L'âme de la rue |
Salomé ne savait pas quoi penser.
Convoquée un peu plus tôt dans la journée par Heartnett, la rousse avait d'abord cru à de nouveaux reproches dont elle serait la cible, après tout le professeur avait su la remarquer depuis toutes ces histoires avec Logan, difficile de jouer la discrétion après cela.
Mais non.
Rien de moins que Ranya qui l'avait choisie pour l'accompagner en mission sur Lansat. Pas de dépaysement une fois encore, il faut croire que l'académie ne paraissait pas enjouée à l'idée qu'elle parte dans une région voisine ce semestre. Mais peu importait, la mission lui semblait alléchante, du moins suffisamment pour la pousser à accepter. Et puis, elle n'avait pas réellement eu le choix.
Alors la voilà embarquée dans une sale histoire d'artistes de rue. En compagnie de Ranya. Ou d'Illusion, la demoiselle ne savait plus très bien, nul doute qu'elle apercevrait l'une et l'autre durant le spectacle.
Inutile de trop se creuser la tête cependant, la gitane avait du temps avant demain matin, mieux valait l'user au mieux. Elle se décida à arpenter la ville de Lansat, Algernon sur son épaule et la Feuforêve bien en vue devant elle. Peut-être serait-ce l'occasion de questionner la danseuse sur les types Spectre ? Depuis que ce Pokemon lui avait été offert, la Médecin n'avait guère pris le temps de s'en occuper, la reléguant au dernier rang sans savoir pourquoi. La pauvre n'avait même pas encore de nom. Il était plus que temps.
Plusieurs hommes, liste à la main, hélaient les passants, parlant tour à tour de Lansat, Palladium ou A2P. Mais la rousse n'était pas d'humeur à les écouter, elle attrapa son iPok et simula un appel téléphonique, sa cape d'invisibilité à elle pour éviter d'être arrêtée en pleine rue. Cela avait toujours fonctionné jusqu'à aujourd'hui, aussi bien que de boire un verre d'eau à l'envers quand on a le hoquet – allez c'est gratuit – mais voilà qu'une jeune femme se planta devant elle, le flux de paroles de la gitane se stoppa immédiatement, remplacé par un autre, plus engagé et plus militant pour délocaliser Palladium.
Un stylo tendu, la femme attendait une signature de la rousse.
Oh et puis zut.
La demoiselle signa, après tout ce n'était pas ça qui allait changer le monde.***
Le réveil sonna, et avec elle une Salomé encore embrumée par sa nuit. Elle s'étira et bailla longuement avant de jeter un coup d’œil vers un lit déjà vide sur sa gauche, c'était à se demander comment Erika faisait pour se lever encore plus tôt qu'elle et ce tous les matins. L'entraînement ne s'arrêtait jamais.
La rousse s'habilla et se faufila hors de la chambre pour se rendre au point de rendez-vous fixé par le professeur Heartnett. Ranya était déjà là, reconnaissable entre tous avec sa longue chevelure blonde, la Médecin la salua d'un signe de la main avant de finalement arriver à sa hauteur :
— Salut Ranya, ça va bien depuis tout ce temps ? Pas trop stressée par cette mission ?
Qu'elle était stupide ; les représentations scéniques, c'était le pain quotidien de Ranya. Du moins autrefois, avant son arrivée à l'académie. Si quelqu'un devait avoir le trac, ce serait plutôt Salomé, même si se produire devant des gens, la rousse savait faire, jouer avec des artistes de rue, c'était une première pour elle. Elle se demandait bien ce que ces gens allaient leur demander de réaliser, surtout en un temps aussi court.
Salomé n'avait rien d'une professionnelle, elle.
Un homme fit son entrée, une barbe de trois jours, les cheveux ras et une démarche peu banale dont il paraissait tirer son fameux nom de scène. Il était géant et bien bâti, les mains posées sur sa taille tout en dévisageant chacune des étudiantes avant de finalement prendre la parole :
— Bonjour à vous deux et merci d'avoir accepté de nous prêter main forte, surtout vous, Mademoiselle Illusion, c'est un honneur pour notre troupe si modeste soit-elle d'accueillir quelqu'un de votre rang !
Voilà qu'il faisait une courbette devant Ranya, le baise-main en plus ! Inutile de se demander pourquoi Andreas et Clopin Clopant étaient amis au vu de son comportement. La rousse leva les yeux au ciel mais garda le silence, se contentant de suivre d'un pas serré Ranya et leur mentor le temps d'une mission.
— Le reste de la troupe nous attend, venez, venez ! Ils sont tout excités à l'idée de travailler avec vous, vous pourrez bien évidemment danser si vous le souhaitez, on vous encourage même à le faire !
Salomé n'avait plus aucun doute quant à la personne à qui Clopin Clopant dirigeait ses paroles. La Feuforêve tournait autour de Fàfnir tel Algernon un peu plus tôt, visiblement intrigué par ce Pokemon de son espèce.
— Ranya, je te présente ma Feuforêve, je l'ai eu pour mon passage de grade, sympathique, non ? demanda la rousse alors qu'un cri strident représentatif des Feuforêve retentit avant de se tarir presque aussitôt, si tu as des conseils pour m'apprendre à... appréhender un peu mieux ce Pokemon, je suis preneuse. J'y connais rien, aux types Spectre.
Des rumeurs circulaient sur Ranya et sa passion de ces Pokemon au sein du dortoir. Du moins elle avait ouï dire que la dresseuse ne s'était pas limitée seulement à son starter dans ce type-ci puis les ragots s'étaient gonflés au point d'être déformés. C'était inévitable.
Clopin Clopant s'arrêta brutalement face à un terrain vague. Des silhouettes au loin se rapprochaient doucement. Nul besoin d'en dire plus, Salomé avait compris. Artiste de rue, hein ?
— C'est ici qu'on s'entraînera avant la représentation officielle ! Il y a un peu de tout comme matériel ; des quilles ou des assiettes pour jongler, des monocycles, et même des craies si vous voulez vous essayer à du dessin sur sol !
La demoiselle se pencha vers la caisse, observant le tout. Quelques instruments de musique s'étaient glissés au milieu du matériel mais rien ne paraissait réellement faire vibrer la rousse.
Plus qu'à espérer qu'avoir deux danseuses pour la représentation ne les gênerait en rien.
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Qu'il était drôle de voir Clopin Clopant se faire gentiment, mais fermement, rembarré par Ranya. La rousse eut un léger sourire espiègle en coin mais garda le silence, se contentant de mettre ses pas dans ceux de leur aîné. La Feuforêve allait de sa dresseuse à Ranya, paraissant se soucier un peu trop de cette dernière, sûrement parce que la blonde en possédait un, elle aussi. Mais elle se calma vite, préférant côtoyer Fàfnir et sûrement s'échanger des confidences dont elles avaient le secret.
La gitane observait les silhouettes se rapprocher jusqu'à devenir autre chose que de simples formes floues et sombres dans la pâleur du matin. Cinq jeunes gens leur faisaient face, tous plus étonnants les uns que les autres.
Il y avait beaucoup de monde à retenir en aussi peu de temps.
Et c'était quoi ces noms bizarres qui se ressemblaient un peu trop au goût de la jeune fille ? Au pire, elle se tromperait, ce ne serait pas bien grave.
Ses yeux allaient vers les différents interlocuteurs... Alpha... Ah non, pas là. Beta, c'est bon. Epsilon... Delta... Zeta... Iota... Qui fait quoi, déjà ?
Et qui sont Nu et Mu ? Ah mince, elle est l'une des deux mais Salomé n'a même pas su retenir cette information simple et basique. Bon, elle n'aurait qu'à répondre à l'appel pour les deux noms, elle finirait bien par retrouver son pseudonyme d'un jour ainsi.
