Son iPok vibra une fraction de seconde, lui qui reposait dans le sac de la jeune fille se rappela à elle par cette simple secousse. Sa main chercha à tâtons le précieux appareil pour finalement le retrouver enfin, enseveli entre deux sandwichs tendrement préparés par la famille d'Aelita en vu de son absence du jour. Elle lut la réponse qui confirmait bel et bien son rendez-vous de tout à l'heure en proie avec une rencontre datant d'il y a moins d'une semaine à peine. Une silhouette furtive croisée lors de ce fameux match de quidditch dont les passes restaient gravées dans la mémoire de la rouquine. À défaut d'avoir pu jouer, Salomé s'était tenue présente pour encourager son équipe et c'était là que la magie avait opéré.
Elle l'avait entendue avant de la voir.
La voix d'un ange tombé des cieux.
Alors elle se mit en chemin, le principal concerné voletant le long de sa tête, décrivant ses arcs de cercles habituels qui paraissaient une coutume pour la gitane désormais. Elle n'y faisait presque plus attention mais le regard d'autrui était là pour lui rappeler le comportement déviant de son Picassaut. Entre ses manies de se nourrir de cailloux au lieu de baies et ses tics de voler à droite et à gauche des objets sans utilité aucune – aujourd'hui, la demoiselle avait eu droit à un briquet hors d'état d'usage pour seul trophée – cela commençait à faire beaucoup. Et son instinct lui soufflait que ce n'était là que le début des ennuis. Alors si cette fameuse Idalienor, médecin de surcroît, pouvait faire quelque chose pour apaiser le mal-être de son starter, elle ne pourrait que lui en être reconnaissante. Au moins ne perdait-elle rien à tenter de la rencontrer loin du brouhaha environnant du stade et de l'ardeur des supporters pour lui expliquer plus en détails le cas quelque peu compliqué de ce Picassaut anonyme.
Le soleil dans son dos ne faisait que renvoyer des reflets de feu à sa crinière déjà bien rousse. Le chemin ne serait pas bien long depuis Ho'ohale, Konikoni restait sur Akala, île de domicile d'Aelita et sa famille. Changer d'air ferait le plus grand bien à la fois à Salomé ainsi qu'à son Pokemon. Celui-ci paraissait avoir quelques soucis pour supporter Hope et sa foule de Pokemons, tous plus étranges les uns que les autres. Il ne faisait pas bon pour un malade de rester dans un tel environnement. Malade ou handicapé, ce serait à la doctoresse d'en décider. Si au moins le Collectionneur lui avait touché deux mots quant à l’excentricité de son oiseau ! Mais rien. Juste une pokéball et au revoir, libre à elle de se débrouiller par elle-même.
Elle jeta un nouveau coup d’œil à son iPok dont l'écran s'était brièvement allumé. Aux dires de la brune, cette dernière était déjà sur place, dans la seule herboristerie de la ville. La rouquine eut un sourire ; ce lieu de rendez-vous ne l'étonnait que peu de la part d'un médecin ! Elle se hâta de se rendre sur les lieux, épiant les différentes façades des échoppes pour être certaine de ne pas la rater. Enfin, elle trouva l'endroit convenu et pénétra d'un pas vif dans la boutique.
Aussitôt, différents arômes et senteurs agressèrent ses narines. Le choc fut rude d'abord tant un maelstrom soudain d'odeurs paraissait assiéger chacune de ses inspirations mais la gitane parut s'acclimater à ces senteurs nouvelles qui commençaient à lui charmer l'odorat. Elle était bien incapable de mettre un nom quelconque sur ces arômes ; nul doute qu'Idalienor saurait, elle.
Une chevelure brune se détachait d'entre les faciès des différents clients et touristes environnants. Salomé eut un léger doute sur l'identité d'Idalienor ; à croire qu'elle aurait plus vite fait de la reconnaître par sa voix plutôt que par son visage ! Mais elle décida de tenter sa chance et s'approcha de la demoiselle en question pour la saluer d'abord et discuter ensuite :
— Coucou Idalienor ! Tu te rappelles de moi, Salomé ? C'est moi qui t'ai envoyé tous ces messages ces derniers jours... Je voulais pas donner l'impression de te harceler, c'est juste que tu m'as semblé être la plus à même pour m'aider dans cette situation...
