D’une pression sur son iPok, Paul déverrouilla l’entrée à sa noctacave. Les rochers sous la cascade se séparèrent en deux, libérant un espace assez large pour un véhicule de petite taille. Le garçon s’y engouffra avant que le passage ne se referme. Il marcha sur plusieurs mètres avant que les lumières ne détectent sa présence et révèlent petit-à-petit les lieux. De chaque côté de la passerelle se trouvaient des terrains d’entraînement, composés de sacs de frappe, de cordes, de pneus,… et reliés au-dessus par un pont de singe. Le brun n’y prêta pas attention et se dirigea vers le fond de la cavité, où en dehors du matériel et des lumières, les murs étaient à nus. La zone finale différait du reste de la cave. Au bout de la passerelle se trouvait un périmètre en forme de cercle dénué d’équipement et visiblement en attente d’autres choses. Juste derrière lui était disposé un bureau avec un ordinateur, des livres et quelques cartons, ainsi qu’un atelier de taille modeste. Paul y déposa son sac à dos et alla au mur en pierre derrière. D’un mouvement précis sur l’une d’entre elles, il activa un mécanisme qui fit pivoter les faces du mur pour libérer deux caches d’équipements et un costume. Ce dernier sur son piédestal paraissait juger son visiteur. Ses traits peints en noir le rendaient presque effrayant. Seule une couche de jaune par endroit venait adoucir cette impression. Paul soutint néanmoins son regard couleur sang. Il le toisa un moment avant d’attraper la chaise à roulettes du bureau et la glisser vers sa position pour s’y asseoir. Penché en avant, mains jointes, il cherchait le courage d’affronter l’être qui lui faisait face.
- A ma place, tu n’aurais aucune hésitation. Finit-il par dire à la silhouette immobile. Noctaman n’a pas peur des conséquences. Il fonce et agit. Le monde est beaucoup plus simple à appréhender lorsqu’on porte un masque. Ce n’est pas un jugement, mais une simple constatation. Jusqu’à présent, le masque garantissait la sécurité des proches du chevalier noir. Tant qu’il ne tombait pas, Noctaman n’avait aucune crainte à avoir pour eux. En dehors des concepteurs du costume, personne ne connaissait sa véritable identité. Cela réduisait les risques à la fois pour lui, comme pour eux. Pourtant, j’hésite aujourd’hui à continuer. Qu’est-ce qui a changé ? Dis-moi.
La réponse se tenait juste devant lui : la crainte. Paul allait devenir père. Ses priorités allaient être chamboulées et le justicier masqué, censé offrir sa protection aux habitants de l’île, deviendrait une menace pour sa propre famille. Ce n’était pas tant le fait d’être démasqué qui le souciait, mais les risques liés au port du costume. Il avait déjà perdu son avant-bras en mission, il en connaissait les risques. Nonobstant, il les assumait lorsqu’il pouvait le faire seul. Pour Miriam, il avait redoublé de prudence les mois avant leur séparation, mais cette fois ce serait différent. S’il advenait quoi que ce soit et qu’il ne revenait pas de sa virée, ce ne serait pas une femme en deuil qu’il laisserait derrière lui, mais un enfant sans son père. Ce serait comme l’abandonner et Paul ne connaissait que trop bien ce sentiment d’abandon, d’absence, de questionnement, qui accompagnerait son enfant toutes les années suivantes. Alors, il n’avait pas trente-six possibilités.
- La solution la plus viable serait de mettre un terme à tout ça. Définitivement. Paul se renfonça dans sa chaise en fermant les yeux pour réfléchir. Cette solution ne lui plaisait pas. Il le sentait dans sa poitrine. C’était… C’était comme un désir de vengeance. Une volonté de qui l’animait d’une passion brûlante depuis la chute de Lansat. A cette époque, Noctaman n’était qu’un jeu. Un costume qu’il mettait pour parader dans les rues la nuit et affronter de petites frappes en se disant héros. Il avait certes sauvé et aidé des gens ou des Pokémon, mais ce n’était qu’un gamin. Il en avait pris conscience en se voyant impuissant face aux forces déchaînées par les trois teams venues s’affronter sur Lansat. Il s’était débattu de toutes ses forces contre la Team Rouage, se trouvant même une alliée inattendue. Néanmoins, rien de tout ce qu’ils avaient pu tenter n’avait suffi à protéger leur île. Les Pokémon obscurs s’étaient déversés dans les rues, la Team Rouage en avait profité pour prendre le contrôle du centre-ville, les forces de l’ordre débordées n’avaient eu d’autre choix que de déclarer une retraite forcée hors de l’île. Sur ce navire quittant Lansat, il avait regardé son foyer être souillé. Comme beaucoup, il s’était alors juré d’y revenir et de mettre un terme au joug de la Team Rouage. Pour cela, il avait renforcé son costume. Mieux équipé, il avait repris ses patrouilles sur Adala, bien décidé de ne pas en faire un deuxième Lansat.
