Ton coeur se serre à la vue du regard farouche que ces yeux, d'habitude si doux et tendres, braquent soudainement sur toi. L'onde calme s'est faite glace, et tu sens comme quelque chose en elle — et en toi — qui se brise. Elle se sent trahie, et tu le sais bien. Elle se sent trahie, et tu n'y peux rien. Elle ne te verra peut-être plus jamais pareil. Mais au moins, elle sera saine et sauve.
Te dis-tu.C'est ce que tu te dis quand elle se dégage et qu'elle s'éloigne en serrant le poing, blessée dans l'âme. C'est ce que tu te dis en hochant la tête d'un air approbateur quand Luce t'annonce, effrayée mais déterminée, que tu peux compter sur elle. C'est ce que tu te dis en t'élançant, accompagnée de ta camarade, de son farfuret, et du hélionceau d'Ève, en direction de l'hôtel. Tu veux bien devenir l'antagoniste de l'histoire, si ça te permet de les protéger.
Tu as fait rentrer ton ludicolo dans ta pokéball, mais tu avais choisi de garder ton nucléos. Il était petit à petit devenu essentiel à tes batailles. Tu n'avais pas encore de plan précis en tête, mais tu savais qu'il te serait d'une utilité précieuse. Tu réfléchissais alors que tu avançais. Il allait te falloir un plan, et rapidement. Tu devais régler cette situation au plus vite. Tu avais entendu beaucoup de choses sur les smogogos, quand tu habitais encore à Lavanville. Tu te souvenais de cet incident à Céladopole, un été où il avait particulièrement chaud, où un smogogo avait provoqué une explosion devant le centre commercial. Tu l'avais lu dans l'un des magazines que tu feuilletais pour te donner des airs de femme au courant, en vis-à-vis de la dernière interview de Pavel Altmile. Mais tout ça t'était surtout revenu suite à l'incident d'Halloween, quand tu t'étais rendue compte du désastre auquel vous aviez échappé. Cette fois-ci, tu ne foncerais pas tête baissée.
Tu avais beau réfléchir, tu étais incertaine sur la façon de procéder. Tu devais agir vite. Mais tu hésitais à y aller par la force brute, tant vis-à-vis d'Ève, qui avait tout de même marqué quelques points dans son argumentaire, que pour éviter d'agiter le pokémon, de peur qu'il ne devienne agressif ou que son gaz particulièrement instable ne cause des dégâts considérables. Mais tu ne pouvais pas maîtriser tous les stimulis. Et si tu n'intervenais pas, quelqu'un d'autre finirait par le faire, peut-être même plus maladroitement que toi. Tu ne pouvais pas prendre ce risque. Tu ne voulais pas laisser cette responsabilité à quelqu'un — d'après les dires du personnel du centre pokémon — de moins qualifié que toi. Et la chaleur t'inquiétait : tu ne savais pas quelles températures étaient véritablement considérées comme dangereuses concernant la stabilité des gaz de smogogos, mais tu savais que la chaleur pouvait grandement aggraver les choses...
C'est quand tu te retrouves finalement face à la bête que la solution t'apparaît. Et tu déglutis, en attrapant lentement une pokéball dans ton sac. Tu espérais de tout coeur que tu ne regretterais pas ton geste.
L'imposante silhouette de ton florizarre se dessine dans un flash de lumière rouge. Faire appel à ton pokémon le plus instable ? C'était un pari risqué. Mais tu avais confiance. Il revenait de loin. Et si tu ne changerais jamais son caractère inquiet, tu avais appris à le calmer et à le rassurer. Vous pouviez y arriver.
« Doux parfum. » Puis tu ajoutes, en posant une main calme sur la tête du pokémon plante :
« Tout doux, mon beau. Je vais avoir besoin de ton aide. Et j'ai besoin que tu gardes ton calme. » Ta voix détend grandement le pokémon, qui ne s'inquiéte pas de la situation, et qui se met à examiner soigneusement les alentours.
Tu te tournes alors vers Luce. Déjà, baisser la température, au cas où. Le froid serait ton arme.
