La première manche a certes été remportée par Ilea, mais cela n’annonce pas pour autant une victoire. Là où sa très bonne résistance à l’alcool pouvait suffire à rivaliser dans les soirées de jeunes adultes à Sinnoh, ici c’est une autre paire de manche. Il est évident qu’Henry baigne dans l’alcool depuis sa plus tendre enfance, particulièrement lorsque l’on sait qu’il est un Reece, famille réputée pour ses créations extrêmement vendues à travers Sinnoh et plus généralement à l’internationalement, imposant une sacrée réputation à leur famille. Pourtant, les Alezar n’ont jamais trop cherché à marchander avec eux, et ce malgré leur influence. La raison n’est pas bien difficile à deviner mais cela n’a pas empêché des contacts de temps en temps, à certaines très grandes soirées où toutes les familles se retrouvaient pour parler affaire. Cependant, il a bien fallu attendre son émancipation pour rencontrer l’un des héritiers de cet empire.
La partie reprend et bien vite, Ilea comprend qu’elle risque d’être battue. Une maigre paire se détache mais rien de plus, et l’assurance bien que dissimuler du barman laisse présager le pire quant à son gosier dans les prochaines minutes. Malgré tout, l’éducatrice ne cède pas et continue de le suivre dans ses relances, sans jamais augmenter. Bien qu’elle aurait pu se coucher immédiatement face à une main si faible, elle a préféré suivre, sans trop vraiment savoir pourquoi. L’appât du jeu, l’adrénaline des parties de poker où tout peut se passer, ou simplement l’ennui et la détresse inexpliquée, calmée ne serait-ce qu’un peu par l’excitation du jeu. Probablement un peu de tout ça. Malgré sa défaite imminente, cela n’empêche pas la rousse de faire la conversation «
J’apprécie la proposition ». La jeune femme se sent encore en pleine possession de ses moyens et rentrer à l’hôtel ne devrait en soit pas poser de problème si elle pense à bien boire pour éviter la gueule de bois. L’idée de croiser un élève alors qu’elle ne serait pas en état la hante encore, bien qu’elle s’éloigne petit à petit de son esprit à mesure que le temps s’écoule en compagnie d’Henry. Alors qu’il continue de relancer, il évoque son contexte familial spécifique, un contexte qu’elle comprend plus que bien «
Je le sais bien. La famille au détriment de l’individu est un mantra que je connais bien aussi mais que j’ai décidé de fuir »
Des traditions dans lesquelles elle était enfermée et dont elle n’aurait jamais pu s’émancipant autrement qu’en coupant définitivement les ponts avec les Alezar. Un choix encore douloureux en y repensant mais qui lui a ouvert les portes d’une autre vie, pour le pire mais aussi le meilleur. «
Si cette personne est persuadée d’avoir trouvé son âme sœur, celle qui sera à ses côtés jusqu’à la fin, alors je ne pourrais que respecter son choix. » Ce qu’évoque Henry est aussi très familier aux oreilles d’Ilea. Avant son départ, ses parents avaient déjà trouvé pour elle plusieurs maris potentiels. Plusieurs hommes qui seraient capable de subvenir à ses besoins toute sa vie mais surtout de faire honneur à la famille Alezar. Mais jamais aucun qui n’aurait été capable de l’aimer pour qui elle est «
Fut une époque, moi aussi j’ai choisi l’amour contre l’avis général. Enfin c’est ce que j’ai voulu faire… » Elle aurait fait n’importe quoi pour lui. Partir à l’autre bout du monde, vivre une vie de vagabonde à travers les terres et les mers, elle l’aurait fait. Tout ça elle l’aurait fait. Si seulement il lui avait laissé le choix «
Enfin bon, j’imagine que dans votre cas la question est un peu différente, avec plus d’enjeu ». Tous les sinnohites des grandes familles savent bien que les Reece ne sont pas uniquement des fabricants d’alcool. Tout un tas de rumeur circule à leur sujet. Des plus simples au plus sordides, sans jamais qu’aucune ne trouve un quelconque aboutissement aux yeux des forces de l’ordre.
Ce qui devait arriver arriva et Ilea du s’incliner face à une main contre laquelle elle n’aurait rien pu faire «
Félicitations, je suis forcée de m’incliner ». Les cartes redonnées au barman, la jeune femme récupère ce verre d’une couleur dérangeante en face d’elle, admirant quelques instants sa robe, enfin si on peut vraiment appeler ça une robe. Le petit verre entre les mains, elle le lève avant de s’exprimer «
A ma santé ». Elle absorbe les gorgées une à une, réprimant avec une très grande difficulté son expression du visage, trahissant tout ce qu’elle pense de cet affreux breuvage sans aucune saveur, tout juste bon à mettre en feu la gorge des plus aguerris. Le verre reposé sur le comptoir, la rousse renfile sa veste et se lève, tant que l’alcool n’agit pas encore «
Je vous remercie pour cette soirée Henry mais je vais me retirer. Restons sur cette égalité, du moins pour l’instant ». Après avoir réglé auprès du gérant de l’établissement, l’éducatrice s’approche de la porte mais avant de quitter le bar, une pensée s’insinue dans son esprit, vivace. Elle pourrait. Elle pourrait le faire. Mais que penseraient les autres s’ils l’apprenaient ? Que penserait son entourage en le sachant ?
Mais pour une fois, Ilea veut penser à elle. Et rien qu’à elle.
Elle se retourne alors vers le jeune homme avant de lui murmurer «
Mais cette soirée peut se poursuivre dans d’autres lieux si vous le désirez ». Les mots s’échappant de ses lèvres viennent se briser contre les murs bois de l’établissement juste avant que l’éducatrice ne quitte le bar. Ses pas s’enchainent, encore à peu près droit, bientôt rejoint par d’autres, laissant s’afficher un léger sourire sur ses lèvres.