Paul décroisa ses doigts et regarda son bras droit. Aucun des gestes qu’il réalisait avec la partie avant ne lui procurait de sensation. Il s’en était accommodé avec le temps, mais dès qu’il se concentrait dessus, il ressentait un vide qu’aucune ferraille ne pouvait combler visuellement. Ce n’était pas l’avenir qu’il souhaitait à son enfant. A mesure qu’il endossait le costume de Noctaman, il se renforçait. Les cicatrices laissées par les combats le rendaient plus fortes, mais gageaient aussi de ses erreurs, de ses négligences et de la progression de ses ennemis. Ils devenaient mieux préparés, plus imprévisibles, capables du pire. Avec l’apparition de Red Lady, il avait espéré avoir un soutien supplémentaire, quelqu’un sur qui se reposer de temps-en-temps. La demoiselle semblait cependant avoir d’autres projets et ce n’était pas à lui d’aller lui demander de s’investir plus dans cette mission. Chacun était libre de choisir sa voie et la manière de la traiter. Il n’y avait pas qu’une façon de revêtir le costume et il devait en exister une, où il pourrait continuer tout en étant père. Ses méninges tournaient à plein régime lorsqu’il se rappela d’une idée, qu’à l’époque Sirius n’était pas capable de concevoir. C’était un projet de costume 3.0 avec l’arsenal qui allait avec. Le Noctali fit rouler sa chaise jusqu’au bureau et pianota sur l’ordinateur jusqu’à ce que plusieurs fichiers de plans s’ouvrent sur l’écran. Sur eux, était inscrit le numéro d’un dossier qu’il se hâta de chercher dans ses cartons. Lui qui était méthodique à la limite de la maniaquerie d’habitude, commença à enchaîner les piles de dossier jusqu’à trouver le bon. Il en sortit des patrons, différents designs, des résultats de tests à petite échelle,…
- Parfait, tout est là. Il y a encore plusieurs anomalies que je dois corriger mais la base est correcte. Il leva un croquis du costume à la lueur d’un néon. Noctaman ne pourra perdurer qu’à condition d’évoluer une fois de plus.
Le costume original de Noctaman avait été pensé pour un design. Quelques gadgets étaient venus l’agrémenter, mais le principal avait été mis dans l’allure. Il avait été ensuite repensé en partie et repris par Sirius pour le renforcer avec des plaques de métal, ainsi que de nouvelles fonctionnalités d’équipement. L’objectif de ce nouveau costume était de mettre l’accent sur le résultat plutôt que sur le visuel. En changeant sa composition, il serait possible de le rendre moins lourd à porter, donc plus mobile, tout en ayant une efficacité équivalente au niveau défensif. Cette fois, tout serait pensé avant la conception et donc imaginé de sorte à rendre leur utilisation plus pratique. Une série de points restaient à revoir avec Sirius, mais la base était utilisable en l’état. Il ne restait qu’une chose à travailler encore et encore, sans relâche. Le garçon se recula du bureau pour se lever et retira ses affaires afin d’être torse nu. Le froid de la cave ne le dérangeait pas. Ce n’était pas comme si les Noctali avaient souvent l’eau chaude dans leur dortoir. Et il entra dans la zone d’entraînement. S’en suivi un échauffement, le même qu’il faisait chaque matin avec les Pyroli. Son corps chauffait doucement, alors il chopa une barre de traction et se hissa à deux mains. Une série de vingt, puis une deuxième et une troisième. Il détacha ensuite son bras et reprit de nouvelles séries. En combat, bien que la prothèse soit solide, il pouvait très bien la perdre. Il devait être paré à toute éventualité. Les exercices s’enchaînèrent comme une vieille routine. A chaque pause qu’il s’accordait, il allait se poser devant son bureau, buvait une gorgée d’eau de sa gourde et réfléchissait à ce qui pouvait être amélioré sur le projet du costume. Lorsqu’il fut sur les rotules, il attrapa une serviette au fond de son sac et s’essuya sa figure luisante de sueur. Il la passa ensuite autour de son cou et imprima les documents retravaillé qu’il avait besoin de montrer à Sirius. Incapable d’attendre d’être rentré, il lui envoya un message.
« J’ai besoin d un nouveau costume. Pas d’inquiétude, je t’apporterai ce qu’il te faut. »
Il ne restait qu’à récupérer ce qu’il lui fallait. Ce n’était pas une mince tâche, mais il était certain que Jackie pourrait l’aider sans le savoir. Après avoir pris une douche au dortoir, il alla directement la voir, de toute façon c’était une étape obligée. Il n’y avait qu’à elle dans tout le corps enseignant et administratif qu’il se sentait apte à expliquer sa situation avec Miriam. C’était par ailleurs sans nul doute la personne qu’il respectait le plus au sein de cette académie, outre son frère. Même à une heure tardive, la femme travaillait d’arrache-pied dans son bureau. Paul toqua à sa porte et attendit devant celle-ci qu’elle termine la lecture de son feuillet de paperasse. Quand il fut assis devant elle, il sentit sa gorge se nouer. Il était capable d’affronter des criminels, mais sa vice-directrice arrivait encore à l’impressionner, d’autant plus aujourd’hui avec ce qu’il avait à lui annoncer.
