(Woooh eh bien, on peut dire que tu t’es emporté)
- Ferme-là Furfur, ou je te fais cuire avec le rôti
(Toujours aussi susceptible, à ce que je vois)
- Faut dire que tu me tapes sans arrêt sur les nerfs. Et qu’en plus, tu le fais systématiquement en rentrant dans MA tête. Alors si tu pouvais la boucler quelques minutes, je t’en serai très reconnai- putain de merde.
(Oups)

Sven jeta un regard assassin à son Nucléos, tandis que ce dernier flottait paresseusement à côté de lui, la tête tournée ailleurs. Dans le plat qu’il venait de dresser, une longue traînée de sauce renversée par cet abruti de gelée verte ruinait la précision et la qualité visuelle de l’assiette. Bon dans les faits, cela s’arrangerait facilement avec un coup de torchon mais… non. Impossible. Sven détestait tout ce qui n’était pas en ordre et parfait, en cuisine. Lançant donc un couteau en direction de son Nucléos - que ce dernier évita en ricanant -, le blanc répara l’erreur d’un petit tour de main. Sur sa table de cuisine, des dizaines et des dizaines de plateaux tous plus beaux les uns que les autres offraient quantité de petits fours, amuses gueules et plats de résistance. Les ingrédients du marché, cuisinés, préparés et dressés avec le même talent qu’un grand chef étoilé, étaient disposés avec précision et minutie. Sven avait prévu pour tous les goûts. Des plats uniquement végétariens pour ceux qui ne mangeaient pas de viande, des plats régimes pour ceux qui surveillaient leurs lignes, des plats prenant compte une dizaine d’allergies diverses et variées. Bon ok. Furfur avait raison : il s’était clairement emporté. Mais quand la logeuse lui avait promis de lui faire une ristourne sur ses cinq prochains loyers s’il préparait un repas digne de ce nom à la fête des voisins, le jeune Archéologue n’avait pas hésité une seule seconde.

Et c’était d’ailleurs là sa seule motivation pour la soirée ; en mettre plein la vue à cette espèce de vieille cruche qui ressemblait plus à un Cochignon en tenue classe qu’à une réelle dame. S’il avait simplement suivi son crédo habituel, Sven ne se serait même pas embêté à refuser l’invitation. Il ne serait juste pas venu, et aurait passé sa soirée de Nouvel An à travailler sur ses précieux parchemins. A quoi bon aller se sociabiliser ? Il savait - merci les potins grassement servis par cette commère de logeuse - qu'aucun de ses voisins ne faisait un métier dont il pourrait tirer un quelconque avantage. Il y avait des Scientifiques, certes, mais absolument pas dans sa branche. A la rigueur, la Mécanicienne qui était sa voisine de palier pouvait vaguement présenter un intérêt, mais… non. Ce serait trop d’effort. D’autant plus qu’il ne connaissait pas du tout ses compétences, et qu’à choisir, autant se diriger vers un professionnel de renom. S’il pouvait limiter les interactions sociales le plus possible, il n’allait pas s’en priver.

Soupirant donc quant à la perspective d’une soirée passée avec des gens inintéressants, l’Archéologue posa ses couteaux. Il y avait assez de nourriture pour un régiment. Et en plus de ça, il avait réussi à négocier de façon à ce que ses coûts soient largement inférieurs aux loyers qu’il allait économiser. Une parfaite analyse digne de son cerveau supérieur.

(Et mes fesses, c’est du KFC ?) ricana Furfur, qui lisait presque constamment dans ses pensées
- Tais-toi donc, tête de cul.

Il arrangea une verrine qui n’était pas assez droite à son goût, et regarda le résultat. Verrines, mini-brochettes, mini-choux, petits fours, bruschettas, mini tartes salées, pain grillé et préparations à tartiner diverses. Pour les plats de résistance, un énorme rôti de Déflaisan aux baies Mepo sauce balsamique, un magret rosé au miel et aux baies Repoi, un Tauros Wellington et ses légumes, ainsi qu’un plat totalement végétarien qui imitait parfaitement l’aspect de la viande. Cela devrait suffire. Il y en avait au moins pour une cinquantaine de personnes, et de souvenir, ils seraient à peine la moitié. Il soupira en se demandant comment il allait faire pour tout transporter, même avec le chariot que la logeuse lui avait prêté.

Bah, il aviserait bien.

Quittant sa cuisine pour faire un brin de toilette, le blanc hésita longuement avant de choisir sa tenue. On lui avait bien fait comprendre que ses tenues traditionnelles d’habitant du désert n’étaient pas ce qui était considéré comme le summum du « chic », par ici, mais bon… Il avait quelques tenues traditionnelles pour les cérémonies, qui étaient un peu plus esthétiques que l’habit qu’il portait habituellement…

(N’y pense même pas) commenta Furfur en lui barrant le chemin vers son armoire.

