Marie était muette comme un Magicarpe.
Stoïque, elle fixait le bout de papier qu'elle tenait entre les mains.
Avant chaque départ en vacances, les élèves devaient remplir un formulaire contenant toutes sortes de banalités administratives, pour ensuite l'envoyer à leurs parents, qui devaient à leur tour le rendre, signé et approuvé. L'élève était alors autorisé à partir en vacances selon les modalités indiquées, et pouvait profiter d'une classe d'été des plus détendues.
Marie l'avait rempli, ce papier. Sans grande conviction. Alola était une région totalement inédite et regorgeant de nombreux mystères à éclaircir : une véritable bénédiction pour la scientifique qui vivait en elle. Elle avait envie d'y aller. Très envie. Mais le pouvait-elle ? Ça, elle en était moins sûr.
Elle ne s'attendait même pas à ce que ses parents adoptifs renvoient le papier, même vierge. Elle pensait qu'ils jetteraient l'enveloppe avant même son ouverture. La simple vue du nom de leur fille dessus aurait dû suffire à faire perdre tout intérêt à ce courrier...
Pourtant, il était là. Rempli. Signé. Approuvé. En confiant ce document à l'administration de l'académie, Marie et ses Pokémon seraient autorisés à partir pour Alola. Sur l'île d'Akala, plus précisément, dans la ville de Konikoni. Un choix fait plus au hasard qu'autre chose, il fallait l'avouer : de toute façon, Marie ne comptait pas se cantonner à une seule ville, donc le lieu de logement importait peu.
Quelle mouche avait donc piqué ses parents adoptifs ?... La réponse : aucune. Ce n'étaient pas eux qui avaient signé la lettre.
La signature était faite à l'encre rouge. Ils ne signaient jamais à l'encre rouge. Eux, préféraient le noir. Plus sobre, plus élégant, moins tape-l’œil. Plus noble. De ce qu'on en dit, tout du moins.
Si un beau jour, vous êtes amenés à échanger des missives quelconques avec les Uana, et que sur l'une d'entre elles, leur signature est apposée à l'encre rouge, cela ne signifie qu'une seule chose : c'est le secrétariat familial qui s'est chargé de lire la lettre, d'y répondre, et de la certifier. C'est-à-dire que Monsieur et Madame Uana n'ont vu aucun intérêt à s'y intéresser, et ont préféré déléguer la tâche à leurs subalternes, plutôt que de perdre un temps précieux à s'intéresser à une personne telle que vous. Ce sont des gens tellement occupés, comprenez, il serait criminel d'accaparer leur attention.
Ainsi donc, Marie avait été rétrogradée à la case secrétariat. Elle ne saurait dire si elle préférait cela, plutôt que de n'avoir aucune réponse... D'une certaine façon, cette dernière option avait au moins pour mérite de daigner rappeler à ses parents son existence.
Elle soupira. Bah... Elle commençait à avoir l'habitude. Cela faisait combien de temps, maintenant ? Deux ans, qu'elle avait été reniée ? A force, elle s'était faite à l'idée qu'elle ne pourrait plus rien attendre de ses chers représentants légaux. Au moins, elle avait le droit à un petit voyage paradisiaque... Elle n'allait pas s'en plaindre, hein ?
Elle plia le formulaire en deux, et le rangea dans son sac.
***
Moins d'une semaine plus tard, Marie était en route.
Le ferry était bondé d'élèves tous plus excités les uns que les autres. Elle, se montrait patiente, et était assise calmement sur l'un des nombreux fauteuils du paquebot. Une fois n'était pas coutume, ses Pokémon étaient avec elles : Sumia astiquait avec grand soin sa mince collection de pierres précieuses, qu'elle n'aurait laissé sur Lansat pour rien au monde, Stahl était – comme d'habitude – assis à côté, et se contentait de regarder les gens s'activer partout autour, Sully était enroulée sur elle-même non loin, et profitait du soleil pour faire une bonne sieste, et Soren et Sain étaient en dehors du ferry, ayant décidé de mettre à l'épreuve leurs capacités de nage et de vol respectives. Le premier qui n'arrivera plus à suivre le bateau aura perdu ! Seul Sephiran restait enfermé dans sa Pokéball, pour les raisons habituelles (à savoir que faire cohabiter un Mangriff et un Séviper, ça ne faisait pas TOUJOURS bon ménage).
Le nez plongé dans un guide touristique, Marie voulait s'enrichir d'un maximum d'information avant d'arriver à destination. Il ne fallait pas qu'elle se laisse impressionner par les coutumes locales comme elle avait tendance à le faire ! Compte tenu de l'isolement de la région, leurs us devaient être particulièrement exotiques ; aussi se préparait-elle mentalement à devoir exécuter toute sorte d'action aberrante et inconforme aux normes sociétales pour ne pas vexer ses hôtes. Des choses peut-être aussi impressionnantes que devoir... Manger avec ses... Doigts... Brrr, non, il ne fallait mieux pas y penser ! Et puis, peut-être qu'elle exagérait... Après tout, il ne pouvait tout de même pas exister des coutumes aussi primitives dans leur société parfaitement évoluée !... Si ?
