« I’ll be flicking stones at your window
I’ll be waiting outside 'til you’re ready to go
Won’t you come down? Come away with me »
Le monde l'appelait. D'une voix aussi forte que l'orage qui menaçait en ces jours d'été. Déboussolée, sans repères, Salomé se sentait perdue en ces contrées. Le chemin à suivre était pourtant simple ; tout droit jusque chez le Collectionneur. Une boule au ventre lui nouait le cœur. Ca y était. Son Pokemon. Une créature qui serait sienne. Totalement.
Les paroles de Granny lui revenaient en mémoire. Ce n'était pas là la manière de faire de son peuple. Eux avaient toujours vécu en parfaite communauté avec les Pokemons, les laissant à leur place sans jamais les déranger. Humains et créatures sauvages réunis sous une même bannière. Mais les choses changeaient aujourd'hui. Par une parole de son père, par un ordre de celui-ci et la voilà loin des autres gitans, sa véritable famille, pour errer parmi des inconnus au sein d'une école qui la dégoûtait presque. Le soleil tapait haut et fort sur sa peau de rouquine, elle pouvait presque sentir les morsures semblables à des lasers qui gravait son épiderme. Presque.
Les odeurs d'azalées et jonquilles saluèrent ses narines. Des arômes floraux se succédaient, tout comme le paysage qui s'offrait à sa vue. Un panorama différent de ceux qu'elle avait pu apercevoir pendant toute son enfance. La demoiselle vit quelques étudiants qui revenaient dans le sens contraire, pokéball en main, sourire aux lèvres. Nul doute qu'eux aussi avaient eu droit à leur premier Pokemon. Premier protégé. La rousse aurait dû être heureuse, se réjouir de pareil événement. Mais son éducation et son enfance l'avaient conditionnée de manière à condamner cette journée.
Traîtresse à son peuple.
Par la faute de son père. Lui et ses initiatives. Lui et son âme citadine. Pour un peu, la gitane aurait pu le haïr. Mais elle préférait réserver ses sentiments noirs pour Mélie qui avait su se surpasser depuis sa naissance. À la pensée de sa mère, elle serra le poing, ses phalanges blanchirent avant que la jeune fille ne finisse par relâcher la pression, le regard rivé au sol, occupée à fixer la poussière et les cailloux qui croisaient son chemin.
Elle arriva bien vite à hauteur du laboratoire et pénétra le lieu fermé. Le chemin continuait en ligne droite, dans un endroit aseptisé de blanc qui lui donnait le tournis. Des éprouvettes traînaient dans un coin, parfaitement rangées, en compagnie d'une multitude d'instruments scientifiques différents dont les noms étaient inconnus pour Salomé. Elle ne s'en formalisa pas et avança encore, jusqu'à percer des soupçons de voix qui l'invitaient à pénétrer totalement la pièce. Face à elle, assis sur une chaise, un jeune homme au centre de la salle qui devait sûrement être le Collectionneur. Elle voulut ouvrir la bouche pour se présenter, en finir au plus vite avec ces formalités mais l'érudit paraissait plongé dans de profondes pensées, la main hésitant au-dessus de plusieurs pokeballs. Elle était à deux doigts de faire demi-tour quand ce dernier finit par porter son choix sur une pokéball en tous points identiques à ses sœurs, l''attrapant à pleines mains avant de la jeter à la rouquine qui la rattrapa grâce à ses précieux réflexes.
— Voilà pour toi, Salomé Cobal.— Merci, grogna-t-elle simplement tout en observant la sphère rouge et blanche sous toutes ses coutures,
c'est quel Pokemon qui est enfermé là-dedans ? Parce que oui, à ses oreilles, pokéball résonnait de manière aussi forte que prison. Elle n'avait qu'une hâte, délivrer le précieux animal non pas pour étancher sa soif de curiosité mais parce qu'elle ne haïssait que trop de savoir une créature autrefois sauvage désormais condamnée à une cellule miniature.
Le Collectionneur haussa simplement les épaules. Libre à elle d'ouvrir ou non la pokéball. Chose que Salomé avait bien l'intention de faire mais pas de suite. Elle préférait se retrouver seule avec son Pokemon. L'agitation suintante des environs ne lui plaisait guère. Déjà, un nouvel étudiant arrivait pour récupérer son précieux starter. Tout paraissait se jouer à la chaîne ici.
— Et rappelle-toi que chaque Pokemon doit être appelé par son nom. Parfois, ce n'est juste pas celui qui nous semble le plus logique au premier abord. Salomé doutait d'être la destinatrice de cette phrase sibylline mais elle ne 'en formalisa pas. Elle tenait la bille de couleur dans le creux de sa main, et deux autres encore vides dans l'autre. Elle ignorait si elle aurait un jour l'envie de s'en servir.