Et la seule aussi. Les personnes à qui elle avait adressé la parole et qui se trouvaient comme par hasard à l'académie se comptaient sur les doigts d'une main. Le hasard était sûrement avec elle car Idalienor était la première médecin qu'elle rencontrait pour l'heure. Peut-être serait-ce l'occasion parfaite pour se renseigner sur les différents parcours et spécialités ? Plus tard, plus tard. La priorité était au Picassaut qui continuait de décrire ses rondes habituelles non plus au-dessus de la tête de sa dresseuse mais autour de celle de la jeune fille plus âgée. Il paraissait tel un vautour affamé, prêt à fondre sur sa proie. À la différence que son regard paraissait vide. Rien n'avait su éclairer ses prunelles depuis le match de quidditch, où, pour la première fois, la gitane avait senti que l'oiseau avait pu être totalement lui-même tout en se livrant à ses excentricités qui, loin de déranger, avaient amusé.
— Tu te souviens de mon Picassaut ? C'est pour lui que je suis venue, clama Salomé avant d'attraper au vol l'oiseau qui continuait de battre des ailes bien que tenu entre les mains de la demoiselle, je sais pas si tu as déjà vu des cas pareils, je suis même pas sûre qu'il ait une maladie quelconque mais... Je sais pas... Il me semble moins intelligent que les autres de son espèce... Je me demande presque s'il a pas une maladie mentale au cerveau , un truc de naissance... C'est possible, tu crois ?
Une forme d'autisme réservé aux Pokemon ? Aux yeux de Salomé, c'était totalement plausible. Mais Idalienor restait la spécialiste, aussi s'en remettait-elle à son diagnostic. Mine de rien, la rouquine commençait à s'attacher à son starter crétin, alors elle croisait les doigts pour que le verdict ne soit rien de dangereux. Juste idiot, cela lui plairait bien. Elle pourrait vivre avec. Plus, cela deviendrait compliqué à gérer. Elle serra les dents, tendant l'animal à la médecin pour qu'elle puisse l'examiner et faire tout ce qui était nécessaire.
— Enfin voilà, il est tout à toi pour tout le temps que tu voudras aujourd'hui... Et si tu as des questions sur son comportement, n'hésite pas, c'est que j'ignore ce qui est important ou non à propos de ses... excentricités.
Elle aurait pu en faire toute une liste et il lui semblait en découvrir de nouvelles chaque jour. Y verrait-elle une fin ? Elle espérait qu'entre les mains de la soigneuse, peut-être son oiseau aurait droit à un miracle. Mais elle restait médecin et non pas magicienne.
Attendre d'abord.
Espérer ensuite.
Voir enfin.
Un rideau de perles pour seul obstacle face au monde entier. Ou à défaut, au magasin et ses clients, cela restait un bon début. La pièce permettrait au duo d'avoir une conversation intime sans risquer que des oreilles égarées ne surprennent au vol quelques bribes de leurs propos. Non pas que cette discussion relevait du secret le plus pur – même si Idalienor devrait peut-être s'en tenir au secret professionnel, n'était-ce pas un code en vigueur en médecine ? Mais il n'y avait rien de véritablement confidentiel. Juste un Picassaut différent de ceux de son espèce. Cela pouvait prêter à la curiosité ou à l'amusement pour certains mais cela s'arrêtait là.
Pas de quoi bouleverser l'équilibre du monde.
La rouquine observa les gestes précis de la médecin. Elle paraissait s'appliquer et connaître chacun des points vitaux des Pokemon. Peut-être cette académie n'était-elle pas si horrible que ce qu'essayait de croire Salomé ? Le corps enseignant formait de jeunes étudiants comme la brune à sauver des vies. Et cela, c'était à la fois beau et admirable.
Salomé en restait bouche bée devant le professionnalisme d'Idalienor. Elle n'avait plus rien à voir avec la chanteuse rencontrée quelques semaines plus tôt, celle-là même qui usait de sa voix pour apporter tout son soutien à son équipe. Elle n'aurait jamais imaginé une Pyroli opter pour le parcours Pokéathlète. Mais le seul exemple auquel elle avait eu droit pour ce dortoir n'était autre que Hope et sa spécialité de Ranger. Un seul cas n'avait rien d'universel.
Elle ignorait si elle devait être soulagée ou non que le mal de son Pokemon ne soit pas physique. Si tel n'était pas le cas, cela signifiait que sa maladie traînait du côté du mental, comme elle le craignait. Et cela, la médecine traditionnelle risquait d'avoir bien plus de mal à le soigner. Pire encore si c'était de naissance. À tout compte fait, elle aurait préféré que son starter soit incapable de voler, une aile froissée, une patte estropiée, une plume arrachée. N'importe quoi qui ne pouvait pas se perdre dans son cerveau tel un caillot de sang égaré.
