Un air humide accompagnant une odeur de moisissure gracieusement apportée par les eaux usées coulant en ces lieux. Un parfum mélangeant poisson pourri et renfermé dû à l’espace relativement restreint malgré les couloirs infiniment longs et la proximité avec le port de Nuevo. Et la mine renfrognée de Hope, à attendre que leurs professeurs daignent enfin à leur transmettre les instructions pour le cours du jour tout en mâchouillant son chewing-gum goût framby. Ainsi se résume le premier tableau de ce récit.

Effectivement, en cette belle matinée d’octobre, l’humeur maussade de la blonde ne passait pas inaperçu. On aurait pu croire qu’il s’agissait du lieu où elle se trouvait, qui la dégoûtait par les odeurs et la propreté inexistante – et il est vrai qu’elle a déjà connu des lieux plus glamour que des égouts – mais à vrai dire, ces lieux en eux-mêmes ne la dérangeaient pas plus que ça, les anciennes habitudes ne se perdaient que difficilement, et c’était bien cette constatation qui avait plongé l’étudiante dans l’état dans laquelle elle se trouvait actuellement. Une certaine nostalgie refoulée mélangée à un réflexe inconscient où elle cherche à vider son esprit afin qu’aucun de ces souvenirs enfouis ne ressurgissent, le résultat de ce cocktail n’était pas des plus agréables. Ses yeux fixaient intensément les bulles surgissant régulièrement de l’eau verdâtre coulant à deux pas d’elle, essayant de s’occuper l’esprit en lisant tous les Pokémons pouvant éventuellement survivre dans de telles conditions, elle était si concentrée dans cette activité passionnante qu’elle loupa le début des instructions du cours. Lorsqu’enfin son iPok bipa, message envoyé par Ajax afin de sortir sa dresseuse de ses pensées, le référent des Noctalis avait déjà bien entamé ses explications. La mine blasée, Hope essaya alors de comprendre ce qui avait été dit, sans trop de motivation, consciente que de toute manière, son Porygon avait déjà retranscrit tout ce qui s’était dit. Aussi, jugeant les babillages inutiles que l’adulte débitait, cela ne devait sûrement être rien de trop compliqué.

Elle souffla. Une bulle rosâtre connectée à ses lèvres apparut, grossissant progressivement, accompagnant son ennui croissant. Y avait-il vraiment besoin de former des groupes pour aller aider Tadmorves ou des incompétents capables de se blesser dans un lieu pareil ? Instinctivement, elle aurait répondu par la négative. Après réflexions… Elle y répondrait toujours par la négative. La bulle se dégonfla. Ce cours lui semblait dénué d’intérêt, mais elle n’avait pas vraiment le choix, maintenant qu’elle était là. À cette pensée, elle soupira longuement. Elle avait appris à détester les travaux en groupe.

Son regard parcourut la foule, à la recherche d’une tête connue, mais ses espoirs restèrent vains. Cela faisait un moment que les élèves autour d’elle lui paraissaient de plus en plus jeunes, de plus en plus vagues, de plus en plus inconnus, et cela n’allait pas aller en s’améliorant. Elle était consciente qu’elle ne faisait rien pour y remédier, mais elle avait d’autres priorités et ceci ne valait pas qu’elle fasse des efforts. Trop éphémère, trop volatile, trop imprévisible.
Mais il allait bien falloir qu’elle trouve quelqu’un. Elle grimaça.

Les premiers groupes furent formés et envoyés vers des zones attribuées. Le groupe d’élèves initial devenait de plus en plus mince, elle put alors apercevoir quelques élèves qui, comme elle, n’appartenaient encore à aucun groupe. Sélectionnant un aléatoirement, elle s’approcha de celui-ci. Signe de main, air vaguement amical, effort minimal nécessaire.

« Yo, t’es tout seul ? »

Confirmation obtenue, groupe formé, ils purent enfin se diriger vers les professeurs qui leur confièrent alors une trousse de secours et une carte sur laquelle une zone précise avait été entourée au marqueur rouge. Hope regarda brièvement autour d’elle, avant d’indiquer une direction précise.