Perdue dans ses pensées, la Givrali sursauta alors qu'un couteau venait de la frôler. C'était passé si près de son visage, elle avait presque pu sentir le froid de la lame contre sa peau !
Mais nulle entaille ne venait sillonner sa joue et le coutelas était parti se planter bien droit sur un affiche appartenant vraisemblablement à A2P, en son centre. Zeta se dirigea vers cette dernière pour en retirer la lame et retourner ensuite vers les deux apprenties.
— Trois jours pour faire de vous des artistes de rue accomplies, ça risque d'être compliqué... Mais si vous y mettez toute votre énergie, y a moyen pour que vous arriviez à avoir un assez bon niveau d'ici la représentation... déclara Zeta, déjà des idées de ce que vous aimeriez essayer ?
— Les couteaux ! J'ai toujours su que j'avais l'âme d'une lanceuse de couteaux !
Alors.
Non.
En plus Logan n'est même pas là pour servir de cible vivante.
Vous aussi vous sentez à quel point c'est une très mauvaise idée ? Le genre d'idée qui pue fort et dont l'odeur stagne dans les environs au point que tout le monde avait fait silence et que le regard de la professionnelle paraissait détailler au centimètre près le corps frêle et fin de Salomé pour juger si elle était ou non apte.
— Je veux bien te les laisser mais seulement si tu m'obéis totalement... Ce n'est pas un jeu, tu sais, ça reste une activité dangereuse à ne pas mettre entre toutes les mains.
Bien évidemment, les mains de Salomé sont proscrites. Il serait sage de l'éloigner de ces instruments de torture. On en parle des gens morts à proximité de cette enfant de malheur ? Et là qu'est-ce qu'on fait ? On lui offre des armes blanches.
Sûr que ça sera plus facile pour tuer des PNJ innocents ainsi.
— Tu n'as qu'à t'entraîner à viser l'affiche là-bas, fit Zeta en pointant du doigt le papier qui avait déjà vu une lame atterrir dessus un peu plus tôt, tu prends le couteau à partir de la lame dans tes doigts, comme ceci, démontra la professionnelle en effectuant d’abord le mouvement indiqué, puis tu vas bouger seulement ton avant-bras pour donner de la rotation à la lame et enfin, tu vises et lances !
Zeta fit la démonstration complète, ses longs cheveux bruns semblaient accompagner son mouvement et la lame se planta parfaitement au même endroit que précédemment, la précision était de mise pour cet exercice peu commun.
Salomé courut récupérer chercher le couteau, bien trop excitée par cette activité.
Mais il n'est pas encore trop tard pour poser cette arme et danser, art tout aussi noble et bien moins dangereux.
Déjà, elle s'essayait à reproduire les gestes de Zeta qui était à peine plus âgée qu'elle. Pourquoi cette enfant y arriverait-elle et pas elle ?
Alors elle lança, fermant les yeux un quart de second pour les rouvrir devant l'absence de lame dans sa cible et l'absence de lame dans sa main.
C'était sans compter sur le hurlement qui venait de retentit juste derrière elle.
— Oh non...
Mais ça ne changerait rien.
Heureusement qu'elle était Médecin, hein ?
Et merde.
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Quelle idée d'avoir voulu glisser du mouvement à son poignet.
Quelle idée de s'être essayée au lancer de couteaux, oui.
La rousse se retourna pour dévisager un Beta à la pommette ensanglantée. Le filet rouge contrastait avec sa peau trop pâle et le jeune homme se vit entraîné à l'écart, suivi de près par d'autres membres de la troupe. Epsilon en profita pour ramasser les couteaux et éviter que toute nouvelle arme blanche se retrouve entre les mains de la demoiselle. Ranya vint s'entretenir avec Salomé de manière à éviter les accidents à répétition. Pas de chance pour la gitane mais sa carrière de lanceuse de couteaux s'arrêtait là.
La rousse réfléchit quelques instants, il est vrai que la logique voudrait qu'elle danse en compagnie de Ranya ou Ilusion, peu importait, mais l'envie de découvrir de nouvelles activités continuait de la tirailler.
— Tu es sûre que nos styles de danse sauront s'accorder dans la rue ? Et peut-être qu'il n'est pas encore trop tard pour que Beta m'apprenne la voie de cracheur de feu...
La pauvre réfléchissait à voix haute. Mais avec une blessure infligée au leader, c'était perdu d'avance, il devait déjà l'avoir catégorisée comme danger public et craindre chacune de ses apparitions. Elle n'avait même pas pu s'approcher pour examiner la plaie et réparer son erreur alors que la médecine, cela la connaissait.
Mais la blonde avait déjà sorti deux masques blancs pour parfaire leurs tenues. Salomé se saisit de celui qu'elle lui tendait, l'observant sous toutes les coutures avant de l'enfiler sur son visage. Ranya avait fait de même, seuls leurs cheveux permettaient de différencier désormais les deux danseuses qui paraissaient être le reflet de l'une et l'autre.
— Va pour la danse, au pire je reprendrai mon apprentissage de lanceuse de couteaux après la représentation !
Ah mais non.
Pas du tout.
Il faut éloigner les couteaux de cette gamine. Ne plus jamais lui en mettre un seul entre les mains. Salomé avec des couteaux à l'académie ? Il suffirait qu'elle tombe sur Logan pour être prise d'une envie subite de l'égorger. Y a plus qu'à la renommer Agatha et à lui faire créer le carnivorisme et ce sera parfait.
— On pourrait tenter une chorégraphie en miroir ? Chacune reproduirait les mouvements de l'autre en même temps, ça pourrait rendre quelque chose de pas trop mal, réfléchit la demoiselle tandis que le Picassaut paraissait perturbé par ce masque soudain, ne t'inquiète pas Algernon, ce n'est que moi !
Salomé souleva légèrement le masque de manière à ce que son starter se calme enfin. Ce dernier finit par se poser sur son épaule, maintenant rassuré, alors que la Feuforêve continuait de harceler celle de Ranya. Du grand n'importe quoi.
La rousse posa les yeux au sol, réfléchissant tant bien que mal dans cette atmosphère étrange où le soleil commençait tout jute à parer ses couleurs éclatantes au loin. Son regard se perdit sur une affiche délavée au nom qui lui était inconnu.
Mais la femme dessus lui paraissait familière.
Elle se baissa pour ramasser le flyer, contemplant davantage les yeux de rubis et les cheveux de flamme qui lui faisaient face. Cela aurait pu être elle avec quelques années de plus.
— Mélodie...
Elle venait de lire le nom qui s'affichait en grosses lettres et dessous une multitude de dates et de lieu. Celle concernant Lansat était passée, à un mois près c'était dommage mais d'autres s'annonçaient un peu partout dans le monde.
Elle aurait pu faire appel à sa Plumeline pour confirmer les soupçons de son instinct mais c'était peine perdue. Salomé n'avait guère besoin de plus, on l'avait suffisamment confondue avec sa mère pour la reconnaître lorsqu'elle la voyait, même si c'était pour la première fois et sur papier glacé avec un prénom qui n'était pas le sien.
Mélie.
Mélodie.
D'une simplicité effroyable.
Et cela avait suffi.
Elle finit par s'arracher à la contemplation du portrait pour regarder à nouveau Ranya. La rousse devait faire pâle figure en cet instant, comme si elle venait d'apercevoir un fantôme, il y avait un peu de vrai là-dedans.
— Ranya... Tu la connais ? demanda-t-elle en lui mettant le flyer sous les yeux, c'est une musicienne alors je me disais que peut-être elle avait pu t'accompagner par le passé pour une de tes représentations ?
Une guitariste plus précisément.
Et sa mère aussi.
Mais elle ne s'attendait pas à croiser le portrait de sa génitrice dans un square délaissé. Tout comme elle avait délaissé l'idée de la retrouver un jour, persuadée qu'elle officiait sous un autre nom. Et c'était bien le cas.