— Aussi, c'est sûrement dû à son... souci, précisa-t-elle, en ayant du mal à employer les mots justes, mais mon Picassaut confond les cailloux avec des baies... Tu crois qu'il pourrait en plus souffrir d'un problème de vue ? D'ailleurs, je ne pense pas que manger tous ces cailloux soient bons pour lui, ce n'est bon pour personne, hormis pour un type Roche, et encore... Tu crois que tu pourrais lui donner des médicaments pour lui purger l'estomac ? Ou n''importe quoi pour ?
Vraisemblable mais peu croyable. En dehors de ce défaut, l'oiseau paraissait y voir parfaitement bien. Preuve en était pendant le match de quidditch. Lui avait d'abord tenté de prendre en chasse le Goélise ou plutôt le Zéphyr d'or. En vain, bien évidemment. Et sa vue lui avait permis de repérer les fameuses Pyroli sur lesquelles il avait déversé tour à tour cailloux ou pop-corn, selon l'instant du moment.
La gitane se plongea dans le livre ouvert tendu par la brune. Elle parcourut des yeux les quelques lignes qui s'étalaient en paragraphes. Elle n'était pas sûre de comprendre tout ce qui se tramait ici, elle n'avait pas le bagage scientifique pour, mais certaines choses lui étaient familières. Entre les gestes répétitifs qu'effectuait le type Vol au jour le jour en passant par ses légers soucis de communication avec le monde extérieur, tout concordait. Salomé lut plus en détails ce qui suivait, au-delà des symptômes, elle essayait de comprendre les causes de cette maladie. Pourquoi elle ? Pourquoi son Picassaut ?
Malnutrition depuis l'éclosion, œuf fendillé avant l'heure, environnement non adapté au Pokemon ou juste le hasard... Les raisons quant à l'état de son Pokemon étaient aussi diversifiées que variées. Difficile de savoir étant donné que c'était là un don du Collectionneur qui avait peut-être récupéré ce Picassaut dans l'état actuel ? Elle ne pouvait croire que ce passionné de Pokemon avait commis différents sévices allant à l'encontre de cet oiseau. C'était même tout le contraire.
— Je... Oui, c'est ça... C'est tout à fait ça.
C'était une chose que d'avoir une idée pré-établie du diagnostic.C'en était une autre que de voir cette vérité sauter à la gueule au travers de pages mortes mais de mots bien vivants.
Salomé referma le livre pour en découvrir le titre en toutes lettres en une typographie incertaine tant le recueil paraissait avoir vécu avant Idalienor : Handicap mental.
— Conneries ! Mon Picassaut a un QI aussi développé que ton Kraknoix et ton Bombydou réunis !
Voilà qu'elle s'emportait. La réalité la blessait, plus encore que son starter. Lui ne se rendait compte de rien. Heureux les simples d'esprits. Ce proverbe n'avait jamais été aussi vrai qu'en cet instant.
Le hasard avait voulu qu'elle hérite d'un Lennie Small. Le destin, peut-être ? Mais elle n'était pas assez forte pour endosser le rôle de George Milton. Elle ne l'était pas.
Et que pensait-elle là ? Comme si son Picassaut avait quoi que ce soit à voir avec ce personnage littéraire, cette brute épaisse toute juste bonne à caresser des Ratata décédés depuis les tréfonds de ses poches. Elle laissa là les romans et leurs fictions et tentait d'apaiser tant bien que mal son imagination emballée. Salomé s'assit sur l'une des chaises, dépitée, enfouissant son visage entre ses mains trop blanches. Elle était allée trop loin. Elle avait hurlé sur cette fille qui tentait de l'aider. Tout ça parce qu'un livre avait prononcé un diagnostic avant quiconque. Pire, un titre de recueil. Un de ceux qui sentait la poussière.
— Désolée, j'aurais pas dû m'emporter comme ça... Je voulais pas...
L'espoir était permis. Il y avait plusieurs types de déficiences mentales. Cela allait d'un retard léger à un plus profond en passant par un modéré. Rien n'était perdu avec son Picassaut qui savait déjà voler. N'était-ce pas déjà un exploit en terme d'enseignement ? D'ailleurs, elle avait lu que l'apprentissage d'attaques risquait d'être compliqué, voire compromis, suite à cette maladie mentale, qu'en était-il des attaques qu'il devait avoir déjà maîtrisé ? La rouquine se rendait maintenant compte qu'elle n'avait jamais vérifié si l'enseignement de ses capacités naturelles avait porté ses fruits. Elle n'avait jamais combattu avec, cela ne lui était jamais même venu à l'esprit. Peut-être était-il temps de s'assurer de cet apprentissage-ci de son starter ? Mais avant, un avis éclairé valait mieux qu'un excès d'imagination et de panique en approche.