« Luce, ton pokémon doit connaître des attaques de type glace ? J'aimerais que tu essaies de rafraîchir le smogogo, ou au moins l'air autour de lui. Mais prudemment, évite de le viser directement, on sait jamais. »Tu regardes ta cadette d'un air déterminé, comme pour essayer de lui donner confiance en elle. Tu viens de lui confier un rôle délicat, pour quelqu'un qui n'avait pas l'habitude de travailler avec son pokémon. Mais elle s'était proposée d'aider, et tu savais qu'elle pouvait le faire. Puis tu te tournes vers le hélionceau. Tu connaissais mal ce pokémon, ne l'avais jamais vu en action dans un combat, et ne savais pas exactement comment le mettre à profit. Alors tu décides de donner quelques directives générales, par mesure de sécurité, et de le laisser agir par lui-même pour la suite :
« Écoutez-moi, dis-tu en t'adressant à tous les pokémon présents, ce smogogo est, par nature, un adversaire délicat. Il faut essayer de le neutraliser pour éviter toute catastrophe, mais l'idée n'est pas d'être agressif. Ne l'agitez pas trop, prenez garde à son gaz, et tentez de vous coordonner. »Tu signales alors à ton nucléos que tu comptes sur lui pour les aider sur ce dernier point. Et voyant que sa dresseuse considérait la situation comme très sérieuse, le pokémon psychique se passe même de commentaire, se mettant aussitôt à la tâche. Il commence par dresser une Protection et un Mur Lumière autour du smogogo, par prévention, tandis que le hélionceau se met à pousser une sorte de râle. Ton nucléos t'indique qu'il s'agissait également d'un
debuff visant à affaiblir les attaques de leur cible. Puis le lionceau enchaîne avec un Regard Noir, que tu reconnais pour l'avoir souvent utilisé avec ton spectre. Tu demandes à ton florizarre de pousser à son tour un Rugissement.
Bien.Tu fais signe à Luce, et la jeune fille donne quelques instructions à son pokémon, tout en essayant de rester calme et concentrée. Un vent froid se lève alors sur les lieux.
« Pas trop fort-- » ne peux-tu t'empêcher d'intimer. Les changements brusques de température étaient également à éviter, par précaution. Tu te sens un peu rassurée en sentant la température chuter doucement.
À ce stade, le smogogo a remarqué cette agitation autour de lui, et commence à s'en inquiéter. Il est effectivement énorme, et composé, non pas de deux, mais de trois smogos. Ses yeux suivent les différents intervenants du regard — le farfuret, le hélionceau, et le florizarre — une paire par pokémon. Le gaz qui s'échappe de ses orifices se répand en une sorte de brouillard, avant de s'épaissir et de prendre une couleur verdâtre qui ne te dit rien qui vaille.
« Ne vous approchez pas ! », intimes-tu aussitôt à tes coéquipiers, mais aussi à l'assemblée, qui vous regardait faire, anxieuse. Puis tu ajoutes, moins fort, à l'intention de Luce :
« N'oublie pas que ces gaz peuvent être toxiques. N'en respire par trop. » En disant cela, tu regrettes de ne pas avoir pris ton paréo, avec lequel tu aurais au moins pu te couvrir le nez.
Mais si tout se passe comme tu l'espères, vous en aurez bientôt fini, et tout en douceur. Tu te penches un peu sur ton florizarre, pour l'interpeller.
« Maintenant » lui souffles-tu. Ton nucléos lui avait relayé ton plan. Tu sentais le pokémon un peu plus nerveux, il supportait encore mal l'intrusion psychique du nucléos. Mais ça allait encore. Le doux parfum que tu lui demandais de répandre en continu tant qu'il n'était pas occupé à autre chose — tant pour le détendre que pour tenter de combattre l'avancée des vapeur toxiques — l'apaisait ; ta présence, tes caresses et ta voix aussi. Tu essayais de l'habituer à la télépathie, mais tu faisais toujours attention à beaucoup lui parler, doucement, pour le garder avec toi et le rassurer. Une dernière pression rassurante sur la lourde tête du pokémon plante, et tu t'éloignes prudemment de quelques pas, tandis que ton nucléos fait de même. Les autres sont suffisamment éloignés. Tu te rapproches de Luce et de son pokémon, que tu souhaites mettre à contribution une fois de plus.
« J'aurais besoin qu'Albireo utilise Vent Glace une fois de plus, mais cette fois pour créer un courant d'air qui aille de mon florizarre au smogogo. »Tu vois une once d'hésitation passer dans le regard de la brune, mais elle acquiesce. Ton nucléos se tient prêt. Au moindre problème, il passera à l'offensive en utilisant ses pouvoirs psychiques. Mais tu souhaiterais éviter d'en arriver là. Tu regardes alors le farfuret se positioner, et lancer son attaque. Entre temps, ton florizarre a déjà eu le temps de produire un certain nombre de spores. Et le vent glacé les emporte alors en direction du smogogo.
