Cette voix, tu l’as si longtemps rêvée, dans tes rêves les plus sombres, tes cauchemars les plus doux, ce son rauque, comme le monde se fissurait à chacun de ses mots, comme si son corps se déchirait. N’est-ce pas terrifiant de l’entendre à nouveau ? Tu l’observes te répondre, tu observes cette femme qui partage tout, du moins qui a quasiment tout partager avec toi, combien de fois vous êtes-vous baisez les joues ? Les mains ? Les lèvres dans l’innocence de l’amour fraternel. À quelques jours de ton départ de cette île, tu retrouvais la femme de ta vie. Chaque mot fait bouillir ton sang, te noyant pour la première fois dans une notion perdue : la chaleur sentimentale, l’amour, le bien-être de voir ta sœur bien aimée.
Vos cadavres se dévisagent, se croisent longuement pendant que tu continues de l’écouter, voir ses lèvres s’ouvrir lentement, laisser présager tout ce que vous allez inspirer. Et encore, c’était un euphémisme, ce n’était pas sur des générations qu’ils se souviendraient de vous, mais des millénaires. Vos noms marqueront au fer chaud le coeur des hommes, inscrit dans leur patrimoine génétique. La crainte de vos actes sera le nouveau Père-Fouettard, vous serez le meilleur argument qu’auront les parents pour forcer leurs enfants à dormir, aux professeurs de tenir leur classe, aux forces de l’ordre d’intimer des aveux, car « seuls les Reece ont survécu à ce que tu vas subir ». Dans l’imaginaire collectif, vous serez sûrement encore plus sanguinaires, chaque génération hyperbolisant un peu plus que la précédente. Sur votre île, nul n’aura le droit d’essayer de vous imiter, votre territoire est déjà déterminé, acté.
-Je te trouve bien douce dans tes propos.
Un sourire aux lèvres, tu observes autour de toi. Il n’y a pas foule, Attila continue de travailler en nettoyant les verres. Néanmoins, Catherine semble un peu plus suspicieuse, la petite Scruttela te porte une admiration presque maladive, son regard sur durcis lorsque les lèvres pulpeuses de ta jumelle caressent tes joues creusées par le mal-être, si tu savais encore le faire, tu aurais rougi, mais avec le temps ces impressions se sont éteintes. À nouveau, tu l’écoutes, en silence, puis tu secoues la fin de ton verre, mais tu ne réponds pas. Pour une fois dans ta vie, pour un soir dans ton existence, tu t’accorderas le droit légitime de ne pas penser aux affaires. Pour un soir, tu oublieras absolument tout ce qui est superflu.
-Façon mon lit à toujours une place réservée aux fantômes… Tu devras seulement te battre avec le tien puisqu’il me fait la vie dure depuis quelques années.
Sa peau est frigorifiée, un cadavre en effet, néanmoins elle brûle comme une de ces femmes qu’on a passé au bûcher. Comme de ces Carthaginois qui ont regretté de se frotter à Rome. Elle n’a pas perdu toute son âme d’enfant, où de joueuse. Son imitation à le mérite d’être téméraire au moins, mais sa qualité laisse à désirer… le barman se met à rire, c’est bien rare que l’on rit en ta présence, preuve que les choses vont changer.
-T’es tellement douce qu’il te faut deux vies pour réussir à pourrir celle des autres ?
Tu souris à ton tour à cette provocation. Vous êtes les deux faces d’une carte. Votre principale différence vient du fait que tu es la face illustrée. On sait à quoi s’attendre avec toi, rien de bon, rien de délicat, mais quelque chose de froid, amer et calculé. Elizabeth c’est le dos de la carte, ses réactions face à une situation sont aussi nombreuses que de cartes dans un jeu. Lorsque vous êtes réunis , il s’opère un tour de magie ou peut importe la carte que l’on tire : c’est une réaction mesurée, appliquée, mais aussi imprévisible que dangereuse.
Tu lèves ton verre face à ta sœur, trinquant en plongeant ton regard dans le tien avant de le boire d’une traite et de faire claquer le verre contre le bar. Lorsque tu lâches le récipient, ta sœur s’est levée, te tirant à elle pour te lover contre toi et lentement entamer quelques pas, sans un mot, tu respires l’odeur de son parfum, resserrant ton étreinte pour commencer à la guide sur ces quelques notes que le pianiste guide, accompagné par une guitare, un saxophone et une batterie. Cet instant semble se perdre dans une autre réalité, tout semble se figer, les secondes ne bougent plus, tous vous regardent, mais qu’en avez-vous à foutre ? Rien, à vrai dire. Vos pas s’emboîtent naturellement, vous avez grandi, vieillis, loin de l’autre, mais vous êtes en totale symbiose. Cette danse se poursuit silencieusement, tu es trop occupé à profiter des réactions physiques du corps de ta sœur. Sa respiration, les infimes mouvements de ses doigts dans les tiens. Sa gorge qui déglutit tout aussi difficilement que la tienne, vos regards qui se croisent et discutent brièvement.
Finalement, le silence se refait une place d’honneur, il est tard et le groupe s’arrête pour la tranquillité des quelques clients présents. Tu brises cette douce étreinte, recules légèrement, et observes ses joues aux couleurs plus chaudes qu’avant. Vous semblez reprendre quelques teintes, quittant cet air blafard pour lentement revenir au monde des vivants.
-Nous organiserons une réunion de famille sous peu. Tu regagnes le tabouret, demandant à nouveau deux verres que Catherine te sert cette fois. Edward n’a pas changer, j’hésite même à dire qu’il est pire qu’avant. Il est vivant pour trois. Il m’épuise si tu savais… Mais il se distingue tellement du comportement familial classique qu’il en serait presque insoupçonnable. Je trouve ça aussi beau qu’effrayant. J’ai l’impression qu’on va jouer le rôle de parents. L'image te fait rire, qui pourrez survivre en vous ayant tous deux pour parents? Tu comptes exercer quel métier en couverture ? Fin, je me doute qu’ils ne t’aient pas laissé dans un cercueil tout ce temps… Tu souris. Quoi qu’il aurait pris froid à ton contact. Ils t’ont appris à croquer la carotide, cyanure aux lèvres ?
La situation à perdue de cette tension invisible et pesante, Napoléon daigne s’approcher d’Elizabeth pour venir réclamer un peu d’attention, c’était également sa mère d’une certaine manière. Déjà dans ton enfance, elle ne sortait pas toujours Joséphine, préférant la savoir en sécurité dans sa pokéball. À l’inverse, Napoléon passait son temps en extérieur pour mieux appréhender le monde, mais ton arme secrète était connue de tous, alors que Joséphine, elle doit faire office de Joker dans le jeu de cinquante-deux cartes. Même vos pokémons sont comme vous. Napoléon est la phase prévisible et Joséphine est la surprise dos caché.
-Dans moins de deux semaines, on déménage. Je te préviens, t’attaches pas trop à l’île. On devrait retrouver cette température un peu bâtarde, propre à Vestigion. Un peu en hauteur, un peu plus froide que la moyenne de la région. Tu laisses un petit silence en suspend. Joséphine va bien ? Avec le temps, tu as rencontré d’autres terreurs ?
Henry fume en C0756B
Merci Ida pour le Mood Board :