— Dans ton bouquin, ils disent que l'apprentissage des attaques est compliqué... Ça vaut aussi pour celles qu'il est censé apprendre naturellement ? Je fais comment, moi, pour connaître celles qu'il est censé maîtriser ou non ? J'y connais rien aux Picassaut, le Collectionneur m'a rien expliqué...
Elle pouvait déjà en conclure que son starter maîtrisait Rugissement en vu des piaffements qu'il produisait de temps en autre. Bien que son cri se retrouvait légèrement plus aigu que ceux des Picassaut sauvages – sûrement suite à son retard mental qui affectait quelque peu son physique – c'était là tout ce qu'elle savait à son propos. Elle faisait une bien piètre dresseuse. Cela se sentait sûrement qu'elle n'avait pas été conditionnée à vivre avec les Pokemon ou du moins à les avoir sous son joug. C'était même tout le contraire.
Un nouvel être vint se joindre à leur petite troupe déjà bien garnie en Pokemon. À force, la salle exiguë serait trop petite pour contenir tout ce monde. La médecin paraissait posséder plus d'un Pokemon, contrairement à Salomé qui n'avait que ce starter pour seul compagnon. Ainsi que la Plumeline héritée de sa mère mais c'était là un autre sujet. La pauvre emplumée n'avait même pas pris place au sein de leur cortège, trop triste qu'elle était depuis des années déjà.
Salomé observa le petit Posipi répondant au doux nom de Pop. Il était mignon et agréable à regarder mais ce n'était certainement pas pour constater sa beauté que Idalienor l'avait sorti de sa pokéball. L'explication vint assez vite.
— Mon Picassaut a beau ne pas être muet, ça ne m'empêche pas de ne pas comprendre ce qu'il essaye de me dire, soupira-t-elle sans quitter le type Electrique des yeux, et toi, tu arrives à comprendre ton Pokemon rien qu'avec du morse ? Whouah. J'en serais bien incapable !
C'était la plus pure vérité. Elle espérait que ses paroles ne seraient pas offensantes aux yeux d'Idalienor, ce n'était pas là le but, elle ne cherchait pas à lui faire comprendre que l'handicap de Pop était mineur et mince face à ce que portait son Picassaut. Et pourtant. Elle ne pouvait pas s'empêcher d'y songer. C'était sûrement cruel de sa part de penser de la sorte mais son premier Pokemon handicapé ? Elle croyait presque à une mauvaise farce, comme si le Collectionneur allait surgir à tout instant depuis ce rideau de perles pour la rattraper et lui expliquer qu'il y avait eu erreur sur son starter, qu'il avait confondu deux pokéballs entre elles. Mais rien. Juste le bruissement des perles qui s'entrechoquaient l'une contre l'autre et les différents arômes qui remuaient dans ses narines.
Elle écouta le discours de la médecin quant aux attaques et leurs apprentissages. Il lui faudrait mettre tout cela en prartique en temps et en heure pour vérifier si elle avait fini par assimiler tous ces propos. Salomé était encore jeune et le dressage de Pokemon relevait du mystère pour elle. Elle avait bien du mal à se considérer comme une dresseuse avec seulement deux créatures apprivoisées.
— Je comprends... Je crois... De toute façon, je n'ai pas l'intention de faire combattre Picassaut, je n'en avais pas l'envie avant d'avoir un nom sur sa... Maladie. J'en ai encore moins la motivation maintenant.
Et cela se justifiait parfaitement.
— Je veux bien que tu me montres pour les massages et les herbes... Surtout qu'on est dans l'endroit parfait pour ce qui est des travaux pratiques, réussit à sourire Salomé tout en désignant l'herboristerie dans laquelle elles discutaient, c'est gentil à toi, merci.
Elle avait le sentiment que mille remerciements ne suffirait pas pour témoigner toute la gratitude qu'elle avait envers la Pyroli. Elle était tombée sur la bonne personne au bon moment lors de ce match de uqidditch. Le hasard s'en était mêlé bien évidemment. Parfois, une rencontre tenait à peu de choses. Si la rouquine avait opté pour la tribune des Givrali plutôt que celle des orangées, les deux filles ne seraient pas là en cet instant.