« Maintiens un peu ! » demandes-tu, tendue.
Ton attention est concentrée sur le smogogo, qui semble commencer à s'agiter.
Pourvu que ça fonctionne.Mais le pokémon ne met pas longtemps à se calmer. La Buée Noire qu'il étaient en train de former se dissipe lentement, et ses yeux se ferment petit à petit, tandis qu'il chute lentement, jusqu'à finalement toucher le sol. En quelques instants, le smogogo est endormi.
Ton plan avait fonctionné. Sans heurts.
Et à présent, l'instant critique.
Tu attrapes la superball que tu avais préparée, tu prends une brève inspiration, et tu lances précautionneusement la petite sphère métallique bleue en direction du pokémon poison. Le halo de lumière, et la silhouette du pokémon s'efface, tandis que la sphère se referme sur le sol. Tu te retiens de crier victoire ; tu craignais un choc entre la pokéball et le smogogo. Mais ton lancer était parfait. Plus qu'à retenir ton souffle quelques instants, en espérant ne pas avoir à jouer les prolongations...
La sphère s'immobilise finalement, et Alex tu laisses échapper un soupir de soulagement. Tout s'était bien passé, finalement. Il n'y avait pas eu de blessé — juste un malaise, probablement dû au gaz, mais suite à une exposition très légère — et tu avais résolu le problème sans faire le moindre mal au pokémon. Tu tends ton poing en direction de Luce pour lui faire un check, et la jeune fille répond timidement après quelques secondes, un peu décontenancée.
« Bien joué, championne ! » la félicites-tu. Tu accordes également un sourire à Albireo, avant d'aller frotter la tête de ton florizarre pour le féliciter.
« Merci, vieille branche ! Tu peux retourner te reposer. »Et tu rappelles le pokémon dans sa pokéball, bien à l'abri, dans l'habitâcle familier. Tu étais fière de la petite équipe ; vous aviez fait du beau travail, sans bavure. Tu salues rapidement le personnel de l'île et quelques vacanciers, avant de faire volte-face et de te diriger vers vos affaires laissées sur la plage, talonnée par Luce. Tu as hâte de retrouver Ève, de lui annoncer la nouvelle, de lui raconter comment tu t'y étais prise, de la rassurer sur le sort du pokémon, de t'excuser...
Mais, contrairement à ce que tu aurais pensé, Ève n'est pas là. Elle avait dû s'éloigner un peu plus.
« On va la chercher. » annonces-tu à Luce, avant de te remettre en mouvement.
« Ève ! »Vous parcourez la plage en appelant son nom, mais aucune trace de votre amie. Tu renouvelles tes appels. Tu as un mauvais pressentiment.
C'est alors que ton nucléos attire urgemment ton attention. Sans même prendre le temps de prévenir Luce, tu bifurques en courant en direction de l'eau, en appelant de plus belle. Grâce aux indications de ton pokémon psy, tu finis par l'apercevoir, se débattant lourdement dans l'eau. Péniblement.
« ÈVE ! » hurles-tu.
Et tu cours dans l'eau, jusqu'à avoir de l'eau jusqu'à la taille, jusqu'à ce que tes pas se retrouvent trop entravés par la masse liquide, et tu te mets alors à nager. Ton nucléos lévite devant toi, te guidant vers ton amie. En-dehors de cela, tout est trouble, tu n'aurais même pas su dire si Luce t'avait suivie dans l'eau ou si tu l'avais laissée sur la plage. Tu ne sais même pas si elle avait repéré la silhouette d'Ève, au loin, et si elle avait déjà compris ce qui était en train de se passer. Une part de toi espère que non, pour épargner à la timide dresseuse l'angoisse qui compressait peu à peu ta poitrine. Tu remercies silencieusement tes entraînements pour l'endurance et la force qu'ils t'ont données, et tu nages aussi vite que tu le peux en direction de la jeune blanche.
Tu arrives finalement à sa hauteur, et tu te saisis aussitôt d'elle pour ramener sa tête à la surface. Tu l'entends s'étrangler en recrachant de l'eau. Mais elle ne répondait pas à tes appels. Tu remarques alors la silhouette détrempée du caninos, que la blanche tenait fermement dans ses bras.