« C’est par-là. »

Elle aimait encore bien les courses d’orientation mine de rien, mais ironiquement, dans ce contexte particulier, cela lui plaisait moins bien qu’elle soit particulièrement douée pour se repérer dans ces tunnels puants qui s’étendent sur bien trop de surface.
Leurs pas résonnaient alors que les éclats de voix s’éloignaient progressivement. Le silence s’instaura peu à peu, ne laissant plus que le bruit des gouttes d’humidité retomber du plafond en pierre et l’eau ruisselante. Elle se décida finalement à lancer la discussion.

« Sinon moi c’est Hope, je suis absolument pas médecin, mais si c’est vraiment uniquement les premiers secours ça devrait le faire. Surtout s’il s’agit de Pokémon. Je suis seconde spécialité Agent mais sinon jsuis Ranger. Toi ? »

Se lever le matin, quelle idée...

Aller en cours, quelle idée...

Dans les égouts de la ville, quelle idée...

C'est de la médecine. Voilà la seule et unique raison qui avait réussi à tirer Dakoy de son lit ce matin. Il était maintenant au milieu de la foule de ses camarades, en train de s'habituer à l'odeur qui les agressait tout en essayant de se concentrer sur le discours d'un Léon qui tirait à balles réelles.
Il avait sans raison d'affirmer que tous les dresseurs ici avaient déjà fait du mal à un pokémon auparavant. Mais ce qu'il ne disait pas, c'est qu'il y a le bon et le mauvais dresseur. Le mauvais dresseur, il voit un pokémon, qu'est-ce qu'il fait ? Il le combat. Le bon dresseur, il le combat... pas forcément en fait ! De l'expérience de Dakoy, des tas de questions se devaient d'être posées avant d'engager un combat : le pokémon est-il agressif ? Souhaite-t-on le capturer ? Si oui, y a-t-il un moyen pacifique ? En suivant de bonnes valeurs, un bon dresseur peut parfaitement vivre sa carrière sans blesser de pokémon innocent, parce que c'est son projet.

Bref c'était un cours de médecine, pas de philosophie. Notamment parce qu'en cours de philo, on se trouve rarement un ou deux partenaire(s) pour visiter une partie des égouts locaux.

Merde.

Un ou deux partenaire(s).

Dakoy commença à balader dicrètement son regard à droite à gauche dans l'espoir de tomber sur quelqu'un qu'il connaissait et n'avait pas remarqué. C'était stupide, ils n'étaient pas si nombreux que ça pour ce cours, impossible de rater une connaissance, même pour quelqu'un d'aussi peu réveillé que le blond.
C'est alors qu'une blonde s'approche en lui faisant signe. C'était bizarre, son visage lui rappelait... rien du tout. ALORS POURQUOI ELLE L'APPROCHAIT SI SEREINEMENT ? Elle semblait plus âgée, plutôt sûre d'elle, bref elle avait tout d'une fille populaire, pour qu'elle l'approche comme ça c'était forcément qu'ils s'étaient déjà vus. Une vieille amie de Joliberges ? Une ex, peut-être ?! Non non, aucune des filles que n'avait côtoyé Dakoy n'avait plus d'un an que lui. A moins qu'elle fasse juste plus vieille que son âge... C'était tiré par les cheveux, mais peut-être...

"Yo, t’es tout seul ?

-Euh, ouais... Ca te va si on est que deux ?" Manquerait plus qu'une seconde possible ex-petite amie méconnaissable se ramène. Et franchement, si ça devenait gênant, mieux valait qu'ils ne soient que deux à s'en souvenir.

Yes. Allez, c'était juste un duo, en plus elle avait l'air de savoir ou elle allait (dommage, Dakoy aimait bien lire des plans) donc autant s'éloigner du groupe et tirer ça au clair rapidement. Le garçon restait à côté, ravalant sa salive en ressassant sans cesse ses souvenirs (sublime allitération je trouve) sans pour autant y retrouver le visage de la jeune femme. Cela lui permit au moins de finir d'ignorer l'odeur des lieux.

Et enfin, le salut. Dans les deux sens du terme. Elle s'était juste approchée parce qu'elle connaissait personne, comme lui, même si ça lui paraissait improbable. Plus improbable que son idée juste avant ? Non, clairement pas, mais la peur tue l'esprit. Tout ça pour dire que le niveau de pression que ressentait le blond dans ce cours venait de chuter drastiquement. Il pouvait donc se présenter sans passer pour un connard (excusez le terme cru).