Le chemin du retour lui paraissait bien plus rapide qu'à l'aller. C'était toujours ainsi. Elle avisa l'ombre d'un palmier suffisamment grand pour lui permettre de s'abriter et se reposer l'espace de quelques instants. Le soleil commençait à avoir raison d'elle. Elle ne serait pas contre un Pokemon aquatique pour l'aider à surmonter cette chaleur. Elle rangea les pokéballs vides pour garder la dernier, pleine et mystérieuse, des éclats de lumière se reflétaient sur la surface blanche et polie.
C'était maintenant ou jamais.
La sphère dans le creux de sa paume, Salomé inspira profondément. Non pas pour se préparer à appuyer sur le bouton en relief qui parsemait la balle mais pour trouver les mots justes. Elle ne savait même pas si elle serait entendue par son Pokemon. Peut-être serait-ce mieux ainsi.
— Ce n'est pas moi qui t'ai choisi car si j'avais eu le choix, tu ne serais pas là, dans cette pokeball, commença-t-elle en observant cette dernière,
et moi non plus, je ne serais pas là, à cuire sous ce soleil qui n'est même pas le mien ! Elle avait arpenté Johto et Kanto par delà ses expéditions en compagnie de sa famille. Un peu Sinnoh aussi. Mais jamais elle n'avait mis les pieds sur Alola et ses environs. Difficile de gagner des îles à l'aide de véhicules motorisés.
— Ne t'attends pas à hériter d'un surnom quelconque avec moi comme... Dresseuse. Déjà que ça me dégoûte, je ne vais pas en plus tenter de t'y imposer ma marque ! Encore une pratique répudiée par sa famille. Nommer un Pokemon. Si la nature avait jugé bon de les laisser libres, ce n'était pas pour que des humains viennent ensuite s'immiscer et changer les lois de l'univers.
— Et avec un peu de chance, ce sera la dernière fois que tu seras enfermé dans une pokeball. Elle ignorait les règles de l'école quant à la liberté des Pokemons. Mais tant qu'elle serait en classe d'été, offrir la liberté à son starter ne devrait pas être un inconvénient. En espérant que le Collectionneur n'ait pas cru bon de lui offrir un gabarit imposant !
Désormais, il était plus que temps de savoir. Son index pressa le bouton et une forme miniature s'évada de sa prison, indistincte d'abord et aux contours flous mais Salomé reconnut sans souci la forme d'un oiseau. Enfin, elle le vit totalement. Son bec de cône lui donnait un petit côté étourdi tandis que son corps de jais contrastait avec sa mèche rouge rebelle qui lui permettait d'arborer un look de punk sans chiens. La rouquine se surprit même à sourire face à ce Pokemon qui lui était inconnu. Ses ailes aux dessous blancs battaient pour lui permettre de se soulever de quelques mètres et de revenir enfin, un essaim de Pokemons identiques à son image dans son sillon.
— Tu viens d'ici... constata-t-elle face aux autres créatures qui s'ébrouaient et voletaient sans se soucier de la dresseuse,
je comprends mieux pourquoi je ne t'avais jamais croisé le long des routes. Salomé tenta de percer le nom du Pokemon à l'aide de son cri répétitif. À force d'écouter, elle crut comprendre que ce dernier se nommait Picassaut. Un bien curieux nom pour cet oiseau aux ailes blanches.
Les autres s'en allèrent, laissant la dresseuse et son starter seul à seul. Elle rangea à son tour la pokéball du Picassaut. Il n'en aurait plus besoin avant un bon moment. L'animal ne se souciait pas de l'humaine, trop occupé qu'il était à picorer cailloux et graviers avec un désir non dissimulé. Salomé ignorait tout du régime alimentaire de ce Pokemon mais son instinct lui soufflait que même sur Alola, les oiseaux ne pouvaient apprécier les cailloux. Etait-ce une mauvaise blague du Collectionneur ? Nul doute que Salomé n'avait pas hérité du plus intelligent de la portée.
— Alors c'est avec toi que je vais devoir tenter d'attirer l'attention de Mélie ? Tenter de me faire remarquer pour que je puisse la retrouver en retour ? soupira Salomé dont l'euphorie passée s'en était allé,
à moins de nous donner en spectacle pour des concours de mangeurs de cailloux, cela risque d'être compliqué... Le Picassaut continuait de s'acharner sur son caillou, son bec s'abattait au sol de manière mécanique et frénétique. La demoiselle ramassa un morceau de pain qui traînait là et éloigna du revers de la main la caillasse trop tentante pour la remplacer par de la mie encore molle. L'oiseau ne parut même pas s'en apercevoir, à l'exception que désormais, il arrivait à gober cette nouvelle nourriture.
Les bras croisés, assise au sol, Salomé l'observait. Il était cruellement mignon avec son air idiot, ses yeux naïfs et ses plumes qui s'agitaient par moment lorsque son corps se soulevait par des spasmes. Lui paraissait se satisfaire de peu.
Si Sheeana la voyait en cet instant, nul doute qu'elle en rirait aux larmes.