— Désolée pour ces questions c'est juste que... hésita-t-elle, non rien, laisse tomber. Oublie.
Avait-elle vraiment envie de savoir ?
Le flyer était toujours dans sa main qui tremblait alors qu'elle ne s'en était pas rendue compte. Elle était là pour danser, pas pour repartir en quête d'une chimère comme l'été dernier. Fallait-il vraiment que le hasard s'en mêle alors qu'elle avait fini par mettre de côté sa mère et son abandon ?
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Le regard perdu, Salomé n'écoutait que d'une oreille la nouvelle idée de Ranya. Idée plutôt bonne si l'on oubliait le fait que la rousse restait un danger public avec des couteaux et voyait mal Zeta la prendre à nouveau sous son aile, même le temps d'un mouvement simple. Mais la gitane approuva tandis que son esprit était à nouveau focalisé sur le visage qui l'épiait depuis l'affiche. Après tout, Ranya avait dû croiser nombre de personnalités et d'artistes au fil de sa carrière, les chances pour que l'une et l'autre se soient rencontrées n'étaient pas si minces que cela. Mais l'espoir de Salomé se brisa lorsque la blonde lui apprit ne rien savoir véritablement sur Mélodie, si ce n'est des conclusions dont elle était parvenue toute seule jusqu'à présent. Elle se contenta de plier proprement le flyer, n'ayant pas encore décidé de ce qu'elle en ferait par la suite, le garder ou le brûler comme toutes ces lettres trouvées un soir d'hiver en pleine fouille, même si la saison ne se prêtait plus aux feux de cheminées, il était plus que temps pour les barbecues – n'est-ce pas Ginji ?
La demoiselle suivit docilement la Givrali, découvrant l'envers du décor sous une tente improvisée. Cela lui rappelait vaguement la demeure de son arrière-grand-mère par la forme mais le fond était différent. Des caisses pleines paraissaient tracer un chemin que le duo emprunta, une trousse de secours était posé sur la table, bien en évidence, et le visage de Beta était désormais strié d'un pansement peu élégant. La rousse se mordit la lèvre inférieure, résistant à l'envie de dire que ce travail-ci était mal fait mais un coup de coude l'en découragea et l'incitait vivement à faire profil bas. La demoiselle baissa les yeux, proférant quelques excuses qui tenaient plus de la politesse que de la sincérité mais cela parut suffisant aux yeux de la troupe désormais prête à accueillir ces nouvelles recrues en leur sein.
La funambule fut la première à se proposer pour l'enseignement, la rousse espérait qu'avec leurs niveaux respectifs de danse, elles sauraient être à la hauteur. Mais rien n'était moins sûr au vu du mouvement que Delta venait de proposer. Ses oreilles venaient-elles de lui jouer un tour ou cette figure était belle et bien inconnue à la rousse ? Il n'y avait qu'un moyen de le savoir.
— Non mais les roulades on sait faire déjà, regarde !
Et la Givrali se mit au sol pour exécuter une roulade bien qu'enfantine mais parfaite sous un rire franc et accueillant de la professionnelle. Plus de doute, ses oreilles ne l'avaient pas trahie. Salomé resta au sol quelques instants, fesses contre terre, attendant la suite des instructions.
— Pas une roulade mais une rondade ! C'est comme la roue mais à une différence près... Regardez !
Parce qu'un exemple valait mieux qu'un long discours, Delta prit de l'élan, ses jambes décollèrent du sol une à une tandis que ses mains, elles, lui servaient d'appui. Cela ressemblait à une roue, vraiment, à une exception...
— Les pieds. C'est au niveau des pieds que l'atterrissage diffère. Vous avez vu ? Les deux doivent reposer au sol en même temps, contrairement à la roue où on les pose un par un ! Il va vous falloir faire un quart de rotation une fois la première main posée au sol puis encore un quart le temps que la deuxième se pose à son tour au sol.
Il n'y avait plus qu'à essayer.
Et à se rater plusieurs fois avant d'y arriver. Déjà, la rousse commençait avec de bonnes bases, elle savait faire la roue, ce qui était un atout non négligeable au vu de la figure demandée. Elle supposait qu'il en serait de même pour Ranya, la gymnastique ou du moins les bases, cela devait la connaître au vu de sa carrière de danseuse.
Elle eut un regard pour Ranya qui paraissait aussi déboussolée qu'elle. Après tout, peut-être son niveau n'était-il pas si éloigné du sien.
— Un défi, ça te tente, Ranya ? La première qui arrive à réaliser une rondade pourra exiger ce qu'elle veut de l'autre... En toute amitié, bien sûr !
Ben voyons.
Salomé n'avait aucune idée de ce que Ranya pourrait bien lui apporter dans l'immédiat mais elle finirait bien par trouver. Et si l'inverse se réalisait avec une Ranya gagnante, alors la rousse se plierait à sa volonté, aussi farfelue soit-elle.
Mais dans quoi s'engageaient-elles ?
La demoiselle ne perdit pas de temps, s'essayant à la fameuse figure sous le regard bienveillant de la funambule qui la recadrait pour l'aider au mieux et l'aiguiller à sa manière. Il était parfois compliqué de savoir ce que la demoiselle souhaitait faire comprendre avec de simples mots, heureusement pour elle et sa partenaire, l'artiste de rue n'hésitait pas à leur remontrer plusieurs fois la figure en question.
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Et un point pour Ranya.
C'était juste une question de chance car Salomé réussit sa figure peu de temps après la blonde. Mais la rousse était bonne joueuse et ne contesta pas, de toute façon difficile de contester quoi que ce soit au vu des conditions de ce pari express et félicita Ranya pour sa rapidité. Mais la journée avait vite filé et avec elle, le soleil commençait à décliner tandis que le repas était servi dans la tente visitée un peu plus tôt, accueillant l'ensemble de la troupe pour un dîner convivial. La rousse ne se fit pas prier, se servant goulûment pendant que Ranya picorait ici et là, touchant à peine à son assiette, sûrement trop épuisée par tous les efforts fournis pour maîtriser une figure au demeurant extrêmement simple mais qui s'était avérée plus complexe que prévu.
Le duo termina le repas pour s'allonger dans leurs lits de fortune. Du moins pour Salomé, c'était une autre histoire pour Ranya qui, elle, était déterminée à mettre au point la fameuse chorégraphie maintenant.
— Mais on n'a même pas encore appris tous les mouvements des membres de la troupe, on a que la rondade pour le moment, ça risque d'être compliqué pour la chorégraphie...
Oui, le sommeil l'appelait contrairement à la seconde Givrali. Et dire qu'elle avait cru qu'elle se contentait de manger peu car la fatigue avait pris le pas sur l'appétit ! Le regard déterminé de Ranya lui prouvait que non alors la demoiselle s'extirpa des couvertures pour glisser auprès de la danseuse déjà penchée sur une feuille vierge qu'elle gribouillait au fur et à mesure.
— Je sais pas comment on fait une chorégraphie, moi je me suis toujours contentée d'imiter les danses qu'on me montrait ou d'improviser, jamais de créer complètement...
Même si les deux étaient danseuses, il restait un fossé entre ces demoiselles. Ranya maîtrisait son art à la perfection et avait su en vivre, alors que Salomé était une simple passionnée et même s'il lui était arrivé de danser pour un public lorsqu'elle était plus jeune, cela relevait davantage de l'improvisation que d'une organisation nette et cadrée comme espérait faire la Scientifique.
— En parlant des membres de la troupe... Je te propose de corser un peu plus le défi que je t'ai lancé plus tôt. Tout jouer sur une seule épreuve, c'était un peu trop hasardeux... Jouons ça sur tous les mouvements à apprendre et celle qui aura le plus de points à la fin pourra exiger de l'autre ce qu'elle veut ! Qu'en dis-tu ?
Une manche en cinq points donc.
