Ô Apollon. Quelle mésaventure que celle-ci ! Tu étais tranquillement sur l’île Babiri, répétant encore et toujours tes pièces de théâtre adorées. Le costume que Maman Manternelle t’avait confectionné luisait sur tes épaules ; les feuilles vrillaient à la perfection, épousant la moindre de tes courbes. Tu te sentais beau là-dedans ; majestueux, même ! De toute façon, tu avais de la prestance quoi que tu portes. Tu étais un Larveyette de la haute, après tout ! Mère actrice et couturière de génie. Père heu… dont la tête avait été mangée à la fin du coït, mais qu’importe, il était très certainement respectable également. Bref ! Tu étais promis à un grand avenir ! Partout où tu allais, les autres te regardaient avec admiration. Tu étais la coqueluche des femelles, c’était clair et net ! Ta démarche chaloupée, ton regard faussement canaille, tes mimiques de star Hollywoodienne. Qui pouvait te résister ? Tu avais cette classe et ce charisme surnaturel. Tu ne savais pas encore ce que tu voulais faire exactement plus tard ; mannequin dans les plus grands défilés de mode ? Icône du monde Pokémon ? Acteur dans les films les plus populaires ? Acteur sur une scène de théâtre ? Ah le théâtre ! Qu’est-ce que tu aimais ça ! Les beaux costumes, les beaux acteurs, les tirades endiablées, les monologues passionnés. Et la tragédie surtout ! Ô tu rêvais de mourir de façon spectaculaire. Un suicide sur une scène parsemée de roses ? Un accident de charriot causé par une créature marine ? Un combat à la vie à la mort pour le cœur d’une belle ? Tout t’allait, du moment que ta tête ne finissait pas arrachée comme celle de ton père. Mais s’il y avait du spectacle, des cris, des pleurs et un grand public, ce serait vraiment mieux ! Alors tu t’entraînais, Apollon. Ta mère t’avait donné ce nom-là pour que tu sois bercé par les arts et les cieux. Tu te trouvais magnifique, charmant, professionnel. Devant ton buisson, tu répétais sans relâche, les yeux fermés, la patte du haut sur ta poitrine - ou à peu près. Enfin bon, tu faisais de ton mieux avec la morphologie qu’on t’avait donnée, quoi ! -. Tu étais d’ailleurs en train de jouer une scène de Phèdre - oui, même les rôles féminins ne te faisaient pas peur du moment que la pièce était TRAGIQUE - quand ce truc avait débarqué. Une sorte de chien, ou de petit loup, ou tu ne savais pas trop, mais c’était pas bien joli. Ça n’avait pas TA prestance ! Alors tu avais tenté de te défendre. Tu lui avais balancé une petite attaque dans le pif, histoire de le faire fuir. Ce n’était ni une créature marine, ni un de tes ennemis les plus mortels, à savoir les oiseaux ou les insecticides. Tu ne voulais pas qu’il te tue, alors, ça non ! Pas une mort comme ça, ce serait trop dégradant !
Pourtant, le chien t’avait attrapé dans sa gueule comme une poupée de chiffon. Quelle insolence ! Balancé devant un humain, une sorte de rouquin à l’air benêt, tu avais touché une de ces drôles de sphères rouges et blanches et… le DRAME de ta vie ! Tu avais été capturé, malgré tes efforts pour sortir de ta prison métallique. On brimait ton ART ?! Tu avais pu en sortir tout de suite après, pour tomber devant le chien/loup/autre et ce qui était apparemment son dresseur… et maintenant le tien ? Oh non oh non oh non. Il était roux, ce garçon-là, ROUX. C’était une faute de goût immense, ce n’était pas du tout assorti à ton teint ! Alors tu l’avais houspillé, tu lui avais balancé des horreurs. Toute façon ce crétin ne comprenait rien de ce que tu disais, même si son toutou te gueulait dessus pour te dire de te la fermer. Non ! Tu refusais ! Il ne faisait même pas un bon esclave, mais regardez-le ! Comment pouvais-tu te balader sans avoir honte avec celui-là ? Impossibru. Inconcevable. Que nenni ! Tu avais pourtant quitté Babiri sur un ferry. Sans avoir dit un seul au revoir à ta famille. Que penserais ta mère quand elle s’apercevrait de ton absence ? Bon, elle penserait probablement que tu t’es fait bouffer par un Braisillon, ce qui n’était pas si dramatique en soi. Peut-être serait-elle fière si aucun cafteur n’allait lui rapporter que tu t’étais fait… capturer. Un truc si dégradant, c’était tellement horrible ! Mais il y aurait probablement des cafteurs. Tu avais des fans Apollon, tu sais ? Tu ne pouvais pas te faire capturer et quitter l’île sans que PERSONNE ne soit au courant. Ils iraient probablement répéter. Ô quelle horreur ! Mère, pauvre Mère ! Si elle savait…
