LTu ouvres les yeux sur le même paysage présent quand tu les as fermé. Les mêmes sapins, les mêmes branches échouées mais il n'y a plus les mêmes rayons de soleil qui t'ont doucement réchauffé et lové aux creux des bras de Morphée. Frottant doucement ton visage avant de t'étirer longuement, tu sens sous tes doigts les marques laissées par ton sac sur ta joue. Tu restes un moment comme ça, sur le dos, à regarder la lumière chatouiller les feuilles et ces dernières qui s'amusent à dessiner un peu partout, des tâches ensoleillées. Tu lèves une de tes mains devant ton visage, jouant du bout des doigts avec un de ces faisceaux avant de soupirer longuement. Quelle heure était-il ? Combien de temps t'étais-tu assoupie ? Te redressant doucement, tu t'appliques à tenter de retirer les bouts de mousse et les morceaux de feuillage mêlés à tes cheveux. Tes pieds nus jouant avec la terre sous tes pieds, tu savoures dans un silence troublé des seuls chants d'oiseaux, cette solitude réconfortante. Si tu avais 20 ans de moins, tu serais sans doute grimpée dans un arbre, construisant une énième cabane. Un sourire au coin des lèvres animé par tes pensées, tu attrapes une cigarette dans ton paquet en sortant par la même occasion ton cendrier de poche. Adossée au pied de l'arbre où tu t'es endormie, tu laisses la légère brise caresser tes bras et tes épaules nues en fermant les yeux.
Ces quelques jours loin de Nuevo te sont vraiment bénéfiques. Tu es contente d'avoir finalement accepté de rejoindre ton frère pour prendre un peu de repos. Tu voulais guérir de ces derniers temps un peu compliqués, le craquement de ton dos quand tu te redresses ne fait qu'appuyer mes dires. Elle est maintenant loin la Lizzie aussi habile qu'un singe, elle est partie à ta première mort. Tu te revois gamine, attrapant avec une aisance folle tes pieds avec tes mains, courbant ton dos de manière inquiétante et rouler, rouler, rouler. Tu ris doucement en cendrant dans la petite boite que tu traînes avec toi quand tu pars faire de la randonnée. La ville est la ville, tu ne veux pas laisser tes mégots en pleine forêt alors que les jeter dans la rue ne te pose aucun souci. La logique est là où ça t'arrange. Tu frictionnes doucement tes bras, l'air se fait plus frais. Les cicatrices de cette journée avec Henry au château sont encore rouges et enflées. Elles ne sont pas graves mais voyantes et tu les sens boursouflées sous tes mains.
Tu écrases ton mégot avant de commencer à rassembler tes affaires. Tu ramasses le livre sur lequel tu t'es effondrée, quelques pages sont cornées, ta gourde et ton téléphone échoué dans un coin, le reste n'a pas bougé. Tu refais ton lacet, met ton bardas sur tes épaules et te voilà repartie. Tu avais besoin de te balader seule, de faire le tri dans tes pensées, voilà pourquoi tu te retrouves à te balader, chaussures de randonnées aux pieds, dans les montagnes de Gratia. Suivant les sentiers, tu t'étais enfoncée dans la forêt après avoir traversé un petit plateau où tu avais pris le temps de manger les victuailles prisent pour l'occasion. Tu étais partie dans la matinée et l'après-midi devait maintenant être bien avancé. L'air frais emplissant tes poumons fatigués par tout le goudron que tu y accumules clope par clope est vivifiant et mêlé des odeurs du printemps. Les fleurs commencent à bourgeonner ci et là, les oiseaux reviennent prendre possession des lieux.
