La silhouette s'approche d'elle. Grande, brune et un Lougaroc dont la forme est inconnue à Salomé. Passée la trentaine, la femme l'observe quelques temps, l'épie sans rien dire et s'approche tel un fantôme arpentant le monde. Sa main se tend vers la gitane qui ne bouge pas, sous la protection seule de son Picassaut.
— Ta... Tanya ?
Pardon ?
C'était la première fois qu'on la lui faisait celle-là.
Mélie, elle pouvait comprendre.
À la rigueur, Mélody pour les fans de sa mère.
Mais Tanya ?
Cela n'avait rien à voir avec elle, elle n'avait jamais même entendu ce prénom dans son entourage ou ailleurs. Juste une inconnue de plus totalement étrangère qui pousse Salomé à ignorer la femme. Mais le canidé grogne à ses côtés, menaçant mais bien vite interrompu par un rappel à l'ordre sec de sa dresseuse qui paraît dévorer du regard l'enfant. Quelques pas de plus et la voilà à un mètre à peine de sa cible, la frôlant presque.
— J't'ai d'jà posé la question la dernière fois mais j'en peux plus de cracher loin d'toi, d'respirer loin d'toi et d'vivre loin d'toi. Alors tu y crois, toi ? À ça ? Au hasard ? À nous deux ici ?
— Vous vous trompez, c'est pas moi Tanya...
Mais c'est un dialogue de sourds qui s'engage.
La brune a fait un nouveau pas, son visage angélique encadré par sa cascade de jais qui semble la noyer entre deux mèches. La rousse en fait un nouveau mais en arrière, le cœur agité par cette folle qui la confond avec une autre.
— J'ai pas su t'choisir quand c'était l'moment... J'ai pas su. Et j'suis partie. Comme toujours. Parce que c'est c'que j'sais faire de mieux, me barrer quand ça commence à être un peu trop chaud pour moi.
— Il n'y a pas de Tanya, juste Salomé, Salomé et c'est tout !
L'inconnue désormais trop proche passe une main dans les cheveux de Salomé, comme pour constater une évidence qui lui a échappé. Elle ouvre la bouche mais la referme aussitôt, préférant laisser ces futilités pour le moment. Seules ses retrouvailles paraissent compter dans l'immédiat.
— Et le danger, c'était toi, la coupa la brune, toi et rien d'autre. Alors j'suis partie et ça fait cinq ans déjà... Cinq ans à repenser à toi venue m'retrouver devant chez mon frère. Cinq ans à entendre DansmoncoeurLyrajetaime.
Le prénom lui parle mais elle ne saurait dire pourquoi. Elle souhaite fouiller dans sa mémoire, se souvenir, mais la présence de l'adulte à ses côtés la paralyse sur place. Ses mains continuent de secouer sa crinière de feu jusqu'à ce que Salomé finisse par reculer précipitamment, en ayant assez de cette inconnue qui lui parle une langue étrangère.
Il n'y a pas de Tanya dans son cœur.
Mais à une lettre près, cela aurait pu.
Non, non, non.
La rousse secoue la tête frénétiquement face à cette pensée qui lui coupe le souffle. Elle repose ses yeux sur le Lougaroc au pelage immaculé et à la crinière orangée qui lui rappelle les couchers de soleil aperçus depuis son arrivée sur l'île.
— J'ai changé, Tatoune. Likho aussi, regarde, fit la demoiselle en lui montrant du doigt l'immense Lougaroc, mais sans toi, ça sert pas à grand chose.
La gitane aurait pu rire face au surnom exaspérant qu'elle entendait pour la première fois. Mais ses lèvres sont bien trop serrées pour lui permettre cette humeur soudaine et la plage trop déserte à son goût, vidée depuis plusieurs heures alors que le soleil n'est plus qu'un lointain souvenir.
Il n'y a plus qu'elle et la fameuse Lyra.
Et le Lougaroc couché à ses pieds désormais, tel un jeune chiot discipliné mais son regard de rubis rivé sur la peau de porcelaine de la Médecin.
Lyra.
Le nom danse une première fois sous ses yeux.
Elle se rappelle les lettres trouvées en rafale.
Elle se rappelle la mention d'un frère.
Mais c'est là tout ce dont elle se souvient.
Ses pensées s'articulent pour tenter de comprendre le nœud du problème : l'autrice de cette lettre serait alors cette fameuse Tanya ? Non. C'était une écriture commune aux trois lettres, celle de Lyra, la sienne et la dernière dont le nom lui échappe en cet instant.
Et elle avait tout brûlé sans se souvenir des détails.