Tu avais tenté de demander à ton esclave roux tous les jours s’il pouvait te ramener à Babiri. En fait, plus que ça, tu le lui avais ordonné. Un petit coup de patte sur son gros pied. Un petit froncement de sourcil intimidant. Une petite insulte bien sentie. Quoi ? Même ça, ça ne marchait pas ? Le clébard semblait un peu plus sensible à tes demandes. Il t’aboyait de te taire mais hmpf, on ne brimait par un artiste mon bon chien ! Tu lui avais rendu la vie impossible. Tu voulais une tasse de thé ? Apporte-moi donc une tasse de thé, esclave. Un petit sucre ? Domestique, hop hop hop ! Mais rien à y faire, il était nul comme valet, celui-là. Il ne voulait rien faire de ce que tu demandais. Alors tu avais essayé de t’enfuir. Plus d’une fois même, mais sans succès. Tu trouvais ça un peu amusant, au fond ; était-ce là les prémices d’une nouvelle pièce ? D’un nouvel acte ? D’une nouvelle scène ? Tu continuais de t’entraîner sans relâche, et même le colocataire aux cheveux verts semblait s’intéresser à toi. - il te trouvait chiant, mais c’était forcément un compliment inversé, n’est-ce pas ? -. Et ce jour-ci, il t’avait dit qu’il te trouverait un autre dresseur. Mais tu n’en voulais pas, toi ! Pourquoi ne pouvait-il pas te relâcher, tout simplement ? Ohé le roux, t’as un déficit neuronal ou bien ! Non mais sérieux quoi ! Tu avais protesté, mais déjà la sphère t’avait ravalé. Foutue sphère ! Tu avais cogné sur les petits réseaux métalliques. Tu savais que si tu frappais assez fort, elle allait te vomir. Et c’est ce qu’elle fit.
Discrètement, tu t’étais carapaté. Si tu t’enfuyais, il ne te retrouverait plus jamais n’est-ce pas ? Tu avais parcouru une espèce de graaaande mer rouge et orange. Les feuilles ça te connaissait, tu aimais ça. Mais là, elles n’étaient pas assez assorties à ton costume de scène pour qu’elles te camouflent assez bien. Puis tu avais levé la tête en entendant une voix mélodieuse, sombre et vibrante comme celle d’un acteur de tragédie. Tu avais regardé ce garçon aux cheveux châtain, aux yeux d’un bleu pénétrant, et tu avais eu un coup de cœur. Puis, tu avais aperçu les deux oiseaux qui étaient avec lui, et tes yeux s’étaient illuminés. Il te le fallait. LUI. Il avait la prestance d’un acteur. Et surtout, tu pourrais mourir entre ses bras, agonisant, rendant ton dernier souffle dans un dernier monologue tragique. Avec espoir, tu avais demandé à ce qu’on te dévore. Mais loin de te comprendre, les oiseaux t’avaient regardé avec un air poliment intrigué. Mangez-moi ! Mangez-moi ! Le garçon avait fini par te remarquer et s’était penché vers toi pour essayer de t’aplatir entre ses mains immenses. Ô ! Ca aussi, ce serait une mort spectaculaire.
- Tiens, salut, qu’est-ce que tu fais-là, toi ? avait-il demandé de sa voix sublime de stentor.
Puis esclave roux avait déboulé. Pourquoi fallait-il qu’il gâche toujours tout ! Tu t’étais retourné vers lui avec les sourcils froncés, offusqué de cette intrusion dans ta vie professionnelle ET privée. Mais stentor avait décidé de se désintéresser de toi pour répondre à esclave roux. La tuile !
- Oh ne t’inquiète pas, il vient juste d’arriver. J’adore les Couverdure. Et ce Larveyette est très mignon.
Sa main était encore à mi-chemin de ta tête, mais il n’était pas décidé à t’écrabouiller. Alors, pour le faire réagir, tu avais mordu ses doigts. Stentor s’était retiré vivement pour agiter sa main. Sans t'écrabouiller. Zut.
- Enfin. Je rectifie : j’adore les Couverdure, tout court. Désolé mais il n’est pas mignon du tout, ajouta-t-il. Oh et au fait, je m’appelle Alban Abernaty, et toi ?
Bla bla et bla ! Quelle importance ? Des humains qui parlent ? C'est vraiment le truc le plus ennuyeux du monde. Fortement contrarié, tu t'étais avancé, ô Apollon vers ce... ben vers ce bel Apollon, quoi. Stentor, c'était un surnom plutôt sympathique pour celui que tu voulais comme... comme quoi au juste ? Une lumière éclaira ton regard malsain. Comme domestique. Fini le roux et son chien-chien. Il te fallait ce garçon-là et ses oiseaux qui pourraient t'offrir une mort digne de ce nom. Ô joie. Ô bonheur ! Allant donc te réfugier derrière les jambes de stentor, tu te mis à regarder fixement le roux sans âme. Allons, il fallait qu'il comprenne que c'était LUI qu'il te fallait. Et que tu n'irais avec personne d'autre. Hein, même un crétin comme lui pouvait comprendre ça, eh !