- Parles, je t’écoute.
Les mains fermement jointes devant elle, sa patience avait l’air limitée ce soir.
- J’ai eu une relation avec une personne extérieure à l’académie et il y a eut un imprévu… Elle est enceinte de cinq mois.
Les paupières de la Générale battirent rapidement à plusieurs reprises. Elle digéra l’information tout aussi vite et revint à Paul en gardant son air sévère.
- Et vous ne vous en êtes pas rendu compte avant ? Elle rangea lourdement le feuillet qui était devant elle sur une pile carrée sur le côté de son bureau. Dans tous les cas, ce n’est pas avec moi que tu devrais voir ça, mais avec ta conseillère et Mme Needle.
- A vrai dire, je voulais vous en parler car j’aimerais m’aménager un travail en dehors des cours. Il y a une base militaire sur l’île, si vous avez des contacts, je suis preneur.
- Évidemment, j’ai des contacts. Un ancien élève de l’académie est même en faction là-bas en ce moment. Je vais voir ce que je peux faire. C’est tout ?
- Oui.
Paul savait qu’il était inutile de passer par quatre chemins avec elle et encore moins de s’éterniser pour rien. Les informations ayant été distribuées, son devoir était accompli et bien qu’impassible, la Générale saurait quoi en faire.
- Alors tu peux disposer.
- Merci, bonne soirée.
Jackie le regarda rejoindre la porte, puis se replongea dans son travail, bien décidée à ne rien laisser en suspens d’ici minuit. Quant à Paul, il avait sauté l’heure du dîner. Deux choix s’offraient à lui : se rendre en centre-ville à dos de Flambusard pour manger dans un fast-food ou prier pour s’endormir avant que son ventre ne se mette à grogner trop fort. Il lui arrivait de sélectionner la seconde option. Toutefois, avec les deux heures de sport qu’il avait dans les pattes, il préféra effectuer un dernier effort et chercher un repas, de médiocre qualité en comparaison de ceux de Mama Odie, mais qui lui remplirait le ventre pour cette nuit.
La table qu’il avait choisi détenait deux places. Une était pour lui, l’autre pour son Aligatueur. Paul avait une vision directe sur le reste du restaurant. Entre deux bouchées, il laissait son regard traîner dans celui-ci. Cela ne l’empêchait pas d’entendre Ali râler sur la présence de cornichons dans son burger, mais il n’avait pas trop la tête à répondre. Un couple et leurs deux enfants avaient attiré son attention. Il détournait le regard de temps à autre, pour ne pas paraître trop insistant, mais revenait toujours à eux. Ils riaient. Le plus petit s’amusait avec le jouet de son menu et son père le suivait dans ses aventures en mimant des bonhommes avec ses doigts ou en faisant des bruitages derrière. La mère discutait quant à elle avec l’aînée, venant parfois réprimander avec un sourire les deux garçons pour le bruit qu’ils causaient. Dans un monde parallèle, le Noctali supposait que Miriam et lui auraient pu vivre une histoire similaire. Si tout n’avait pas tourné à la catastrophe entre eux, la nouvelle du bébé n’aurait sûrement pas été aussi dure à avaler. Ça aurait même pu être un moment de bonheur.
- De bonheur…
Le regard dans le vide, tandis qu’Ali essayait de le ranimer en agitant sa patte devant ses yeux, c’est là qu’il prit conscience de quelque chose de très important. Ni Miriam, ni lui, n’avaient pensé vraiment au bébé. Ils avaient tout de suite imaginé les problèmes que cela allait créer et qu’ils devraient résoudre. A la vue des circonstances, cela paraissait normal. Cependant, ils n’avaient pas pensé un seul instant que cet événement était néanmoins un événement heureux. Ce bébé ne méritait pas d’être vu comme une source de problèmes. Il fallait le percevoir d’un angle différent et essayer d’en percevoir les bons côtés.
- Finis ton quatrième burger et rentrons, Ali. Je suis fatigué. Les prochains jours vont être très éprouvants.
- Rwaaa. Accepta le starter en enfilant le burger entier dans sa gueule.
Paul jeta un dernier regard à cette famille avant de quitter le fast-food. Peut-être qu’avec Miriam, tout n’était pas perdu après tout… Il referma la porte du restaurant sur cette idée et se tourna vers l’avenir. Miriam, Noctaman, le bébé, les études… Il n’allait pas manquer de sujets de préoccupation dans les prochains temps.