Piètre prestation, puisqu’il suffit d’un petit coup du revers de la main pour que le Nucléos s’écarte en gloussant. Néanmoins, l’affreux avait raison. Alors, Sven décida de sortir la tenue qu’il avait dû acheter pour ce repas mondain avec ses collègues de l’institut d’Archéologie, et dans laquelle il n’était absolument pas à l’aise. Costard simple noir, chemise blanche et nœud papillon. Rah. Quelle horreur. Il fut néanmoins prêt en quelques minutes et, ressortant pour charger toutes ses affaires, il sollicita l’aide de son Milobellus pour lui ouvrir les portes.

Pour cette soirée, il avait décidé de prendre tous ses Pokémon. Furfur, évidemment, ne comptait pas rester seul ici. Zépar aurait eu bien trop peur, sans Sven, dans un appartement tout noir. Le Lépidonille allait donc trotter sur l’épaule de son dresseur, ce qui semblait le plonger dans la plus grande fécilité. Agares, son Milobellus chromatique aux couleurs d’un Majaspic, n’aurait laissé passer pour rien au monde une occasion de se faire voir et de frimer. De ce fait, il avait aussi décidé de venir. Quant au petit dernier, le Kraknoix… Bah, autant l’amener. D’autant plus qu’il ne lui faisait pas honte, puisqu’il était un brin aristo sur les bords. Accompagné de ses Pokémon, Sven sortit donc de son appartement. Avec quelques grognements, il rallia l’endroit où devait se tenir la fête - Furfur l’aida avec ses pouvoirs psychiques pour les escaliers - et souffla un grand coup. Allons… Ce n’était que l’histoire de quelques - trop longues - heures. Ça n’allait pas être si terrible que ça, hein ?

Poussant la porte, il entra avec son chariot.

Devant, deux garçons qu’il n’avait jamais croisés étaient postés à côté d’une fille… Hm… Elle, il l’avait déjà vue une fois, quand il était parti bosser. Aucune idée de son nom ou de sa profession, ceci dit. Disant bonjour aux autres d’un signe de tête - à peu près - respectueux, le blanc poussa son chariot et alla installer tous ses plats sur la grande table façon buffet, déjà occupée par des gâteaux. Quelle idée de les mettre si tôt ? Quand ils allaient les manger - soit, dans plusieurs heures -, ceux à la crème allaient complètement s’affaisser. Se retenant néanmoins de faire le moindre commentaire là-dessus, Sven disposa les plateaux. Puis, se posant dans un coin de la pièce en croisant les bras, il observa en silence. Son visage naturellement doux, jovial et souriant contrastait avec son ressenti intérieur. Bordel, c’était tellement ennuyant… Pourvu que la fête se finisse vite.

Il s’emmerdait déjà et il avait clairement envie de rentrer chez lui. Pas qu’il se soit imaginé que ça se passerait autrement, ceci dit. Il était venu en toute connaissance de cause. Mais la ristourne mes amis, la ristourne… Elle avait ce pouvoir qui encourageait même les plus asociaux à se dévergonder un peu. Enfin… Dévergonder était un bien grand mot. Dans le cas de Sven, disons qu’il faisait acte de présence. Et c’était déjà bien assez lui demander, d’ailleurs. Son habituel sourire fixé sur son visage, le blanc se figea lorsque la jeune femme près du buffet se tourna vers lui pour le féliciter sur son travail. Elle avait les cheveux d’un roux prononcé, et de grands yeux verts semblables aux siens. Sa première impression d’elle fut terriblement neutre. Pas encore assez bavarde pour l’agacer, mais pas assez silencieuse pour qu’il l’apprécie réellement. Il décida de ne pas trop y faire attention et se contenta de hocher légèrement la tête. Il ne savait pas quoi lui dire, après tout. La remercier ? Allons, il risquait plutôt de lui balancer une pique, vu sa capacité à déballer un flot de vulgarités. Il ne valait mieux pas prendre son risque. Oh et puis bon, hein. Il avait la flemme. Quel mal y avait-il à cela ?

Achevant d’installer ses plateaux, il alla se caler dans un endroit de la pièce. Il avait un peu l’impression d’avoir fui le peu d’interaction sociale qu’on lui offrait, mais qu’importe. Il n’était pas à l’aise avec ça, après tout. Il n’avait jamais été une personne particulièrement chaleureuse ; même avec ses propres parents. Soupirant, il ignora les moqueries de Furfur qui se diffusaient dans sa tête. Il regarda d’un air absent les quelques autres convives arriver. Wow. L’ambiance était vraiment morne. Mais au final, cela lui convenait. Personne n’essayait réellement de lui parler. Personne ne parlait vraiment. C’était silencieux, calme, et apaisant. Tant qu’ils ne se mettaient pas à faire des jeux stupides, Sven estimait qu’il pourrait tolérer cette soirée. Même s’il aurait préféré ne pas perdre son temps ici.

Au final, un dernier groupe arriva dans l’appartement. Sven leva la tête et vit un jeune homme aux cheveux roses, une demoiselle au teint basané et… un gosse.