Elle reporta son regard sur Idalienor et ses doigts de fée. Ou à défaut, ses mains guérisseuses. Elle n'attendait pas de miracle certain de la part de ces massages, elle se doutait que ce ne serait pas grâc à cela que son Picassaut hériterait subitement des neurones grillés qui lui manquaient. Mais au moins le type Vol paraissait-il prendre du plaisir sous les multiples caresses de la médecin. Il s'était totalement calmé, ses spasmes avaient même disparu le temps que les massages se multiplient. Cela faisait du bien de le voir ainsi.
Normal.
— Et si mon Picassaut finissait par évoluer un jour, est-ce que ça suffirait pour faire disparaître son retard mental ? Ou du moins le combler ? J'ai cru entendre parler de Pokemon auparavant handicapés, aveugles par exemple, dont le problème disparaissait grâce à une nouvelle forme... Cela vaudrait aussi pour une maladie mentale ?
Les évolutions et leurs secrets. Peut-être était-ce là, la solution ? La gitane n'avait jamais songé aux évolutions de son Picassaut. Tous les Pokemon n'y succombaient pas. Elle n'avait pas encore croisé à ce jour les formes nouvelles que pourraient endosser son starter au fil du temps. Etait-ce égoïste de dire qu'elle l'appréciait ainsi, sous cette forme-là, aussi adorable que mignonne, malgré ses défauts ? Mais si une évolution pouvait changer la donne, alors elle y réfléchirait.
Les prunelles claires de la rouquine se posèrent alors sur le bras gauche de la médecin. Salomé n'avait jamais rien vu de semblable. Elle se retint de faire la grimace face aux blessures qui habitaient cette peau peut-être gangrenée. Elle n'avait pas fait attention jusque là, pourtant c'était bien présent, comme en évidence, sans rien pour masquer ce membre à vif.
— Tu ne crois pas que tu devrais d'abord t'occuper de ton bras avant de porter secours aux autres ? Je sais bien que c'est toi la médecin de nous deux mais je suppose que des séquelles pareilles ne peuvent signifier qu'une maladie tout aussi grave.
Elle n'osait pas demander s'il y avait un risque de contagion. Elle avait été au contact de cette peau abîmée. Et son Picassaut plus encore. S'il y avait un risque, elle craignait avant tout pour son Pokemon plutôt que pour elle-même. L'envie d'arracher brutalement son Pokemon des mains expertes de d'Idalienor la démangeait. Pour éviter tout risque.
Mais elle décidait de lui faire confiance. Peut-être n'était-ce pas agréable d'un point de vue esthétique mais la brune restait la plus à même de connaître le domaine médical. Elle ne l'imaginait pas prendre le moindre risque pour ses patients.
Libre au Picassaut d'évoluer ou non alors. Mais ce ne serait pas pour tout de suite si cela devait arriver. La dresseuse ignorait si elle avait ou non son mot à dire là-dessus. Le choix final appartenait à son starter. C'était peut-être là la seule opportunité qu'il avait pour s'éloigner de la maladie. Peut-être d'autres médecins pourraient-elle la renseigner davantage ? Ou des chercheurs ? L'évolution restait scientifique avant d'être un souci médical. C'était même tout le contraire d'ailleurs ; aux yeux de Salomé, un Pokemon évoluant était un Pokemon en bonne santé.
La rouquine n'avait que peu de connaissances concernant l'autisme. Voire pas du tout. Tout ce qu'elle avait appris, elle le devait aux quelques histoires sur lesquelles elle était tombée, enfant. Il y avait sûrement une part de vrai dans ces fictions. Mais elle se rappelait certains éléments qui concordaient avec le comportement de son oiseau.
— Autiste, hein ? Je comprends mieux certains de ses tics alors... Ses gestes répétitifs par exemple, et sa manie de toujours voler de façon circulaire... C'est le premier type Vol que je vois voler de cette manière, mais en même temps, ce n'est pas comme si j'étais une experte en Pokemon oiseaux !
Loin de là.
Elle gardait dans un coin de sa tête l'idée de rendre visite à un comportementaliste. Du moins si le hasard la menait à en rencontrer un. Toutes les personnes de l'académie ne seront pas aussi faciles d'accès que la brune ici présente. Même si la demoiselle avait bien l'intention de se perdre dans les thèses qui l'intéressaient – du moins si elle avait les capacités nécessaires pour assimiler les informations nouvelles – ce n'était pas pour autant qu'elle allait se mettre à contacter tous les étudiants à grand renfort d'iPok, comme avec Idalienor.
Bien qu'accaparée par son massage, la Pyroli avait remarqué le regard insistant de Salomé sur son bras. Et sa question quelque peu maladroite n'aidait pas. Un élan de curiosité envahissait la demoiselle tandis qu'en face d'elle un mur de gêne et de honte s'élevait brusquement. Elle écouta ses explications, ne pouvant que difficilement imaginer le brasier dans lequel tous avaient été projetés.