Merde. Serrant les dents, tu réassures un peu ta prise pour tenter de ne pas trop leur faire boire la tasse, et tu te mets à nager vers la plage. Alors que tu nages, la scène de votre dispute repasse en boucle dans ta tête. T'étais persuadée que t'étais en train de l'aider. T'étais persuadée de la protéger, de la mettre en sécurité. T'étais persuadée que tu aurais tout le temps de venir t'excuser ensuite.
te disais-tu. Mais là, à lutter contre les vagues alors que son poids te tirait vers le fond, tu réalisais que ce serait peut-être le dernier échange que tu aurais avec elle. et peut-être que si tu avais pris le temps de mieux choisir tes mots, peut-être que si tu l'avais gardée avec toi, si tu avais été là pour la protéger comme tu avais protégé les autres ; peut-être que vous seriez encore toutes les trois en train de rire sur la plage.
Au milieu des gouttes qui viennent brouiller ta vision, tu aperçois Luce, devant l'eau, qui te fait des signes. Tu es soulagée qu'elle n'aie pas avancé plus loin, tu ne voulais surtout pas risquer d'en mettre une deuxième en danger. Les employés du centre pokémon que tu avais rencontrés un peu plus tôt acourent également, et t'aident à soulever la jeune fille et le pokémon pour les porter sur le sable. Tu leur laisse la place et tu regardes, terrifiée et impuissante, ton amie perdre connaissance.
★ ★ ★
Il s'est passé plusieurs heures, et le soleil commence déjà à descendre à l'horizon. Tu regardes, par la fenêtre de la chambre de soin, les couleurs flamboyantes du ciel, sans les voir, l'air soucieux. Luce est dans la pièce, tout aussi silencieuse que toi. Ève aussi. Elle est allongée sur le lit, toujours inconsciente.
Elle est sauve. Mais ta conscience continue de te torturer. Tu te demandes ce que tu aurais dû faire. Tu te demandes ce qui aurait pu se passer. Si le combat avait duré plus longtemps, et que personne ne l'avait retrouvée à temps...
« Ah ! »La voix de Luce qui attire ton attention, et tu accours à côté d'elle, au chevet du lit, pour voir frémir les paupières d'Ève. Puis elle ouvre les yeux, petit à petit, et vos regards se croise. Tu sens le soulagement qui dénoue la boule anxieuse dans ta gorge, et la colère qui remonte, malgré toi, comme un contre-coup. Mais tu ne peux rien dire. C'est Ève qui tente de parler.
« Caninos, où-... ? »Le pokémon était là, lui aussi à son chevet, et tu vois le lien qui s'est tissé entre eux. Tu leur laisse un instant de retrouvailles ; puis passes tes bras autour de la tête de la jeune fille et tu l'attires à toi, tu la serres, comme si tu venais de l'arracher d'entre les morts. Ta voix se brise entre tes lèvres.
« Ève ! J'ai eu tellement peur.. Putain ! J'ai cru.. »Ton discours est chaotique, tu es désolée, tu es soulagée, tu es si désolée, en colère, tu la traites d'irresponsable,
mais tu es si désolée. Quand le flux de mots s'apaise enfin, tu inspires, avant de revenir sur ce qui était resté coincé dans tes entrailles.
« Mes mots étaient maladroits, Ève. Je ne voulais pas dire que ce pokémon serait agressif. Je voulais juste dire qu'il était dangereux malgré lui. Il est fait de gaz et il n'y peut rien ; et ces gaz sont instables, et il n'y peut rien non plus. Et il fait chaud, et si on l'inquiète... »Mais les mots se bousculent à nouveau, alors tu t'arrêtes. Ce n'est pas la peine. Vous en reparlerez plus tard. Vous avez le temps, maintenant. En fin de compte. Alors tu lui annonces seulement, en essuyant une larme sur ta joue, avec un sourire :
« Je l'ai capturé, finalement. Sans le combattre. Simplement endormi. J'en prendrai soin, tu sais. »Après tout, c'était un pokémon poison. Et Josh t'avait dit que tu savais y faire avec eux. Puis tu ajoutes, avant d'oublier, parce que tu estimes que c'est important :
« C'est très courageux, ce que tu as fait. C'était irresponsable, et j'ai eu une peur bleue... mais c'était courageux. »Tu lances un regard au caninos. Il y en avait un, dans cette pièce, qui devait sa vie à ce courage.
fin juillet 2016