Et voilà que Ranya partait avec un point d'avance. Mais Salomé se sentait capable de remonter la pente même si la surprise était contre elle et qu'elle ignorait tout des mouvements à venir, ne se fiant qu'à la discipline respective de chacun des membres. Le Feuforêve de la rousse parut approuver cette règle, l'accueillant par un bref rire sonore avant de tournoyer autour des deux filles pour reporter son attention sur Fàfnir. En voilà une qui avait trouvé un partenaire de jeu idéal le temps de cette mission.
— Et puis, tu ne trouves pas qu'on a assez travaillé comme ça pour aujourd'hui ?
La rousse reprit des mains de Ranya le crayon qui s'agitait encore pour le poser suffisamment hors de portée de la blonde un peu trop amoureuse du travail à son goût. La Médecin remit son masque blanc avant de faire de même avec celui de Ranya. C'était une drôle de sensation que de contempler un être qui paraissait nous ressembler autant, tout ça à cause d'un simple masque.
— Je te propose un jeu plus intéressant... Mu.
Cela la faisait presque rire d'appeler Ranya ainsi. Elle avait hésité sur le nom exact, la gitane se trompait encore quant à leurs pseudonymes respectifs mais elle paraissait avoir bon pour cette fois-ci.
Il n'y avait plus que les yeux de la blonde de visible derrière ce masque de fortune. La demoiselle approcha son visage de celui de sa partenaire, sans un bruit, retenant sa respiration le temps d'un instant. Tout était calme, y compris son rythme cardiaque qui paraissait d'être enfin apaisé.
— Attaque de chatouilles !
Alors la rousse bondit sur la blonde, ses mains tendues vers les côtes de sa proie, son poids la poussant à basculer tandis que la tête de Ranya vint s'échouer sur le tapis juste derrière elle avec une Salomé agitée sur son ventre qui n'en finissait pas de la faire rire aux éclats sans lui laisser le moindre répit.
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Le bâton en main, Salomé l'observait sans trop comprendre. Elle aurait aimé cracher des flammes, exactement comme leur mentor, et ne pas se contenter de faire tournoyer des bouts de bois enflammés du bout des doigts. Elle comprenait bien que leur sécurité passait avant tout mais si on lui refusait de prime le lancer de couteaux et désormais la pyrotechnie, que lui restait-il pour s'amuser ? Pas grand chose.
Le bâton qui ferait bientôt office de torche en main, Salomé s'entraînait à le manipuler, non sans jeter de rapides œillades à Ranya pour voir comment la demoiselle se débrouillait. Pour le moment, le jeu était plus facile sans les flammes mais cela risquait de se compliquer à tout moment. Et à devenir intéressant aussi.
Lasse de faire tournoyer le bâton, la rousse fendit l'air avec, telle une arme, avant que le bout de son épée improvisée ne vienne toucher doucement l'épaule de la blonde.
— En garde, Ranya !
Si maintenant elles s'amusaient à jouer les chevaliers, l'entraînement n'était pas prêt de se terminer. Difficile de se concentrer avec une Salomé dissipée, Beta se contenta de recadrer le duo pour éviter que tout ceci ne vire en affrontement singulier.
— Plus tard pour la joute ! Tenez-vous bien droite, je vais allumer vos bâtons, ne faîtes pas de folies et contentez-vous de rotations simples, d'accord ? On va commencer avec un seul côté d'embrasé, on verra ensuite pour le second.
Beta passa près des demoiselles qui leur tendaient les bâtons, enflammant d'abord celui de Ranya avant de s'occuper de celui de Salomé. Les flammes crépitaient et hypnotisaient la gitane. Elle avait l’habitude de la vision du feu avec un pyromane tel que son Feurisson à ses côtés mais cela restait différent du pouvoir de Django. Là, c'était elle qui tenait le feu entre ses mains, les flammes paraissaient être à sa portée et sous son contrôle.
La rousse s'appliqua avec son bâton enflammé. Statique d'abord, elle n'osait pas bouger autre chose que son poignet pour produire la fameuse rotation simple dont parlait l'artiste de rue. Mais pour la représentation, elle ne pourrait pas rester stoïque, il lui faudrait se déplacer, et en rythme avec Ranya pour mener au mieux leur chorégraphie.
— Apprivoisez vos flammes... ainsi que l'espace !
Beta paraissait lire dans les pensées de Salomé.
Cette dernière s'exécuta, marchant avec son bâton enflammé qu'elle continuait de le manipuler. Ce n'était certes pas encore très esthétique, il lui faudrait du temps pour se sentir totalement à l'aise mais au moins n'avait-elle pas paniqué face à cette nouvelle épreuve, ce qui était plutôt encourageant. Enfin, il en fallait plus pour que la rousse perde ses moyens.
— Voilà, comme ça !
Il n'y avait plus que les encouragements de l'artiste qui venaient ponctuer le silence créé par les étudiantes. Concentrées, elles veillaient à ni se brûler, ni faire tomber les bâtons dangereux. Mais tout ce travail commençait à payer, Ranya comme Salomé se débrouillait de mieux en mieux, et même si elles n'avaient pas encore commencé à danser à proprement parler en compagnie des torches, ce n'était plus qu'une question de temps désormais.
Ah et leur défi du jour, donc ? Salomé avait complètement oublié d'imposer une épreuve à la Scientifique et les voilà au même stade de leur apprentissage de la pyrotechnie. La Médecin se creusa la tête quelques instants avant de finalement déclarer :
— Beta, tu voudras bien décider laquelle de Ranya et moi s'est le mieux débrouillé avec ta discipline, s'il te plaît ?
— Oh heu... si vous voulez mais pour moi vous êtes d'un niveau égal...
— C'est important.
La rousse se contenta d'un clin d’œil en direction de Ranya, comme pour lui signifier que le pari continuait sous la seule décision du cracheur de feu tandis que ce dernier hocha les épaules, sans savoir pourquoi une espèce de compétition entre les étudiantes s'imposait.
Si seulement il savait, justement.
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Salomé tourbillonne, ses cheveux et les flammes ne paraissent ne faire plus qu'un. Elle sent le feu entre ses mains, elle sent l'ivresse de la chaleur l'envelopper dans une bulle dont elle est seule à profiter. Il lui paraît presque comprendre pourquoi Smir lui avait donné cet œuf de Héricendre l'an dernier. Elle a le sentiment de se trouver, d'être enfin en adéquation avec elle-même.
Elle virevolte et observe les flammes d'un œil, ne les craignant pas, les attendant seulement, il lui semble les contrôler du bout des doigts.
Elle est un oiseau qui s'envole sur son propre rythme.
L'oiseau de feu.
Les flammes ne l'effraient pas. Elle les apprivoise docilement et les dompte d'un mouvement preste. Elle les épie et prend de plus en plus de libertés. Et de risques aussi.
Mais la voix de Bêta l'oblige à redescendre.
Adieu feu crépitant et bonjour bâtons éteints. Elle observe les gouttes tomber, ne reste plus que la chaleur au bout de la torche pour lui rappeler cet instant.
Elle se tourne vers Ranya et sa fameuse mèche de cheveux. Elle lui sourit et ne dit rien quant à la mauvaise foi de la blonde. Non, mèche ou non, cela n'aurait rien changé mais ça, Salomé se garde bien de le préciser.
Elle écoute la demoiselle évoquer cette chorégraphie qui prend sa forme dans sa tête. Il leur faudra encore découvrir les trois dernières pour se décider mais la Scientifique semble déjà avoir une belle idée à exposer.
Une tête surgit alors de derrière un arbre, surprenant les demoiselles qui en avaient fini de s'entraîner avec le feu, pour le plus grand malheur de Salomé qui serait bien restée encore un peu.
— Vous deux, avec moi, déclara Zeta, et interdiction de toucher aux lames sans mon autorisation !