— Désolée si je t'ai blessée, ce n'était pas le but... C'est que je peux me montrer un peu sauvageonne sur les bords, s'excusa-t-elle en se rappelant de son premier jour catastrophique en compagnie de Aelita, j'ai cru que tu avais une infection ou je ne sais quoi et que ça risquait de contaminer mon Picassaut... Ça fait encore mal ? Et si tu as eu une greffe, ça veut dire que l'aspect de ton bras n'est que temporaire, nan ?
Difficile de quitter du regard ce charnier vivant. Depuis la main, une drôle de cicatrice en forme de croix zébrait cette peau autrefois aussi diaphane que celle de Salomé. Et tout le long du bras, les souvenirs parlaient. Les flammes avaient su si bien lécher et mordre que tout n'était que brûlures.
Entre cicatrices et douleurs, c'était un morceau de Lansat à jamais gravé le long du bras d'Idalienor.
— Est-ce qu'il y a d'autres choses que je devrais savoir sur l'académie et Lansat avant d'y faire mes premiers pas ? Des élèves utilisés en guise de pompiers ? Toi qui te retrouves à avoir le bras embrasé ? C'est du joli déjà !
Et elle qui songeait que tout ne serait qu'ennui et calme à perte de vue. C'était du moins ce que laissait présager la brochure, un dépliant auquel la gitane n'avait que jeté un œil sans s'y plonger plus profondément.
La médecin lui expliqua les gestes à effectuer ainsi que la pression nécessaire pour les différents points vitaux. La gitane observa une dernière fois les gestes précis avant de tenter de faire de même. C'était étrange que de se retrouver au contact de cette petite boule de plumes. Elle craignait à tout moment d'appuyer trop fort et de lui briser un os. Déjà que ce Pokemon avait un handicap, ce n'était pas pour le blesser en plus.
— Là, ça va ? C'est marrant de se retrouver au contact comme ça, je m'étais toujours contentée de lui grattouiller seulement la tête... Dis-moi si je le fais mal, surtout !
Pour les erreurs, il faudrait compter sur le Picassaut et ses piaffements si douleur il y avait. Idalienor, du haut de toutes ses connaissances, ne pouvait se retrouver dans l'esprit de cet oiseau, même si l'empathie paraissait être sa qualité première.
Les doigts de Salomé s'agitaient, caressaient, palpaient, pressaient chacun des points indiqués par la médecin. Le long de son dos minuscule. Près de ses ailes qui se déplièrent pour que la pulpe des doigts de Salomé puissent à leur tour toucher chacun des muscles, frôlant chacun des os. Près de son minuscule cœur qui battait à un rythme régulier là où la demoiselle avait cru qu'il s'emballerait.
C'était de la vie recouverte de plumes qu'elle touchait.
— Tu crois que tu pourrais me parler un peu de ton parcours et de ta spécialité ? Je sais que tu es médecin mais concrètement, ça signifie quoi, hormis voler au secours des rouquines dans mon genre paumée avec leur Picassaut ? rigola Salomé, c'est que j'ignore tout là-dessus, je n'ai pas porté un grand intérêt à la brochure de l'académie quand je l'ai reçue... Mais maintenant que je suis là, je suppose que c'est le genre de choses auxquelles je devrais m'intéresser ? Difficile de m'en aller désormais.
C'était ainsi. Sans point de retour possible. Cela lui crevait le cœur de s'imaginer un peu plus loin de tous ceux qu'elle avait connus. Sa famille. Ses amis. D'autres gitans comme elle qui avaient su l'entourer depuis sa naissance. À tout cela, elle se devait de dire au revoir, au moins jusqu'à l'été prochain. Par la faute de son père et de ses décisions hâtives.
Ce n'était pas avec l'expérience d'Idalienor, aussi précise que précieuse qu'elle l'était, que Salomé réussirait à se faire son propre avis sur l'académie. Il lui faudrait, tout comme la médecin la première fois, vivre et passer du temps au sein de cette école. Apprendre dans ces lieux qu'elle méprisait sans y avoir mis les pieds. C'était une nouvelle vie qui commençait pour elle, une vie faîte d'enseignements et de leçons dont elle ignorait encore jusqu'à l'existence.
Ses mains continuaient de masser le Picassaut pendant que la brune lui racontait certaines choses typiques de l'académie. La rousse avait bien du mal à se projeter dans ce lieu avec seulement l'opinion de la demoiselle. Tout serait différent à la rentrée.
