Se promener avec sa Togepi fraîchement capturée était un véritable supplice. Aura, de son petit nom trop grand pour elle, semblait avoir l’ultime conviction qu’elle était née comme boule de bowling. Aussi rentrait-elle constamment dans sa coquille pour pouvoir rouler comme bon lui semblait dans les couloirs, les allées, les parcs, les chambres, décanillant tout sur son passage. Sa vision semblait considérer chaque être vivant - et non vivant d’ailleurs - comme des quilles faites pour être renversées. Son besoin de destruction massif était plus grand encore que n’importe lequel de ses Pokémon et, après avoir affolé Wolfen - le Caninos de son colocataire - plusieurs fois, Alban s’était résigné à installer une sorte de petit parc pour bébé dans un coin de leur chambrée. La place leur manquait déjà et devoir investir dans du tel mobilier réduisait encore leur espace de vie, mais ce n’était pas comme s’il avait vraiment le choix. Aussi prenait-il garde à déposer Aura chaque matin dans son parc, pour ne l’en ressortir que la nuit une fois qu’elle était épuisée ; quand il n’oubliait pas de la sortir, évidemment. En ce joli Dimanche néanmoins, le Voltali avait décidé de sortir toute sa petite équipe pour une promenade à travers le campus. Après les avoir surveillé pendant deux bonnes heures, il était passé par le Réfectoire pour déjeuner ; Aura fermement coincée dans son sac à dos pour éviter qu’elle ne mette la cuisine à sac. Ce qui, entre nous, aurait fortement déplu à Mama Odie. En profitant donc pour poser l’œuf que Clyde lui avait donné sur ses genoux et manger tranquillement, Alban consulta sa montre. Il serait bien passé faire un tour du côté du Lac Corail pour explorer un peu plus les lieux, mais la marée haute rendait l’expédition compliquée. En outre, avec Aura, Zénith et Hélios - qui étaient de loin ses Pokémon les plus turbulents -, Alban craignait de frôler la catastrophe. Résigné, il décida donc de se diriger plutôt vers la Bibliothèque pour emprunter quelques livres à plancher tranquillement. C’était bien triste de passer son Dimanche à bosser, mais soit. Au moins pourrait-il avancer un peu dans ses projets personnels, ce qui ne serait pas un mal, vu tout le retard scolaire qu’il avait accumulé. Se faufilant donc parmi les élèves, il fit sortir Aura de son sac à dos et regretta aussitôt son geste en la voyant rouler vers des groupes d’étudiants disséminés çà et là. Retenant in extremis sa Togepi, il soupira à s’en fendre l’âme puis rebroussa chemin. Non. Impossible de passer par la Bibliothèque sans déposer cette jeunette-là dans son parc. Et impossible également de la faire rentrer dans sa Pokéball. Après tout, elle n’aurait jamais accepté.
Empruntant donc un couloir peu fréquenté, Alban eut la surprise de passer devant le bureau d’Elisabeth Snow et de voir Andreas Heartnett, son référent, en sortir avec un rire haut perché. Que lui arrivait-il, encore ? Se figeant sur place, il vit le Coordinateur se tourner vers lui, son habituel eyeliner violet scintillant comme de la poussière d’étoile. Etait-ce juste une impression ou Hearnett semblait-il à la fois agacé et triomphant ? Curieux mélange que celui-là, en tout cas. Avec un air interdit, le châtain l’observa. Un peu trop, visiblement, puisque la diva s’aperçut de sa présence.
- Mon cheeeeeeer Albaaaaaan ! minauda-t-il avec une voix plus haut perchée que d’habitude. Puis, faisant ses vocalises pour retrouver son ton normal, il exécuta une magnifique pirouette et sortit des dizaines de roses de ses poches.
Un nuage de pétales s’écrasa sur la silhouette blasée d’Alban, et ce dernier ne fit aucun commentaire, de peur de se retrouver encore une fois avec une tâche ingrate sur le dos. Son référent semblait cependant dans tous ses états et, un sourire forcé sur les lèvres, il s’approcha de son élève et déposa une main aux ongles parfaitement manucurés sur son épaule. Avec un hoquet, le Voltali eut l’impression d’être un oisillon sur lequel un chat venait de poser ses griffes. Andreas avait l’air si… menaçant… Et avec un énorme sourire en plus, ce qui n’augurait rien de bon.
- J’ai eu le droit de faire mon cours spé sur un sujet paaaarticulièrement intéressant. Dis-moi donc, je ne t’ai pas vu sur la liste des inscrits. Je sais que c’est facultatif pour quelqu’un de ta spécialité mais… tu me rendrais bien ce service en t’ajoutant à ma liste, n’est-ce paaaas ? On manque encore un peu de monde alors…La prise se resserra sur son épaule. Andreas glissa une rose derrière l’oreille de son élève, la mine toujours aussi radieuse, et Alban se figea en constata que la tige pleine d’épine de la fleur pointait vers sa carotide. Heu. Monsieur Hearnett ? Si vous pouviez… je sais pas moi.
Arrêter de me menacer, peut-être ?- Je, heu… hoqueta Alban en sentant la tige frôler dangereusement sa peau et lui perturber les cordes vocales.
Oui, oui, d’accord…Andreas le lâcha et joignit ses mains, complètement ravi.