Putain de merde.
— LYRA !
C'était quoi le drôle de surnom qui ponctuait la lettre, déjà ? Cela ressemblait à un dérivé de son prénom mais en plus laid et plus étranger aussi. Mais la langue échappe à Salomé et elle se retrouve à gueuler seulement le prénom de son interlocutrice.
— C'est pas moi Tanya mais j'ai trouvé une lettre de sa part pour toi... Que j'ai égarée par erreur, ment-elle sans sourciller, mais ça t'était adressé.
L'autre cligne plusieurs fois des paupières, comme circonspecte face à ce que la rousse lui annonce là. Tanya se tient devant elle en cet instant même si cette dernière semble affirmer le contraire.
— Elle a jamais pu t'oublier, elle aussi. Elle te cherche à travers le monde et lors de son passage à Lansat, elle y a laissé un mot pour toi, ce même mot que j'ai trouvé et dont j'essaye de me souvenir en détails pour toi. Une lettre dans chacune des régions qu'elle a visitées, c'est comme ça qu'elle faisait, et qu'elle fait sûrement encore maintenant. Mais elle pense à toi.
Lyra paraît se calmer quoique toujours méfiante face à la rousse qui se détachait peu à peu des traits de Tanya. Elle était plus jeune. Ses cheveux étaient bien plus lisses et trop fins. Et son accent n'avait rien à voir avec celui de la demoiselle, beaucoup trop plat et bien moins rythmé que celui de Tanya.
La brune se laisse tomber dans le sable, contemplant le ciel peu à peu garni d''étoiles tel un bouquet structuré. Ses doigts se perdent dans la fourrure épaisse de Likho. Elle garde le silence, peu encline à communiquer sur cette missive secrète trouvée par une inconnue.
— Tu n'es pas Tanya, c'est vrai... Je suis désolée. J'y ai cru... J'y ai tellement cru mais je m'suis contentée d'voir que c'que j'voulais...
Et elle se contentait d'entendre uniquement ce qu'elle voulait. Un sourire discret éclaire soudainement le visage de la belle toujours occupée à prodiguer caresses au loup géant, ne la rendant que plus belle dans la pâleur de la nuit.
— Fais pas la même connerie que moi, gamine. Ça en vaut pas le coup, vraiment pas.
Salomé se rapproche, se glissant à ses côtés dans le sable doux et encore tiède. Sa paume s'approche du Lougaroc qui a posé sa tête entre ses pattes, sur le point de sombrer dans l'inconscience et le sommeil.
— Ça sert à rien de fuir quand tu trouves ta Tanya, ça sert à rien d'flipper et d'se barrer pour se nourrir de regrets ensuite. C'est juste... stupide et inutile.
Lyra ferme les yeux un bref instant, comme pour se souvenir d'images du passé dont elle seule a le secret. Salomé l'envierait presque et ne peut s'empêcher de laisser ses pensées vagabonder vers Ranya. Encore une fois. Elle secoue la tête pour la chasser mais la blonde revient et surgit plus fort dans son crâne.
Et Ana dans tout ça ?
Oh la gitane ne sait que trop bien ce qu'elle ressent pour la jeune brune ; rien et seulement rien. Un outil de plus dans sa croisade contre Logan, une simple manipulation pour accomplir au mieux sa vengeance. C'est tout et c'est presque tant mieux.
Le reste de la lettre lui revient en filigranes. Des mots et des bribes qu'elle confond peut-être avec l'une ou l'autre des deux lettres restantes. Elle serre le poing face à son impuissance et sa stupidité respective six mois plus tôt, livrée toute entière à sa mémoire perfide.
— Est-ce que vous avez... Est-ce que vous êtes...
Est-ce que vous avez tué votre frère comme l'autrice l'a sous-entendue dans sa lettre ?
Est-ce que vous avez seulement un frère ?
Et puis, c'est quoi ces putains d'histoires de troupeaux ?
— Est-ce que vous êtes une bergère ?
La brune rouvre les yeux sous la surprise de la question. Et elle éclate de rire, le tout sous des éclats sonores qui paraissent ricocher le long de la mer pour se perdre enfin auprès des étoiles. Le silence fait place au rire subite avant que Lyra ne reprenne la parole, le sourire aux bords des lèvres :
— Est-ce que j'ai une gueule de bergère ?
Un simple coup d’œil au Pokemon allongé à ses pieds lui fournit un élément de réponse suffisant. Mais la rousse se contente de hausser les épaules.
Après tout, ce n'était peut-être pas la bonne Lyra de la lettre.
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