. Mais c’est trop tard, ils m’ont tout les trois remarqués. Je dois les regarder d’une façon bizarre pour qu’ils se mettent tout les trois à rire comme ça. Steph me lance.
“_ Nooooonn, ne me dit pas que tu n’avais pas remarqué ?
_ euh … non, j’avais rien vu …”
Ils se mettent à rire de plus belle. Comment aurais-je pu savoir que ces deux zigotos sortent ensemble ? C’est très bizarre et le plus étrange est d’avoir l’image mentale de Lucenzo qui s’impose alors à mon cerveau. Je secoue la tête, je n’ai pas envie d’y penser. J’essaie de reprendre ma contenance.
“_ Je suis venu vous dire au revoir. Et merci aussi. Sans vous j’aurais probablement pas passé mon premier jour.
_ Ahah ! De rien petit Aaron ! N’hésite pas à repasser si tu en as l’occasion !
_ Ce fût un plaisir, joli roux.”
Je ne peux m’empêcher de rougir à la mention du “joli roux” ce qui fait encore plus rire son compère.
“_ Allez, file avant que je ne t’attrape ! A plus Aaron !”
Je leur adresse un grand sourire avant de quitter la pièce. Ils sont vraiment extra. Je me retrouve dehors, Lisbeth est là, devant un taxi. Bartoloméa est à la fenêtre, une cigarette à la main. Pas de trace des trois autres. Ni de Lucenzo. Je ne peux m’empêcher d’en avoir un pincement au coeur. Lisbeth me tend timidement ma valise. Je l’a remercie chaleureusement. Je lui dépose un baiser sur la joue en guise d’adieu. Elle répond en me déposant un léger bisou sur les lèvres. Ses lèvres sont douces, agréables et pulpeuses. Mais non, rien d’autre. Je me retourne, monte dans la voiture. Je lui fais un signe d’adieu. Son regard emplit de larmes me fait comprendre qu’elle est déçue. Je m’empêche à nouveau de pleurer. Je viens de lui briser le coeur. Désolé. D’autres questions me tourmentent à présent.
Mais surtout, la Pokémon Community m’attend et Metly Potts doit brûler d’impatience de voir mon devoir.