- Suuuuuperbe ! déclara-t-il, avant de pincer affectueusement la joue de son élève.
Dans ce cas je te retrouve dans trois jours devant l’institut du Couafarel Coloré ! Ne sois pas en retard mon chou !Puis, dans un écran de fumée violette, il s’évapora, laissant un Alban couvert de pétales et de poussière sortir en toussant comme un asthmatique. Enfin, réalisant ce qui venait de se passer, le châtain se tapa le front du plat de la main.
- Eeeet meeeerde…‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗‗
Trois jours plus tard, Alban se retrouvait devant le fameux institut. Dépité, il regarda les élèves autour de lui ; majoritairement des filles Mentali et quelques garçons aux allures efféminées. Bon ok, c’était carrément cliché, mais il n’y pouvait rien. Entre Powell et sa fleur dans les cheveux, ou ces dizaines de filles aux cheveux parfaitement bouclés pour l’occasion, le Voltali se sentait comme un véritable intrus. Un peu plus loin, il avisa la présence d’Eryn - encore une fille super mignonne et féminine - et lui adressa un signe de la main chaleureux. Pampero était-elle avec elle ? Il essaya de chercher son ancienne Pitrouille du regard mais ne la trouva pas. Bah. Peut-être plus tard dans la journée.
Quoi qu’il en soit, Andreas apparut bientôt devant eux en exécutant une de ses habituelles pirouettes. Alban, l’air blasé, se fit la réflexion qu’il s’était encore magistralement fait avoir. Qu’est-ce qu’il allait bien pouvoir leur concocter cette fois ? Alban écouta attentivement et grommela au fur et à mesure. QUI était l’être débile qui avait bien pu envoyer pareil courrier à Andreas Heartnett ? Sérieusement ?! Il leva ses yeux bleus mouchetés d’or vers le ciel. Honnêtement, il avait tout sauf envie de bichonner une horreur pour la rendre visuellement potable, mais inscription oblige, il était relié à ce cours par un contrat. Attrapant donc la feuille qu’on lui passait, Alban regarda avec qui il allait se retrouver. Hm… Leype. S’il ne se trompait pas, c’était ce Voltali assez étrange de sa promotion. Un garçon qui s’était fait relativement discret depuis son arrivée et à qui il n’avait pas trop eu l’occasion de parler. Ils faisaient partie de cercles d’amis différents, après tout, et Alban était assez mauvais pour aller vers les autres.
Décidant cependant que cette fois, ce serait à lui de faire le premier pas, il se dirigea spontanément vers son camarade dont il avait avisé la présence, un peu plus loin. Il savait pour l’avoir déjà vu qu’il avait un Tarsal, mais dieu merci, ce dernier n’était pas fan de lui comme pouvait l’être Libra, la petite Tarsal chromatique de son colocataire Nolan. Disons qu’il avait déjà bien assez d’une admiratrice capable de se téléporter n’importe où - et quand je dis n’importe où, cela veut vraiment dire n’importe où… -. Pas besoin d’en rajouter une autre. Avec un sourire un peu gêné, Alban s’approcha de son camarade.
- Salut Leype. On est en binôme pour ce cours. J’espère qu’on fera du bon travail ensemble. On n’a pas pu trop parler ensemble depuis le début de l’année, ce sera l’occasion.Il lui adressa un sourire un peu plus large et attrapa par réflexe Aura afin d’éviter qu’elle ne veuille décaniller le blond. Puis, sentant une main se poser sur son épaule, il se retourna et se trouva face à Andreas qui leur souriait de toutes ses dents.
- Mes cheeeers Voltali ! Je suis siii heureux de vous voir parmi nous ! tonna-t-il. Alban se retint de lui préciser que c’était lui qui l’avait un peu forcé à s’inscrire, mais soit.
J’ai sélectionné tout particulièrement votre sujet d’étude. Il est un peu plus loin, là-bas. Ah non, pas là voyons ahaha Alban, là c’est un Noctali. Je sais que leur référent peut s’apparenter à une horreur mais tout de même. Ici, oui, ce Cochignon. Magnifique bête, n’est-ce pas ? Bon ok il sent un peu fort et il aurait bien besoin d’une coiffure, apparemment son dresseur l’a beaauuucoup négligé ces dix dernières années, mais je suis certain que deux élèves brillants comme vous arriverez à en tirer tout le potentiel, n’est-ce pas ?Il leur fit un clin d’œil puis disparut dans un nuage de fumée rose. Alban haussa les épaules et, avec Leype, il se dirigea jusqu’à la grosse bête. L’énorme Cochignon les toisa avec un air blasé, puis souffla par les narines. Une puissante odeur de vieille transpiration rance émanait de son pelage sale et mal entretenu. Aïe. Ils allaient avoir du travail. Et même si Alban adorait s’occuper du plumage des Pokémon Vol, il ne savait même pas comment s’y prendre pour une toison pareille. Après tout, ses propres Pokémon s’étaient toujours bien débrouillés seuls.
- Je sens qu’on aura pas mal de travail sur la planche. Tu t’y connais toi ? demanda-t-il à Leype en tapotant sur la fourrure du Cochignon et… en se retrouvant à moitié collé tellement les poils étaient gras.
Ils allaient avoir du boulot !