Ennui. Le cours aurait dû commencer il y a déjà un quart d’heure. Pourtant, contrairement à Ace et ses retards où l’on ne s’ennuyait jamais, j’étais en plein état végétatif sur ma chaise. Et visiblement, je n’étais pas le seul. Kaiminus, qui m’accompagnait dans les cours les moins importants, regardait le plafond d’un air dubitatif. Pour que lui s’ennuie, il fallait vraiment le faire. Où qu’il soit, il trouvait toujours quelque chose à faire, à redire,… Mais pas ici. Le cours de biologie était notre bête noire à tous les deux. Et cela, malgré un professeur fort intéressant. Si seulement le contenu était lui aussi du même acabit. Heureusement, une personne était là pour m’aider à faire passer le temps : Dahlia. Crayon en main, je commençais à la dessiner sur ma feuille. D’abord par de simples traits pour avoir une forme globale du dessin et de ses proportions, puis venait le moment d’affiner en ajoutant les détails. La belle aux cheveux rosés prenait forme au fur et à mesure, tandis que j’entendais au loin la voix de Miss Potts qui arrivait… Ce n’était pas trop tôt.
Le soupir de bon nombre d’élève, indiquait que le cours n’était pas encore prêt de commencer. Par soucis de cohérence avec les événements en déroulement, je jetais un œil vers l’avant de la pièce pour savoir où en était notre professeur. Comme à son habitude, la référente des Mentalis était maladroite. Cela avait le don de ranimer l’attention de Kaiminus, qui se riait gentiment de ses maladresses. J’allais me remettre à dessiner, quand la tape des mains de Melty me rappela à l’ordre. C’est vrai, je devais écouter et non dessiner. Mais bon… Il m’était difficile de tenir longtemps éveillé dans un cours de biologie. Dessiner était ma seule échappatoire pour éviter le sommeil. Surtout ! Quand j’apprenais le contenu du cours du jour : la mutation des baies… En bon élève studieux, j’aurais dû m’appliquer à la découverte des mutations de ces denrées parfois rares et très utiles en combat Pokémon. Sauf que je n’étais ni coordinateur, ni scientifique… Certes en combat les baies sont utiles, mais il me suffit de les acheter et je n’ai aucunement besoin d’en faire pousser pour ma propre utilisation plus que partielle, voire nulle. Je décidais donc de replonger ma tête dans mon dessin.
Dahlia avait changé de posture entre temps. Elle semblait plus attentive, moins absente qu’avant. Par chance, mes croquis de base me permettait de garder une cohérence dans l’ensemble du dessin, harmonisant son expression. Dans ses pensées, la Mentali était vraiment belle. Bien plus que toutes les autres filles de l’académie… A peut-être l’exception prêt d’Hazel lors d’Halloween. Là, j’avoue que je bug à savoir laquelle des deux remporterait le match. Aussi, Hazel avait recours à la triche en usant de son costume de Ho-Oh, le Pokémon de mon enfance, celui dont je rêvais encore aujourd’hui et que je rêverais toujours demain. A mes pieds, quelqu’un me tirait la jambe. Je zieutais sous la table pour voir Kaiminus qui me montrait le nouvel arrivant dans la classe. Bounty, si je ne m’abuse, le Noadkoko de la référente Mentali. Mes yeux le suivirent jusqu’à ce qu’il se pose dans un coin de la pièce au fond, à quelques rangées de moi. Le pauvre, il avait l’air éreinté. Ses trois têtes affichaient une moue dont je ne pouvais soutenir la vue. Tant mieux, puisque Melty rappela ses élèves à l’ordre une seconde fois. Elle reprit son passionnant discours sur les baies, dont je m’abstins en poursuivant mon dessin.
