Le navire était de taille moyenne, il était fait en pin et son moteur ne nous permettrait jamais d’atteindre notre destination avant la tombée de la nuit. Cette nuit sereine et noire dans laquelle le ciel se glissait doucement. Je posais mes yeux embrumés par la fatigue sur l’horizon crépusculaire, le point orange du soleil m’abîmait la vue mais je n’aurais pour rien au monde baissait le regard. J’étais accoudée à la rambarde, attirait par la houle et la magnificence de paysage comme le Papillusion par la flamme. Mon corps de fille maigre s’accrochait solide à la barrière de fer, guidait par une pulsion de survie réfractaire à l’étendue d’eau salée sur laquelle voguait l’embarcation. L’odeur violente et piquante de l’air salin qui s’engouffrait dans mes narines faisait naître des larmes aux coins de mes prunelles cendrées. J’étais comblée par ce délictueux plaisir d’être à nouveau la fille seule contre la nature. Il y avait tant de soirs où je regrettais cet amour sauvage de la nature que j’avais cédé pour une féminité naissante pleine de délicatesses étouffantes.
Nous venions de prendre le large pour une nouvelle sortie Capture. Une évasion dont je profitais pleinement. J’avais bourré mon sac de Pokéballs, de carnets et de crayons, incapable d’être raisonnable en songeant à tous ce qui m’attendait une fois mes pieds posaient sur cette terre inconnue. Ma collection de notes s’étoffaient lentement, gagnant en volume au fur et à mesure que mes connaissances s’élargissaient. L’idée d’être peut-être la plus studieuse de toutes les demoiselles m’arrachait un sourire. Je me sentais différente de tous ces sots qui perdaient leurs temps en jeux et en distractions. Ces filles dévergondées qui se dissipaient dans des histoires de cœur ridicule, je me sentais infiniment supérieure dans mon habit de chaste et froide jeune femme. L’absence de vie dans ma propre vie je la comblais en compagnie de mes sujets.
Bel était devenu mon double. Indissociable de moi désormais, son omniprésence était devenue d’autant plus légitime que c’était un partenaire de recherche patient et appliqué. Il était perché sur mon épaule à cet instant même. Le rongeur savourait avec moi les derniers rayons du soleil. La nuit tomba brusquement, elle nous enveloppa sans ménagement, comme un couvercle opaque et sombre troué de dizaine d’étoiles frivoles. Je devinais la terre ferme plus que je ne la voyais à l’horizon. Ce spectacle m’aidait à oublier les imbéciles que j’avais vu courir niaisement sur le pont, rempli d’émotions injustifiées qui polluait l’atmosphère idyllique de cette sortie. On ouvrit les portes et un troupeau de corps se dépêcha de gagner la sortie. J’eus un pincement au cœur, la simple idée que l’un deux puisse me priver d’un exceptionnel sujet d’étude me rendait malade. Je fermais les paupières et inspirait profondément, un petit rituel qui devait m’apportait chance et fortune dans mon exploration. Ma vie à l’académie était remplie de ces petites manies sur lesquels je m’appuyais régulièrement pour ne pas céder à la tentation de creuser la terre avec mes ongles ou assommer les insomniaques qui faisait du tapage dans la chambre voisine.
Le vent frais qui cinglait mon visage me faisait du bien. Il purifiait mes poumons encore remplis des souffles mélangés de la cohue. Je jetais un œil à la mer avant de partir, elle était plaine de plis marqué, comme la peau ridé d’une vieille femme. J’aimais bien la voir, elle me rappelait ma demeure oubliée à Joliberges. Je toussotais pour me débarrasser de la mélancolie que je sentais poindre dans mon cœur et adressait à Bel un sourire hésitant.
« Alors ? Cette nuit tu joues les couards ou tu m’éclaires de ta lanterne ? _ Herrrrr. »
Il bondit au sol, s’alluma avec la facilité de l’habitude et me lança un regard de défi auquel je répondais par une moue énigmatique. Petite torche dans la noirceur de la nuit, il éclairait les fougères rayés et les galets rond d’un éclat crépitant qui faisait dans des ombres sur les troncs. Je soulevais un peu les pans de ma robe sale et me mettait en route derrière lui.