"Dakoy Ra. Je suis médecin, en l'occurrence. Juste médecin. Et je débute, mais en théorie, s'il y a quelque chose que je ne peux pas soigner, je saurai au moins quoi faire pour que le patient ne souffre pas trop le temps que des experts arrivent. Mais bon, je ne pense pas qu'on tombe sur quoi que ce soit de trop abusé non plus."

Là, le garçon voulait juste plus se rassurer qu'autre chose. Depuis son arrivée sur Adala, il avait bien compris qu'un rien pouvait aboutir à des situations... uniques. Et quelque chose lui disait que ça n'allait pas manquer.

A quelques tournants du lieu indiqué sur leur carte, ils tombèrent nez à canne avec un pécheur visiblement peu jouasse de les voir. Il devait même pas avoir quinze ans. Les vêtements sales, les bottes couvertes de vase séchée, des cheveux gras et noirs qui lui collaient au crâne, et des cernes qui faisaient peur à voir. Et pourtant, on ne pouvait pas rater dans son regard cette concentration, cette attention qu'il portait à tout ce qu'il voyait.

"Je me disais bien que j'avais entendu des pas lança-t-il d'un air bougon en rappelant sa ligne. Vous faîtes fuir le poisson avec les échos de vos pas là.

-Désolé du dérangement... Mais tu pêches ici, sérieusement ?

-Bah ouais, ça grouille de goujons et de truites. J'ai même vu un poisson-chat bleu une fois, même si personne me croit. La poiscaille, c'est le meilleur moyen de survivre ici.

- Quoi ? Tu vis là-dedans ? Mais depuis combien de temps ?

-J'en sais rien. Les autres sont là depuis 3 ans de ce qu'ils disent, mais moi ça fait plus longtemps. Je suis arrivé je devais avoir huit ans à tout péter. Maintenant je sais même plus quel âge j'ai."

Beaucoup de questions se bousculaient dans l'esprit du médecin. Et il ne manqua pas de les poser, un peu paniqué :

" Attends attends attends, comment ça les autres ? Pourquoi tu quittes pas les égouts ? Tu manges vraiment que du poisson ? Ces fameux autres aussi ?

Son interlocuteur tiqua. Visiblement il n'avait pas prévu de visite des services sociaux ou autres abrutis aujourd'hui.

-Continue de gueuler et tu prends l'hameçon dans le nez. Oui, y en a d'autres, mais ils sont pas toujours là, ils viennent juste pour s'entraîner quand ils veulent pas aller en cours, ou que leurs parents les gavent. Franchement je les comprends là dessus. Et moi je restes là parce que j'ai aucune raison d'aller à la surface. Y a personne qui m'attend et y a pas de poisson gratuit. J'ai répondu à tout, ou t'as encore d'autres trucs à me demander ?

-Tu m'as pas dit si les autres mangeaient aussi que du poisson...

Le gamin resta figé un instant. Le grand avait pas l'air de se moquer, sincèrement.

-Non, ils mangent pas que du poisson. Ils ramènent toujours de la bouffe d'en haut quand ils viennent, même si ça leur arrive de pas prévoir assez, et là ils viennent me chercher. Quand je vous ai entendu arriver j'ai cru que c'était eux au début.

-D'accooooord. Juste par curiosité... Le médecin pointa le plan que tenait encore Hope dans les mains. Tu peux nous indiquer où on peut trouver les gens dont tu parles s'il te plaît?

-Euh ouais... On est où ? Là ? Ben du coup c'est la grosse zone que vous avez entouré en rouge, z'êtes bêtes ou quoi ? C'est pas là que vous comptiez aller ?

-Si si, bien sûr... on savait juste pas qu'ils côtoyaient un pêcheur des égouts ! mentit le médecin.

Les deux élèves saluèrent le jeune adolescent qui relançait déjà sa ligne avant de continuer leur route. Le blond se retourna une dernière fois, les mains jointes en signe d'excuse et un sourire gêné, conscient qu'il dérangeait.

"Tu t'appelles comment, au fait ?"

Dans un murmure que Dakoy eut du mal à déchiffrer, l'enfant ne prononça qu'un simple mot, les yeux grands ouverts et rivés sur son propre...

"- Flotteur..."