Elle écouta la suite du discours de la jeune fille quant à son parcours et sa spécialité. À aucun moment, Salomé n'avait songé s'intéresser à ce parcours à la lecture de la brochure. Elle ne s'était intéressée à aucune filière, à vrai dire. Il était peut-être temps. Elle ignorait si être médecin lui plairait. Elle avait le sentiment de ne pas se connaître suffisamment à ce sujet.
— Et quand on choisit un parcours et une spécialité, c'est pour toujours ? Je fais comment si par exemple j'ai envie de suivre tes traces de médecin mais qu'au final je me rends compte que ce n'est pas pour moi ?
Avait-on droit à l'erreur ? C'était là ce qu'elle se demandait. Elle n'avait que treize ans, n'était-ce pas un peu tôt pour songer à l'avenir ? Sans oublier qu'elle n'avait jamais réellement pensé au futur, se contentant de marcher dans les pas des gitans qui l'entouraient. Elle aurait pu être foraine comme Sheeana. Ou voleuse comme Artyom. Ou diseuse de bonne aventure comme son arrière-grand-mère, à la différence que la jeune fille n'aurait été que arnaqueuse de bout en bout, au contraire de Granny qui paraissait avoir un réel don dans ce domaine.
— Pour le moment, la seule filière qui m'intéresserait un tout petit peu, c'est la Scientifique. Les chercheurs Pokemon, surtout. J'ai jamais été grande amatrice de sciences et toutes ces histoires d'éprouvettes mais depuis que je suis à Alola, je me suis découvert une passion pour les Pokemon et leurs formes d'Alola. Mais je veux pas non plus me précipiter, j'aimerais donner leurs chances aux autres filières, comme la tienne, même si je dois avouer que je n'ai aucune affinité particulière avec celle des Topdresseurs ! Tu imagines celui-là se battre ? demanda-t-elle en montrant du regard son Picassaut, moi pas ! Même si j'apprécie beaucoup le type Vol, je me vois mal avoir une arène à moi et affronter plein de dresseurs au nom d'un badge.
Elle n'avait eu que peu d'informations sur ce parcours-ci mais savait que c'était là la voie de prédilection de sa colocataire, Aelita, soit pour se spécialiser dans un type précis, soit pour virer Ranger, son idée de départ. Comme si cela ne suffisait pas, Hope aussi était Topdresseur, Ranger cette fois-ci, aussi Salomé disposait-elle de toutes les sources d'informations nécessaires pour se renseigner au mieux. Il lui suffisait de demander.
Elle attrapa la feuille griffonnée et en parcourut la liste des ingrédients. Les noms lui étaient inconnus pour la plupart. La gitane se rendit alors compte du gouffre immense qui la séparait d'Idalienor. Elle avait le sentiment que même si elle tentait de s'engager sur une voie similaire à la sienne, elle ne parviendrait jamais à l'égaler, encore moins à la surpasser. Heureusement que la médecine était de l'entraide et non pas de la compétition, au contraire des Stratèges qui s'affrontaient en permanence sur de multiples terrains ! Elle la remercia brièvement avant d'observer les trois Pokemon disparaître en un halo rouge, vite remplacés par un autre que Salomé avait déjà croisé dans les livres seulement. Idalienor s'occupa de faire les présentations, le regard de la dresseuse allait de son starter au type Psy.
— Oui je sais de quoi sont capables les Pokemon de ce type ; mon arrière-grand-mère a un Xatu apprivoisé qui l'aide pour prédire l'avenir à ses clients ! C'est comme ça qu'elle gagne sa vie, elle est voyante. D'ailleurs, dommage qu'il n'y ait pas un parcours Medium avec une spécialisation en tant que voyante, ça, ça aurait été parfait pour moi !
À la différence près qu'elle n'avait aucun don. En même temps, elle ne s'était jamais laissée allée à une prédiction quelconque ; peut-être avait-elle hérité un fragment de prescience de Granny ? Il lui faudrait tenter quelque chose à l'avenir. Parce que non, avoir prédit le premier but de son équipe lors du match de quidditch ne comptait pas, elle en était quasiment persuadée.
— Même si j'apprécie ton geste, je ne pense pas que ce soit une bonne idée... Je ne crois pas avoir envie de savoir ce que dit mon Picassaut... Pas pour le moment du moins.
C'était une formidable opportunité que lui présentait là Idalienor. Mais une chance qu'elle se refusait de saisir en cet instant. Et si son Picassaut l'avait en horreur en tant que dresseuse ? Elle ne pouvait pas oublier qu'elle s'était montrée extrêmement froide envers lui lors des premiers jours, lui ne l'avait peut-être pas oublié, du moins si son retard mental le lui permettait.