Dans la nuit nous marchions. Nous étions deux silhouettes entres les corps noueux des arbres exotiques, deux ombres dessinaient par les flammes ondoyantes de Belzébuth. J’avais attrapé l’un de mes carnets et j’écrivais de façon un peu précipité à l’intérieur. Je voulais mettre en mots la courbe des plantes de l’archipel Alga, leurs striures extravagantes et leur façon de s’étirer indéfiniment vers le ciel. Elles cachaient les étoiles et la lune de leur épais feuillage. En bon partenaire, Bel se taisait. Il respectait mon silence tout en accomplissant sagement mes directives. Je le devinais mort de peur dans sa position de guide, il avait toujours autant de mal en terres inconnues. C’était ses vieux instincts de proie qui se réveiller et le rongeur devait sans doute lutter pour ne pas s’enfuir dans un nuage de brouillard. L’air de rien, je m’arrêtais parfois pour bien observer les lieux, nous donnant à tous les deux l’occasion de faire une pause. Mais le jeune Héricendre ne fut totalement rassuré que lorsque nous atteignîmes la plage opposée à notre point de départ. Le sable dorée de l’archipel qu’il éclairait était plus agréable que la terre boueuse de la jungle. Nous étions mieux sur la plage rase où nous voyions arrivé le danger, je devais le reconnaître.
Deux grandes torches enflammées installées à une centaine de mètre me firent froncer les sourcils. Je mettais ma main en visière et tenter de me penche pour apercevoir ce qu’il se tramait. C’était un petit pont de bois flotte, sur lequel deux silhouettes métisses faisaient embarqués les dresseurs. C’était d’immenses Wailord qui servaient de moyen de transport. Les bêtes étaient impressionnantes, ce n’était pas la première fois que j’en voyais mais cette seconde rencontre était bien plus marquante. Dans la nuit sombre, ils ressemblaient à des titans endormis sous les vagues attendant patiemment leurs tours. Ainsi l’île n’était qu’un simple lieu de passage ? C’était tout l’archipel qui nous ouvrait ses portes. Mon cœur s’accéléra, je faisais part à Belzébuth de mon enthousiasme en lui adressant un clin d’œil. Il me fixait avec inquiétude, la perspective de voyager sur le dos d’un cétacé au milieu de l’élément qui pouvait causer sa perte ne l’enchantait guère. Je compatissais à son effroi et lui glissais avec douceur.
« Je peux te rappeler dans ta balle si tu le souhaites, le voyage ne sera pas long à mon avis.
_O-baa… Baba-babal. »
La voix étrangère et inconnue me fit sursauter. C’était un ton enfantin et aigu, un petit Pokémon probablement. Je me tournais vers l’origine du bruit mais restais incapable d’en déterminer la source dans l’obscurité. D’un geste de senestre je donnais à Belzébuth l’injonction de s’embraser. Le rongeur s’exécuta immédiatement et je vis, perché sur un rocher, une balle de bowling ivoire et bleu. Il avait des yeux brun et naïf ainsi que de grandes dents inadaptées à sa morphologie sphérique. D’un geste, je sortais mon appareil photo de Chercheuse et en activait le flash pour la première fois. L’Obali s’écrasa lamentablement par terre surpris par le jet de lumière. Je profitais de son étourdissement et envoyais une Pokéball.
La bête était coriace. Ce fut une explosion de lumière qui réduit en miette le méticuleux dispositif qui faisait de la Pokéball un objet à usage unique. Je serais les dents. J’étais vexée d’essuyer un premier échec, la nature était sotte de refuser mon offre. Je levais haut mon appareil et fermais un œil pour distinguer quelques caractéristiques supplémentaires sur l’adversaire. C’était un petit animal, une créature étonnamment ridicule quand on pensait aux allures de titan de certains de ses congénères, son poids par contre avait de quoi en faire reculer plus d’un. Son faciès ne m’était pas totalement inconnu, la preuve j’avais su remettre un nom sur la balle de bowling. Maintenant qu’il était libre le jeune phoque enchaînait les roulades sur lui-même pour tenter une échappée. Tiens, un couard. Mon regard se fit hautain, je toisais le jeune avec sévérité et mépris. Je tolérais toujours aussi mal les faiblesses de tempérament et bien que ce morse sphérique soit peut-être une simple rencontre, je n’allais certainement pas laisser passer l’occasion d’inculquer un peu de mes valeurs aux Pokémons d’Alga. Plus je le scrutais, plus je devinais que sa peau lisse caché une couche de graisse épaisse et compressée qui devait lui offrir une protection des plus efficace contre l’ennemi. Les fleurs de givre que faisait naître certains de ses roulé-boulé appuyés semblaient indiquer un type glace. Fiévreusement, je m’accroupissais pour tout noter. Il était hors de question d’oublier une seule information. Voyant l’objet de mon attention se carapater j’ordonnais de nouveaux à Bel de l’arrêter. Le regard hésitant du hérisson me fit comprendre que mon acolyte craignait un jet d’eau en retour. Je grommelais et levais les yeux au ciel avant de brandir une autre ball.