Mais au delà de la découverte d'une culture parfaitement inconnue, ce qui intriguait surtout Marie, c'était cette histoire de location « chez l'habitant ». Elle allait vivre... Chez des gens ? C'était un peu étrange comme concept, non ? Qui donc accepterait de laisser rentrer de parfaits inconnus chez soit, pour en plus devoir les nourrir et les loger bien gentiment ? Vraiment, leurs hôtes faisaient preuve d'une telle abnégation, c'était admirable ! Marie ne pourrait sans doute jamais faire preuve d'autant de générosité... Se jeter à corps perdu dans un incendie pour sauver un Pokémon des flammes lui paraissait bien plus évident ! Et pas seulement parce qu'elle avait eu l'occasion d'expérimenter, hein... Peut-être avait-elle tout à apprendre de ces Aloliens, en fait...
Enfin, les réponses qu'elle attendait tant ne devrait plus tarder à arriver, puisque déjà, le ferry accostait à Ho'ohale. A l'entente des hauts-parleurs leur souhaitant la bienvenue à Alola, Marie fit prestement revenir ses Pokémon auprès d'elle, et les rappela dans leurs Pokéballs respectives. Selon les consignes, un bus devrait les amener à destination... Après quoi, elle serait présentée à sa famille d'accueil, mais aussi à ses colocataires qui partageront avec elle la même maison.
Pendant le trajet en car, elle ne put s'empêcher de songer à tout ce que ces mots impliquaient. Une « famille » d'accueil n'avait absolument rien d'une famille, puisqu'ils n'avaient vraisemblablement aucun lien de parenté ; pourtant, il n'y avait pas non plus le moindre lien de sang qui la liait elle et sa famille actuelle. Si tant est qu'elle pouvait toujours se considérer comme une Uana... Ainsi, le terme famille ne désignait désormais plus qu'un regroupement quelconque d'individu au sein d'une même demeure ? Marie n'eut même pas réellement le temps de répondre à ces interrogations que, bien vite, le car franchissait le Tunnel Taupiqueur.
Et voilà qu'elle arrivait à Konikoni.
Les quelques descriptions qu'elle avait lu dans les guides touristiques paraissaient fidèles : Konikoni n'avait rien de ce que l'on pourrait attendre d'une ville exotique. Du moins, si l'on ne considérait pas Johto comme exotique ! Bâtiments au style typiquement nippon, lanternes en papier, boutiques médicinales et portes d'entrée monumentales, il n'y avait guère que le phare de la ville et le Centre Pokémon qui pouvait briser l'illusion d'être à Rosalia. Marie n'avait jamais été dans cette dernière ville, mais les nombreuses photographies qu'elle en avait vu suffisait à lui faire comprendre en quoi ces deux villes étaient similaires ! Ce qui était d'autant plus impressionnant, c'est que Konikoni n'était pas la seule métropole d'Alola à posséder des allures étrangères... Vraiment, cette région était fascinante !
Elle fut l'une des premières à descendre du bus. Autour du véhicule de transport en commun étaient amassés plusieurs petits groupes, qui attendaient sans doute l'arrivée des étudiants qu'ils allaient prendre en charge, en tenant de petits panneaux sur lesquels étaient indiqués leurs noms. Marie chercha le sien du regard. Elle devait retrouver une certaine Marguerite... Si seulement elle pouvait avoir une idée de ce à quoi elle ressemblait ! Pour accepter d'accueillir trois adolescents dans la fleur de l'âge et leurs Pokémon dynamiques pendant deux mois entiers, il devait sans doute s'agir d'une jeune femme dynamique et possédant un fort caractère, capable de mater les pires... Ah. Ou pas. Cette vieille dame semblait tenir un panneau avec son nom inscrit dessus. A première vue, elle paraissait... Euh... Vieille. Et... Petite. Avec des cheveux blancs et... Des rides.... Ouais bon, vieille, quoi.
Marie fronça les sourcils. Ses rares expériences avec les plus de soixante-dix ans s'étaient avérées TRES douloureuses. Est-ce que cette femme pleine de sagesse était également source de potentielles crises de nerf ?... Il n'y avait qu'un seul moyen de le savoir.
Elle prit une grande inspiration, et, sa valise en main, avança. Se dirigeant droit vers la vieille dame, cette dernière sembla comprendre bien vite qu'elle avait affaire à l'un de ses protégés, et lui adressa donc un délicat sourire, auquel Marie répondit par son expression glaciale habituelle.
« -... Madame Marguerite ?-En personne, ma petite ! »La Mentali fit aussitôt une courbette à son intention.
« -Marie Rosalina Uana, enchantée. » elle se redressa
« Vous avez accepter de m'accueillir dans votre demeure pour les deux mois à venir, et je vous en remercie. »Marguerite leva une main, et la rabaissa, l'air de dire que ce n'était pas grand chose.
« -Alloooons ! Tu me remercieras quand tes vacances seront terminées ! Où sont tes autres camarades ? Je ne voudrai pas vous presser, mais si je passe trop de temps dehors, mon petit Doudou va commencer à s'inquiéter... » Marie haussa les épaules.
« -Je l'ignore. Sans doute devraient-ils ne plus tarder. » Puis, toujours sa valise en main, elle alla se poster aux côtés de la grand-mère, droite comme un I, et attendit. Pour l'instant, la vieille dame lui paraissait tout à fait normale, et même sympathique...
En allait-il être de même pour ses colocataires ?
HRP :
Code couleur de Mémé Marguerite: #993300