Plonger dans la psyché de son starter par les mots et la pensée, c'était une porte ouverte sur sa manière d'être au quotidien. Et si le type Vol lui apprenait qu'il souffrait de sa condition actuelle ? Non, elle préférait faire l'autruche plutôt que de se confronter à la vérité. C'était là un plaisir égoïste mais elle l'assumait.
— Une prochaine fois, peut-être ?
D'ici là, peut-être aurait-elle mis la main sur un type Psy pour lui permettre de palier ce souci ? Il est vrai que ce n'était en rien sa priorité. L'avenir lui dirait de quels Pokemon se constituerait son équipe.
L'altruisme n'avait rien à voir avec la voyance. Tout comme l'empathie. Ce métier-ci n'avait rien à voir avec celui de médecin, c'était même tout le contraire. Sans compter sur le nombre grandissant d'escrocs qui faisait passer les véritables médiums pour de simples charlatans. Pauvre Granny qui devait se battre contre eux tous, eux qui proposaient des tarifs toujours plus intéressants, ainsi que mise en scène et effets futiles pour mieux faire rêver les clients. De la poudre aux yeux. Rien d'autre. Mais le léger rire d'Idalienor ne trompait pas Salomé quant à ses croyances. Sûrement n'était-elle pas familière du domaine mystique. Sûrement catégorisait-elle son arrière-grand-mère dans le rang des charlatans. Là où Salomé se serait énervée en temps normal, la rouquine lui offrit un simple sourire tout en l'accompagnant de quelques paroles :
— Mon arrière-grand-mère dit toujours que tant qu'on n'a pas connu une expérience mystique, même de ce genre, alors on n'a pas vraiment vécu. Tu devrais peut-être te laisser tenter, un de ces quatre ? Et puis, peut-être qu'un jour je me rendrais compte que moi-aussi je possède le don et pourrai m'occuper personnellement de toi ?
Son père avait toujours refusé de la faire tester suivant la coutume familiale en dépit des protestations en sa faveur de Granny. Alors la gitane restait dans l'expectative, ignorant la vérité quant à ses potentielles capacités. Elle s'était toujours contentée d'accompagner les séances de son aïeule par de simples gestes qui lui facilitaient les consultations. Être présente tout en se faisant oublier par ceux qui venaient consulter la vieille et réputée Babushka. L'art de la discrétion commençait à lui être familier.
L'étrange et le mysticisme étaient sûrement difficile à croire pour un médecin. La plupart étaient cartésiens, et à raison. Mais pas Salomé. Il y avait une part de surnaturel partout autour d'eux, il suffisait de savoir ouvrir l’œil, et le bon, pour le repérer. C'était aussi simple que ça. À commencer par les Pokemon.
— D'accord, c'est noté. Je te donnerai des nouvelles de mon Picassaut si jamais il y a du nouveau aussi, et si tu en as envie. On se reverra peut-être avant que les cours ne commencent ? Il nous reste encore un peu moins d'un mois de vacances alors qui sait ?
La dresseuse ignorait encore ce qu'elle ferait demain. Mais revoir Idalienor dans un cadre différent ne la dérangeait pas. Là, tout n'avait été que soins et médecine, les yeux rivés vers son Picassaut malade. Il allait falloir qu'elle s'habitue à ce que son starter soit au centre des attentions.
Le Eoko disparu, ne restait plus que l'oiseau là où s'était tenu une belle arche de Noé quelques minutes plus tôt. Lui prenait peu de place, tout comme les Pokemon que la demoiselle lui avait montré. D'ailleurs, il se redressa depuis la table pour s'envoler et se poser finalement sur l'épaule de la gitane, comme à son habitude.
— À bientôt alors, et merci encore pour tout !
Un dernier sourire et ce fut tout. La demoiselle retraversa le rideau de perles pour venir au comptoir de l'herboriste et lui présenter la liste griffonnée de la main de la docteur. L'homme se chargea de réunir différents ingrédients tous inconnus à Salomé, lui redonnant quelques consignes et astuces pour utiliser au mieux les plantes et herbes et éviter du gâchis. Les conseils étaient toujours les bienvenus aussi l'écouta-t-elle attentivement. Il en allait de la santé du type Vol.
Ses courses dans une main, le starter sur une épaule, il ne lui restait plus qu'à quitter définitivement cette herboristerie et cette ville. Elle n'était pas de Konikoni, il lui faudrait un peu de temps avant de rentrer à Ho'ohale, là où Hope et Aelita résidaient en sa compagnie.