Thor en jaillit. Le crocodile n’avait rien perdu de sa superbe, il roula des épaules avant de tourné vers moi un regard arrogant. Il était jaloux. Jaloux de ne pas avoir été le premier à sortir de son enclos à l’occasion de cette sortie en territoires inconnus. Je le devinais dans cette lueur brûlante et inhabituelle dont son regard brillait quand il fixa Belzébuth. Je souriais, j’aimais bien cette étrange rivalité qui naissait entre eux. Ce désir de me plaire, à moi, l’impératrice de leur Mère Nature. Je leur donnais tant qu’il me semblait parfaitement normale qu’il quête en retour le moindre geste d’affection de ma part. Qu’ils se battent, qu’ils se déchirent, leur affrontement servirait ma gloire. L’appelé choisit de se concentrer sur l’ennemie, dans son armure d’écailles azurées on aurait dit un chevalier ancien partant à l’assaut du monde. L’Obalie tremblait en face, ce ne devait pas être un habitué des combat, à l’évidence la simple perspective de finir blessé le rendait pâle. Lâche. La froide colère, le doux mépris qui montait en moi me susurrait que moi seule pouvait offrir à ce petit une chance de surpasser cette tare. J’aurais l’occasion d’extraire de son quotidien une foule d’informations dont mon esprit assoiffé pourrait s’abreuver.
« Grimace pour stopper sa fuite, Gros’Yeux pour l’affaiblir et Morsure pour l’achever. »
J’avais révisé mes cours de dressage avant la capture mais le sujet me barbait trop rapidement. Je m’en voulais de ne pas être plus attentive en cours, seulement c’était une matière qui m’ennuyais très vite, trop vite. J’aimais les subtilités de certaines attaques comme Grimace ou Para-Spore mais l’offensive directe n’était pas dans mes cordes. Le caïman s’élança sur le phoque avec un sourire dangereux, pour gagner sur la faible vitesse que lui offrait ses courtes pattes, il se jeta en avant. Le bond fut disgracieux mais efficace, face à l’ennemi, Thor dévoila ses crocs trop larges et ses yeux de reptiles d’un or empoisonné. L’effet fut immédiat, la balle de bowling stoppa sa course nette. Il semblait tétanisé, en proie à des cauchemars qui n’appartenait qu’à lui. Je couvais mon poulain d’un regard fier tout en dégainant une seconde Pokéball. Je n’hésitais pas un instant et faisais une seconde tentative.
La sphère vermillon s’abattue sur le crâne rond du trouillard. Une lumière rouge et criarde absorba tout son corps et l’objet retomba au sol. Il semblait mu d’une volonté propre, l’âme de son prisonnier se rebellait dans son ventre, le faisait oscillait de gauche à droite dans un mouvement de métronome répétitif. Je croisais les doigts parce que je tenais à la victoire plus férocement que d’autres ne tienne à leurs vies. Dans ma tête beaucoup de choses filaient en tous sens. Il y avait toutes ces données visuelles que mon esprit cherchait à trier pour leur donner du sens, le vaniteux sentiment d’être sur le point d’ajouter un sujet à mon équipe et le regard envieux de Thor sur Bel. Petit mais lourd, le phoque pouvait devenir un élément imprévisible, il suffisait de lui apprendre à utiliser sa vitesse de façon habile et sournoise. Le terrain d’entraînement de Jackie pouvait l’aider à cela mais j’imaginais plus orienté les exercices su l’épave. Le bois flotté humide serait parfait pour lui permettre d’apprendre à user à son avantage de l’eau. L’étape suivante serait bien sûr de lui apprendre à explorer les recoins du navire grâce à son petit gabarit. Un choc sourd fit germait un sourire triomphant sur mes lèvres rosées. J’adressais un regard complice à Thor qui guettait mon approbation un peu plus loin.