Son regard s'était appuyé plus que nécessaire sur la rousse qui avait su briller dans le mauvais sens au premier jour. Salomé lâcha la torche désormais éteinte pour se glisser derrière l'ombre de la lanceuse de couteaux, se demandant bien ce que l'artiste allait leur apprendre. Il est vrai que Salomé n'était pas contre une technique ou deux pour mettre à mal Logan, mais cela, elle se garda bien de le dire mais l'idée trottait gaiement dans sa petite cervelle d'adolescente.
— Il est tout simplement hors de question que vous lanciez le moindre couteau pour le spectacle, trancha Zeta toujours en fixant Salomé, mais je veux bien vous les laisser pour réaliser quelques mouvements de danse.
Zeta s'éloigna vers un coffre dont elle extrait des instruments qui paraissaient familiers à la rousse. Cela ressemblait étrangement aux bâtons qu'elles avaient manipulées dans la matinée mais avec des lames épaisses telles des manchettes, le tout enveloppé de serviettes.
— Voici des couteaux de feu. Vous savez déjà manipuler des bâtons enflammés, là c'est presque pareil... Sauf que c'est encore plus spectaculaire.
Chacun prônait pour sa discipline, bien évidemment.
La lanceuse de couteaux se permit de faire une brève démonstration. Sans flammes pour débuter, de manière à ce que les demoiselles puissent profiter pour observer en détails ses différents mouvements et toute la souplesse et l'agilité qui se déployaient dans ses poignets. Elle avait beau rester statique, c'était tout le contraire de ses bras qui s'activaient et fouettaient l'air. Elle s'arrêta finalement, allumant les torches pour que les demoiselles puissent admirer à loisir la différence entre leur activité du matin et celle-ci. Sur le papier, cela paraissait étrangement proche mais les flammes étaient plus impressionnantes ici et la perspective de jouer avec des couteaux enflammés ne donnait que plus d'intérêt à la pratique.
— Vous allez commencer par vous familiariser avec les couteaux parce que mine de rien c'est un peu plus lourd que les bâtons que vous avez manipulés ce matin. Pour le reste, les mouvements seront les mêmes, de la simple rotation, rien de plus.
Les demoiselles se servirent, attrapant chacune un couteau. Même si Zeta avait jonglé avec deux lames, les filles resteraient à une seule, ce serait amplement suffisant. L'artiste laissa les demoiselles se mettre en position et s'échauffer, se familiarisant doucement avec cet instrument si particulier.
— Oh et Bêta m'a parlé de votre petite pulsion compétitrice de ce matin... Et vu qu'il n'y a rien de tel pour progresser, je pense que je vous évaluerai aussi à mon tour une fois vos flammes maîtrisées... Mais plus tard, on a tout l'après-midi pour ça.
Chouette, même pas besoin de demander quoi que ce soit.
Et Salomé était à nouveau dans son élément. Enfin, bientôt, pour le moment les couteaux éteints lui laissaient une drôle de sensation de vide au bout des bras. Elle soupesa le couteau, le faisant voltiger et tourner comme elle l'avait appris un peu plus tôt. L'alcool qui imbibait les serviettes embaumait ses narines mais elle essaya d'en faire abstraction pour se concentrer sur son activité de l'après-midi.
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Les flammes à nouveau.
Salomé commençait à être familière avec cet élément qui l'étonnait de moins en moins. Elle se contentait de répéter inlassablement ce qu'elle avait appris dans la matinée mais en le mariant avec les couteaux enflammés. Elle se débrouillait bien, comme tout à l'heure. C'était autre chose que de réussir une simple rondade, sûr. Et cela lui plaisait davantage aussi.
Les traînées de feu frôlaient ses cheveux parfois. Les deux paraissaient se mélanger, crinière de flammes et lames dangereuses. C'était grisant et excitant, ces armes qu'elle manipulait du bout des doigts apparaissaient un peu plus comme un prolongement de son corps.
Si elle échouait à l'académie, elle pourrait toujours songer à une réorientation dans les arts du cirque.
La voix sèche de Zeta extirpa la rousse de ses plans de carrière futurs. Les flammes furent vite éteintes et seuls les couteaux restaient en main. L'odeur de l'alcool à brûler embaumait les environs, la demoiselle reposa ses lames pour écouter le verdict de l'artiste. Elle décocha un regard à Ranya ; au moins ne s'était-elle pas brûlée cette fois-ci ! Peut-être avait-elle toutes ses chances pour remporter cette joute-ci ? Mais les mots de Zeta se déployèrent et force était de constater qu'une fois encore, Salomé avait remporté la victoire. Voilà qu'elle menait avec une légère avance, elle qui était à la traîne au début, tout s'était inversé. Plus qu'une victoire et c'en serait fini de leur défi éphémère.
— J'en connais une qui devra bientôt se plier à ma volonté, fanfaronna Salomé, t'inquiète pas, je t'imposerai rien d'humiliant
C'est qu'elle s'imaginait déjà avoir gagné. Mais pas de pause après cette activité-ci, le mime dont le nom échappait à Salomé venait de se présenter au duo. Grimé de blanc, bretelles et haut rayé reconnaissable pour parfaire sa palette d'artiste, le voici lancé dans un jeu où le corps était roi et la parole absente. La rousse le regarda, circonspecte, sans savoir ce qu'il attendait d'elles. Et Ranya était à son tour tout autant déboussolée.
— On perd rien à faire comme lui...
Alors le duo se prit au jeu, copiant ses mouvements du mieux qu'elles pouvaient. Entre les échelles imaginaires à escalader, les portes à ouvrir puis à fermer, se glisser sur la pointe des pieds et les expressions de visage toutes plus exagérées et grotesques les unes que les autres, il y avait de quoi susciter le rire et l'étonnement.
— On va devoir danser en prenant des mines effrayées ou réjouies comme il fait là, tu crois ?
Plus l'activité avançait et plus la performance de l'artiste échappait à Salomé. Cela ne la captivait pas comme les danses enflammées et cela ne demandait pas une persévérance nécessaire comme pour réussir une rondade. Non, cette discipline n'était pas pour elle, elle laissait volontiers la victoire à Ranya. Mais Iota ne paraissait pas décidé à ouvrir la bouche, encore moins à les évaluer comme leurs deux précédents mentors. Il allait falloir faire marcher son imagination. Encore une fois.
— Pour le défi, on fait quoi ? C'est pas en mimant des escalades ou des courses-poursuites qu'on va pouvoir faire quelque chose d'intéressant...
Iota était peut-être muet mais certainement pas sourd. Il s'arrêta et toisa les deux jeunes filles, bras croisés. Nul besoin de parole pour comprendre que le blondinet était vexé. Salomé et sa langue bien pendue, comme toujours. Toujours à l'ouvrir quand il ne fallait pas.
Si Ranya avait une idée pour rattraper la situation, ce serait parfait. Parce que Salomé, elle, avait juste envie de s'écrouler au sol d'ennui tant elle était passionnée par ce qui s'y déroulait.
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Salomé ne put que se laisser guider par Ranya pour tenter d’imiter ses mouvements. Elle ne voyait pas où la blonde souhaitait en venir et sa théorie montée de toutes pièces lui paraissait complètement absurde. Mais elle tint sa langue, comprenant qu'elle avait déjà blessé suffisamment le mime avec ses mots crus et sa franchise exaspérante.
Elle avait hâte d'être au grand soir pour pouvoir mettre en application tout ce qu'elle avait appris. Elle observa la blonde qui paraissait être dans son élément cette fois-ci, chacun son tour après tout. Ses mouvements disposaient d'une grâce naturelle que la rousse était loin d'égaler. Cette dernière n'aimait pas sortir de sa zone de confort, surtout en matière de danse, pourtant c'était là l'essentiel de cette mission.
Et puis ce fut la surprise.
Iota venait d'ouvrir la bouche pour la refermer aussitôt et s’éloigner, tel un rêve qui s'estompait. La rousse cligna des yeux frénétiquement, non pas tant suite au point gagné par la danseuse mais plutôt par cette voix si soudaine qu'elle n'espérait plus.