Ah ! J’arrivais aux ombrages. La partie la plus intéressante et la plus délicate d’un dessin. Notamment, lorsque le modèle ne savait pas qu’il était le modèle, et pouvait se déplacer à tout moment, emportant avec lui ses ombres. C’était là qu’entrait en ligne de compte tout l’art du dessinateur. Il devait user d’un dosage méticuleux entre ses souvenirs et son imagination pour recomposer l’image originale. Bien que je sois en apprentissage, mes compétences en la matière étaient suffisantes pour réussir cette épreuve. En règle générale, j’avais la fâcheuse tendance à laisser mes dessins au stade précédent l’ombrage. Ce dernier pouvait être rédhibitoire tant il était important. Un splendide dessin pouvait ainsi se retrouver gâché et raté par une simple erreur lors de cette phase. Autant dire que le poids qui pesait sur nos épaules à cet instant précis était lourd, très lourd. Pour Dahlia, je me devais de réussir avec brio ce passage. Qui sait, je pourrais même le lui offrir plus tard ? Ce serait m’exposer à sa critique, est-ce que j’en serais capable… Elle pourrait aussi ne pas l’apprécier. Ou se poser des questions sur le pourquoi du comment j’avais voulu la dessiner. Bref, le risque était trop grand et je n’en étais pas encore là. Ma main tremblait rien que d’y penser cependant.
Inspiration, expiration. C’est bon, j’étais reparti. Voilà que j’appliquais les derniers coups de crayon. Fier, je soulevais mon dessin pour mieux l’admirer. Soudain, Miss Potts se retourna vers nous depuis le tableau. Prenant peur de m’être fait remarquer, je cache rapidement le recto de ma feuille sur ma table. Ni vu, ni connu, je lis les instructions notées au tableau. Et merde… Un devoir. J’aurais peut-être dû écouter pour une fois au lieu de faire le mariole. Si je rapporte une sale note, je vais être la risée du dortoir. Bon, je ne crois pas qu’ils diront grand-chose que l’un de leurs Noctalis ne connaisse pas la façon dont il faut faire planter une baie. C’était quoi déjà le sujet du cours d’aujourd’hui ? Ah oui, la mutation des baies. Il va falloir faire preuve d’imagination, mais j’ai comme qui dirait l’impression que cette fois-ci, cela ne sera pas aussi simple. Je m’attèle donc au devoir sur ma copie… Une page devrait suffire, si tant est que j’y arrive…
Mon stylo tapait le dernier point de ma rédaction dont j’étais particulièrement fier. Un grand ramassis de n’importe quoi, qui m’avait donné une baie digne de mes films de science-fiction préférés. Inspiré de Mimigal-man ou de Gaulet et le Simularbre, ma rédaction tenait place dans le monde cinématographique de genre de Pokéwood. Si une telle baie existait, elle se vendrait à prix d’or, j’en suis persuadé. Il était maintenant l’heure de retourner au dortoir, je n’avais pas vu le temps passé, pris dans mon devoir. Me penchant pour signaler à Kaiminus que nous y allions, je le distinguais dans le bord droit de ma vision. Mais, que faisait-il avec le Noadkoko ?! L’appelant discrètement pour ne pas trop me faire remarquer, tandis que certains élèves n’avaient pas encore fini, je donnais ma copie à Melty qui faisait le tour des rangs. Le caïman fuchsia quitta son copain de cours et je m’apprêtais à ranger mes affaires… Mais ! Où est passé mon dessin de Dahlia ?! Je fouille ma table, soulève un bouquin, une trousse, un monticule de feuille, cherche dedans, mais rien… Toujours rien. Où est-il passé. Stressé, je commence à avoir le cœur qui bat à cent à l’heure. Je regarde autour de moi, mal à l’aise. S’il avait glissé par terre et que quelqu’un l’avait ramassé malencontreusement… Non, je ne pouvais envisager cette atroce possibilité. Pourtant, c’était ce qui me paraissait être le plus probable. Je ne voyais pas d’autre alternative. En hâte, je rangeais mes affaires, honteux, avant que quelqu’un ne capte ma gêne et comprenne d’où provienne le dessin. Kaiminus, qui est tout joyeux d’avoir passé l’heure avec un autre Pokémon plutôt qu’au pied de ma table à regarder les mouches voler, ne comprend pas mes réactions. Je l’incite à m’imiter en me dirigeant vers la sortie, comme si de rien n’était. Le bureau de la référente Mentali était juste devant moi, je la saluais avant de partir comme à chaque cours, lorsque je vis sur sa pile de copies : la mienne. Elle était retournée et au dos, on voyait le dessin de Dahlia que j’avais réalisé. Ecarquillant les yeux, j’avais bêtement fait mon devoir sur cette même feuille sans m’en rendre compte. Et je ne pouvais pas vraiment demander à la reprendre. Pour l’instant, elle ne semblait pas l’avoir vu, mais cela ne saurait tarder. Valait donc mieux s’éclipser avant d’être repéré.