Tu as laissé Henry au village, non pas que sa présence t'est pesante mais c'est surtout l'inverse. Tu as peur de l'étouffer, tu vois bien qu'il a peur dès que tu te lances dans quelque chose d'un peu dangereux, qu'il a peur de te perdre comme si tu allais à tout moment de nouveau disparaître. Rien que quand tu es partie ce matin, il t'a regardé, absolument pas serein que tu partes seule au milieu de milliers d'arbres. Tu ne veux pas être celle qu'il a peur de mettre en danger, celle qu'on sur-protège. Tu as bien réussi à vivre jusqu'ici, t'es increvable Lizzie, un vrai parasite. Une fois installée, on ne peut plus s'en débarrasser. Tu veux être celle qui le porte plutôt que celle qui l'enfonce et surtout, surtout tu veux enfin lui lâcher la grappe avec ta jalousie mal placée. Henry est un grand garçon et il batifole avec qui lui chante.
Perdue dans tes réflexions tes pieds suivent mécaniquement le sentier dessiné au milieu du bois. Tu secoues la tête, essayant par la même occasion de faire sortir toutes ces idées noires qui t'habitent. Tu n'es pas là pour te torturer avec des « si ». « Si » Henry a un souci, il viendra t'en parler sans aucun doute. Tu laisses alors sortir Joséphine, Germain et Bartolomé de leur pokéball respective. Une belle bande de joyeux lurons, la Pyrax profitant du grand air pour dégourdir ses grandes ailes avec un Skelenox aux trousses et enfin le Pandespiègle joignant sa patte à ta main concentré à ne pas trébucher. Les voir ainsi pleins de vie et heureux te redonne le sourire et gomme, du moins temporairement, les maux dont tu t'accables.
Tu redescends doucement vers le village, empruntant un sentier moins accidenté qu'à l'aller. Tu vérifies à chaque petit écriteau que tu es bien dans la bonne direction. Le soleil commence à se coucher et le ciel s'embrase. C'est un de tes moments préféré, ça et le matin très très tôt. Tu le vois souvent quand tu n'as pas dormi de la nuit et quel plaisir de voir les premières lueurs du jour percer les nuages. Tu te sens maintenant calme et apaisée par ce moment passé loin de tout et ton visage pourtant si fermé serait presque devenu doux, si si je t'assure, j'en suis le premier étonné. Les premières maisons t'apparaissent encore lointaines quand tu sens Joséphine et Bartolomé se figer.
Les rejoignant doucement et sans bruit tu comprends enfin le pourquoi du comment. Au milieu d'une petite clairière, évoluant avec poésie, une adolescente danse avec une grâce rare.
Rappelant Joséphine et Germain que tu sais trop méfiants et impulsifs, tu ne gardes que Bartolomé à tes côtés pour savourer le spectacle qu'il t'est donné d'observer.
C'est d'une magie et d'une douceur incroyable. Tu ne te lasses pas de la regarder virevolter, elle semble faire partie de la montagne, ne faire qu'un avec ce qui l'entoure. Elle épouse chaque brise, chaque son avec une justesse touchante. Ses mouvements sont choisis et maîtrisés à la perfection. Chaque pointe de pieds ou doigts levé semble être la touche qu'il manquait et ses longs cheveux n'apportent qu'encore plus de volupté. S'en est presque irréel, à chaque pirouette, c'est la Terre qui semble tourner autour d'elle. Ce qu'elle dégage t'émeut, tu sens une mélancolie t'envelopper le cœur, une de celle qui te rappelle que ce moment est unique. Les rayons du soleil semblent jouer avec elle, c'est un véritable ballet que tu as sous les yeux. Tu t'assois doucement sur un rocher en hauteur, d'où tu peux observer ce fabuleux spectacle sans être vu. Et elle répète inlassablement les mêmes mouvements, cherchant ce petit rien qui rendra le tout grand.
Ton Skelenox est aussi intrigué que toi mais moins prudent et tu le sens te quitter et commencer à partir à la rencontre de la jeune femme. Tu te relèves précipitamment, faisant tomber quelques cailloux de ta hauteur tout en murmurant, te démasquant par la même occasion :
- Bartolomé, reviens là !