— Mais... Il parle !
Heureusement que le mime n'était plus là pour entendre la nouvelle remarque de Salomé qui n'en revenait toujours pas.
Tant pis pour le point perdu, la compétition ne faisait que se resserrer davantage. La rousse compta mentalement les disciplines passées pour finalement se rendre compte que leur défi, ainsi que leur entraînement, touchaient à leur fin. Il ne restait qu'un domaine dans lequel remporter ce pari stupide et cela ne lui plaisait pas. Pas du tout. Comment espérer l'emporter avec une danseuse comme Illusion sûrement rompue à la gymnastique depuis sa jeunesse ? Oui, cela commençait à sentir le roussi pour la demoiselle mais hors de question de l'avouer.
Elles se contentèrent de répéter encore un peu plus leur numéro jusqu'à ce qu'une bonne odeur de pâtes carbonara ne vienne chatouiller leurs narines, signe qu'il était plus que temps d'abandonner là cette discipline.
Attablées, la rousse se servit avidement, écoutant la suite du programme et des festivités. Comme elle s'en doutait, Ranya connaissait les bases. La rousse avala le contenu de sa fourchette pleine avant de répondre :
— Moi ? J'apprends vite. Alors même si j'ai pas eu de professeur particulier pour m'apprendre le classique et la gym, je devrais pouvoir me débrouiller malgré tout.
Epsilon observa les deux enfants, visiblement très concentré. Il paraissait tenter de découvrir les failles de chacune ainsi que leurs points forts mais tout en silence, ayant à peine touché à son assiette, menton enfoui entre ses mains. Il reposa finalement ses bras le long de la table, en ayant fini de son analyse minutieuse.
— Je vois... Je pense savoir ce que l'on fera demain.
Et il se mit à manger, comme si de rien n'était.
La rousse observa tour à tour Ranya puis le contorsionniste pour finalement décider qu'il était temps pour elle de davantage s'occuper de sa plâtrée de pâtes que des paroles sibyllines d'un jeune artiste. Elle replongea dedans, rassasiant son estomac et sa faim par la même occasion, essayant de chasser l'image de cette dernière journée de gymnastique qui se profilait.***
Le réveil fut matinal, trop peut-être. Le soleil brillait depuis peu, inondant doucement les demoiselles de ses rayons clairs et doux. La chaleur venait caresser la peau de Salomé qui se dirigeait avec Ranya là où le contorsionniste s'entraînait.
Lui était déjà à l’œuvre, se pliant et se dépliant avec une facilité déconcertante. La rousse ne put s'empêcher de grimacer en voyant certains mouvements du professionnel, c'était à croire qu'il ne possédait aucun os pour plier son corps à sa volonté de cette manière. Mais elle se garda de tout commentaire, hier lui avait suffi.
Et puis, elle avait un défi à gagner, hors de question de céder la victoire à Ranya aussi facilement.
Epsilon parut enfin se rendre compte de la présence des étudiantes et entreprit de se déplier doucement, avec des mouvements d'une lenteur extrême. Cela n'en restait pas moins fascinant à regarder, et un peu dégoûtant aussi.
— Pour votre dernière leçon avec nous, on va rester dans la simplicité, ou du moins dans quelque chose que vous devriez être en mesure de réaliser toutes les deux... Si vous avez réussi à maîtriser la rondade, cette figure sera juste une formalité pour vous deux.
Epsilon se leva, prit son élan pour réaliser ce qui semblait être un saut au premier abord compliqué. Il décollait avec ses pieds pour retoucher le sol dont il prenait appui avec ses mains et rebondir une dernière fois et revenir sur ses pieds, intacts.
— C'est ce qu'on appelle un flip arrière. J'ai commencé par effectuer une rondade puis j'ai effectué un flip... Et comme vous vous en doutez, avant d'apprendre à le réaliser en arrière, mieux vaut commencer par l'avant.
Epsilon refit une démonstration, sans rondade cette fois-ci. La figure paraissait plus simple décomposée de cette manière, et surtout plus abordable. Au moins tout ceci ne semblait-il pas trop complexe aux yeux de Salomé maintenant que leur professeur leur avait expliqué la marche à suivre.
— Que cela soit pour l'avant ou l'arrière, gardez bien vos jambes serrées, soyez gainées et sautez. C'est aussi simple que ça.
Comme pour leur montrer l'exactitude de ses paroles, Epsilon recommença, toujours avec cette facilité déconcertante que la rousse lui enviait.
— À vous, maintenant. Quand vous aurez maîtrisé l'avant, vous pourrez tenter l'arrière.
Il n'y avait plus qu'à s'acharner, apprendre, tomber et recommencer. Mais la perspective de pouvoir coupler cette figure à la rondade enchantait Salomé. Les différentes disciplines s'accordaient à merveille et ne devraient pas se noyer dans leur chorégraphie, bien au contraire. La rousse était sur le point de s'élancer mais elle s'arrêta juste avant, croisant le regard de Ranya :
— Que la meilleure gagne !
Les dés étaient jetés.
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La chute était effrayante et ce n'était pas de simples tapis qui risquaiten d'arrêter quoi que ce soit. Salomé s'essayait au mouvement, mais en vain, ses gestes arrêtés par la peur de tomber. C'était stupide, elle la casse-cou se refusait à effectuer un enchaînement qui paraissait désespérément simple lorsque effectué par l'artiste de rue. Elle se retourna vers Ranya qui proposa de coopérer plutôt que de travailler en solitaire. Cette idée plut à la rousse qui l'accepta et se mit à assurer les arrières de la blonde tandis que cette dernière était prête si besoin lorsque venait le tour de Salomé.
De cette manière, le flip avant devint une simple formalité. L'arrière demanda plus de persévérance et de technique mais le duo finit par le maîtriser. Bien que laborieux et brouillon au début, leurs mouvements gagnaient en fluidité et devenaient plus instinctifs. La réception sur les pieds était moins bancale, les corps plus souples, et les sauts plus gracieux. Oui, elles apprenaient à chaque nouvel échec et se relevaient immanquablement, tandis qu'Epsilon déclara qu'il était temps de découvrir le visage de la gagnante de cette compétition improvisée. Tout à tour, les étudiantes donnèrent le meilleur d'elles-mêmes. La rousse ne savait toujours pas ce qu'elle exigerait de Ranya, ni quand, mais hors de question de perdre d'un point.
Et la sentence tomba ; les voici ex-æquo. Ni complètement gagnante, ni tout à fait perdante. Il semblait à Salomé avoir le goût de l'inachevé dans la bouche mais elle se garda tout commentaire tandis que Ranya trancha ; un service chacune, et ce serait tout. La rousse approuva et la suivit à l'écart de leur professeur du jour ; les cours étaient finis, il était plus que temps de songer à la chorégraphie, heureusement que Ranya s'en était occupée dans son coin, sans quoi le travail à abattre aurait été énorme après cet entraînement intense.
— Ne t'inquiète pas, c'est parfait, déclara la rousse en survolant le papier que lui présentait la blonde, va te reposer, tu as fait plus que ta part !