« Voilà qui est fait, merci Thor. Bel ? Je compte sur toi pour apprendre à ce pleutre la notion de courage. Il lui faut un nom. »
Je m’asseyais dans le sable pendant que l’Héricendre courrait me cherchait la Ball. Le rongeur de feu semblait enchanté. Sans doute avait-il le sentiment qu’au travers de cette tâche dont je le responsabiliser, je le considérais comme un modèle d’audace. Ce n’était pas forcément le cas, j’espérais en fait que devoir montrer l’exemple inciterait mon starter à plus de bravoure. Une fois qu’il m’eut remis l’objet de capture, je caressais tendrement son front. Belzébuth ronronna, il était comme un félin amadoué à ses heures. Le Kaiminus s’était quand à lui hâter de trouver une occupation, l’inaction lui convenait si mal. Il mâchouillait de sa mâchoire disproportionnée des branchages et des coquillages, c’était devenu une activité presque constante depuis quelques jours. Je me demandais s’il pouvait y avoir un lien avec une future évolution ou une perte de ses dents de lait. A étudier. Je faisais tourner la Pokéball dans mes mains, songeuse. Là-haut, le ciel noir scintillait d’étoiles. Je pensais aux noms des étoiles et des constellations. L’infini me faisait rêver.
« Nous pourrions l’appeler Verseau. »
Bel acquiesça. J’inspirais l’air chargé du sel de la mer, absente, vide de toutes réflexions. Il n’y avait plus que le ressac de l’océan et le craquement des brindilles éclatées par Thor dans mes oreilles, le cœur battant de Belzébuth contre moi et le sort de Verseau entre mes mains.
Je me laissais bercer par le roulement des vagues. J’en oubliais ma balade à dos de Wailord ceci pour le plus grand bonheur de Bel qui ronronnait paisiblement sur mes genoux. Un craquement interrompis mon semi-assoupissement, je pensais d’abord à Thor, le crocodile toujours en liberté était parfaitement capable de ce genre de coup foireux. Ça me faisait grommelais parce que je n’aimais pas qu’on me dérangea quand j’entrais en « symbiose » avec mon environnement. Sentir le sable sous mes doits était trop délicieux pour qu’on cherche à m’en distraire même un bref instant. Je me souvenais d’Ellen et de sa sale manie de m’encercler de ses bras de femme mère au beau milieu d’une de mes lectures. Toujours son attention me rebutait, le contact physique me faisait blêmir et je devais me retenir de ne pas la repousser. Je n’étais pas née comme elle, fragile et destinée à être briser. Je nourrissais des ambitions bien plus hautes, le genre de prétention dont on ne parle même pas tant elles semblent évidentes. Le craquement se répéta, plus proche. J’ouvrais franchement mes paupières, mes sens en alertes.
Belzébuth avait fui la protection de mon corps, sentant poindre un agacement qu’il craignait chez moi. Je m’appuyais sur mes mains et me relevais. Ce n’était pas Thor qui était venu me chercher des noises, il s’agissait d’une créature tout autre. Un Pokémon bipède au poil brun avec de longues oreilles et de doublures de fourrure bouclées partiellement réparties sur son corps. Mon esprit calculait, moi, je faisais face. L’animal agitait sa truffe, curieux, trop bien entendu. Mon starter aurait pu l’abatte en une seconde sur mon ordre. Lui aussi, je tenais son sort entre mes mains. Après avoir capturé Verseau, il me semblait naturel d’être généreuse. Je ne convoitais pas ce profil guerrier de toute façon. Je me contenterais d’une image pour mes études. En deux gestes habiles, la photo de Laporeille fut enregistrée dans mon appareil et je souriais doucement la créature surprise et titubante à cause du flash agressif. Au lieu de s’enfuir comme lui murmurait sans doute son vieil instinct, elle restait curieuse. J’haussais un sourcil, dédaigneux et contrariée que tout ne se passe pas comme je le prévoyais.
« Qui es-tu pour me défier ? Quitte les lieux, je n’ai pas de temps à perdre. »
La créature ne bougeait pas d’un poil. Je soupirais. Il lui aurait suffi de quelques bonds pour être hors de ma portée et sauvait sa peau. Au lieu de ça, le nouveau venu me contraignait à user de la puissance de Bel. Je savais que l’Héricendre rechignait à se battre mais il était temps qu’il se fasse violence. J’étais trop souple avec lui ces derniers temps et sa nature pacifiste était la pire excuse du monde.
« Brûle-le. »
Mon sujet m’adressa un regard hésitant. Pourquoi lui ? Semblait me crier ses yeux sombres. Par caprice aurais-je répondu si j’étais une fille honnête. Au lieu de ça, j’esquissais une moue sévère pour le convaincre du bienfondé de ma démarche. Notre cible ne bougeait pas. Les gerbes de feu léchèrent son pelage avant de l’embraser. Dans un couinement dévasté, le rongeur s’échappa, sa curiosité vaincu par la douleur. Triomphante, je souriais avant de siffler Thor qui barbotait dans l’océan. Nous rentrions.
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