Il mit quelques secondes à réellement comprendre ce qui se passait. Le garçon aux cheveux roses ouvrit la bouche mais fut coupé par le môme qui les salua avec anxiété. La jeune femme se présenta à sa suite, en expliquant qu’elle était à la base venue pour visiter les appartements et… wow wow. Elle parlait beaucoup trop, Sven n’avait clairement pas envie de l’écouter débiter sa vie. Il échangea un regard sceptique avec Furfur - qui gravitait autour de sa tête - et retint le soupir qu’il mourrait d’envie de lâcher. Il espérait qu’elle n’allait pas venir dans sa direction. Se retrouver en conversation avec ce moulin à paroles ? Très peu pour lui…

Une question lui trottait cependant à l’esprit. Qui était cet enfant et que faisait-il là ? Il lui semblait qu’il s’agissait d’un Nouvel An entre adultes. Quoique… il était parti de ce postulat parce qu’il n’imaginait pas des familles avec enfants habiter dans ce taudis low cost. D’ailleurs… Ce gars-là n’était-il pas trop jeune pour avoir un fils ? Ou était-ce son frère ? Oh allons Sven, trop de questions. Depuis quand t’intéressais-tu à la vie des gens ? Il décida d’arrêter-là le flot de ses pensées. D’autant plus que Furfur était en permanence relié à sa tête et qu’il devait probablement s’extasier de toutes ces interrogations inhabituelles pour lui.

(Huhu, tu n’imagines même pas) lui souffla le Nucléos dans son esprit.

Ouais. Il valait mieux qu’il arrête de penser trop fort s’il voulait que Furfur survive encore une soirée. L’air de rien, même s’il le trouvait insupportable, il fallait avouer qu’il pouvait avoir son utilité de temps à autres. Ce serait une trop grosse perte que de l’écrabouiller sous un accès de colère.

(Bien le merci)

… Mais peut-être n’allait-il pas se retenir très très longtemps.

S’approchant du buffet pour se servir à boire - par chance, quelqu’un avait apporté du thé glacé aromatisé au citron -, Sven picora deux trois trucs, en privilégiant ce qu’il n’avait pas lui-même préparé. Il connaissait déjà sa propre cuisine, inutile d’y revenir. Piochant donc une sorte d’amuse-bouche, le blanc croqua dedans et fut étonné de la sensation pétillante. Tiens ? Il connaissait le sucre pétillant, qui s’utilisait dans des préparations sucrées, mais ça… Il ne s’attendait pas à le retrouver dans un apéritif salé. Agréablement surpris, il essaya de trouver le créateur de cette petite surprise mais déchanta bien rapidement en constatant qu’aucun de ses voisins n’avait l’air de réellement cuisiner.

Ce fut à peu près à ce moment-là que la rouquine s’éclaircit la voix pour s’adresser à tous. Sven s’immobilisa dans ses mouvements, résistant à l’envie de râler ouvertement. Des présentations publiques. Evidemment. Il avait eu l’espace d’un instant l’espoir que les autres se connaitraient, lui évitant donc le long calvaire des tours de table. Que nenni. Après tout, pourquoi ne pas pourrir encore plus sa soirée ?

Il resta donc accoudé au buffet, tandis que la jeune femme qui avait proposé l’activité se prêtait au jeu. Ilea Alezar. Original, comme nom. Légèrement plus âgée que lui, elle était étudiante pour devenir éducatrice. Ergl. Un métier en lien avec les enfants. D’un côté, il l’admirait pour se lancer dans un truc pareil. De l’autre… Bah. Ce n’était pas quelque chose qui l’intéressait beaucoup, à dire vrai. Essayant de faire un effort pour retenir son nom, il sentit tous les regards converger vers lui. Ah ? C’était déjà à son tour ?

- Sven Seinfeld. J’ai 19 ans et je suis Apprenti Archéologue, dit-il avec son habituel sourire doux.

Pas qu’il soit vraiment enchanté de la situation, mais son visage voulait toujours exprimer le contraire de ce qu’il pensait. Fallait dire que ça l’arrangeait quand même un peu, cette histoire.

Furfur, qui trouvait son dresseur trop peu loquace, s’avança cependant pour s’adresser à l’assemblée. Sans autorisation, il créa un lien mental léger avec eux tous, histoire de leur parler directement dans leur esprit.

(Salut ! Et moi c’est Furfur. Aussi appelé Fuzzy l’éclair. Aussi appelé juste Fuzzy. Aussi appelé-)
- Débile, tête de cul, jello, continua Sven en le fusillant du regard
(… heu oui, aussi tout ça. Bref, comme Sven ici présent est du genre avare en mots, je m’en vais compléter cette présentation. Nous venons du Désert d’Ylel, aussi appelé Désert de la Route 111, à Hoenn. On travaille actuellement à l’Institut d’Archéologie de Lansat et on est spécialisés dans la recherche de pierres précieuses. Le Milobellus que vous voyez là-bas, c’est Agares. Lui, sur l’épaule de Sven, c’est Zépar…)

Le petit Lépidonille fit un coucou joyeux aux convives, un grand sourire sur les mandibules.

(… et le Kraknoix au monocle, c’est Dantalion. Bref, enchantés tout le monde !)

Et à Sven de le regarder comme s’il avait envie de le tuer. Oups ?