C'est une Ranya fatiguée et tenant à peine debout qui se dirigea vers leur caravane. C'était à se demander comment elle avait pu réussir l'exercice physique de ce matin avec aussi peu de sommeil. Salomé était loin encore d'avoir son endurance. Mais ce n'était pas le moment de se mesurer à la danseuse classique, elle se pencha sur la fameuse chorégraphie, l'apprenant puis la répétant sous le regard circonspect de son starter qui se demandait bien ce qu'inventait sa dresseuse. Cette dernière se laissait aller à la danse et répéter ainsi sans Ranya était étrange à ses yeux, comme un manque à combler, et surtout ses gestes lui paraissaient futiles sans personne pour les reproduire devant elle. Oh si seulement sa Plumeline avait quitté sa chambre pour l'accompagner dans cette mission, elle aurait fait une partenaire parfaite d'entraînement. Mais il lui fallait continuer, avec ou sans Miss Acacia, ce n'était qu'une question d'une heure à peine.***
Ranya était de retour. Plus reposée, plus calme et plus déterminée que jamais à répéter. La rousse n'avait pas chômé pendant sa sieste et connaissait désormais la chorégraphie sur le bout des doigts. Mais avec la présence de la blonde, la danse aurait une autre allure. Mais d'abord, les costumes. Salomé s'était permise d'en sélectionner certains pouvant convenir mais hors de question de décider sans la blonde.
Elle lui montra alors sur cintre des tenues rappelant celles de la danse orientale avec des airs de tribal fusion. Blanches pour s'accorder à leurs masques choisis depuis le premier jour, la jupe descendait jusqu'aux chevilles pour les dissimuler et était maculée de sequins comme sur la brassière qui couvrirait leurs poitrines.
— Si ça te va, y a plus qu'à se changer et à répéter pour de vrai avant le spectacle de ce soir. Moi ça me parle en tous cas.
Mais cela devait changer Illusion de ses tenues quelque peu plus classiques. Au moins restait-il toujours le fameux masque, à croire qu'on en revenait toujours aux sources. Mais la blonde approuva et le duo put se changer pour commencer à répéter.
Ensemble, cette fois-ci.
Avec comme seuls spectateurs leurs Pokemon respectifs. Algernon, perché sur une branche, ne perdait pas une miette du spectacle livré pour lui en avant-première. Difficile de dire s'il était captivé ou effrayé à la fois par la chorégraphie et les jeux pyrotechniques qui s'entremêlaient, une erreur était si vite arrivée. Mais aucun faux pas n'était à constater pour le moment.
L'après-midi fut principalement tourné vers les dernières répétitions. Que cela soit pour parfaire leur numéro ou pour s'organiser au mieux avec le reste de la troupe et créer une cohésion parfaite, le grand soir était sur le point d'arriver. Ce n'était pas la première fois que Salomé se produisait dans la rue mais la première fois qu'elle se devait de côtoyer autant d'artistes pour un même numéro. Et la première fois qu'elle travaillait sur quelque chose d'aussi abouti, aussi. Le dernier pas effectué, elle s'adossa à un arbre pour reprendre son souffle et attrapa une bouteille d'eau dont elle but plusieurs gorgées. Enfin, elle reporta son regard sur Ranya.
— Pas trop stressée pour tout à l'heure ? La rue, ça va te changer de tes spectacles sur scène... Mais tu verras, c'est presque pareil.
Pour une fois que Salomé pouvait parler en toute connaissance de cause. Mais après tout, peut-être Ranya était-elle déjà familière de cet environnement, ce n'était pas parce que son spectacle annuel était sur scène qu'elle n'avait jamais goûté aux spectacles de rue, même si la rousse en doutait quelque peu.
— Finissez de vous préparer et si c'est déjà fait, reposez-vous un peu, les filles. Dans moins d'une heure, ce sera le grand moment.
Prêtes, en tenues et reposées, la gitane n'attendait plus que de se produire dans la rue maintenant. Mais il lui semblait qu'il manquait quelque chose pour compéter leurs parures ; en dehors des costumes, leurs peaux étaient nues, avec à peine quelques bijoux pour égayer le tout. Mais ce n'était pas suffisant. La demoiselle se pencha dans une malle, à la recherche d'encre et de pinceaux. Enfin, elle trouva le nécessaire pour son idée.
— Des tatouages éphémères pour finir ? Je vois bien des arabesques le long de nos bras. Bon, faudra se contenter de l'encre car y a pas de henné, et même avec, on aurait pas eu le temps.
Nouvel an le retour. Janet, où es-tu ? Truite ? Et tous les dessinateurs qui ont fait profiter à tous de leurs talents (à jamais la triforce des Picassaut dans mon cœur).
Salomé prit le bras de Ranya pour commencer à y dessiner quelques motifs. Du simple pour éviter de trop se ridiculiser. Elle avait entendu dire que la Givrali était plus que douée avec un crayon, ses talents à elle devait faire pâle figure en comparaison. Mais elle s'appliqua du mieux possible, le noir recouvrant peu à peu le blanc de sa peau et rendant le tout bien plus beau entre les contrastes de leurs tenues et les masques de neige.
Elle termina et tendit le matériel à Ranya pour qu'elle puisse faire de même. Nul doute que le résultat serait bien plus élégant, un peu comme lorsque Janet avait apporté sa contribution aux Picassaut, juste à côté de celui de Truite. Être une cobaye, une passion.
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Bras et masques peints, il n'y avait plus qu'à entrer en scène. Il y avait un peu de trac qui martelait la poitrine de Salomé, mais léger et presque imperceptible, rien qui ne nuirait à leur performance de ce soir. Mais trop tard pour s'interroger davantage et se poser plus de questions, leur moment approchait. Tous les autres venaient de défiler devant leurs yeux, chacun avait ses propres talents et émerveillait les spectateurs venus assister au spectacle. Il y avait des grimaces face au contorsionniste capable de plier son corps à sa volonté mais aussi des exclamations face à chacune de ses prouesses. Et les faciès et les expressions continuaient de vivre sous les yeux amusés des deux enfants. Ici des gens quelque peu impressionnés devant les prouesses pyrotechniques et les lancers précis et agiles des couteaux. D'autres riaient aux éclats devant les gesticulations du mime pendant que certains retenaient leur souffle face à la prise de risques du funambule.
Et il y avait elles.
La lune et le soleil.
Ranya et Salomé.
Sa main dans celle de sa partenaire, la rousse dansa comme si chaque pas comptait autant que le précédent. Coordonnées, elles s'appliquaient pour que leur numéro clôture au mieux cette prestation éphémère.
Leurs corps évoluaient avec grâce et prestance et les différents cours de leurs mentors de la troupe se rappelaient à elles à chacun de leurs mouvements. Ici, la rondade effectuée avec une aisance particulière, comme si elles étaient rompues à cet exercice depuis leur plus tendre enfance. Là, le fameux flip arrière qui leur avait donné tant de mal et contre lesquelles elles avaient failli abandonner et échouer tant de fois. Le jeu du mime se lisait en chacun de leurs gestes, toujours aussi millimétrés et calculés. Invisible sous son masque, Salomé souriait, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu l'occasion de partager sa passion avec quelqu'un, Ranya était peut-être même la première avec qui elle dansait depuis son arrivée à l'académie. Cela lui avait manqué. Mais elle laissa là ces pensées futiles et se concentra sur les flammes qu'elle manipulait du bout des doigts, il serait plus que dommage que le Soleil se brûle ce soir.
Le feu crépitait à bout portant et à l'ombre de la nuit, éclairait leurs costumes qui renvoyaient un peu plus cette lumière dangereuse et brûlante. Le blanc se détachait nettement et il n'y avait plus qu'elles pour charmer les spectateurs. Les attendrir aussi.
Tour à tour oiseaux puis liberté, les demoiselles ne paraissaient plus se soucier du public mais seulement de leur propre plaisir. Et ce plaisir était communicatif au vu des applaudissements qui les accueillirent à la fin de leur prestation, une fois le dernier pas effectué et leurs corps à l'arrêt.
Le reste de la troupe vint les rejoindre, saluant en groupe pour ce public qui s'éloignait déjà. Le grand soir était passé et Clopin Clopant, dissimulé dans le public, vint à la rencontre de la troupe. La rousse ôta son masque alors que presque tous les spectateurs s'en étaient allés.
— Bravo, bravo ! C'était merveilleux ! Du grand art ! Vous êtes libres de revenir quand bon vous semble dans la troupe, il y aura toujours une place pour vous !
Le directeur de la troupe jeta un coup d’œil à sa montre. Il eut un sourire pour les demoiselles et les regarda tour à tour avant d'avoir finalement une idée qui lui semblait bonne de prime abord.
— Allez, on va fêter ça, c'est ma tournée !
La troupe entière se dirigea au bar le plus proche. Il était tard et l'endroit était fréquenté. Clopin Clopant fit signe au reste de sa troupe et aux jeunes filles de prendre place à une table tandis que lui allait commander pour tout le groupe. Les félicitations et les éclats de rire fusaient à leur table et Salomé posa son masque dessus, cela lui ferait un chouette souvenir une fois cette mission définitivement terminée. Elle eut un regard pour les arabesques qui parsemaient ses bras, ces dernières commençaient déjà à s'estomper et à baver au vu des efforts produits pour leur prestation finale. Tant pis, avec une dessinatrice comme Ranya dans son dortoir, elle pourrait bien retrouver la magie de ses œuvres sur son corps en d'autres circonstances.
Les pintes s'alignèrent devant chacun d'entre eux. Salomé approcha son nez du breuvage, elle ne se souvenait pas avoir déjà bu autant d'alcool, se contentant de quelques gorgées parmi les siens avant son arrivée sur Lansat. La boisson ambrée lui faisait de l’œil.
— Aromatisée au sirop de baie pêcha pour vous ! déclara Clopin Clopant à l'attention des plus jeunes, Ranya et Salomé comprises, il ne faudrait pas que le goût vous écœure de trop !
La rousse attrapa sa pinte, trinquant avec l'ensemble de la troupe. Quelques gouttes se mélangèrent d'une boisson à l'autre au vu des choppes bien remplies. D'autres tombèrent sur la table et certaines sur le plumage d'Algernon qui s'ébroua face à cette pluie improvisée.
— À ta santé, Ranya !
Salomé porta le breuvage à ses lèvres. C'était doux et le goût de l'alcool était presque imperceptible. Pourtant il revenait, sur la fin, en dépit du sirop utilisé qui donnait une douce couleur à sa boisson. Mais ce n'était pas pour autant désagréable. Le Picassaut s'approcha, apparemment lui aussi curieux de goûter à l'inconnu. Pour une fois que son starter s'intéressait à autre chose que des cailloux, la demoiselle le laissa faire, le voyant tremper son bec et l'entrouvrir pour avaler goulûment quelques gorgées.
— Doucement Algernon, laisse m'en un peu !
L'emplumé retira son bec et secoua sa tête frénétiquement. Il était mignon ainsi même si la rousse ne comprenait pas bien la raison de son geste.
Il n'y avait plus qu'à boire et profiter de la soirée, désormais.
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Les chopes se vidaient pour être resservies aussitôt après. La rousse avait perdu le compte de bières qu'elle avait bues jusque là mais un regard vers son Picassaut lui apprit que le laisser boire à sa guise avait été une bonne idée. Le petit paraissait plus éveillé, plus réactif, et voletait allègrement d'une table à l'autre. Il aurait presque pu se mettre à parler dans la foulée que cela ne l'aurait qu'à peine étonnée.
La question de Ranya mit du temps avant d'être assimilée par le cerveau de Salomé. Les mots étaient flous et le rire ponctuant la phrase de la blonde était communicatif alors la rousse se mit à rire à son tour, sans raison valable. L'alcool embrumait son esprit et le monde commençait à tanguer autour d'elle, heureusement qu'elle était bien assise sur sa chaise. Elle finit par comprendre que la danseuse évoquait Logan et la fameuse nuit de sa rencontre avec la Givrali. Elle eut un sourire immense, défigurant presque son visage et éclata de rire encore une fois.
— C'est parce que j'ai décidé de lui pourrir la vie en racontant un mytho à son sujet... J'ai dit qu'il m'avait fait des attouchements... Alors que c'est pas vrai. Maintenant, tout le monde le prend pour un gros pervers, sa copine a rompu avec lui par ma faute et il a voulu se venger !
Nouveau rire pour ponctuer la vérité. C'était la première fois qu'elle exprimait tout ça, première fois aussi qu'elle reconnaissait avoir menti. L'alcool lui déliait la langue, complètement. Elle attrapa sa chope à demi vide, ses mains au contact du verre comme pour retrouver pied avec la réalité.
— Faut pas m'emmerder, moi !
Elle leva sa pinte et en but de nouvelles gorgées. Elle se retrouvait bien imbibée d'alcool, sûrement autant que Ranya et s'arrêter là aurait pu être une bonne idée mais cela ne paraissait pas traverser l'esprit embrumé de Salomé qui s'amusait et se laissait porter par la musique qui s'évadait à travers tout le bar.
— Et le plus drôle... C'est que j'ai même pas eu besoin de m'en mêler pour qu'il perde tous ses Pokemon et qu'il soit la risée de l'académie ! Il s'en est chargé tout seul en me tapant dessus !
Léger piaillement de la part d'Algernon. Lui paraissait comprendre ce que sa dresseuse racontait là et l'entendre ignorer ses plumes perdues ne lui plaisait pas. Il s'occupa de les lustrer, remettant son plumage désormais impeccable en place.
— Et sur Algernon, bien sûr !
La musique continuait de retentir. Elle termina sa pinte tandis que les conversations se poursuivaient tout autour d'elle. La troupe paraissait tenir l'alcool bien mieux qu'elle même si cela dépendait des membres. Les plus jeunes avaient été raisonnables et n'étaient en rien dans un état aussi lamentable que Salomé ou Ranya. Oui, les deux jeunes filles avaient plus qu'abusé pour leur première fois, le tout sous le regard jugeur du Picassaut toujours en pleine possession de ses moyens. C'était à se demander comment un être si petit endurait aussi facilement les effets de l'alcool alors que Salomé était à deux doigts de s'écrouler ou de raconter toute sa vie au premier inconnu, au choix. Au lieu de cela, elle s'était livrée entièrement sur son histoire avec Logan. Elle ignorait bien comment la blonde utiliserait ces informations mais ce n'était pas la priorité de Salomé dans l'instant. Non, là, tout de suite, elle avait juste envie de se trémousser en rythme dans l'espace réservé aux danseurs. À croire qu'elle n'avait pas assez dansé aujourd'hui. Bien évidemment, il était hors de question qu'elle aille se ridiculiser toute seule.
— Viens ! On va danser !
Elle attrapa Ranya par la main, la poussant à reposer sa choppe. Elle la retrouverait bien assez vite, et pleine peut-être ? Salomé manqua de tomber face à un obstacle invisible, le chemin jusqu'à la piste improvisée lui paraissait tortueux et semé d'embûches, pourtant il n'en était rien. Enfin, elles atteignirent leur but, laissant libre cours à leurs corps de réagir à la musique qui détonait dans leurs oreilles. Le starter avait suivi sa dresseuse, désormais perché sur une poutre apparente dans le simple but de l'observer et de veiller à ce qu'elle ne fasse aucune bêtise. Mais le mal était sûrement déjà fait à en voir les pintes qu'elle s'était enfilées depuis le début de la soirée.
La rousse rapprochait de plus en plus son corps de celui de la blonde, dansant au plus près d'elle. Elle empestait l'alcool, tout comme Ranya, aussi n'était-elle en rien dérangée par les effluves. En rythme, elle tressautait et se trémoussait, emprisonnant presque Ranya tandis qu'elle se rapprochait d'elle de plus en plus et dangereusement. L'alcool la poussait à faire des choses étranges mais elle agissait de manière instinctive.
À croire que toute cette tension entre elles deux allait pouvoir enfin exploser.
Trois jours à dormir ensemble. Trois jours à se côtoyer et se connaître un peu plus. Trois jours et ce soir enfin, Salomé se laissait aller à cette pulsion subite.
Mais danser avec Ranya lui suffisait pour le moment.
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